[ p. 185 ]
Seul un représentant japonais de la culture ancienne pourrait peut-être nous informer pleinement de la mesure dans laquelle le sol mental de la race a été imprégné et fertilisé par l’idéalisme bouddhiste. En tout cas, aucun Européen ne le pourrait ; car comprendre l’ensemble des relations entre la religion et la vie en Extrême-Orient exigerait non seulement une érudition, mais aussi une expérience qu’aucun Européen ne pourrait acquérir en une vie. Pourtant, même pour l’étranger occidental, on trouve partout des signes de ce que le bouddhisme a été pour le Japon dans le passé. Tous les arts et la plupart des industries répètent les légendes bouddhiques à l’œil exercé au symbolisme ; et il n’existe guère d’objet artisanal possédant une quelconque beauté ou une signification formelle – du jouet d’un enfant à l’héritage d’un prince – qui ne témoigne d’une manière ou d’une autre de la dette ancienne envers le bouddhisme de l’artisanat qui l’a fabriqué. On peut discerner des pensées bouddhistes dans les cotonnades bon marché d’une filature d’Osaka, tout autant que dans les soieries figurées de Kyôto. Les reliefs d’une bouilloire en fer, les têtes d’éléphant en bronze qui forment les anses des hibachis d’un commerçant ; les motifs d’un papier sérigraphié, ou les boiseries ornementales les plus courantes d’une porte d’entrée ; les gravures sur un tuyau en métal, ou l’émaillage d’un vase précieux, peuvent tous relater, avec la même éloquence, les traditions de la foi. On trouve des reflets ou des échos de l’enseignement bouddhiste dans la composition d’un jardin ; dans les innombrables idéogrammes des longues perspectives des enseignes de magasins ; dans les noms merveilleusement expressifs donnés à certains fruits et fleurs ; dans les appellations des montagnes, des caps, des cascades, des villages, et même des gares modernes. Et la nouvelle civilisation ne semble pas encore avoir beaucoup affecté l’influence ainsi manifestée. Les trains et les bateaux à vapeur transportent désormais chaque année vers des sanctuaires célèbres plus de pèlerins qu’il n’en a jamais été visités auparavant en un an ; les cloches des temples, malgré les horloges et les montres, marquent toujours le passage du temps pour des millions de personnes ; le discours des gens est toujours poétisé par des expressions bouddhistes ; la littérature et le théâtre regorgent toujours d’expressions bouddhistes ; et les voix les plus ordinaires des chansons de rue des enfants qui jouent, un chœur d’ouvriers à leur travail, même les cris des vendeurs ambulants ambulants me rappellent souvent une histoire de saints et de bodhisattvas, ou le texte de quelque sutra.
Une telle expérience m’a donné l’idée de composer un recueil de chants contenant des expressions ou des allusions bouddhistes. Mais, compte tenu de l’ampleur du sujet, je n’ai pas su immédiatement par où commencer. Une variété déconcertante de chants japonais – dont la simple nomenclature occuperait des pages – offre des éléments de ce genre. Parmi les genres remarquables, on peut citer les Utai, chants dramatiques, composés pour la plupart par de grands prêtres, dont il n’y a probablement pas dix vers sans une allusion au bouddhisme ; les Naga-uta, chants souvent d’une longueur extraordinaire ; et les Jôruri, romances entières en vers, avec lesquelles les chanteurs professionnels peuvent enchanter leur public pendant cinq ou six heures. La simple dimension de telles compositions les excluait nécessairement de mon projet ; mais il restait une multitude de formes plus brèves parmi lesquelles choisir. J’ai finalement décidé de limiter mon travail principalement aux dodoitsu, petites chansons de vingt-six syllabes seulement, disposées en quatre vers (7, 7, 7, 5). Leur construction est plus régulière que celle des chansons de rue traitées dans un article précédent ; mais elles sont essentiellement populaires et, par conséquent, plus représentatives des influences bouddhistes que ne pourraient l’être de nombreuses compositions supérieures. Parmi le très grand nombre de chansons que j’ai recueillies, j’en ai sélectionné entre quarante et cinquante comme étant typiques de cette catégorie.
