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Présentation Du Livre D’Urantia | Le Lien Urantien — Numéro 94 — Juin 2021 — Table des matières | L'expérience De La Perfection |
Lorsque soudain le regard se décille, les yeux de l’âme voient et les oreilles de l’âme entendent.
Quel courage en balance est nécessaire pour outrepasser les normes sociales, les raisons discursives du mental et les bouleversements personnels? Une percée au-delà du monde établi, pour pénétrer un monde nouveau, comme l’arrivée du nouveau-né dans un univers pressenti sans être perçu.
Le cœur de Marie-Madeleine est transpercé de douleur. La mort du Maître hante son esprit depuis vendredi dernier. Comment expliquer tant de souffrance? Comment accepter une condamnation injuste? Elle désire apposer un ultime geste d’amour — dérisoire — en maigre rétablissement d’un outrage qu’elle ne peut intégrer. Aussi prépare-t-elle les onguents, les bandelettes de lin et dès l’aube ce lundi matin, se met en route pour clore l’embaumement. Quatre amies l’accompagnent.
Elle avance d’un pas ferme, dans l’ignorance des directives politiques de garde du tombeau. Les femmes restent cloitrées pendant le sabbat; elle n’a vu personne et ne peut accéder à ces informations. Aussi lorsque ces soldats romains la renversent presque à la porte de Damas, courant en panique vers la ville comme s’ils avaient vu un revenant, elle s’arrête quelques minutes, gagnée par cette grande tension nerveuse qui règne en elle depuis tous ces événements. Mais rien n’infléchit pour autant sa détermination et elle reprend promptement son chemin.
C’est le quatrième jour; le corps doit commencer à sentir… La pierre devant l’entrée est grosse ; qui aidera à la rouler? Dans le tumulte des pensées incessantes, le temps passe vite et déjà, la voici au tombeau. Devant, la pierre est roulée de côté, l’entrée est dégagée…
Quelle force intérieure pousse Marie-Madeleine à s’aventurer dans le sépulcre ? Dépasser le saisissement, s’accoutumer à la pénombre? Braver la peur devant la mort? Poussée au-delà de ses craintes, au-delà des stupéfactions, elle entre et voit l’emplacement vide à la place du corps, la serviette pliée de Sa tête, les bandelettes sur la pierre et plus loin, au pied de la niche, le linceul… Du fond de l’abysse, Marie-Madeleine pousse un cri d’alarme et d’angoisse.
Le temps peut-il être évalué en des circonstances hors du temps? Combien d’instants Marie-Madeleine est-elle restée dedans pour reprendre suffisamment ses esprits — horrifiés — et ressortir dehors? Dehors; elle ne trouve plus ses amies. La terreur l’envahie et lorsqu’enfin elle les voit, impossible de parler ; ne peut que crier: « Il n’est plus là — on l’a enlevé !». Marie-Madeleine ne fuit pas comme les soldats le firent auparavant ; son amour pour le Maitre est trop tenace. Elle veut savoir où il est, veut voir à nouveau ce que son esprit ne peut concevoir: elle retourne dedans et y entraine ses amies.
Quel autre temps fut passé pour ressortir, s’assoir sur cette même pierre lourde roulée à l’entrée, discuter ; où le corps a-t-il été transporté ? Pourquoi les bandelettes sont restées ici, intactes ? La raison est perdue, les amarres mentales sont larguées.
L’aurore est déjà là ; le temps s’accélère et se fige simultanément. Tout passe si vite depuis le départ de la maison à l’aube! Et cependant chaque seconde compte une éternité. Quelle est cette attirance du regard sur le côté, cette présence incongrue? Qui est cet étranger silencieux et immobile ? Marie-Madeleine se précipite ; il sait peut-être quelque chose! Est-il le jardinier ou le considère-telle seulement comme s’il l’est ?
Marie-Madeleine est au-delà ; au-delà des normes codifiées, pousse l’audace à lui parler. « Où avez-vous emmené le Maître ? Où l’ont-ils couché ? Dis-le nous pour que nous allions le prendre. » Le premier lien direct avec le monde morontiel est cette prise de parole où se brise la réserve conventionnelle imposée aux femmes juives abordant un étranger ; Nalda la Samaritaine fit de même au puit de Jacob. Elle parle et lui ne répond pas. La Présence est insuffisante aux yeux humains. Alors Marie-Madeleine se met à pleurer; de désespoir, de tristesse, d’incompréhension, de tous ces senti- ments qui la submergent et ne font sens. Quel sens révèlera le Mystère ? La compassion est maitresse chez le Maitre. Devant ce désarroi, il parle. Premiers mots, adressés à des femmes ; il faudra un long cheminement à Pierre pour accepter cet état de fait. Mais elles ne le reconnaissent pas encore et Jésus passe par un autre chemin — intime — pour ouvrir les yeux de l’âme : « Marie. » Voix familière, Marie-Madeleine se reconnait immédiatement et reconnait aussitôt celui qu’elle cherchait : « Mon Seigneur et mon Maitre ! », et s’agenouille à ses pieds.
