Révérence au Bienheureux, au Saint, au Pleinement Illuminé.
1. Voici ce que j’ai entendu. Le Bienheureux séjournait un jour à Bénarès, dans l’ermitage appelé Migadâya. Là, il s’adressa aux cinq bhikkhus[1] et dit :
2. « Il y a deux extrêmes, ô Bhikkhus, que l’homme qui a renoncé au monde[^2] ne devrait pas suivre : la pratique habituelle, d’une part, de ces choses dont l’attrait dépend des passions, et spécialement de la sensualité — une manière basse et païenne[^3] (de rechercher la satisfaction) indigne, inutile et convenant seulement aux esprits mondains —
[ p. 147 ] et la pratique habituelle, d’autre part, de l’ascétisme (ou auto-mortification), qui est pénible, indigne et inutile.
3. « Il existe un chemin médian, ô Bhikkhus, évitant ces deux extrêmes, découvert par le Tathâgata[2] — un chemin qui ouvre les yeux et confère la compréhension, qui mène à la paix de l’esprit, à la sagesse supérieure, à la pleine illumination, au Nirvânâ !
4. « Quel est ce chemin médian, ô bhikkhus, évitant ces deux extrêmes, découvert par le Tathâgata ? Ce chemin qui ouvre les yeux et confère la compréhension, qui mène à la paix de l’esprit, à la sagesse supérieure, à l’éveil complet, au Nirvânâ ? En vérité ! C’est ce noble chemin octuple, c’est-à-dire
« Vues justes ;
Aspirations justes;
Discours juste;
Bonne conduite;
Moyens de subsistance justes;
Bon effort;
Pleine conscience juste;
et la contemplation juste.
« Ceci, ô Bhikkhus, est ce chemin du milieu, évitant ces deux extrêmes, découvert par le Tathâgata – ce chemin qui ouvre les yeux et confère la compréhension, [ p. 148 ] qui conduit à la paix de l’esprit, à la sagesse supérieure, à la pleine illumination, au Nirvâna !
5. « Or[^5] ceci, ô Bhikkhus, est la noble vérité concernant la souffrance.
« La naissance est douloureuse[^6], la décadence est douloureuse, la maladie est douloureuse, la mort est douloureuse. L’union avec le désagréable est douloureuse, la séparation de l’agréable est douloureuse ; et tout désir insatisfait est également douloureux. En bref, les cinq agrégats qui naissent de l’attachement (les conditions de l’individualité et leur cause)[^7] sont douloureux.
« Ceci donc, ô Bhikkhus, est la noble vérité concernant la souffrance.
6. « Voici, ô Bhikkhus, la noble vérité concernant l’origine de la souffrance.
« En vérité, c’est cette soif (ou ce désir), provoquant le renouvellement de l’existence, accompagnée de plaisir sensuel, cherchant satisfaction ici et là, c’est-à-dire le désir de la satisfaction des passions, ou le désir d’une vie (future), ou le désir de succès (dans cette vie présente)[3].
[ p. 149 ]
« Ceci est donc, ô Bhikkhus, la noble vérité concernant l’origine de la souffrance.
7. Ceci, ô Bhikkhus, est la noble vérité concernant la destruction de la souffrance.
« En vérité, c’est la destruction, dans laquelle aucune passion ne demeure, de cette même soif ; le fait de mettre de côté, de se débarrasser, d’être libre de, de ne plus héberger cette soif.
« Ceci donc, ô Bhikkhus, est la noble vérité concernant la destruction de la souffrance.
8. « Voici, ô bhikkhus, la noble vérité concernant la voie[4] qui mène à la destruction du chagrin. En vérité ! C’est ce noble chemin octuple[5] ; c’est-à-dire :
[ p. 150 ]
Vues de droite;
Aspirations justes;
Discours juste;
Bonne conduite;
Moyens de subsistance justes;
Bon effort;
Pleine conscience juste;
et la contemplation juste.
Ceci est donc, ô Bhikkhus, la noble vérité concernant la destruction du chagrin.
9. « Que ce soit la noble vérité concernant la tristesse, ne figurait pas, ô Bhikkhus, parmi les doctrines transmises, mais il surgit en moi l’œil (pour la percevoir), il surgit la connaissance (de sa nature), il surgit la compréhension (de sa cause), il surgit la sagesse (pour guider sur le chemin de la tranquillité), il surgit la lumière (pour en dissiper les ténèbres)[6].
