[ p. 60 ]
Au VIe siècle avant la naissance du Christ, l’Inde, qui bouillonnait depuis longtemps de pensée spirituelle, donna au monde un grand maître. Fils d’un chef indien, Gaudama Bouddha [1] s’efforça pendant de nombreuses années de trouver cette illumination intérieure sur les « grandes choses », qui était le rêve chéri de tout penseur sérieux de cette époque remarquable. Après avoir suivi, en vain, les sentiers de la spéculation métaphysique, de la discipline mentale et de la rigueur ascétique, il récolta, lors d’une nuit mémorable, le fruit de son long effort spirituel, la vérité des choses lui étant soudain révélée si clairement que, dès lors, il ne dérogea plus un seul instant [ p. 61 ] de sa dévotion à sa foi et à la mission qu’elle lui imposait.
Quel était le credo de Bouddha ? Qu’a-t-il enseigné à l’humanité, et sur quelles idées dominantes fondait-il son enseignement ? Il est, je pense, à la fois plus facile et plus difficile d’interpréter le credo de Bouddha que celui du Christ. Incontestablement plus facile, dans certaines limites clairement définies. Peut-être plus difficile, une fois ces limites dépassées.
Que l’enseignement moral du Bouddha ait été de telle nature, que le plan de vie soigneusement élaboré qui lui a toujours été attribué lui appartienne réellement, cela ne fait guère de doute. Sur ce point, il me suffira de citer l’autorité de deux érudits bouddhistes bien connus. « Lorsqu’on se souvient », dit le Dr Rhys Davids, « que le Bouddha Gaudama n’a pas laissé derrière lui un certain nombre de paroles profondément simples, à partir desquelles ses disciples ont ensuite construit un ou plusieurs systèmes, mais qu’il a lui-même élaboré sa doctrine en profondeur, en partie quant aux détails, après, mais dans ses points fondamentaux avant même le début de sa mission ; que durant sa longue carrière d’enseignant, il a eu amplement le temps de répéter sans cesse les principes et les détails du système à ses disciples, et de tester leurs connaissances ; et enfin que ses principaux disciples étaient, comme lui, habitués aux distinctions métaphysiques les plus subtiles, et formés à cette merveilleuse maîtrise de la mémoire que possédaient alors les ascètes indiens ; Lorsque ces faits sont rappelés à l’esprit, on constate qu’on peut raisonnablement accorder beaucoup plus de confiance aux parties doctrinales [ p. 62 ] des Écritures bouddhistes qu’aux documents correspondants plus récents d’autres religions. » Le Dr Oldenberg s’exprime dans le même sens général : « Dans l’ensemble, nous serons autorisés à rapporter au Bouddha lui-même les courants de pensée les plus essentiels que nous trouvons consignés dans les Textes Sacrés, et dans de nombreux cas, il n’est probablement pas exagéré de croire que les mots mêmes dans lesquels l’ascète de la maison Sakya a formulé son évangile de délivrance, nous sont parvenus tels qu’ils sont sortis de ses lèvres. Nous constatons que dans le vaste complexe de littérature bouddhiste ancienne qui a été rassemblée, certaines devises et formules, l’expression des convictions bouddhistes sur certains des problèmes les plus importants de la pensée religieuse, sont exprimées à maintes reprises sous une forme standard adoptée une fois pour toutes. Pourquoi ces paroles ne seraient-elles pas celles du fondateur du bouddhisme, prononcées par lui des centaines et des milliers de fois tout au long de sa longue vie consacrée à l’enseignement ? » Quoi qu’ait pu être Bouddha, il était un enseignant sérieux et méthodique, profondément convaincu que sa mission était de guider les hommes sur le chemin du salut, un chemin large, tel qu’il le concevait, mais clairement défini ; et comme sa vie missionnaire a duré quarante-cinq ans, et a été une vie de prédication et d’enseignement incessants, nous pouvons bien croire qu’il a tracé la voie avec un soin et une précision extrêmes, et que le plan de vie ainsi élaboré a été préservé dans tous ses détails par la mémoire persistante de ses auditeurs et de leurs disciples, et est parvenu intact jusqu’à nos jours. Nous pouvons également supposer avec confiance [p.63] cette tradition a fidèlement conservé la partie de son enseignement où il donnait les raisons de la foi qui était en lui. Il est certain qu’il exhortait les hommes à entrer et à marcher sur le chemin afin que, en éteignant tout désir des choses terrestres, ils puissent être délivrés de la vie terrestre et de ses souffrances, et atteindre cet état béni qu’il appelait Nirvâna. Il est également certain qu’il croyait à la réincarnation et tenait pour acquis que ceux qui l’écoutaient partageaient cette croyance ; et que, par conséquent, il entendait par délivrance de la terre la délivrance du « tourbillon de la renaissance », la délivrance du cycle des vies terrestres que l’âme non éclairée est vouée à traverser.