Peut-être les pièces qui reflètent les idées de préexistence et de renaissances futures intéresseront-elles particulièrement le lecteur occidental, bien moins par leur valeur poétique que par leur nouveauté relative. Nous possédons très peu de vers anglais, quelle que soit leur catégorie, contenant des fantaisies de ce genre ; mais elles pullulent dans la poésie japonaise, sous forme de lieux communs et de conventions. Une œuvre aussi exquise que « Lumière Soudaine » de Rossetti, nous envoûtant principalement par la subtilité pénétrante d’une pensée anathématisée par toutes nos orthodoxies depuis mille huit cents ans, ne pouvait intéresser un Japonais que comme l’interprétation exceptionnelle, par un Occidental, de fantaisies et de sentiments familiers au paysan le plus ignorant. Certes, personne ne pourra trouver dans ces vers japonais — ou plutôt dans mes propres traductions misérablement prosaïques — même un soupçon de la délicatesse fantomatique de l’imagination de Rossetti :
Je suis déjà venu ici,
Mais quand et comment je ne peux pas le dire :
Je connais l’herbe derrière la porte,
L’odeur douce et piquante,
Le son des soupirs, les lumières le long du rivage.
Tu as déjà été à moi,
Il y a combien de temps, je ne le sais peut-être pas :
Mais juste au moment où l’hirondelle s’envole
Ton cou s’est tourné ainsi,
Un voile est tombé, je le savais depuis toujours.
Et pourtant, quelle étrange différence vivante entre un traitement aussi énigmatiquement délicat de pensées classées comme fruits défendus dans l’Éden occidental des rêves et les expressions japonaises quotidiennes qui jaillissent directement de l’ancienne foi orientale !
[ p. 190 ]
L’amour, dit-on souvent, n’a rien à voir avec la raison.
La cause de notre problème doit être quelque chose En dans une naissance antérieure.[1]
Même le nœud de la corde qui relie nos bateaux ensemble
Noué il y a longtemps par un amour dans une naissance antérieure.
Si le contact même des manches se fait par En _d’une existence antérieure,
Bien plus profond doit être le lien qui nous unit maintenant ![2]
Kwahô[3] cette vie doit être,—cette demeure avec quelqu’un d’aussi tendre;—
Je récolte maintenant la récompense des actes d’une naissance antérieure !
[ p. 191 ]
De nombreuses chansons de ce genre font référence au vœu coutumier que font les amoureux d’appartenir l’un à l’autre pour plus d’une vie, un vœu peut-être inspiré à l’origine par l’aphorisme bouddhiste :
Oya-ko wa, is-sé;
Fûfu wa, ni-sé;
Shujû wa, san-zé.
La relation parent-enfant dure une vie ; celle entre mari et femme, deux vies ; celle entre maître et serviteur, trois vies. Bien que cette tendre relation soit ainsi limitée à deux vies, le vœu – comme en témoignent les drames japonais et les lettres de ceux qui se tuent par amour – est souvent prononcé avec passion pour sept vies. Les extraits suivants témoignent d’une grande variété de tons, allant du pathétique au satirique, dans le traitement de ce sujet :
J’ai coupé mes cheveux pour lui ; mais la relation plus profonde entre nous
Ne peut être coupé dans cette vie, ni dans une autre.
[ p. 192 ]
Elle regarde le portrait de celui à qui elle est promise pour deux vies :
Des souvenirs heureux arrivent, et chacun apporte un sourire sur son visage.[1:1]
Si dans cette vie présente nous ne pouvons jamais espérer l’union,
Ensuite, nous nous installerons d’abord dans le Palais du Lotos, au-delà.[2:1]
N’avons-nous pas prononcé le vœu qui nous lie à une double existence ?
Si nous devons nous séparer maintenant, je ne peux que souhaiter mourir.
