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C’est le douzième et dernier Sutta de la première division du Dîgha Nikâya, qui est appelé le Sîlakkhandha Vaggo, parce que l’ensemble de ses douze Dialogues traite, d’un point de vue ou d’un autre, de Sîla, ou Conduite Juste.
Il existe un autre Sutta parfois appelé du même nom, le n° 21 du Milieu Cinquante du Magghima Nikâya : mais il n’a rien de commun avec le présent, si ce n’est le nom. On l’appelle Tevigga Sutta simplement parce que Gotama y est décrit par le titre élogieux de Tevigga, « Sage dans les Védas » ; et son nom complet est Tevigga-vakkhagotta-sutta[1].
J’ai fait la présente traduction à partir d’un texte constitué de trois MSS : mon propre MS du Dîgha Nikâya, appelé D ; le MS Turnour du même au Bureau indien, appelé T ; tous deux en caractères cinghalais ; et le MS Phayre au même endroit, en caractères birmans, appelé P.
Dans ce livre, la Bonne Conduite est utilisée comme une sorte d’argument ad hominem pour la conversion de deux jeunes brahmanes sérieux.
Ils demandent quel est le véritable chemin vers l’état d’union (dans la prochaine vie) avec Dieu. Après avoir soutenu, dans une sorte de dialogue socratique, que, selon leur propre démonstration, sur la base de faits qu’ils admettaient eux-mêmes, les brahmanes ne pouvaient avoir aucune connaissance réelle de leur Dieu, Gotama soutient que l’union avec un Dieu qu’ils admettaient pur et saint doit être inaccessible aux hommes impurs, pécheurs et pharisaïques, quelle que soit leur connaissance des Védas. Et il expose ensuite, non sans une beauté de langage occasionnelle, ce système de Conduite Juste, qui doit être le seul chemin direct vers une véritable union avec Dieu.
On pourrait penser qu’un tel Sutta pourrait être adapté, sans grande difficulté, pour servir de brochure missionnaire, tant il rappelle l’argument de nombreux sermons sur ce texte : « Si votre droiture ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez en aucun cas dans le royaume des cieux ! » Et il est vrai que les Teviggâ – les hommes de science particulière des trois Védas – correspondent exactement, sur des points essentiels, aux scribes et aux pharisiens du Nouveau Testament. Ils étaient les conservateurs officiels en répétant, comme les scribes en copiant, les livres sacrés ; et ils étaient les interprètes reconnus, et les seuls gardiens de l’interprétation traditionnelle – qui trop souvent expliquait le sens véritable – de ces livres. Il s’ensuit que, comme la loi était dans les deux cas incluse dans les livres sacrés, ce sont eux qui, dans les deux cas, étaient les véritables législateurs, et pratiquement les seuls juristes. Et comme presque tout savoir se limitait aux livres sacrés, ou y était étroitement lié, les Teviggâ étaient les principaux Pandits, tout comme les Scribes étaient les « Docteurs de la Loi ». À l’instar des Pharisiens, les Brahmanes revendiquaient une sainteté particulière ; et nombre d’entre eux, fiers de leur éducation, de leur naissance et de leur richesse, méprisaient les masses populaires avec un mépris moralisateur. Et si, d’un autre côté, les Brahmanes ressemblaient davantage aux Scribes et aux Pharisiens en ce que nombre d’entre eux méritaient à juste titre le respect qu’on leur portait, seuls ceux qui ne le méritaient pas sont, dans les deux cas, condamnés.