10. « Et encore, ô Bhikkhus, pour que je comprenne que c’était la noble vérité concernant la souffrance, bien qu’elle ne fût pas parmi les doctrines établies, surgit en moi l’œil, surgit la connaissance, surgit la compréhension, surgit la sagesse, surgit la lumière.
11. « Et encore, ô Bhikkhus, ayant compris que c’était la noble vérité concernant la souffrance, bien qu’elle ne fût pas parmi les doctrines transmises, l’œil surgit en moi, la connaissance surgit, la compréhension surgit, la sagesse surgit, la lumière surgit.
12. « Que c’était la noble vérité concernant l’origine de la douleur, bien qu’elle ne fût pas parmi les doctrines transmises, l’œil s’éleva en moi ; mais la connaissance s’éleva en moi, la compréhension s’éleva, la sagesse s’éleva, la lumière s’éleva.
13. « Et encore, ô Bhikkhus, pour que je mette de côté l’origine du chagrin, bien que la noble vérité à son sujet ne soit pas parmi les doctrines transmises, surgit en moi l’œil, surgit la connaissance, surgit la compréhension, surgit la sagesse, surgit la lumière.
14. « Et encore, ô Bhikkhus, après avoir complètement écarté l’origine du chagrin, bien que la noble vérité à son sujet ne fût pas parmi les doctrines transmises, surgit en moi l’œil, surgit la connaissance, surgit la compréhension, surgit la sagesse, surgit la lumière.
15. « C’est là, ô Bhikkhus, la noble vérité concernant la destruction du chagrin, bien qu’elle ne fasse pas partie des doctrines transmises ; mais là est apparu en moi l’œil, là est apparu la connaissance, là est apparu la compréhension, là est apparu la sagesse, là est apparu la lumière.
16. « Et encore, ô Bhikkhus, afin que je puisse pleinement réaliser la destruction du chagrin, bien que la noble vérité à ce sujet ne soit pas parmi les doctrines transmises, surgit en moi l’œil, surgit la connaissance, surgit la compréhension, surgit la sagesse, surgit la lumière.
17. « Et encore, ô Bhikkhus, que j’aie pleinement réalisé la destruction du chagrin, bien que la noble vérité à ce sujet ne fût pas parmi les doctrines transmises, surgit en moi l’œil, surgit la connaissance, surgit la compréhension, surgit la sagesse, surgit la lumière.
18. « Que ce soit la noble vérité concernant la voie qui mène à la destruction du chagrin, ne figurait pas, ô Bhikkhus, parmi les doctrines transmises ; mais là surgit en moi l’œil, là surgit la connaissance, là surgit la compréhension, là surgit la sagesse, là surgit la lumière.
19. « Et encore, ô Bhikkhus, afin que je devienne versé dans la voie qui mène à la destruction du chagrin, bien que la noble vérité à ce sujet ne fût pas parmi les doctrines transmises, surgit en moi l’œil, surgit la connaissance, surgit la compréhension, surgit la sagesse, surgit la lumière.
20. « Et encore, ô Bhikkhus, j’étais devenu versé dans la voie qui mène à la destruction du chagrin, bien que la noble vérité à ce sujet ne fût pas parmi les doctrines transmises, alors surgit en moi l’œil, surgit la connaissance, surgit la compréhension, surgit la sagesse, surgit la lumière.
21. « Tant que, ô Bhikkhus, ma connaissance et ma perspicacité n’étaient pas tout à fait claires concernant chacune de ces quatre nobles vérités dans ce triple ordre, de cette manière en douze parties, tant je fus incertain d’avoir atteint la pleine perspicacité de cette sagesse qui est inégalée dans les cieux ou sur la terre, parmi toute la race des Samanas et des Brâhmanes, ou des dieux ou des hommes.
22. « Mais dès que ma connaissance et ma perspicacité furent tout à fait claires concernant chacune de ces quatre nobles vérités, dans ce triple ordre et de cette manière en douze étapes, ô Bhikkhus, je devins certain d’avoir atteint la pleine perspicacité de cette sagesse qui est inégalée dans les cieux et sur la terre, parmi toute la race des Samanas et des Brâhmanes, ou des dieux ou des hommes.
