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C’est dans le sillage de ces révélations de religion comparée qu’apparut aux États-Unis, il y a une soixantaine d’années, un cosmopolitisme religieux analogue au cosmopolitisme politique du XVIIIe siècle. Ce dernier prônait une relation entre tous les peuples de la terre où les distinctions nationales devaient être complètement effacées dans un flamboiement de fraternité universelle. Son objectif était de rendre tous les hommes et toutes les femmes semblables au messager assis à côté de moi dans le train de Naples à Rome – un homme qui, ayant beaucoup voyagé, avait été mis en contact avec des gens du monde entier et qui déclarait que, grâce à ces contacts, il avait appris à se dépouiller de toute caractéristique nationale et se qualifiait fièrement de cosmopolite. Ce cosmopolitisme religieux du siècle dernier avait donc un objectif correspondant : effacer toutes les distinctions sectaires dans un flamboiement de religion universelle. Il a mis en lumière les points communs entre les différentes religions et les a exploités dans des sermons, des conférences, des livres et des tracts. Il a créé un tableau composite des religions, réputé plus beau et plus satisfaisant que le portrait de chacune d’elles prise isolément, une religion ni juive ni chrétienne, ni musulmane, ni bouddhiste, ni aucun autre type, mais la religion de l’homme universel. Parmi les représentants les plus marquants de ce cosmopolitisme religieux figuraient Octavius Frothingham, Francis E. Abbot, William J. Potter, Thomas Wentworth Higginson, Samuel Johnson, Samuel Longfellow, David Wasson, John Weiss – tous s’identifiant clairement à la Free Religious Association of America, une organisation qui a contribué plus que toute autre à populariser les révélations de religion comparée alors révélées. Tous ces hommes ont appliqué l’idée du melting-pot à la religion, faisant fondre tous les [ p. 50 ] traits distinctifs des grandes religions dans l’intérêt d’un cosmopolitisme non sectaire, d’une communauté qui engloberait toute l’humanité. Pourtant, le cosmopolitisme politique d’aujourd’hui exprime symboliquement sa foi dans la transmission des nationalités en fondant dans un chaudron de fer les drapeaux de toutes les nations, puis en faisant surgir le drapeau de l’homme universel ! Ainsi, la situation religieuse de la seconde moitié du XIXe siècle était analogue à celle du politique du dernier quart du XVIIIe siècle. Mais, comme dans le cas de ce dernier, une réaction s’est produite dans le premier. Dans l’un, on est passé du cosmopolitisme au nationalisme, dans l’autre, de l’universalisme au sectarisme. Rappelons un instant la réaction telle qu’elle s’est manifestée dans le monde politique. Elle a été annoncée par la publication, début 1914, de l’essai du professeur Adolf Harnack sur « La culture allemande,Dans son ouvrage, il soutenait que la civilisation allemande possédait toutes les qualités des autres nations, plus certaines acquisitions propres à l’Allemagne. La « Deutsche Kultur », soutenait-il, [ p. 51 ] était un « plérome » – une plénitude de contenu, composée de tout ce qu’il y a d’admirable dans la culture des autres nationalités, ainsi que d’éléments qui lui sont propres ; c’était donc une Kultur digne d’être adoptée par toutes les autres nations de la terre. Puis vinrent l’Anglais Cramb et l’Écossais McNaughton, qui nous évoquèrent les vertus du type anglo-saxon. Pour eux, le fardeau de l’homme blanc n’était autre que d’imposer ce type à tous les autres peuples comme étant clairement « le meilleur ». Ensuite, dans l’ordre chronologique, un Serbe est venu, sans se vanter des réalisations de sa nation, mais avec modestie et enthousiasme, invitant le reste du monde à garder un œil sur la Serbie, car elle développerait le type de civilisation que tous seraient impatients d’adopter. Puis est venu M. Theodore Roosevelt, qui a défendu la revendication de reconnaissance de l’Amérique, sur laquelle il est inutile de s’attarder, car elle est depuis longtemps bien connue, tant aux États-Unis qu’à l’étranger.