Dans l’élan, Marie-Madeleine veut embrasser ses pieds. Giotto (1226 — 1337) a magnifiquement représenté les deux mondes dans son icône « Noli me tangere ». Elle, agenouillée, en déséquilibre vers lui, tend ses deux bras, une main vers Sa main, ses yeux absorbés dans Ses yeux, le monde matériel aimanté vers le monde morontiel. Lui, son pied tourné en direction opposée, s’en va mais tourne son visage vers elle, tend sa main, la regarde. Ils sont tous deux le Mouvement sacré, monde matériel tendu vers le monde morontiel, monde morontiel dirigé vers le monde spirituel. Tout est transition, passage, sans bris, en dynamique.
E† Amour.
« Ne me touche pas, Marie… ». Le toucher est le premier sens en place chez le nourrisson, in utero probablement. Dans ce monde nouveau, il est gommé, supprimant avec lui les dichotomies humaines : juif et gentil, riche et pauvre, homme libre et esclave, homme et femme. À sa place s’ouvre un autre sens, avec lequel ce monde post-mortem est vu et ouil et cru.
Il fallut encore le temps de se remettre du choc pour rentrer en hâte à la ville et dire aux apôtres ce qui leur était arrivé. À nouveau, comme un relai invisible, seule la parole intime — Pierre — (il en sera de même pour Jacques) convainc celui-ci d’aller au tombeau. Il lui faut voir de lui-même mais devant le sépulcre vide, il n’aura que ses pensées rationnelles, inefficaces pour approfondir le Mystère. Comment croire ces femmes excitées?
Marie-Madeleine est abattue, désespérée devant l’incrédulité masculine. Vers qui se tourner? La plénitude de sa dévotion ne peut que croire et elle retourne au sépulcre, unique lieu de consolation. Alors seule présente, à nouveau le Maitre lui parle: « Ne reste pas dans le doute ; aie le courage de croire ce que tu as vu et entendu… ». Et de nouveau, de retour en ville, les apôtres refusent son témoignage.
Ceux qui ont des oreilles entendent ; ceux qui ont des yeux voient. Jésus s’est adressé à une femme pour introduire l’humain à Sa Présence vivante. Il n’a nullement pointé une supériorité quelconque; femmes et hommes sont égaux. Le cheminement de Marie-Madeleine est autre ; il passe par les craintes, les peurs, terreurs, désespoirs et dévotion, toute cette kyrielle d’expériences humaines jusqu’au bouleversement de l’être. Elle lâche alors ses repères et ouvre ses sens dans un autre sens: « Aie le courage de croire ce que tu as vu et entendu ». De même, « le grand défi lancé à l’homme moderne consiste à établir de meilleures communications avec le divin Moniteur qui habite le mental humain… Domaines imprécis de la conscience embryonnaire de l’âme pour atteindre la région frontière de la conscience de l’esprit ».
Quel sens mettons-nous dans le choix de Jésus, à révéler en premières témoins sa résurrection aux femmes et plus particulièrement à Marie-Madeleine? Il est impossible d’avancer le hasard face à un Maitre d’univers, d’autant que les soldats étaient présents auparavant et auraient pu être témoins aussi, avant les femmes. La Rencontre Sacrée passe-t-elle par une ouverture intérieure, davantage dotée de qualités féminines de l’être, apte à une autre perception du Réel, au-delà de la force, de la raison qui souvent brident et briment les avancées de l’âme, au-delà aussi de l’hégémonie de la science qui, pour ces temps présents, réfute une autre connaissance — la connaissance directe — que la sienne ? La réponse est individuelle et tient probablement dans l’observation de ce qui se passe en soi lorsque s’ouvre « l’extrémité humaine du canal reliant Dieu à l’homme ».
Croire ou ne pas croire vient ensuite ; puis l’entrelacement des échanges.
La résurrection est au printemps. Dans le nid, l’oisillon a grandi. Il est temps qu’il prenne son envol. Alors le père oiseau se met face à lui et l’attire, l’attire…
— Aie le courage…
Sophie MALICOT
De nombreux termes de ce récit ont été empruntés aux fascicules suivants : LU 189:4 // LU 189:5 // LU 190:0 // LU 190:2.5 // LU 193:3.1 // LU 196:3.34 // LU 142:2.4
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