[ p. 193 ]
Voilà ! Oh, que ferons-nous ? . . . Engagés pour une double existence,
Et maintenant, alors que nous sommes assis ensemble, la ficelle du samisen casse ![1:2]
Il courtise en enseignant la loi de cause à effet pendant trois vies,
Et fait un contrat pour deux—le prêtre au sourire rusé ![2:2]
Chaque mortel a vécu et est destiné à vivre d’innombrables vies ; pourtant les moments heureux de chaque existence ne sont pas pour autant moins précieux en eux-mêmes :
Ne pas s’être rencontré une nuit est vraiment une cause de tristesse ;
Puisque deux fois dans une même naissance la même nuit ne vient jamais.
Mais de même qu’un été exceptionnellement chaud est susceptible d’annoncer un hiver d’une rigueur exceptionnelle, de même trop de bonheur dans cette vie peut signifier de grandes souffrances dans la suivante :
Je souffre toujours ainsi ! . . . Il me semble que, dans ma dernière existence,
J’ai dû être trop heureux, je n’ai pas assez souffert.
En ce qui concerne l’intérêt exotique des chants exprimant la croyance en la préexistence et la renaissance, je pense qu’il faut placer ceux qui traitent de la doctrine de l’ingwa, ou Karma. J’en propose quelques traductions libres, ainsi qu’une sélection d’une catégorie de compositions plus élaborées et généralement beaucoup plus longues que le dodoitsu, appelées hauta. Dans l’original, du moins, ma sélection de hauta – qui contient une charmante comparaison avec la luciole – est de loin la plus jolie :
Ne pleurez pas ! Tournez-vous vers moi ! . . . Non, tous mes soupçons s’évanouissent !
Pardonnez-moi ces mots méchants : quelque ingwa contrôlait ma langue !
Il s’agit manifestement de la supplication pleine de remords d’un amant jaloux. La réponse suivante pourrait être celle de la jeune fille dont il avait fait couler les larmes :
Je ne peux pas du tout imaginer par quelle étrange manière ingwa
Je suis venu pour tomber amoureux d’une personne aussi méchante que toi !
Ou elle pourrait s’exclamer :
Est-ce le tournant de En ?—suis-je pris dans la Roue du Karma ?
C’est là, hélas ! une roue qui ne peut être sortie de l’ornière ![1:3]
[ p. 195 ]
Une référence plus remarquable à la Roue du Karma est la suivante :
Père et mère me l’ont interdit, et j’ai donc abandonné mon amant ;—
Pourtant, avec le tourbillon de la Roue, la pensée de lui va et vient.[1:4]
C’est un hauta:—
Il existe d’innombrables insectes qui chantent de l’aube au soir,
Criant : « J’aime ! J’aime ! » — mais la passion silencieuse de la Luciole,
Faire brûler son corps, c’est plus profond que tout leur désir.
Tel est mon amour… mais je ne peux pas imaginer à travers quoi
J’ai ouvert mon cœur — hélas ! — à un être qui n’est pas sincère ![2:3]
[ p. 196 ]
Si les productions précédentes ne semblent possibles qu’à nos antipodes psychologiques, il en va tout autrement d’un groupe de chants populaires reflétant la doctrine de l’impermanence. Concernant l’instabilité de toute chose matérielle et la vacuité de tous les plaisirs terrestres, les pensées chrétienne et bouddhiste concordent parfaitement. La grande différence entre elles n’apparaît que lorsqu’on compare leurs enseignements sur les choses fantomatiques, et notamment sur la nature de l’Égo. Mais la doctrine orientale selon laquelle l’Égo lui-même est un composé impermanent et que le Soi n’est pas la véritable Conscience, trouve rarement son expression dans ces chants populaires. Pour le commun des mortels, le Soi existe : c’est une personnalité réelle (bien que multiple) qui se transmet de naissance en naissance. Seul le bouddhiste instruit comprend l’enseignement profond selon lequel ce que nous imaginons être le Soi n’est qu’illusion, un voile obscur tissé par le Karma ; et qu’il n’existe pas d’autre Soi que le Soi infini, l’Absolu éternel.
