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Avant d’aborder cette communauté religieuse idéale et les conditions préalables à sa réalisation, permettez-moi d’exprimer ma profonde et profonde gratitude envers le regretté Dr Francis Ellingwood Abbot, philosophe, auteur, éditeur et l’un des fondateurs de la Free Religious Association of America. Sans l’inspiration qu’il a puisée dans la constitution organique de l’univers, ce chapitre n’aurait pu être écrit.
Il fut un temps où aucune religion historique n’existait encore. Dans cette lointaine antiquité, la religion prit sa forme la plus simple. L’homme primitif croyait être en relation vitale avec les forces mystérieuses de la nature. Il croyait qu’elles avaient le pouvoir de l’aider ou de lui nuire. En conséquence, il les louait par ses offrandes, les apaissait par ses sacrifices.
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Mais au fil des siècles, la religion primordiale s’est différenciée en religions ; le genre religion a produit des espèces, les religions historiques. Et chacune de ces religions historiques est devenue à son tour un genre pour ses espèces, les sectes. Et chacune de ces sectes est devenue à son tour un genre pour ses espèces, les sous-sectes, ou ailes droite et gauche, comme nous les appelons communément. Et enfin, nous avons les hommes et les femmes membres de ces ailes droite et gauche – les spécimens des sous-espèces.
Qu’est-ce qui a conduit la religion du genre à se différencier en religions d’espèces, en religions historiques ? La réponse doit être donnée en termes de loi naturelle selon laquelle toute croissance ou développement n’est possible que par l’autodifférenciation du genre en espèces. La seule façon dont le jeune arbre peut croître est par l’autodifférenciation en branches, brindilles, feuilles, et leur coopération organique rend possible la vie de l’arbre. De même, la religion n’a pu se développer que par l’autodifférenciation en religions particulières ou historiques. Et ce développement a été provoqué par des fondateurs, des prophètes, [ p. 67 ] chefs, des enseignants, mettant l’accent sur un aspect particulier de la religion du genre, comme nous le voyons à la lecture des écritures sacrées de ces religions historiques. Nous y découvrons dans chacune une note dominante, servant à différencier le système religieux de tous les autres systèmes.
Mais à peine ces religions historiques furent-elles nées qu’elles entrèrent dans une voie d’antagonisme et d’hostilité mutuelle, à l’opposé de ce que nous observons chez l’arbre. Car, loin de vivre en inimitié, ni même en indépendance exclusive, les branches, les rameaux et les feuilles, collaborent ; chacun s’appuie sur l’air et la lumière pour les utiliser au profit de l’arbre ; chacun remplit sa fonction propre dans l’économie de l’organisme global : une coopération organique harmonieuse, où toutes les parties sont dûment coordonnées et en même temps subordonnées à l’ensemble, l’arbre dépendant d’elles comme d’un tout organique.
Mais lorsque nous nous tournons vers la religion, différenciée en religions historiques, nous ne trouvons pas une telle coopération organique harmonieuse ; au contraire, nous trouvons jalousie, rivalité, antagonisme, insubordination des parties à leur tout supérieur. Ce n’est qu’en tant que vision, idéal, image mentale de ce qu’il est suprêmement désirable d’avoir, que la coopération organique de toutes les religions existe. Car, la triste vérité est que les sept grandes religions existantes n’ont jamais dépassé le stade de la différenciation, n’ont jamais atteint cette unité dans la diversité que nous voyons illustrée par l’arbre, n’ont jamais égalé la coopération et la subordination harmonieuses que révèle tout organisme. Il faut comprendre que le terme « organisme » n’est pas utilisé ici dans le sens exclusif qui le rend applicable uniquement à « l’univers spirituel » de la philosophie du professeur Adler – un système complet de personnalités interdépendantes dans lequel chaque membre est nécessaire au tout et le tout nécessaire à chaque membre, le nombre des membres infini, la relation nécessaire et tous les membres d’égale valeur ; une conception de l’organisme pour laquelle il a proposé le nom de « métorganique », afin de le distinguer du sens simple et empirique dans lequel le terme est communément utilisé [ p. 69 ] et qui découle directement de l’observation de la Nature. Étant donné le sens spirituel du terme comme critère de ce que signifie « organisme », cet usage empirique sera jugé inexact et insuffisant. Il faut néanmoins rappeler que, pour reprendre les termes du professeur Adler, « nous ne trouvons nulle part dans la Nature une représentation complète d’un tel arrangement », comme le montre l’acception spirituelle du terme. Pourtant, dans l’arbre, dans le corps humain, et peut-être aussi dans le système solaire (si l’on se fie aux révélations de l’astronomie moderne), on trouve des exemples d’un système réel où toutes les parties sont dûment coordonnées et simultanément subordonnées à leur tout supérieur. C’est cette connotation du terme « organisme » qui nous intéresse ici, car elle fournit le motif, ou le fondement, sur lequel peut se fonder une communauté organique de croyances. Or, ce qu’il faut noter concernant les religions historiques, c’est qu’elles n’illustrent pas les relations organiques révélées dans la Nature. Au contraire, chacune d’elles, bien que simple branche, s’est considérée comme l’arbre ; chacune, bien que n’étant qu’une partie, a prétendu être le tout ; chacune, bien que simple organe, s’est considérée comme l’organisme. Et ce qui est vrai des grandes religions l’est également de leurs sectes. Eux aussi n’ont pas réussi à voir leur place légitime et légitime en tant que parties d’un tout supérieur, devant être mutuellement coordonnées et simultanément subordonnées à leur tout supérieur.