Mais quelle que soit l’interprétation du « royaume des cieux » [ p. 161 ] que le lecteur puisse adopter, elle doit être très différente de tout ce que le Sutta peut signifier par « un état d’union avec Brahmâ ». Il n’est pas facile de dire quelle opinion est réellement imputée aux jeunes Brahmanes avant leur conversion. On veut probablement dire qu’ils cherchaient un moyen par lequel leur Soi pourrait s’identifier, après la mort, à Brahman ; un moyen par lequel ils pourraient échapper à l’immortalité de la transmigration, à l’existence tout à fait en tant qu’individus séparés[2]. Et en laissant espérer l’union avec Brahmâ comme résultat de la pratique de l’amour universel[3], le Bouddha entend très probablement signifier « une union avec Brahmâ » au sens bouddhique – c’est-à-dire une compagnie temporaire en tant qu’être séparé avec le Brahmâ bouddhiste, dont bénéficierait un nouvel individu non consciemment identique à son prédécesseur. Il est tout à fait possible que l’argumentum ad hominem soit étendu à cette partie du Sutta ; et que l’affirmation de III, 1 doive être interprétée comme signifiant : « Ceci (l’amour universel) est la seule voie vers ce genre d’union avec votre propre Brahmâ que vous désirez. » Mais une telle soumission à une opinion hérétique à la fin de sa propre exposition de la vérité ne serait guère imputée à un Bouddha.
Tout comme à l’époque des premiers chrétiens, comme l’a si instructivement souligné l’archevêque Trench, ce ne sont pas seulement les hommes qui ont reçu une nouvelle naissance et un nouveau baptême, mais les vieux mots et termes d’usage courant ont également été imprégnés d’un esprit nouveau ; ainsi le réformateur indien, tout en revêtant son nouveau système de la phraséologie actuelle, a insufflé un sens différent et dans de nombreux cas plus élevé aux anciennes expressions.
Ainsi, par exemple, Tevigga (en sanskrit Traividya) désignait soit la connaissance des Trois Védas, soit, comme adjectif, un brahmane possédant cette connaissance ; et ensuite, comme nom de multitude, une assemblée de ces brahmanes [ p. 162 ] telle que décrite dans les premières sections de notre Sutta. Comme de nombreux brahmanes ne possédaient pas cette connaissance, le mot en vint naturellement à impliquer une personne digne du respect dû à son érudition particulière, et fut utilisé comme titre élogieux, pas très différent de celui de notre Docteur. Il est conservé comme épithète des Arahats dans les écrits bouddhiques, mais comme désignant quelqu’un possédant la connaissance d’une triple doctrine fondamentale du bouddhisme : la doctrine de l’impermanence, de la douleur inhérente et de l’absence de tout principe permanent (de tout Soi) dans les confections ou les choses qui les composent[4]. C’est-à-dire que la connaissance des Védas a été remplacée par une connaissance du caractère réel des phénomènes trompeurs et évanescents qui nous entourent et dont nous faisons partie.
Il en fut de même pour Brahmâ. Le nom fut conservé, mais l’idée fut entièrement modifiée. Le cours des croyances religieuses, dans la partie indienne des tribus aryennes, était passé par les étapes habituelles de l’animisme et du polythéisme, pour aboutir à une sorte de panthéisme propre à l’Inde, où Brahman était considéré comme une cause première, le soi suprême, sans émotion, infini, absolu. Le système bouddhiste ayant été construit sans recourir à l’idée antérieure d’une âme, d’un soi, d’un fantôme ou d’un esprit distincts, supposés exister à l’intérieur du corps humain, ce réseau de spéculations antérieures avait pour lui aussi peu d’importance que les discussions théologiques pour le positivisme. Mais le bouddhisme tomba dans ce qui, pour le positiviste, serait le péché impardonnable – peut-être inévitable à l’époque et au lieu de sa jeunesse – de continuer à exprimer une croyance aux esprits extérieurs, grands et petits, du panthéon hindou de l’époque.
Ils étaient restés dans l’ordre de préséance antérieur et étaient tous – à l’exception de Mâra, le Malin, de ses disciples et de quelques autres – considérés comme des bouddhistes passablement bons. On ne les craignait plus ; on les considérait comme des sortes de fées, généralement bienfaisantes, quoique toujours plus ou moins stupides et ignorantes. Bien sûr, on ne les vénérait plus, car ils étaient bien moins dignes de révérence que n’importe quel homme sage et bon. Et ils n’étaient pas éternels, tous, même les meilleurs ou les plus élevés, étant sujets, comme toutes choses et toutes les autres créatures, à la dissolution. S’ils s’étaient bien comportés, ils renaissaient alors dans des conditions extérieures heureuses, et pouvaient même espérer renaître un jour en tant qu’hommes, afin de pouvoir atteindre le but suprême de la foi bouddhiste, cette félicité qui ne passe pas, le Nirvânâ d’une vie parfaite dans l’état d’Arahat.