[ p. 197 ]
Dans le dodoitsu suivant, on trouvera principalement des pensées ou des émotions conformes à l’expérience universelle :
Rassembler les nuages vers la lune ;—orage et pluie vers les fleurs :
D’une certaine manière, ce monde de malheur n’est jamais exactement comme nous le souhaitons.[1:5]
Presque aussitôt qu’elles fleurissent, les fleurs parfumées du prunier
Par le vent de ce monde de changement sont dispersés et emportés.
Tu penses que demain reste, toi, fragile fleur de cerisier du cœur ?
Comment sais-tu si cette nuit la tempête ne viendra pas ?[2:4]
[ p. 198 ]
L’ombre et la forme fondent et refluent vers le néant :
Celui qui connaît cette vérité est le Daruma de la neige.[1:6]
Comme la lune de la quinzième nuit, le cœur jusqu’à l’âge de quinze ans :
Puis la luminosité diminue et l’obscurité vient avec l’amour.[2:5]
Toutes choses changent, nous dit-on, dans ce monde de changement et de tristesse ;
Mais la voie de l’amour ne change jamais, promettant de ne jamais changer.[3:1]
[ p. 199 ]
Cruel le beau poisson,—totalement sans cœur cet éclair !
Avant même qu’on puisse y regarder à deux fois, il disparaît complètement ![1:7]
Sa douceur même fait de mon existence un fardeau !
Vraiment, ce monde de changement est un monde de malheur constant ![2:6]
_La vie du corps n’est fixée ni à la jeunesse ni à l’âge ;
Me demander d’attendre un moment est le mot qui divise à jamais.[3:2]
[ p. 200 ]
Je sais trop bien que se rencontrer provoquera encore plus de pleurs ;[1:8]
Mais ne jamais se rencontrer serait une tristesse trop grande à supporter.
Trop joyeux en union pour penser, on oublie que les sourires du soir
Parfois, ils deviennent eux-mêmes la source des larmes du matin.
Pourtant, malgré la doctrine de l’impermanence, on nous dit dans un autre dodoitsu que—
Celui qui n’a jamais été envoûté par le sourire charmant d’une femme,
-C’est un Bouddha en bois, un Bouddha en bronze ou en pierre !_[2:7]
Et pourquoi un Bouddha de bois, de bronze ou de pierre ? Parce que le Bouddha vivant n’était pas aussi insensible, comme on nous l’assure avec une irrévérence joviale, dans ce qui suit :
« Abandonnez ce monde agité » !—
c’était ou enseigner enseigner !
Et Ragora,[1:9] fils de ses reins ?—fut-il vraiment oublié ?
Il y a un jeu de mots intraduisible dans l’original, qui, s’il était écrit en romaji, se dirait ainsi
Uki-yo wo sutéyo t’a
Alors toi :
Ragora à iû ko wo
Qu’est-ce que tu fais ?
Shakamuni est la traduction japonaise de « Sakyamuni » ; « Shaka Sama » signifie donc « Seigneur Sakya » ou « Seigneur Bouddha ». Mais saka-sama est un mot japonais qui signifie « à l’envers », « sens dessus dessous » ; et la différence de prononciation entre Shaka Sama et saka-sama est suffisamment légère pour suggérer le jeu de mots. L’amour en suspens n’est généralement pas enclin à la révérence.
[ p. 202 ]
Même en priant ensemble devant les tablettes ancestrales,
Les amoureux trouvent l’occasion de murmurer des prières qui n’étaient pas destinées aux morts ![1:10]
Et quant aux interrupteurs :
Déteste le vent ou la pluie qui ruine la floraison des fleurs :
-Encore plus odieux pour celui qui obstrue le chemin de l’amour_.
Mais l’aide des dieux est implorée avec ferveur :
Je fais mon hyaku-dô, parcourant le sombre chemin de l’Amour,
-Je prie toujours pour rencontrer le propriétaire de mon cœur._[2:8]
[ p. 203 ]
L’intérêt attaché au groupe typique de chansons d’amour suivant dépendra principalement des allusions bouddhistes :
Dans le lit de la Rivière des Âmes, ou en attendant seul le soir,
La douleur ne diffère en rien : le caillou grandit jusqu’à une montagne.[1:11]
Qui erre le plus loin après l’illusion sur le sombre chemin de l’Amour
Est toujours celui qui voit le plus clairement,[2:9] et non le simple ou le terne.