23. « Et maintenant, cette connaissance et cette intuition ont surgi en moi. Immuable est l’émancipation de mon cœur. C’est ma dernière existence. Il n’y aura plus de renaissance pour moi ! »
24. Ainsi parla le Béni du Ciel. L’assemblée des cinq bhikkhus, le cœur joyeux, exalta les paroles du Béni du Ciel. Et lorsque ce discours fut prononcé, l’œil de la vérité, sans tache et sans tache, s’éleva dans le vénérable Kondañña, et il vit que tout ce qui a une origine, en elle est aussi inhérente la nécessité de prendre fin[7].
25. Et lorsque le char royal de la vérité eut ainsi été mis en marche par le Bienheureux, les dieux de la terre poussèrent un cri, disant :
« À Bénarès, à l’ermitage du Migadâya, la roue suprême de l’empire de la Vérité a été mise en marche par le Bienheureux — cette roue qu’aucun Samanna ou Brâhman, aucun dieu, [ p. 154 ] aucun Brahma ou Mâra, aucun être humain dans l’univers, ne peut jamais faire reculer ! »
26. Et quand ils entendirent le cri des dieux de la terre, les dieux serviteurs des quatre grands rois[^13] (les anges gardiens des quatre coins du globe) poussèrent un cri, disant :
« À Bénarès, à l’ermitage du Migadâya, la roue suprême de l’empire de la Vérité a été mise en marche par le Bienheureux — cette roue qu’aucun Samana ou Brâhman, aucun dieu, aucun Brahma ou Mâra, aucun être humain dans l’univers, ne pourra jamais faire reculer ! »
27. [Et ainsi, comme les dieux dans chacun des cieux entendaient le cri des habitants du ciel en dessous, ils reprirent le cri jusqu’à ce que les dieux dans le plus haut des cieux] poussent le cri, en disant :
« À Bénarès, à l’ermitage du Migadâya, la roue suprême de l’empire de la Vérité a été mise en marche par le Bienheureux — cette roue qu’aucun Samana ou Brâhman, aucun dieu, aucun Brahma ou Mâra, aucun être humain dans l’univers, ne peut jamais faire revenir en arrière[8] ! »
[ p. 155 ]
28. Et ainsi, en un instant, une seconde, un instant, le son monta jusqu’au monde de Brahmâ : et ce grand système de dix mille mondes trembla et fut secoué violemment, et une lumière incommensurable apparut dans l’univers, au-delà même du pouvoir des dieux !
29. Alors le Bienheureux poussa cette exclamation de joie : « Kondañña l’a réalisé. Kondañña l’a réalisé ! » Et ainsi le vénérable Kondañña acquit le nom d’Añññâta-Kondañña (« le Kondañña qui a réalisé »)[9].
Fin du Dhamma-kakka-ppavattana-sutta.
[ p. 159 ]
[^2] : Pabbagito, celui qui est allé de l’avant, qui a renoncé aux choses du monde, un « religieux ».
[^3] : Gamma, un mot de la même dérivation et ayant le même sens que notre mot « païen ».
[^5] : Sur les « quatre vérités » suivantes, comparez Dhammapada, verset 191, et Mahâ-parinibbâna Sutta II, 2, 3 et IV, 7, 8.
[^6] : Ou « est douloureux ».
[^7] : Pañk’ upâdânakkhandhâ. Sur le Khandhâ, ou les agrégats matériels et mentaux qui constituent un individu, voir mon « Bouddhisme », chap. III. L’Upâdâna, ou « saisie », en est la source, et le déracinement de cet upâdâna du mental est l’état d’Arahat.
On pourrait exprimer l’idée centrale de cette Première Noble Vérité, dans le langage du XIXe siècle, en disant que la douleur résulte de l’existence individuelle. C’est la lutte pour préserver son individualité qui engendre la douleur – une suggestion des plus pertinentes et des plus profondes. Pour une analyse plus complète, voir la Fortnightly Review de décembre 1879.
[^13] : Leurs noms sont donnés dans le Mahâ Samaya Sutta dans « Sept Suttas Palis » de Grimblot.
