[ p. 210 ]
1. Ainsi ai-je entendu dire que le Bienheureux séjournait autrefois à Sâvatthi, dans le parc d’Anâtha Pindika.
Là, le Bienheureux s’adressa aux Frères et dit : « Bhikkhus. » « Oui, Seigneur ! » dirent les Frères en signe d’assentiment au Bienheureux.
Alors le Bienheureux parla :
2. « Continuez, Frères, dans la pratique de la Bonne Conduite[1], en adhérant aux Règles de l’Ordre[^2] ; continuez, enfermés dans la contrainte des Règles de l’Ordre, consacrés à la droiture dans la vie[^3] ; entraînez-vous selon les Préceptes[^4], en les prenant sur vous dans le sens du danger que représente la moindre offense.
3. ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, devenir aimé, populaire, respecté parmi ses condisciples, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur[2], qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation[3], qu’il regarde à travers les choses[^7], qu’il soit beaucoup seul !’
[ p. 211 ]
4. « Si un Bhikkhu désire, Frères, recevoir les nécessités – vêtements, nourriture, logement, médicaments et autres nécessités pour les malades – qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit beaucoup seul ! »
5. « Si un Bhikkhu désire, Frères, que les personnes parmi lesquelles il reçoit les nécessités – vêtements, nourriture, logement, médicaments et autres nécessités pour les malades – que leur charité porte de grands fruits et porte un grand avantage, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit très seul ! »
6. ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, que ses proches, du même sang que lui, morts et disparus, qui pensent à lui avec un cœur croyant, y trouvent de grands fruits et de grands avantages[4], qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit très seul !’
7. ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, qu’il [ p. 212 ] soit victorieux sur le mécontentement et la luxure[^9], que le mécontentement ne le submerge jamais, qu’il maîtrise et soumette tout mécontentement qui a surgi en lui, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit beaucoup seul !’
8. « Si un Bhikkhu désire, Frères, être victorieux sur le danger (spirituel) et la consternation, que ni le danger ni la consternation ne le surmontent jamais, qu’il maîtrise et soumette chaque danger et chaque consternation, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit beaucoup seul ! »
9. ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, réaliser les espoirs de ces hommes spirituels qui vivent dans la félicité qui vient, même dans ce monde présent, des quatre Ghânas, s’il désire ne pas tomber dans les douleurs et les difficultés (qu’ils évitent), qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit beaucoup seul[5] !’
10. ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, atteindre avec son corps et demeurer dans ces étapes de délivrance qui sont incorporelles, et passer au-delà des phénomènes[6], qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit très seul !’
11. ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, par la destruction complète des trois Liens, se convertir, ne plus être susceptible de renaître dans un état de souffrance et être assuré du salut final[7], qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit beaucoup seul !’
12. ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, par la destruction complète des trois Liens, et par la réduction au minimum de la luxure, de la haine et de l’illusion, devenir un Sakadâgâmin, et (ainsi) lors de son premier retour en ce monde mettre fin à la tristesse, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit beaucoup seul !’
13. ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, par la destruction complète des cinq Liens qui lient les hommes à cette terre, devenir l’héritier des cieux les plus élevés[^13], y passer entièrement, de là [ p. 214 ] ne jamais revenir, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit très seul !’
14.[^14] ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, exercer un par un chacun des différents Iddhis, étant un pour devenir multiforme, étant multiforme pour devenir un ; devenir visible, ou devenir invisible ; aller sans être arrêté de l’autre côté d’un mur, ou d’une clôture, ou d’une montagne, comme à travers l’air ; pénétrer de haut en bas à travers la terre ferme, comme à travers l’eau ; marcher sur l’eau sans la diviser, comme sur la terre ferme ; voyager les jambes croisées à travers le ciel, comme les oiseaux en vol ; toucher et sentir avec la main même le soleil et la lune, si puissants et puissants soient-ils ; et atteindre dans le corps même jusqu’au ciel de Brahmâ ; qu’il accomplisse alors toute droiture, [ p. 215 ]qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit beaucoup seul !’
15.[8] ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, entendre avec une oreille claire et céleste, surpassant celle des hommes, des sons à la fois humains et célestes, qu’ils soient lointains ou proches, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit très seul !’