Prenons, par exemple, les sectes chrétiennes bien connues. Au lieu de se considérer comme les enfants d’un parent commun, le protestantisme ; comme les petits-enfants d’un grand-parent commun, le christianisme ; comme les arrière-petits-enfants du judaïsme, chacune s’est, à un moment donné, érigée en seul véritable christianisme. Chacune, avec plus ou moins d’insistance, bien que n’étant elle-même qu’une branche, s’est proclamée l’arbre ; chacune a pratiqué une insubordination ambitieuse, faisant ainsi échouer la réalisation de cette coopération harmonieuse, modèle pour l’homme dans la vie organique de la nature.
Et dans cet échec des grandes religions et de leurs sectes à se considérer comme espèces d’un genre, comme organes d’un organisme, comme parties d’un tout, comme branches d’un arbre, comme égaux en devoirs et en droits, dans cet échec déplorable réside l’origine de toutes les guerres de religion pour exterminer les rivaux, l’origine de toutes les persécutions, de toutes les entreprises missionnaires pour convertir les soi-disant païens, l’origine de tout sectarisme ou exclusivisme en matière de religion. Le mot « secte » dérive du latin « sectum », qui signifie retranché. Une secte est donc une partie de l’humanité qui s’est coupée de tout le reste afin de vivre pour elle-même et de convertir tout le reste en matière de sa propre croissance. Chaque fois qu’un parti politique dans un État agit pour lui-même et non pour la nation universelle considérée comme son tout supérieur, il méconnaît sa véritable place et sa fonction, il trahit la nation par une mauvaise gouvernance partisane, simplement parce qu’il s’est coupé de son tout supérieur et agit comme s’il était ce tout. De même, chaque fois qu’un organisme religieux agit pour lui-même et refuse de se subordonner au tout supérieur dont il n’est qu’une partie, lorsqu’il aspire à être l’Église universelle en convertissant tous ses rivaux, il méconnaît sa véritable place et sa véritable mission ; il devient un véritable obstacle au progrès religieux, simplement parce qu’il s’est coupé de son propre tout supérieur et prétend être lui-même ce tout supérieur. C’est une caractéristique de la secte partout, que ce soit en politique ou en religion, qu’elle considère toutes les autres sectes non pas comme des égaux et des organes coopérants dans la vie d’un organisme qui les inclut tous en lui, mais plutôt comme des ennemis à vaincre ou à convertir.
Quand on prétend, comme on l’a si souvent fait dans le passé, que le christianisme est la seule vraie religion, le protestantisme le seul vrai christianisme, l’Église épiscopale la seule véritable Église protestante, la « Haute », ou la « Basse », ou la « Large », l’Église la seule véritable Église chrétienne, protestante et épiscopale, nous voyons le sectarisme faire son œuvre mortelle et paralyser tous les efforts pour faire de la fraternité religieuse une réalité dans le monde.
Français Au Parlement des Religions de Chicago, auquel il a déjà été fait référence, personne ne voyait le véritable idéal de la communion religieuse ; personne ne considérait les religions qui y étaient représentées [ p. 73 ] comme égales dans une relation organique sublime ; personne ne voyait que, faute d’une moralité organique telle que modelée dans chaque organisme vivant, les grandes religions manquaient de remplir leur mission la plus élevée possible en tant que coopérateurs dans la tâche d’aider l’humanité à vivre sa vraie vie comme un vaste tout organique.