La réaction correspondante dans le monde religieux a été signalée par la parution des Dix Grandes Religions de James Freeman Clarke. J’avoue avoir une certaine réticence à citer cet ouvrage, car je me souviens de la remarque que m’avait faite le Dr James Martineau, le plus grand théologien libéral du XIXe siècle : « Freeman Clarke est le Néo-Anglais que je vénère le plus depuis l’époque de Cbanning. » De plus, je me souviens que cet ouvrage a été publié pour la première fois il y a soixante ans, alors que la science des religions comparées en était encore à ses balbutiements. Mais, compte tenu de la renommée de son auteur et du caractère pionnier de son ouvrage, les Dix Grandes Religions sont ouvertement et ouvertement sectaires. C’est typique de la méthode christocentrique d’approche des religions non chrétiennes, à savoir considérer le christianisme comme la religion absolue et estimer la valeur de toutes les autres en termes de son caractère absolu. Le professeur Jevons, de l’université de Durham, en Angleterre, a récemment publié une déclaration franche et explicite sur les caractéristiques de cette méthode. « Le rôle de la science des religions », a-t-il déclaré, « est de découvrir tous les faits nécessaires à la compréhension de la croissance et de l’histoire des religions. Le rôle de la science appliquée est d’utiliser les faits découverts pour démontrer que le christianisme est la manifestation la plus élevée de l’esprit religieux, pour voir ce qui manque à chaque religion par rapport au christianisme et en quoi elle les surpasse. » [1] Ainsi, le Dr Clarke, comme le professeur Jevons, part de l’hypothèse que le christianisme est la religion absolue et poursuit, en tant que spécialiste de la science des religions comparées, en montrant en quoi les neuf autres religions sont inférieures au christianisme et en quoi il les surpasse. Dans cet ouvrage très populaire sur le sujet, le christianisme est opposé aux autres grandes religions dans des termes qui rappellent l’essai de Harnack. Le mot même de « plérome » est employé pour indiquer la prééminence du christianisme, possédant, comme le soutient l’auteur, toute la valeur spirituelle des autres religions, plus des éléments idéaux qui lui sont propres. Autrement dit, le christianisme sert de critère d’évaluation à toutes les religions non chrétiennes, au motif qu’il est la seule religion parfaite, absolue, seule digne d’être universalisée. Voyez le dessin pittoresque de la couverture du livre, qui illustre ce point de vue sectaire.
Ensuite, une série de monographies sur les grandes religions existantes, publiées par la London Society for the Promotion of Christian Knowledge, allaient encore plus loin dans la prétention du livre de Clarke, rendant peu justice aux systèmes non chrétiens, compte tenu de l’ardeur sectaire avec laquelle le christianisme était abordé. Ces monographies, écrites par des hommes animés d’un esprit missionnaire, illustrent ce que l’on pourrait appeler la méthode missionnaire d’approche des religions non chrétiennes, méthode qui part du principe que toutes les religions peuvent être classées comme vraies et fausses, révélées et naturelles, divines et humaines. Dans la première catégorie se trouve le christianisme – et le judaïsme dans la mesure où les origines du christianisme y trouvent leurs racines ; dans l’autre catégorie se trouvent regroupées toutes les autres religions. De plus, le missionnaire se sent divinement chargé d’apporter aux païens aveuglés la seule, unique, vraie, [ p. 55 ] religion divine révélée et, si possible, de les y convertir. L’exemple le plus frappant de cet « appel » missionnaire est le mahométisme du Prophète, qui enjoignait à ses disciples de convertir par la force si nécessaire, car refuser de reconnaître et d’obéir à Allah est une rébellion, et celle-ci doit être réprimée, par la persuasion si possible, sinon par la force. [^2] Certes, ces agressions décrites par Mahomet étaient motivées par des raisons autant politiques que religieuses, car lui, chef d’une Église-État, considérait les deux comme identiques. D’autre part, il faut noter que dans sa politique agressive, il tolérait « les religions révélées, le judaïsme et le christianisme », tout en contraignant leurs adeptes à abandonner leur erreur et à se soumettre à Allah.[2] C’est dans cet esprit que les monographies, par ailleurs excellentes, ont été préparées. Ils rappellent le traité des Indes orientales signé par l’Angleterre en 1813, qui comprenait une « charte des missionnaires » prévoyant « l’introduction de la religion dans les territoires britanniques d’Extrême-Orient ». Comme s’il n’y avait pas eu de religion auparavant dans cette région – la terre qui a produit plus de religion que toute autre chose ; comme s’il n’y avait pas eu « d’aspiration à Dieu, si par hasard on pouvait le trouver », au Cachemire, à Bénarès et à Calcutta ; comme si la spiritualité était inexistante parmi ceux qui méditent sur les rives de la Jumna, de l’Indus et du Gange !