[ p. 204 ]
Vu froidement de l’extérieur, notre amour semble une folie totale :
Qui n’a jamais ressenti de la mayonnaise n’a jamais pu comprendre !
Il doit y avoir d’innombrables hommes qui habitent dans trois mille mondes ;
Pourtant, parmi eux tous, aucun n’est digne de changer pour moi.[1:12]
Aussi inconstant que je puisse paraître, mon cœur n’est jamais infidèle
De la boue elle-même, le lotus pousse sans tache.[2:10]
Pour que nous restions ensemble, même l’Enfer du Lac de Sang—
Même la Montagne des Épées—ne signifiera rien du tout.[3:3]
[ p. 205 ]
Mon corps n’est pas encore revêtu de l’habit noir d’encre ;—
Mais quant à ce cœur endeuillé, il est déjà une religieuse.[1:13]
Mes cheveux, en effet, ne sont pas coupés, mais mon cœur est devenu religieux ;
Ce sera toujours une religieuse jusqu’à l’heure où je le rencontrerai à nouveau.
Mais même le prêtre ou la religieuse ne sont pas toujours exemptés du pouvoir de mayoi :
Je porte le vêtement de zibeline, et pourtant, par illusion de désir,
Je me perds toujours, ne sachant ni où ni où !
Jusqu’ici, mes exemples ont principalement été choisis dans la catégorie plus sérieuse du dodoitsu. Mais dans les dodoitsu d’une catégorie plus légère, les allusions bouddhiques sont peut-être encore plus fréquentes. Le groupe suivant, composé de cinq exemples, servira de référence pour des centaines d’exemples :
[ p. 206 ]
On ne peut jamais rappeler le mot prononcé trop vite :
C’est donc avec le visage d’Emma que l’amant reçoit la prière.[1:14]
Trois fois j’ai entendu cette prière avec le visage de Bouddha ; mais désormais
Mon visage sera le visage d’Emma à cause de trop de prières.
Maintenant ils sont joyeux ensemble ; mais sous leur bateau se trouve Jigoku.[2:11]
Souffle vite, vent de rivière, souffle un typhon pour moi !
En vain, pour le faire rester, je disais que les corbeaux étaient des corbeaux de nuit ;[3:4]—
La cloche de l’aube sonne le glas, la cloche qui ne peut mentir.
[ p. 207 ]
C’est mon désir : tuer les corbeaux de trois mille mondes,
Et puis reposer en paix avec le propriétaire de mon cœur ![1:15]
J’ai cité ce dernier uniquement comme une curiosité. Car son histoire est étrange et il n’est pas ce qu’il paraît, bien que le motif apparent ait certainement été suggéré par une chanson comme celle qui le précède immédiatement. C’est un chant de loyauté, composé par Kido de Chôshû, l’un des chefs de file de ce grand mouvement qui a entraîné la chute du shogunat, la restauration du pouvoir impérial, la reconstruction de la société japonaise et l’introduction et l’adoption de la civilisation occidentale. Kido, Saigô et Ôkubo sont à juste titre appelés les trois héros de la restauration. Alors qu’il préparait ses plans à Kyôto, en compagnie de son ami Saigô, Kido composa [ p. 208 ] et chanta ce chant pour exprimer ses véritables sentiments. Par l’expression « corbeaux des trois mille mondes », il désignait les partisans de Tokugawa ; Par le mot nushi (seigneur, ou maître de cœur), il désignait l’empereur ; et par le terme soiné (reposant ensemble), il faisait référence à la condition espérée de responsabilité directe devant le trône, sans intervention ultérieure du shogun et du daimyô. Ce n’était pas le premier exemple dans l’histoire japonaise d’utilisation de la chanson populaire comme moyen d’exprimer des opinions qui, exprimées en langage plus clair, auraient été une invitation à l’assassinat.