Cela est pratiquement certain. Mais lorsque nous nous demandons ce que Bouddha entendait par réincarnation – une question incontournable qui soulève évidemment d’autres questions plus vastes et plus profondes – nous touchons au bord de l’obscur et du douteux ; et l’étape suivante nous conduit dans un domaine de pure conjecture où il n’existe pour l’instant ni chemin ni guide.
Ce changement soudain et complet s’explique par deux raisons principales. La première est que, même lorsqu’un grand maître parle longuement des réalités ultimes de l’existence (ou de ce qu’il considère comme telles), il est extrêmement difficile de discerner ce qu’il croit réellement. Dans le domaine de la spéculation métaphysique, que nous réfléchissions par nous-mêmes ou que nous essayions d’interpréter les idées d’autrui – les deux entreprises n’en font qu’une – nous sentons (si nous sommes qualifiés pour l’une ou l’autre de ces tâches) que nos pensées sont totalement inadaptées à la solution de nos problèmes, et que nos mots, outre leur instabilité protéiforme, sont totalement inadaptés à l’expression de nos pensées. Qui, sinon le novice en pensée spéculative, oserait affirmer avec assurance des mots tels qu’Âme, Égo, Personne, Conscience, Être, Réalité, Univers, Dieu ; des mots qui ont des significations différentes selon les esprits ; des mots qui prennent de nouvelles nuances de sens à chaque nouveau point de vue que le penseur trouve nécessaire d’adopter, et même à chaque nouveau contexte que le cours de sa pensée lui suggère ; des mots qui montent la garde au portail de toute enquête métaphysique, et refusent de nous laisser passer avant que nous ayons lu l’énigme de leur signification et ainsi répondu à leur défi sans réponse ?
La deuxième raison de notre incertitude quant aux fondements métaphysiques sur lesquels Bouddha a fondé son enseignement éthique est que lui-même était si loin de dogmatiser l’ultime qu’il gardait un silence profond et constant à son égard. La signification et la portée de ce silence seront examinées plus loin. En attendant, je ne peux que dire, avec le Dr Oldenberg, que dans la philosophie bouddhiste (telle qu’elle nous est présentée dans les Écritures sacrées), « nous avons un fragment de cercle dont il est interdit de compléter et de trouver le centre, car cela impliquerait une recherche de choses qui ne contribuent ni à la délivrance ni au bonheur. »
Examinons maintenant ce qui est clair et certain dans l’enseignement du Bouddha, puis avançons à partir de là vers ce qui est douteux et obscur. Il convient de commencer, comme Bouddha lui-même l’a fait, par les Quatre Vérités Sacrées. Dans le Sermon aux Cinq Ascètes de Bénarès, que la tradition présente comme l’acte d’ouverture du ministère du Bouddha, la Quadruple Vérité est énoncée dans les termes suivants :
Il y a deux extrêmes, ô moines, dont celui qui mène une vie religieuse doit s’abstenir. Quels sont ces deux extrêmes ? L’un est une vie de plaisir, vouée au désir et à la jouissance ; c’est une vie basse, ignoble, immorale, indigne, irréelle. L’autre est une vie de mortification ; elle est sombre, indigne, irréelle. Le Parfait, ô moines, s’est éloigné de ces deux extrêmes et a découvert la voie qui se trouve entre les deux, la voie médiane qui illumine l’esprit, qui mène au repos, à la connaissance, à l’illumination, au Nirvâna. Et quelle est, ô moines, cette voie médiane, que le Parfait a découverte, qui illumine l’œil et l’esprit, qui mène au repos, à la connaissance, à l’illumination, au Nirvâna ? C’est ce sentier octuple sacré, comme on l’appelle : Foi Juste, Résolution Juste, Parole Juste, Action Juste, Vie Juste, Effort Juste, Pensée Juste, Concentration Juste sur Soi. Ceci, ô moines, est la voie médiane, que le Parfait a découverte, qui éclaire l’œil et éclaire l’esprit, qui conduit au repos, à la connaissance, à l’illumination, au Nirvâna.
« Ceci, ô moines, est la vérité sacrée de la souffrance : la naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la mort [ p. 66 ] est souffrance, être uni à ce qui n’est pas aimé est souffrance, être séparé de ce qui est aimé est souffrance, ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance, bref, le quintuple attachement au terrestre est souffrance.
« Ceci, ô moines, est la vérité sacrée de l’origine de la souffrance ; c’est la soif d’être, qui mène de naissance en naissance, avec la luxure et le désir, qui trouvent satisfaction ici et là : la soif des plaisirs, la soif d’être, la soif du pouvoir.