Mais lorsque, dans un avenir lointain, les sectes, grandes et petites, par suite de leur pratique de la morale organique, auront complètement honte de leur sectarisme et que toutes leurs prétentions mesquines et puériles de suprématie et d’universalité auront été abandonnées ; lorsque tous les organismes religieux se seront reconnus sans feinte comme de simples parties d’un tout, organes d’un organisme, alors un autre Parlement mondial des religions sera convoqué pour montrer la voie à une communauté de croyances où les principes de coordination et de subordination seront réaffirmés et domineront comme ils le font dans tout organisme – les parties étant toutes dûment coordonnées et toutes subordonnées à leur tout supérieur. Mais aussitôt la question se posera : où est ce tout supérieur auquel ces [ p. 74 ] religions doivent être subordonnées ? Et je dois répondre franchement qu’il n’a pas encore d’existence objective. Elle n’existe que dans l’esprit de quelques penseurs isolés, comme un rêve, une vision, comme le germe à partir duquel la véritable et organique communauté des croyances naîtra finalement. Ce fait ne devrait d’ailleurs pas nous surprendre, car il a son parallèle exact dans l’histoire des États-Unis. En 1783, la nation des États-Unis n’existait pas de réalité objective. Elle n’existait que dans l’esprit de Thomas Paine, Thomas Jefferson et leurs collaborateurs politiques, comme un rêve, une vision, le germe à partir duquel la communauté organique des États naîtrait finalement. En 1783, il n’existait qu’une fédération lâche de treize colonies indépendantes, mais pas d’ensemble supérieur auquel elles pourraient être subordonnées. Mais lorsqu’en 1787, ces treize colonies, par l’intermédiaire de leurs représentants, acceptèrent d’agir de manière coordonnée et de se subordonner à un ensemble supérieur exprimé dans la Constitution des États-Unis, alors le rêve, la vision, l’idéal d’une nation des États-Unis devinrent une réalité concrète. 75] fait. En d’autres termes, la nation des États-Unis s’est façonnée à partir des treize colonies en se subordonnant comme organes à leur organisme supérieur.
Aujourd’hui, il n’existe aucune communauté organisée de croyances. Nous ne voyons qu’une tendance vers une Église mondiale ou une société religieuse. Le mouvement de « fusion » pointe constamment vers une coopération organique harmonieuse à venir, une unité analogue à celle que nous observons dans l’arbre et dans tout autre organisme : un arbre aux multiples branches, un corps aux multiples membres, un organisme aux multiples organes, et une seule et même force vitale subtile qui traverse le tout, rendant chaque partie apparentée aux autres. Aujourd’hui, nous ne la voyons émerger que dans l’esprit de quelques âmes isolées, le germe d’une Église mondiale historique, appelée à se développer, si la progression vers cet idéal se poursuit et si l’auto-subordination volontaire de la partie au tout est pratiquée. Telle est la condition fondamentale et inexorable de sa réalisation : une auto-subordination volontaire, analogue à celle des branches, des rameaux et des feuilles [ p. 76 ] à l’arbre tout entier. Il existe quatre conditions préalables supplémentaires dont il faut tenir compte. En résumé, elles sont les suivantes :
Premièrement, toutes les Bibles des grandes religions, avec leurs contenus respectifs inférieurs et supérieurs, doivent reposer sur une base d’égalité reconnue en tant que littérature humaine, et leur valeur morale et religieuse doit être déterminée par la raison et la conscience éclairées.
Deuxièmement, tous les Maîtres des grandes religions doivent se tenir sur une base d’égalité reconnue en tant que dirigeants humains, chacun devant être vénéré et suivi selon la vérité qu’il a à enseigner et l’inspiration qui peut être tirée de l’histoire de sa vie.
Troisièmement, toutes les organisations religieuses, avec leurs différences de forme et de croyance, doivent se fonder sur une égalité reconnue en tant qu’institutions humaines, qui doivent être évaluées selon la mesure dans laquelle elles satisfont les besoins humains et les contributions qu’elles apportent au progrès religieux de l’humanité.
Quatrièmement, toutes les sectes, grandes et petites, doivent confesser, avec une sincérité sans mélange, que leur Bible n’est qu’une partie et non la totalité de la vérité religieuse, que leur fondateur n’est qu’une des nombreuses étoiles spirituelles dont le firmament de la religion a été parsemé et non la seule Voie, Vérité et Vie.
Bien sûr, nous sommes très loin de remplir ces conditions préalables. Mais tout comme la Conférence de la Paix de La Haye en 1897 a préfiguré l’avènement d’une véritable Société des Nations, fondée sur une morale organique, à laquelle la Société actuelle n’est pas encore parvenue, le futur Parlement mondial des religions préfigurera assurément une communauté de croyances fondée sur l’idée organique, avec ses deux principes de coordination et de subordination.
Et tout comme à Philadelphie, en 1787, le rêve d’unité politique s’est réalisé par l’auto-subordination volontaire des colonies individuelles à l’ensemble supérieur des États-Unis, de même, par une obéissance similaire des religions individuelles à la loi de l’unité organique, le rêve d’une unité religieuse, d’une communauté de croyances, se réalisera. Mais les religions individuelles devront l’attendre, tout comme ces treize colonies jalouses ont dû attendre la nation unique des États-Unis. Et ces religions attendront en vain cet accomplissement, à moins que, comme les colonies indépendantes, elles n’apprennent à se subordonner à l’ensemble supérieur dont elles ne sont que des parties.