17. « Si un Bhikkhu désire, Frères, pouvoir se rappeler ses divers états temporaires des jours passés ; tels qu’une naissance, deux naissances, [ p. 216 ] trois, quatre, cinq, dix, vingt, trente, quarante, cinquante, cent ou mille, ou cent mille naissances[9] ; ses naissances dans de nombreux éons de destruction, dans de nombreux éons de rénovation, dans de nombreux éons de destruction et de rénovation[10] ; (afin de pouvoir dire) : « En ce lieu tel était mon nom, telle ma famille, telle ma caste[^19], telle ma subsistance, telle mon expérience du confort ou de la douleur, et telle était la limite de ma vie ; et quand je suis passé de là, j’ai repris forme dans cet autre lieu où mon nom était tel et tel, telle ma famille, telle ma caste, telle ma subsistance, telle mon expérience de confort ou de joie, et telle ma durée de vie ; et quand je suis tombé de là, j’ai repris forme dans tel et tel lieu[11] ; » — s’il désire ainsi se rappeler ses états temporaires des jours passés dans tous leurs modes et tous leurs détails, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit du dedans, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit très seul !
18.[^21] ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, voir avec une vision pure et céleste, surpassant celle des [ p. 217 ] hommes, les êtres qui passent d’un état d’existence à un autre ; êtres vils ou nobles, beaux ou laids, heureux ou malheureux, selon le karma dont ils héritent - (s’il désire pouvoir dire), « Ces êtres, révérends messieurs, par leur mauvaise conduite en action, par leur mauvaise conduite en parole, par leur mauvaise conduite en pensée, par leurs propos médisants sur les Nobles Êtres[12], par leur adhésion à une fausse doctrine, ou par l’acquisition du karma d’une fausse doctrine[13], sont nés à nouveau, lors de la dissolution du corps après la mort, dans un état malheureux de souffrance ou de malheur[14].’ « Ces êtres, révérends messieurs, par leur bonne conduite en action, par leur bonne conduite en parole, par leur bonne conduite en pensée, par le fait qu’ils ne disent pas de mal des Nobles, par leur adhésion à la juste doctrine, par leur acquisition du karma de la juste doctrine, sont nés à nouveau, lors de la dissolution du corps après la mort, dans quelque état heureux au ciel » ; — s’il désire ainsi voir avec une vision pure et céleste, surpassant celle des hommes, les êtres qui passent ainsi d’un état d’existence à un autre ; êtres vils ou nobles, beaux ou laids, heureux ou misérables, selon le karma dont ils héritent ; qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit bien seul !
19.[^25] ‘Si un Bhikkhu désire, Frères, par la destruction des grands maux (Âsavas[^26]), par lui-même, et même dans ce monde même, connaître et réaliser et atteindre l’état d’Arahat, l’émancipation du cœur et l’émancipation de l’esprit, qu’il accomplisse alors toute droiture, qu’il se consacre à cette quiétude du cœur qui jaillit de l’intérieur, qu’il ne repousse pas l’extase de la contemplation, qu’il regarde à travers les choses, qu’il soit très seul !’
20. « Continuez donc, Frères, à pratiquer la bonne conduite, en adhérant aux Règles de l’Ordre ; demeurez, sous la contrainte des Règles de l’Ordre, dévoués à la droiture ; exercez-vous selon les Préceptes, en les acceptant avec la conscience du danger que représente la moindre offense. Car c’est uniquement dans ce but que tout ce qui a été dit a été dit ! »
21. Ainsi parla le Bienheureux. Et ces frères, le cœur joyeux, exaltèrent la parole du Bienheureux.
Fin de l’Âkankheyya Sutta.
[ p. 221 ]
[^2] : Pâtimokkhâ.
[^3] : Âkâragokarâ. Comp. Tevigga Sutta I, 49 ans.
[^4] : Sikkhâpadesu. Le Décalogue bouddhiste (donné dans « Bouddhisme », p. 160).
[^7] : Vipassanâ : il est toujours utilisé, par opposition à samatha {note de bas de page p. 211} (note 5), pour désigner la vision pénétrante des phénomènes objectifs. Ces trois qualités sont constamment mentionnées comme faisant partie de l’état d’Arahat. Le révérend David da Silva assimile vipassanâ à la perception septuple (saññâ, mentionnée comme condition du bien-être d’une communauté dans le Livre de la Grande Décès, chap. I, § 10).