Le devoir d’un bouddhiste qui était entré dans la Noble Voie envers ces formes légères et aériennes — car c’est à de telles choses vaines que les grands dieux étaient tombés — était le même que son devoir envers chaque autre créature : pitié pour son ignorance, sympathie pour sa faiblesse, équanimité (l’absence de peur ou de malice, ou le sentiment d’un intérêt différent ou opposé), et le sentiment constant d’un amour profond et durable, omniprésent, devenu grand et au-delà de toute mesure.
Aucune exception ne fut faite dans le cas de Brahmâ. Comme toute créature vivante, il était éphémère, lié par la chaîne de l’existence, fruit de l’ignorance, et ne pouvait trouver le salut qu’en suivant le Noble Octuple Sentier. Il faut se rappeler que le Brahmâ des temps modernes, le Dieu du théisme ardent de certains des meilleurs hindous de la période tardive, n’existait pas encore : cette conception était l’un des effets de l’influence de la pensée musulmane et chrétienne sur les esprits hindous. Et il serait vain de conjecturer comment la théorie bouddhiste aurait pu être modifiée au contact de cet idéal.
Bien que considéré comme appartenant essentiellement à la même classe que tous les autres esprits extérieurs, Brahmâ était néanmoins considéré comme un esprit supérieur, un bouddhiste très pieux et une sorte de roi parmi les anges. Le Brahmâ de ce système mondial, qui vivait à l’époque de Gotama et qui vit actuellement, a acquis sa position exaltée actuelle grâce à sa vertu lors d’une vie antérieure de bhikkhu nommé Sahaka [ p. 164 ], à l’époque où la religion du Bouddha Kassapa prospérait sur terre[5]. Selon l’auteur du commentaire du Gâtaka, il a assisté à la naissance du futur Bouddha[^6] ; et à deux reprises par la suite, il a rendu service au Bodisat, juste avant le grand conflit avec Mâra[6]. Et quand, après la victoire, le Béni du Ciel hésitait à savoir s’il serait utile de dire aux autres la vérité qu’il avait trouvée, ce fut Brahmâ qui apparut et le supplia de proclamer la vérité[7]. Brahmâ Sahampati fut le premier à exprimer la tristesse universelle qui suivit la mort du Bouddha[^9] ; et à une période critique de l’histoire ultérieure de l’Église bouddhiste, il est représenté comme étant descendu du ciel et étant apparu au Thera Sâlha, pour confirmer sa foi vacillante[^10].
Ces exemples montreront le caractère élevé attribué au Brahmâ du système mondial dans lequel nous vivons ; et dans chacun des systèmes mondiaux infinis qui sont dispersés à travers l’espace, il est supposé y avoir un Brahmâ semblable, fini, temporaire et vertueux, assis comme roi sur la plus exaltée des armées d’anges.
Il doit être évident qu’il s’ensuit, sans possibilité de question, que les premiers bouddhistes ne peuvent pas être décrits avec précision comme des « monothéistes », et il est très regrettable que même des auteurs cultivés et érudits parlent encore d’eux comme tels, et puissent suggérer que le monothéisme indépendant des Juifs ultérieurs peut être mis en parallèle avec un supposé monothéisme parmi les bouddhistes[8].
Et même si l’idée de Brahmâ était en quelque sorte la même que l’idée de Dieu, une union avec ce Brahmâ signifierait une vie simplement temporaire comme un ange dans le ciel de Brahmâ — une vie telle que celle qui est présentée ci-dessous comme étant le résultat de la noble vie et des nobles pensées du Grand Roi de Gloire. Mais ce n’était pas le but suprême de la foi bouddhiste ; et l’ange, bien que la même personne que le roi, du point de vue bouddhiste (comme résultant et poursuivant le même Karma), serait une personne différente du roi, selon le point de vue chrétien ; car il n’y est pas fait mention du passage d’une âme de la terre au ciel, pas d’identité consciente, pas de mémoire continue.
