© 2022 Sophie Malicot
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Une Quête Spirituelle: Dieu En Question | Le Lien Urantien — Numéro 98 — Juin 2022 — Table des matières | Les Aléas D'une Planète Décimale |
Sophie Malicot
Le vent toujours novateur de l’Esprit souffle où il veut et nul être sur terre ne saurait en détourner le cours. Dans ce sens, il semble que certains socles fondateurs de notre civilisation soient de plus en plus remis en question. En première ligne, le concept du péché originel se fissure et se désagrège au point de ne plus faire partie des piliers référents en présence. Mesurons-nous que cette destitution progressive modifie totalement le regard sur la place et l’évolution de l’homme?Afin de mieux comprendre cette évolution, il est bon de revenir à la Genèse. La majeure partie de ce livre fut écrite aux VIII et VIIe siècles avant JC. Bien que sa rédaction soit attribuée à Moise, dont la datation de l’existence n’est pas déterminée, cette compilation est reconnue désormais comme venant de plusieurs auteurs, ayant inséré au fil du temps des épisodes relatifs à des époques différentes, dont témoignent les anachronismes permettant d’affirmer la pluralité de ces sources. Ceci souligne d’une part que le livre est fait de mains d’hommes liés à leur temps ; d’autre part que l’échelonnement de sa rédaction permit de faire les ajustements qui convenaient pour répondre aux interrogations des temps d’alors.
La démarche n’est pas la même que celle d’une révélation qui, bien que tenant compte des progrès de l’humanité, se pose en antériorité d’évolution, c’est-à-dire en ouverture à un chemin non encore parcouru. Une partie du récit biblique est élaborée en réponse postérieure aux mystères du monde, alors qu’une révélation se pose en antériorité de l’évolution qu’elle provoque.
La Genèse donne le récit de la création du monde avec le sixième jour, celle du premier homme Adam.
« Dieu créa l’homme à son image, À l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » Gn 1.27
Bien que sans antécédent biologique, cet homme ne surgit pas « ex nihilo »mais de la glaise façonnée. Un homme « ex argilo » tiré de la matière qui prendra vie grâce au souffle divin.
« Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. » Gn 2.7.
Le récit souligne ainsi que, originellement, l’homme est créé parfait à l’image de la perfection divine. Cette perfection est représentée par la nudité sans honte :
« Tous les deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre. » Gn2.25.
Cependant, il fallait un maillon intermédiaire expliquant les imperfections humaines. Comme Dieu ne pouvait être responsable de cette rupture dans la perfection créée, la responsabilité de l’imperfection ne pouvait revenir qu’à l’humain. La suite tient à deux arbres, un serpent, une pomme, Ève tentée et Adam la suivant. Le drame est que ce mythe réduit l’humain pour des siècles au rang d’infidèle, dont la seule issue salvatrice est de prendre le rôle de pécheur et avouer humblement ses fautes afin d’obtenir le pardon divin et la vie éternelle. Cette conception d’enfant infidèle a construit nos sociétés, structuré le système de hiérarchies entre les plus pécheurs et les moins pécheurs. Les instances ecclésiales ont saisi le filon pour assurer leur pouvoir et assujettir les infidèles, comme les fidèles d’ailleurs. Devons-nous remercier les abus des « moins pécheurs »- abus divers selon les époques, auxquels notre époque n’échappe pas-qui concoururent à déceler l’erreur ? Oui, même si le prix payé est cher en humains et pour l’humanité. Mais nous avançons en grande partie par nos erreurs.
Aujourd’hui, le concept de péché originel devient exsangue, bien que nous en subissions encore le lourd héritage. Nul ne saurait plus se sentir responsable d’une faute commise qui ne correspond à rien dans le réel. D’autant que le Christ enseigna l’ineptie de rendre l’enfant responsable d’une faute commise par ses aïeux (cf. Jean 9.1 l’homme aveugle).
Cependant, si l’« originel »du péché s’efface, il n’en est pas de même du péché luimême, qui reste central, étant la seule explication faisant lien entre un humain créé parfait et vivant si imparfaitement.
Dans une étude de la psychanalyste Alice Miller « L’avenir du drame de l’enfant doué », celle-ci met en lumière que la faute est toujours reprise par l’enfant sur luimême. Il ne saurait accuser facilement son parent — même si cette faute est avérée- et préfère en fin de compte se dire qu’il est à l’origine de l’erreur commise plutôt que destituer une figure de son monde archétypale. L’histoire procède pareillement : Dieu le Père étant parfait, c’est de la faute de ses enfants sil’imperfection et le mal se glissent dans le monde. Nous sauvons notre Père en condamnant ses enfants, schéma repris dans le sacrifice d’Isaac par Abraham.