Après ces monographies, vint l’ouvrage d’Ameer Seyd, juge britannique au Bengale pendant de nombreuses années, qui présentait, avec un zèle islamique, les plus beaux traits du mahométisme et, en face, les pires du christianisme, rappelant la fable familière d’Ésope sur le Forestier et le Lion. Marchant ensemble, ils se mirent à discuter de l’inévitable question : « Qui est le plus fort, un lion ou un homme ? » Trouvant impossible de résoudre le problème à leur satisfaction mutuelle, ils tombèrent soudain sur une statue représentant un homme en train d’abattre un lion. « Voilà », dit le bûcheron, « vous voyez que l’homme est le plus fort. » [ p. 57 ] « Ah oui ! » dit le lion, « mais leurs positions auraient été inversées si le sculpteur avait été un lion. »
L’application de cette fable est évidente. Trop de chrétiens aux préjugés ont façonné des croyances non chrétiennes, et trop de non-chrétiens aux préjugés ont tenté de façonner les traits du christianisme. Des échecs lamentables ont été enregistrés des deux côtés.
Enfin, en 1893, eut lieu à Chicago cette gigantesque convention, le Parlement mondial des religions, une assemblée historique que nous attendrions encore si les révélations de la religion comparée n’avaient pas été, dans une certaine mesure, révélées et si les « livres sacrés de l’Orient » n’avaient pas déjà été découverts et traduits dans les principales langues du monde. Quiconque eut le privilège d’assister à ce spectacle peut oublier le magnifique défilé des grandes religions du monde ! Au premier rang marchait Charles C. Bonney, un laïc swedenborgien, bras dessus bras dessous avec le cardinal Gibbons, alors le plus haut dignitaire de l’Église catholique romaine du pays. Derrière eux marchaient un pasteur chrétien et un rabbin juif, un moraliste confucéen et un évêque de l’Église grecque. Un enseignant musulman et un moine bouddhiste, un missionnaire baptiste et un voyant hindou : cent vingt-huit couples dans un cortège triomphal de fraternité ! Si seulement un peintre avait été présent pour peindre cette scène mémorable, symbole du glas de l’exclusivisme sectaire, préfigurant la paix à venir entre les croyances conflictuelles de l’humanité ! Pourtant, lors des sessions du Parlement, il est apparu clairement que l’idéal des relations religieuses était encore loin d’être compris. Car, l’un après l’autre, les représentants des différentes religions affirmaient que leur religion particulière contenait en elle-même ce qui justifiait l’espoir de son absorption finale par toutes les autres. Aucun délégué ne prononça un mot de l’unité mondiale en matière de religion, si ce n’est en termes de triomphe ultime de sa propre religion sur toutes les autres. Le fervent bouddhiste dépeignait l’influence universelle de l’Évangile de Gautama. Le musulman enthousiaste revendiquait de la même manière la victoire certaine de l’islamisme. Le rabbin, éloquent et perspicace, stupéfia ses auditeurs par sa présentation du judaïsme en termes de religion universelle, tandis que le chrétien fervent et mystique priait « pour la rédemption du monde par notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ». Mais le fait que chacun revendique la même chose pour sa propre foi rendait cette affirmation elle-même ridicule. Chacun de ces hommes distingués souhaitait se rassurer auprès de ses fidèles en leur promettant l’universalité de leur religion, que le courant est avec eux, mais quel optimisme facile est-il déçu quand on constate que leurs revendications sont mutuellement contradictoires !