Nous pouvons tirer de ce qui précède deux conclusions. Premièrement, l’emploi d’un mot chez les auteurs sanskrits n’est que très peu révélateur du sens du mot correspondant dans les écritures bouddhiques pâlies, chaque fois que ce mot fait référence à une idée de caractère religieux.
Et, deuxièmement, qu’on peut accorder très peu de confiance, sans une enquête minutieuse, à une ressemblance – aussi étroite soit-elle à première vue – entre un passage du Pâli Pitakas et un passage du Nouveau Testament.
Il est vrai que de nombreux passages de ces deux littératures peuvent aisément démontrer une tendance similaire. Mais lorsque certains auteurs, se fondant sur de telles similitudes, avancent l’idée qu’il doit y avoir un lien historique entre les deux, et que le Nouveau Testament, en tant que dernier, doit en être l’emprunteur, j’ose penser qu’ils se trompent. Il ne me semble pas y avoir la moindre preuve d’un quelconque lien historique entre eux ; et lorsque la ressemblance est réelle – et elle s’avère souvent minime lorsqu’elle paraît d’abord la plus grande, et d’ailleurs la plus grande lorsqu’elle paraît la plus petite –, elle est due, non à un emprunt de part et d’autre, mais uniquement à la similitude des conditions dans lesquelles les deux mouvements se sont développés.
Ceci ne s’applique évidemment pas à la littérature ultérieure des deux religions ; et cela ne doit pas diminuer la grande valeur et l’intérêt des parallèles que l’on peut établir à partir des livres antérieurs. Si nous voulons comprendre ce qui a donné tant de vie et de force au mouvement prodigieux qu’est le bouddhisme, nous ne pouvons nous empêcher de le comparer – non seulement sur les points où il s’accorde avec lui, mais aussi sur les points où il en diffère – à notre propre foi. J’espère ne pas avoir eu tort d’utiliser occasionnellement cette méthode, bien que l’absence de tout lien historique entre le Nouveau Testament et les Pâli Pitakas m’ait toujours semblé si évidente qu’il serait inutile de la mentionner. Mais lorsqu’un critique qui a eu la gentillesse d’apprécier, je le crains trop, ce qu’il appelle mon « service en donnant, pour la première fois, un récit tout à fait humain, acceptable et cohérent » de la « vie de Bouddha » et des « fondements simples de sa religion » en est venu à conclure que les parallèles que j’avais ainsi avancés sont « une indication irréfutable des obligations du Nouveau Testament envers le bouddhisme », je dois demander à être autorisé à protester contre une déduction qui me semble être contraire aux règles d’une critique historique saine.
[^6] : « Histoires de naissance bouddhistes », p. 66.
[^9] : Livre de la Grande Décès, Chapitre VI, § 4.
[^10] : 'Mahâvamsa, p. 17.
Il convient de noter, en passant, que la substance de ce texte revient sous la forme du Vakhagotta Samyutta dans le Samyutta Nikâya. ↩︎
Comparez la préface du professeur Max Müller aux Livres sacrés de l’Orient, vol. ip xxx. ↩︎
Voir Chapitre III, §§ 1, 2. ↩︎
Voir Kulla Vagga VI, 6, 2, = Gâtaka, vol. ip 217; Mahâvamsa, p. 79; Dîpavamsa XV, 80 (où les Arahats sont des femmes); et sur les « confections » ci-dessous, dans l’Introduction au « Livre du Grand Roi de Gloire ». ↩︎
Teste un commentaire cité par Childers, Dict. p. 227. ↩︎
Ibid. pp. 92, 97. ↩︎
Ibid. p. 111. Déjà rapporté dans le Mahâ Vagga I, 2; 6, 7. ↩︎
« Leur monothéisme (celui des Juifs) a peut-être évolué de manière indépendante ; mais les bouddhistes ont au moins montré un monothéisme contemporain. » M. Huth, dans « Life &c. of Buckle », p. 238. ↩︎