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De même que le Tevigga Sutta est un argument ad hominem adressé à l’homme qui connaît les Védas et qui, grâce à cette connaissance, cherche à s’unir à la Déité, l’exhortant à adopter plutôt la méthode bouddhiste d’une vie de droiture ici-bas ; de même le présent Sutta est un argument similaire adressé à celui qui recherche les diverses choses spécifiées dans ses différentes sections. S’il désire l’une de ces choses, qu’il vive la vie de droiture telle qu’exposée dans la section d’ouverture, et qu’il cultive le sérieux intelligent et la perspicacité spirituelle décrits dans le refrain.
Ces deux éléments réunis aboutissent, comme on pouvait s’y attendre, au Nirvânâ d’une vie parfaite dans l’état d’Arahat, but suprême non seulement de tout bon bouddhiste, mais de tout bon argument bouddhiste. Telle qu’elle est appliquée dans les sections précédentes, elle n’est qu’une réaffirmation d’une doctrine familière ; telle qu’elle est appliquée dans les sections suivantes, elle a l’intérêt supplémentaire de nous montrer la réponse du bouddhisme primitif aux mystiques, comme le Tevigga nous montre sa réponse aux théologiens. Et dans cette réponse, nous trouvons les détails de certaines croyances curieuses qui existaient en Inde lorsque le bouddhisme est né, et qui, par la suite, et surtout dans l’église du nord, ont eu un effet si désastreux sur lui.
En ce qui concerne la réalité de ces pouvoirs mystiques, notre Sutta donne un son incertain, laissant cependant une impression plutôt en sa faveur. L’argument est aussi bon dans les deux sens, mais l’auteur du Sutta est tellement absorbé par l’état d’Arahant qu’il ne s’arrête pas pour dire s’il considère ou non la croyance aux pouvoirs mentionnés comme une illusion. Je ne doute pas qu’il ait réellement cru à leur possibilité théorique, qui est également acceptée ou sous-entendue ailleurs dans les Pâli Pitakas ; bien que l’effet pratique de cette croyance ait beaucoup varié parmi les bouddhistes à différentes époques et dans différents pays. Dans l’église du sud, qui adhérait plus étroitement aux doctrines simples du bouddhisme primitif, ces croyances ont été reléguées au domaine de la légende et du conte de fées ; dans l’église du nord, on a trouvé, de temps à autre, des croyants qui leur attachaient une importance pratique. Il existe une analogie utile entre les expressions employées dans 1 Samuel xxviii et celles de la dernière partie de nos Suttas, ainsi qu’entre la position générale de la sorcellerie dans l’histoire du christianisme et celle de ces croyances dans l’histoire du bouddhisme. Mais il serait trop long d’effectuer ici la comparaison et le contraste en détail, en tenant compte des limites nécessaires à la comparaison. L’analogie ne s’étend qu’à leur histoire et à leur importance relative dans les systèmes religieux auxquels elles étaient liées ; les deux ensembles de croyances sont eux-mêmes fondamentalement différents, les croyances indiennes étant beaucoup plus proches du spiritualisme et du mesmérisme modernes.
Nous avons un curieux exemple de la manière dont de telles légendes se développent dans un passage parallèle des vies antérieure et postérieure de Gotama, telles qu’elles sont acceptées par les bouddhistes orthodoxes. Dans le Mahâ Vagga[1], il est dit que pendant la première veille de la nuit qui suivit la victoire de Gotama sur le Malin, il fixa son esprit sur la Chaîne de Causalité, pendant la deuxième veille il fit de même, et pendant la troisième veille il fit de même - la seule différence dans le récit étant les versets par lesquels, dans chacune des trois veilles, la méditation se terminait.
Dans la vie de Gotama, préfixée aux Gâtakas[1]., la simplicité de ce récit est améliorée en disant que, dans la première veille, il acquit la connaissance des Naissances Passées (Pubbe-nivâsa-nânâ, décrite dans notre § 17), dans la seconde la connaissance des Naissances Présentes (Dibba-kakkhu, décrite dans notre § 19), et seulement dans la troisième la connaissance de la Chaîne de Causalité (Patikka-samuppâda). Il est curieux que dans le passage correspondant du poème sanskrit bouddhiste du nord, le Lalita Vistara[^3], nous trouvions exactement la même tradition, qui a donc dû être courante dans les églises du nord et du sud avant le cinquième siècle de notre ère.
Il est tout à fait possible qu’à cette époque, la théorie bouddhique ait admis que chaque Arahat possédait cette vision surnaturelle ; et comme les auteurs de ces deux ouvrages ultérieurs supposaient que Gotama avait acquis l’état d’Arahat par sa victoire sur le Malin, il leur a semblé tout naturellement approprié de dire qu’il avait également acquis ces pouvoirs particuliers. Il est clair que même à l’époque où les Pitakas furent mis sous leur forme actuelle, on considérait que le Bouddha les avait acquis[2], et qu’ils pouvaient être acquis par des personnes moins élevées[^5]. Dans les écrits ultérieurs, on trouve plusieurs exemples de personnes particulières qui possédaient l’un ou l’autre de ces pouvoirs à un degré plus ou moins élevé ; mais il est instructif de remarquer qu’il s’agit toujours de personnes qui ont vécu longtemps avant l’époque de l’auteur qui rapporte les exemples.
La doctrine bouddhiste primitive concernant la sorcellerie, l’astrologie, les présages, les augures, les sacrifices, les prophéties et autres, se trouve dans le Mahâ Sîla (ci-dessus, pp. 196-200) et dans la Troisième Entrave (ci-dessous, p. 222).
[^1] : Moi, 1, 2-6.
[^3] : Édition de Calcutta, pp. 440-448.
[^5] : Sâmañña Phala Sutta, pp. 144-154.