Mais à nouveau, l’enfant rebelle à son abnégation ne se plie pas si facilement aux conceptions relatives du temps. Sans doute perçoit-il depuis longtemps que son droit à dignité d’enfant de Dieu ne s’articule pas bien avec une condition innée de pécheur. Aussi cherche-t-il la lumière sans relâche, vers ce Dieu-Père qu’il veut aimant et dont la vulgarisation d’un omnipotent courroucé exigeant une pénitence de rachat de ses enfants finit par faire rire ou pleurer de misère.
Une autre explication s’impose vis-à-vis de cet humain à l’image de Dieu et cependant imparfait. Le Livre d’Urantia y répond.
« Le récit de la création, dans l’Ancien Testament, date de longtemps après l’époque de Moïse. Il n’enseigna jamais aux Hébreux une histoire aussi déformée. En fait, il avait présenté aux Israélites un récit simple et condensé de la création, espérant donner du poids à son appel à l’adoration du Créateur, le Père Universel, qu’il nommait le Seigneur Dieu d’Israël. » LU 74:8.7
Le mystère ne réside pas entre l’humain créé parfait et l’état d’imperfection vécu ; le mystère se situe dans cet étirement de Dieu par la création de Sa Création dans laquelle réside cet exclusif de lui-même de l’expérience humaine. Dieu est-Il tout mais pas tout à fait ? Tout sauf ce petit peu de notre trajectoire humaine ?
« Dans tout l’univers, rien ne peut remplacer le fait de l’expérience sur les niveaux non existentiels. Comme toujours, le Dieu infini est complet et parachevé, infiniment inclusif de toutes choses, sauf du mal et de l’expérience des créatures. Dieu ne peut mal faire ; il est infaillible. Dieu ne peut connaître expérientiellement ce qu’il n’a jamais expérimenté personnellement ; la préconnaissance de Dieu est existentielle. C’est pourquoi l’esprit du Père descend du Paradis pour participer avec les mortels finis à toute expérience de bonne foi dans la carrière ascendante ; c’est seulement par cette méthode que le Dieu existentiel pouvait devenir, en vérité et en fait, le Père expérientiel de l’homme. » LU 108:0.2
Une incomplétude divine ouvrant une autre position à l’humain ? C’est bien ce que dit le texte. L’aventure humaine se lie alors autrement. Dieu « JE SUIS » créa le Fils éternel et devint Dieu-Père par le Fils. Sans doute aima-t-ll profondément cette paternité au point de proposer au Fils :
« Faisons l’homme à notre propre image. » LU 6:5.7
Cette parole fut dite au Fils suite à la proposition du Père d’octroyer les Ajusteurs de pensée. Voici la citation entière :
« Bien que le Fils Éternel ne puisse participer personnellement à l’octroi des Ajusteurs de Pensée, il siégeait en conseil avec le Père Universel dans l’éternel passé. Il approuva le plan et permit une coopération permanente lorsque le Père projeta d’attribuer des Ajusteurs de Pensée et proposa au Fils : « Faisons l’homme à notre propre image. » Et de même que le fragment du Père habite en vous, de même la présence en esprit du Fils vous enveloppe, et tous les deux travaillent perpétuellement comme un à votre élévation divine. » LU 6:5.7
Les 3 points suivants sont à souligner :
1. Dieu ne créa pas l’humain parfait mais dans le mystère de Son étirement de création, Il semble au contraire éloigner la perfection de Lui autant que possible. Ainsi, il crée la matière, l’univers et ses cataclysmes, assujettis à des transformations si longues avant de se stabiliser. Et dans la matière Il insère la vie, contenant un principe d’évolution préprogrammée dont la venue de l’humain fait partie. Au fil des âges et des transformations très nombreuses, un être doué de volonté propre émerge de ce processus évolutionnaire. Ce même être, faisant partie du plan de cet étirement de Dieu, est assujetti aux lois de l’évolution globale. L’imperfection ne vient plus d’un détournement d’une loi originelle, à recouvrer, à racheter, à rétablir. Mais elle est intrinsèque au système de l’évolution de la matière. La perfection, fruit des noces entre matière et lumière, se situe comme un but, un objectif visé sans que nous ne sachions si les âges éternels suffiront à le pourvoir.
2. Notons la marque du pluriel, " notre image », aussi indiquée dans le récit biblique bien que Dieu soit seul : « Dieu dit :
« Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance. » Gn 1.26.