[^9] : Aratiratisaho. Arati est la réticence à remplir les devoirs d’un Samana, le mécontentement envers les restrictions de l’Ordre.
[^13] : Opapâtika. C’est un autre de ces mots qui, de par leur connotation d’idées bouddhiques inconnues en Europe, sont réellement intraduisibles. Il désigne un être qui surgit sans l’intervention de ses parents, et donc, pour ainsi dire, {note de bas de page p. 214} sans cause, et semblant apparaître par hasard. Tous les devas supérieurs (anges ou dieux) sont opapâtika, car il n’y a ni sexe ni naissance dans les cieux les plus élevés ; et c’est avec une allusion particulière à cela que le mot est utilisé ici. Il existe bien sûr, du point de vue bouddhique (qui n’admet rien sans cause), une cause très suffisante à l’apparition soudaine d’un opapâtika au ciel, à savoir le karma d’un être décédé ailleurs ; mais la théorie bouddhique a nécessité le choix d’une expression qui ne cautionnerait pas l’idée (hérétique) d’une âme s’envolant après la mort de son corps d’un monde à un autre.
Dans l’expression « qui lient les gens à ce monde », par monde on entend le Rûpa-loka, ou monde de la forme, qui comprend toutes les parties de l’univers dont les habitants ont une forme extérieure et sont sujets aux convoitises.
[^14] : Avec ce paragraphe, comparez Mahâparinibbâna Sutta III, 14, et Sâmañña Phala Sutta, p. 145.
[^16] : Comparez MPS I, 16 et Sâmañña Phala Sutta, p. 147.
[^19] : Vanna, couleur.
[^21] : Ce paragraphe revient dans le Sâmañña Phala Sutta, p. 150, et dans presque les mêmes termes dans Lalita Vistara, Chap. XXII.
[^25] : Comparez Sâmañña Phala Sutta, p. 151 ; Mahaparinibbâna Sutta II, 7 ; et Lalita Vistara, Chap. XXII, p. 442.
[^26] : Sensualité, individualité, illusion et ignorance.
Sîla. ↩︎
Ungghattam keto samatham. ↩︎
Ghana. ↩︎
Même après la mort, ceux qui se souviennent du Bouddha, de la Vérité ou de l’Ordre avec un cœur croyant peuvent en tirer un avantage spirituel. Voir le commentaire du Dhammapada, p. 97. ↩︎
La félicité à laquelle il est fait ici référence, et décrite en détail ci-dessous, Mahâ-Sudassana Sutta, chap. III, est « l’extase de la contemplation » à laquelle fait référence le refrain. ↩︎
Ce sont les huit Vimokkhâ, dont une liste apparaît dans la Grande Décès, Chap. III, §§ 33-42. ↩︎
Sur cette section et les deux suivantes, comparez le Mahâparinibbâna Sutta II, 7, et sur les Liens ou Chaînes ci-dessous, p. 222. ↩︎
Comparez avec ce paragraphe Sâmañña Phala Sutta, p. 146. ↩︎
Le Lalita Vistara (p. 442) poursuit cette énumération de manière caractéristique en remontant jusqu’à d’innombrables kotis et niyutas de naissances. ↩︎
Ceci est basé sur la théorie bouddhiste de la destruction et de la rénovation périodiques de l’univers, chacune d’elles prenant d’innombrables années à s’accomplir. ↩︎
Le texte de cette clause revient presque mot pour mot dans le Brahma-gâla Sutta, pp. 17-21 : et dans le Lalita Vistara, chap. XXII, p. 442 ; et exactement dans le Sâmañña Phala Sutta, p. 148. ↩︎
Il s’agit d’un terme collectif, désignant les Bouddhas, les Bouddhas Pakkeka, les Arahats, les Anâgâmins, les Sakadâgâmins et les Sotâpannas ; c’est-à-dire ceux qui marchent sur le Noble Octuple Sentier. ↩︎
Le Pâli est mikkha- (et en dessous sammâ-) ditthi-kamma-samâdâna ; le Lalita Vistara, dont les autres expressions sont identiques au Pâli, a, très étrangement, mithyâ- (et en dessous samyag-) ditthi-karma-dharma-samâdâna. ↩︎
Voir note sur MPS, Chap. I, § 23. ↩︎