Tandis que j’écrivais la note précédente sur la chanson de Kido, l’expression bouddhiste Sanzen sékai (qui apparaît deux fois, comme le lecteur l’aura remarqué, dans le présent recueil) m’a suggéré quelques réflexions sur lesquelles cet article pourrait conclure. Je me souviens que lorsque j’ai tenté pour la première fois, il y a des années, d’apprendre les grandes lignes de la philosophie bouddhiste, un fait m’a particulièrement impressionné : l’immensité de la conception bouddhiste de l’univers. Le bouddhisme, tel que je le lisais, ne s’était pas offert à l’humanité comme une croyance salvatrice pour un monde habité, mais comme la religion d’« innombrables centaines de milliers de myriades de kôtis[1:16] de mondes ». Et la révélation scientifique moderne de l’évolution et de la dissolution stellaires m’apparaissait alors, et me semble encore, comme une confirmation prodigieuse de certaines théories bouddhistes de la loi cosmique.
L’homme de science d’aujourd’hui ne peut ignorer les immenses suggestions de la nouvelle histoire que nous racontent les cieux. Il se voit contraint de considérer le développement de ce que nous appelons l’esprit comme une phase générale, un incident dans la maturation de la vie planétaire à travers l’univers. Il est obligé de considérer la relation de notre propre petite sphère à la multitude de soleils et de systèmes comme rien de plus que la relation d’une simple noctiluca à la phosphorescence d’une mer. Par sa foi, l’intellect oriental a été mieux préparé que l’intellect occidental à accepter cette formidable révélation, non comme une sagesse qui accroît la tristesse, mais comme une sagesse qui vivifie la foi. Et je ne peux m’empêcher de penser que, grâce à l’union future certaine des connaissances occidentales, [ p. 210 ] Avec la pensée orientale, un néo-bouddhisme doit finalement naître, héritant de toute la force de la science, mais spirituellement capable de récompenser le chercheur de vérité par la récompense prédite dans le douzième chapitre du Sûtra du Tailleur de Diamants. Si l’on prend le texte tel qu’il est, contrairement aux commentateurs, que pourrait-on désirer de plus, de manière désintéressée, d’un enseignement spirituel, que la récompense promise dans ce verset : « Ils seront dotés de la plus haute merveille » ?
Iro wa shian non
Hoka to-wa iédo,
Koré mo saki-sho non
En d’arô.
« En » est un mot bouddhiste qui signifie affinité, relation de cause à effet d’une vie à l’autre.
Sodé suri-ô no mo
Tashô ne m’accompagne pas,
Mashité futari ga
Fukai Naka.
Il est fait ici allusion au vieux proverbe bouddhiste : Sodé no furi-awasé mo tashô no en, « Même le contact des manches en passant est causé par une affinité opérant depuis des vies antérieures. »
Kami wa kitté mo
Ni-sé madé kaketa
Fukai enishi wa
Kiru mono ka?
Littéralement : « Cheveux coupés bien que, deux existences jusqu’à, p. 192 relation profonde, couper-comment-est-ce-possible ? » À la mention de la coupe de cheveux, nous savons que la personne qui parle est une femme. Son mari, ou peut-être son amant, est décédé ; et, selon la coutume bouddhiste, elle manifeste son désir de rester fidèle à sa mémoire en sacrifiant ses cheveux. Pour plus d’informations à ce sujet, voir le chapitre « Des cheveux des femmes » dans mes Aperçus du Japon inconnu.
Ni-sé à chigirishi
Shashin wo nagamé
Omoi-idashité
Warai-gao.
Littéralement : « Deux existences qui ont fait alliance, photographier, regarder, penser, faire ressortir un visage souriant. » L’utilisation du terme shashin, photographie, montre que le poème n’est pas ancien.
Totémo kono yo dé
Soware-nu naraba
Hasu no uténa dé
Ici, c’est parti.