Quel est donc le remède à ce sectarisme étroit, néfaste, provincial et chauvin, analogue au nationalisme qui a pris de l’ampleur ces cinquante dernières années ? Certains prônent un retour au cosmopolitisme religieux illustré par la Free Religious Association of America, tout comme d’autres voudraient remédier au nationalisme déplorable qui prévaut par un retour au cosmopolitisme de Goethe et Schiller, d’Addison et Goldsmith, de Rousseau et d’Alembert, et de Thomas Paine, qui disait : « Le monde est mon pays » et refusait catégoriquement de s’allier exclusivement à une nation. Mais non, le véritable remède, tant sur le plan politique que religieux, réside dans la reconnaissance et le respect des différents types religieux comme des différents types nationaux. Nous nous sommes trop longtemps attardés sur les ressemblances, les éléments communs à toutes les religions. Il est temps de prendre en compte les différences que la religion comparée révèle autant que les ressemblances. Car la vie d’une religion ne réside-t-elle pas dans ces traits mêmes qui la différencient de ses voisines ? La vie du christianisme, par exemple, réside assurément dans la filiation de Jésus-Christ. Éliminez cela, ignorez cela, et l’essence même de la religion chrétienne sera perdue, car c’est la doctrine spécifique qui caractérise le christianisme, sans laquelle il cesserait d’être chrétien. La tolérance mutuelle est sans aucun doute admirable, l’affection mutuelle malgré les différences l’est encore plus, mais aucune appréciation n’est digne de ce nom si elle implique l’indifférence aux différences qui touchent à des idées vitales ; une telle attitude doit plutôt être considérée comme un indice de lassitude spirituelle. Bien plus, le seul remède au mal du sectarisme réside dans une reconnaissance franche des différences et dans un désir sincère et profond de les respecter, un tel respect étant la condition sine qua non de la communion et de la coopération interreligieuse.
Dans notre réflexion politique, nous en sommes arrivés à un point où nous percevons l’image méprisable du creuset culturel pour décrire l’Amérique, car nous savons que chacune des nations représentées dans notre population hétérogène possède une excellence qui lui est propre, et que nous aimerions intégrer à la construction de l’idéal américain. Par conséquent, au lieu de comparer l’Amérique à un creuset culturel où toutes les caractéristiques précieuses des différents types nationaux qui nous composent seraient effacées et perdues, je comparerais l’Amérique à une couronne constellée de précieux joyaux, chaque joyau étant la contribution de l’une ou l’autre des nombreuses nationalités qui composent notre Commonwealth américain. Dans notre pensée politique, nous avons atteint le point où nous comprenons que la vie de chaque nation est d’une valeur inestimable et que, de même que l’individualité de chaque individu doit être respectée et préservée pour un État social idéal, de même ce qui est beau et distinctif dans chaque type national doit être respecté et préservé pour un véritable internationalisme. De même, dans notre pensée religieuse, nous devons parvenir à ce point où nous comprenons que l’unité réelle peut être atteinte non pas en éliminant les dissemblances, mais en adoptant la conception d’une interrelation religieuse mutuelle, en reconnaissant l’excellence unique que chaque religion doit apporter au progrès de toutes les autres et en recevant en retour leurs multiples contributions à l’enrichissement de son propre Évangile.
Nous nous réjouissons de constater qu’à la suite des révélations de la religion comparée, l’entreprise missionnaire chrétienne en Orient abandonne de plus en plus sa pratique originelle consistant à affirmer que les résidents non chrétiens sont à jamais « perdus » s’ils n’acceptent pas le plan chrétien du salut. Lors de la réunion annuelle du Conseil américain des commissaires pour les missions étrangères, tenue à Boston en 1894 (l’année suivant le Parlement mondial des religions), la question fut soulevée : « Les missionnaires seront-ils autorisés à se rendre au Japon, en Chine, en Inde et dans d’autres pays orientaux s’ils ne sont pas prêts à enseigner les doctrines de l’enfer et de la chute de l’homme ? » Mais la question fut rapidement posée ; elle n’a jamais été reprise depuis et nous sommes convaincus qu’elle ne le sera jamais.
Personne ne peut dire aujourd’hui combien de temps encore les luttes sectaires continueront de s’enfoncer dans les mains et les pieds de l’humanité. Mais de la crucifixion naîtra une transfiguration ; des affres mêmes des controverses et des schismes actuels naîtra une nouvelle conception de la fraternité, fondée sur le respect des différentes confessions, tout comme des affres de la Grande Guerre naîtra une nouvelle conception de la justice, fondée sur le respect des différentes nationalités.
Tout aussi vite que les hommes et les femmes partout dans le monde se préoccupent davantage de la liberté spirituelle que de l’allégeance à la tradition et à la croyance, tout en les révérant profondément ; tout aussi vite que les hommes et les femmes partout dans le monde se préoccupent davantage du triomphe de la vérité que du triomphe de leur secte, tout aussi vite le monde sera préparé à cette communauté religieuse idéale qui a été le rêve de chaque époque et de chaque race.
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[^2] : Voir le Coran, Sourates 16:37, 84 ; 29h46 ; 42:12, 47, 64, 257.