Ce sont les cinq mendiants qui ont servi le Bodisat pendant ses austérités, comme décrit dans « Histoires de naissance bouddhistes », pp. 88, 89. Leurs noms sont donnés à la p. 113 de ce livre ; voir ci-dessous, la note sur le § 32. ↩︎
Le Tathâgata est une épithète d’un Bouddha. Buddhaghosa, dans le Samangala Vilâsinî, l’interprète comme signifiant qu’il est venu sur terre pour les mêmes buts, après avoir suivi le même entraînement dans des naissances antérieures, que tous les prétendus Bouddhas antérieurs ; et que, lorsqu’il fut ainsi venu, toutes ses actions correspondirent aux leurs.
« Éviter ces deux extrêmes » devrait peut-être être renvoyé au Tathâgata, mais je préfère la traduction ci-dessus. ↩︎
« La convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie » {note de bas de page p. 149} correspondent très exactement au premier et au troisième de ces trois tanhâs. « La convoitise de la chair, la convoitise de la vie et l’orgueil de la vie », ou « la convoitise de la chair, la convoitise de la vie et l’amour de ce monde présent », ne seraient pas des traductions inadéquates de tous les trois.
Les deux derniers sont en pâli bhava-tanhâ et vibhava-tanhâ, à propos desquels Childers, se fondant sur l’autorité de Vigesinha, dit : « Le premier s’applique au sassata-ditthi et signifie un désir d’une éternité d’existence ; le second s’applique à l’ukkheda-ditthi et signifie un désir d’annihilation dans la toute première (la présente) forme d’existence. » Le sassata-ditthi peut être appelé « l’hérésie de la vie éternelle » et l’ukkheda-ditthi « l’hérésie du mangeons et buvons car demain nous mourrons ». Ces deux hérésies, ainsi implicitement condamnées, présentent des analogies très étroites avec le théisme et le matérialisme.
Spence Hardy dit (Manuel du bouddhisme, p. 496) : « Bhawa-tanhâ signifie l’amour obstiné de l’existence induit par la supposition que l’existence transmigratoire est non seulement éternelle, mais heureuse et désirable. Wibhawa-tanhâ est l’amour de la vie présente, sous l’idée que l’existence cessera avec elle, et qu’il n’y aura pas d’état futur. »
Vibhava en sanskrit signifie 1. développement ; 2. puissance, majesté, prospérité ; et 3. propriété : mais le sens technique bouddhiste, comme on le verra ci-dessus, est quelque chose de plus que cela. ↩︎
Patipadâ. ↩︎
Ariyo atangiko Maggo. ↩︎
Les mots entre parenthèses ont été ajoutés par Gogerly, sans doute à partir d’un commentaire qui ne m’est pas accessible ; et je les ai inclus également, mais entre parenthèses, car ils semblent compléter les idées réellement impliquées dans le texte. ↩︎
C’est la perception de ce fait qui est le Dhammakakkhu, l’Œil de la Vérité, ou l’Œil des Qualités comme on pourrait le rendre en référence à la signification de Dhamma dans les mots qui suivent.
Ils sont dans le Pâli yam kiñki samudaya-dhammam, sabbam tam nirodha-dhammam, littéralement, « tout ce qui a la qualité de commencer, cela a la qualité de cesser. » ↩︎
Le texte répète le § 26 pour chacun des cieux ; et les dieux ainsi énumérés sont les suivants, en commençant par Bhummâ Devâ au § 25 : ↩︎
Le Mahâ Vagga complète le récit comme suit : « Et alors le vénérable Aññâta-Kondañña ayant vu la vérité, étant arrivé à la vérité, ayant connu la vérité, ayant pénétré la vérité, ayant dépassé le doute, ayant mis de côté l’incertitude, ayant atteint la confiance, et ne dépendant de personne d’autre que de lui-même pour la connaissance de la religion du maître, parla ainsi au Béni du Ciel :
« Puis-je devenir, ô mon Seigneur, novice sous le Bienheureux, puis-je recevoir la pleine ordination ! »
« Bienvenue, ô frère ! » dit le Bienheureux, « la vérité a été bien exposée. Pratique la sainteté jusqu’à la suppression complète de la tristesse ! »
« Et ce fut l’ordination du Vénérable. »
Les quatre autres, Vappa, Bhaddiya, Mahânâma et Assagi, furent convertis les jours suivants, selon les « Histoires de naissance bouddhistes », p. 113.
Il est également dit que « des myriades d’anges (devas) ont été convertis simultanément avec Kondanya ». ↩︎