Littéralement : « Par tous les moyens, ce monde-ci, ne peut-vivre-ensemble si, Lotos-du-Palais-dans, nouvelle-maison. » C’est avec cette pensée que les amants meurent volontairement ensemble ; et la chanson pourrait être appelée une chanson de jôshi.
Meguru en kaya ?
Kuruma pas de Watashi
Hiku ni hikarénu
Kono ingwa.
Il y a un jeu de mots dans l’original que je n’ai pas tenté de rendre. Il s’agit d’une union malheureuse – fiançailles ou mariage – dont la femme souhaite se retirer lorsqu’il est trop tard.
Je ne peux pas le faire
Akirameta pas de problème
Mata mo rin-yé dé
Omoi-dasu.
Le mot bouddhiste Rin-yé, ou Rinten, signifie « tourner la Roue », une autre expression pour passer d’une naissance à l’autre. La Roue représente ici le grand Cercle de l’Illusion, le tourbillon du Karma.
Kaäi, kaäi à
Naku mushi yori mo,
Nakanu Hotaru Ga
Mi wo kogasu.
Nanno ingwa dé
Jitsu naki hito ni
Shin wo akashité,—
Aa Kuyashi !
Littéralement « J’aime-j’aime »-disant-crier-insectes que, mieux p. 196-ne-pleure-jamais-luciole, brûlure du corps ! Quel Karma à cause-de-, sincérité-n’est-pas-l’homme-à, esprit-intime-ouvert ? — ah ! regret !, . . On croyait autrefois que la lumière de la luciole brûlait réellement son propre corps.
Tsuki ni murakumo,
Hana ni wa arashi :
Tokaku uki-yo wa
Maman Naranu.
Cette chanson fait particulièrement référence à l’amour malheureux et contient la substance de deux proverbes bouddhistes : Tsuki ni murakumo, hana ni kazé (les masses nuageuses à la lune, le vent aux fleurs) et Mama ni naranu wa uki-yo no narai (être déçu est la règle dans ce monde misérable). « Uki-yo » (ce monde fugace ou malheureux) est l’un des termes bouddhistes les plus couramment utilisés.
Asu ari à
Omo kokoro non
Ada-zakura :
Yo wa ni arashi non
Fukanu monokawa ?
Littéralement : « Demain, ce cœur de fleur de cerisier périssable, n’est-ce pas ? Cette nuit, sous l’orage, il ne soufflera pas, n’est-ce pas ? »
Kagé mo katachi mo
Kiyuréba moto non
Midzu à satoru zo
Yuki-Daruma.
Littéralement : « Ombre et forme aussi, si elle fond, l’eau originelle est, celle qui comprend le Daruma des Neiges. » Daruma (Dharma), le vingt-huitième patriarche de l’école Zen, aurait perdu ses jambes pour être resté trop longtemps en posture de méditation ; et de nombreuses figurines-jouets sans jambes, si équilibrées qu’elles se tiennent toujours debout, même si on les retourne souvent, portent son nom. Les bonhommes de neige fabriqués par les enfants japonais ont la même forme traditionnelle. — L’ami japonais qui m’a aidé à traduire ces vers m’a dit qu’une signification fantomatique se rattache au mot « Kagé » [ombre] ci-dessus ; cela donnerait une signification bien plus profonde à l’ensemble du vers.
Kawaru uki-yo ni
Kawaranu mono wa p. 199
Kawarumai à non
Koi no michi.
Littéralement : « Changer le monde changeant en, ne change pas ce qui, « Nous ne changerons jamais » - dicton de l’Amour de la Voie. »
Honni tsurénai
Ano inadzuma wa
Futa mé minu uchi
Kiyété yuku.
Le dicton bouddhiste « Inadzuma no hikari, ishi no hi » (éclair et étincelle), symbolisant la nature temporaire de tous les plaisirs, est ici évoqué avec humour. La chanson se plaint d’une rencontre trop brève avec un être cher ou un amant.
Rô-shô fujô no
Je suis nagara,
Jisetsu maté à wa
Kiré-kotoba.