Le Livre d’Urantia insère ce projet divin dans le fascicule 6 concernant le Fils éternel. Dieu ne dit pas « Je crée l’homme à mon image » ni « à ton image » mais à « notre » image, c’est-à-dire non pas à l’image de Dieu-Père seul, ni à l’image de Dieu-Fils seul, mais à celle de leur interférence, de leur rencontre, de cet « entredeux » qui présuppose déjà la nature de l’âme, elle aussi entre-deux en lieu de la rencontre humano-divine. L’humain est le fruit d’une création conjointe du Père et du Fils, reportée dans la procréation conjointe de l’enfant par un homme et une femme. La marque du pluriel tout comme la création de l’humain devient fruit d’une union. Peuton se demander — bien que les temps divins soient concomitants et non successifs — si le projet de créer l’homme est une conséquence de la joie de la paternité du Père vis-à-vis du Fils — si heureux de cette paternité qu’ll voulut l’étendre- ou bien la pensée de paternité infinie était-elle antérieure à la création du Fils, qui en marque le commencement?
3. Avant même que l’homme ne soit créé, le plan divin prévoit ses deux composantes: d’une part sa matérialité Jésus sera lui aussi Fils de l’homme, c’est-à-dire fils de cette généalogie humaine qui s’origine dans l’évolution de la matière depuis l’insertion de la vie sur notre planète. D’autre part sa divinité, donnée non pas de façon originelle comme dans le récit biblique mais en potentiel : les Ajusteurs de Pensée et l’Esprit de Vérité sont dans l’humain mais ne sont pas humains. Celui-ci n’est donc pas créé parfait, mais doté d’une composante divine mise à sa disposition pour qu’il en fasse usage selon son libre arbitre. Nous sommes bien dans un être créé non pas parfaitement, mais doté de la possibilité et la capacité de le devenir.
Sous ce jour, l’imperfection est une étape normale de la relativité de l’état évolutionnaire. L’humain n’est pas intrinsèquement « pécheur » ; l’imperfection de son approche vers Dieu est due à l’étirement voulu par Dieu Lui-même, entre Lui et sa Création, impliquant un degré important légitime d’ignorance humaine. De cette ignorance naît le mal, ce défaut d’ajustement de notre compréhension du plan divin. Le mal est donc inévitable, courant, inséparable de notre matérialité mais à ne pas assimiler au péché, qui certes existe mais de façon beaucoup plus limitée que le mal.
L’HOMME évolutionnaire trouve difficile de comprendre pleinement la signification du mal, de l’erreur, du péché et de l’iniquité, et d’en saisir le sens. L’homme est lent à percevoir que le contraste entre la perfection et l’imperfection produit le mal potentiel ; que le conflit entre la vérité et la fausseté crée la confusion et lerreur ; que le don divin du libre arbitre, qui s’exprime par le choix, mène aux royaumes divergents du péché et de la droiture, que la recherche persévérante de la divinité conduit au royaume de Dieu, tandis que son rejet persistant aboutit aux domaines de l’iniquité. (LU 54:0.1)
Rappelons qu’il est un acte volontaire de non-coopération au plan divin. Donc pour être pécheur, encore faut-il d’abord connaître le plan divin…
Ce bouleversement du mythe de la Genèse change totalement la conception de l’humain. Un humain non plus pécheur par acte volontaire de désobéissance, mais un être imparfait de par son niveau d’évolution progressive. Il ne s’agit plus de courber l’échine, se flageller et implorer la grâce d’un pardon pour retrouver un état édénique perdu, mais relever la tête, les bras et le cœur pour construire avec la divinité ce qui fait sens dans le sens de la Vie. Non plus accuser l’humain d’infidèle devant ses fautes nombreuses, mais les aborder comme les tâtonnements inéluctables d’essais-erreurs pour se diriger vers un monde meilleur encore jamais advenu. Cette incomplétude divine expérientielle permet à l’humain de devenir co-créateur de Dieu par l’enrichissement de son expérience évolutionnaire.
L’être n’a plus à cultiver le renoncement au moi quil l’identifie-abnégation constante de ce qui le constitue — mais à grandir dans la maîtrise du moi, calice le plus inestimable pour évoluer vers sa destinée éternelle. La rencontre entre lui et la divinité se fait bien dans ce moi dont les talents ne sont pas donnés pour être bridés mais développés autant qu’il le peut, à la gloire de la création et au service du progrès de l’humanité.
Nos mentalités sont longues à changer et le réajustement que nous propose la 5e révélation prendra du temps avant de s’immiscer petit à petit dans l’esprit des peuples d’Urantia. De fait un tel changement affecte tous les domaines de notre monde, social et intime : famille, éducation, profession, relations sociales, structure sociétale, spiritualité.
Cette nouvelle conception ouvre à une libération de l’humain d’un joug qui pèse lourd et permit / permet bien des abus ; mais elle ouvre aussi à la responsabilité de son évolution à venir. La révélation est donnée pour cet à-venir qui dépend de l’utilisation faite du joyau offert : soi-même.
« Paix sur terre et bonne volonté parmi les hommes », cette bonne volonté qui fait avancer l’humanité en droiture et vérité. Et la terre est pleine de personnes de bonne volonté.
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