Littéralement : « Être vieux-jeune, corps non fixé, temps-attendre-pour-dire, mot-tranchant. » « Ros-hô fujô » est une expression bouddhiste. Le sens de la chanson est : « Puisque tout en ce monde est incertain, me demander d’attendre le jour de notre mariage signifie que tu ne m’aimes pas vraiment ; car l’un de nous pourrait mourir avant le moment dont tu parles. »
Ekô suru toté
Hotoké no maé yé
Futari mukaité,
Konabé daté.
Littéralement : « Répétez les prières en disant, mort-de-présence-en-deux-face-à-face, — cuisson à la petite casserole ! » « Hotoké signifie une personne décédée aussi bien qu’un Bouddha. (Voir mes Aperçus du Japon inconnu : « Le sanctuaire domestique »). Konabé-daté est une expression idiomatique signifiant un tête-à-tête d’amoureux. Elle est dérivée de l’expression Chin-chin kamo nabé (”cuire un canard sauvage à la poêle”), l’idée suggérée étant celle du plaisir éprouvé par un couple amoureux à manger dans le même plat. Chin-chin, une onomatopée, exprime le son de la sauce qui bout.
Sai-no-kawara à
Nushi matsu yoi nous
Koishi, koishi ga
Yama, à Naru.
Une traduction plus littérale serait : « Dans le Sai-no-Kawara (lit asséché de la rivière des Âmes), le soir, en attendant l’être aimé, “Koiski, Koiski” devient une montagne. » Il y a ici un jeu de mots délicat, un jeu de mots sur le mot Koishi, qui, prononcé, mais pas écrit, peut signifier soit « petite pierre », soit « envie de voir ». Dans le lit de la rivière fantôme, Sai-no-Kawa, les fantômes des enfants sont obligés d’empiler de petites pierres, dont le poids augmente au point de mettre leurs forces à rude épreuve. Il y a également une référence à un verset du wasan bouddhiste de Jizô, décrivant les pleurs des enfants appelant leurs parents : « Chichi koishi ! haha koishi ! » (Voir Glimpses of Unfamiliar Japan, vol. I, p. 59-61).
San-zen sékai ni
Otoko wa arédo,
Nushi ni mi-kayeru
Hito wa nai.
« San-zen sekai », les trois mille mondes, est une expression bouddhiste courante. Traduite littéralement, la chanson ci-dessus dit : « Les hommes des trois mille mondes existent, mais l’amant-à-échanger n’existe pas. »
Chi-no-Iké-Jigoku mo,
Tsuragi-no-Yama mo,
Futari-dzuré nara,
C’est un sénu.
L’Enfer du Lac de Sang est un enfer pour les femmes ; et la Montagne des Épées est généralement représentée dans les estampes bouddhistes comme un lieu de punition infernale pour les hommes en particulier.
San-zen sékai non
Karasu wo koroshi
Nushi à soi-né ga
Merde mitai!
1 kôti = 10 000 000. ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
« Jigoku » est le nom bouddhiste de divers enfers (sansc. narakas). Il s’agit ici d’une allusion au proverbe Funa-ita ichi-mai shita wa Jigoku : « Sous l’épaisseur d’une seule planche de bateau se trouve l’enfer », en référence aux périls de la mer. Cette chanson est une satire de la jalousie ; et le bateau dont il est question est probablement un bateau de plaisance couvert, tel qu’on y fait des excursions au son de la musique. ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
Tsuki-yo-garasu, lit. : « corbeaux de la nuit de lune ». Les corbeaux annoncent généralement l’aube par leur croassement ; mais parfois, les nuits de clair de lune, ils croassent à toute heure du coucher du soleil jusqu’à son lever. La cloche en question est celle d’un temple bouddhiste : l’aké-no-kane, ou « cloche de l’aube », sonnée dans toutes les régions du Japon depuis chaque tera bouddhiste. Il y a un jeu de mots dans l’original : l’expression tsukenai, « ne peut pas mentir », pourrait aussi être interprétée phonétiquement comme « ne peut pas sonner une cloche ». ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