« Ceci, ô moines, est la vérité sacrée de l’extinction de la souffrance ; l’extinction de cette soif par l’annihilation complète du désir, en le laissant aller, en l’expulsant, en se séparant de lui, en ne lui laissant aucune place.
« Ceci, ô moines, est la vérité sacrée du chemin qui mène à l’extinction de la souffrance ; c’est ce chemin sacré octuple, à savoir : la Foi Juste, la Résolution Juste, la Parole Juste, l’Action Juste, la Vie Juste, l’Effort Juste, la Pensée Juste, la Concentration Juste sur Soi. » [2]
Telle est la Quadruple Vérité, sur laquelle repose tout le projet de vie du Bouddha. Essayons de l’exprimer en termes plus concis :
(1) La vie sur terre est pleine de souffrance.
(2) La souffrance est générée par le désir.
(3) L’extinction du désir implique l’extinction de la souffrance.
(4) L’extinction du désir (et donc de la souffrance) est le résultat d’une vie juste.
Il y a un lien dans l’enseignement du Bouddha qui semble manquer. Pourquoi le désir engendre-t-il la souffrance ? La réponse à cette question est donnée dans un discours que Bouddha aurait tenu avec les cinq ascètes peu après leur avoir exposé les Quatre Vérités Sacrées.
« L’Exalté, raconte la tradition, » s’adressa ainsi aux cinq moines :
« La forme matérielle, ô moines, n’est pas le soi. Si la forme matérielle était le soi, ô moines, elle ne pourrait être sujette à la maladie, et un homme pourrait dire de sa forme matérielle : Mon corps sera ceci et cela ; mon corps ne sera pas ceci et cela. Mais dans la mesure où la forme matérielle n’est pas le soi, elle est donc sujette à la maladie, et un homme ne pourrait dire de sa forme matérielle : Mon corps sera ceci et cela. »
« Les sensations, ô moines, ne sont pas le soi » — et suit, concernant les sensations, le même exposé détaillé que celui donné pour le corps. Vient ensuite la même explication détaillée concernant les trois autres éléments constitutifs : les perceptions, les conformations et la conscience, qui, combinés à la forme matérielle et aux sensations, constituent l’état d’être sensible de l’homme. Le Bouddha poursuit :
« Comment pensez-vous alors, ô moines, que la forme matérielle est permanente ou impermanente ? »
« Éphémère, Sire. »
« Mais ce qui est impermanent, est-ce la tristesse ou la joie ? »
« Tristesse, Sire. »
[ p. 68 ]
« Mais si un homme considère dûment ce qui est impermanent, plein de tristesse, sujet au changement, peut-il dire : ceci est à moi, cela est moi, cela est moi-même ? »
« Sire, il ne peut pas. »
Suit ensuite la même exposition en termes similaires concernant les sensations, les perceptions, les conformations et la conscience : après quoi le discours continue :
« C’est pourquoi, ô moines, quoi que ce soit de forme matérielle, de sensations, de perceptions, etc., qui ait jamais existé, existe ou existe, que ce soit dans notre cas ou dans le monde extérieur, fort ou faible, bas ou élevé, lointain ou proche, n’est pas le soi : celui qui possède la véritable connaissance doit le percevoir en vérité. Quiconque considère les choses sous cet angle, ô moines, étant un auditeur sage et noble de la parole, se détourne de la sensation et de la perception, de la conformation et de la conscience. Lorsqu’il s’en détourne, il se libère du désir ; par la cessation du désir, il obtient la délivrance ; dans la délivrance, naît la conscience de sa délivrance ; la renaissance est éteinte, la sainteté est accomplie, le devoir est accompli ; il sait qu’il n’y a plus de retour en ce monde. » [3]
Nous comprenons maintenant ce qu’est le désir qui engendre la souffrance, et pourquoi il l’engendre. C’est le désir de ce qui n’appartient pas au « soi » – le vrai soi [4]\ – qui engendre la souffrance ; et la raison pour laquelle un tel désir engendre la souffrance est que ce qui n’appartient pas au vrai soi est impermanent, changeant, périssable, et que l’impermanence de l’objet du désir doit nécessairement causer déception, regret, désillusion et autres formes de souffrance à celui qui désire. La tendance à s’identifier à ce qui est matériel et temporel, et donc à désirer pour soi-même des biens et des plaisirs matériels et temporels, est la principale cause de la souffrance humaine ; car, lorsque de tels biens et plaisirs sont désirés, le succès dans leur poursuite est peut-être plus dommageable et à peine moins douloureux que l’échec. Et non seulement cette tendance, avec le désir qui en découle, cause de la souffrance dans la vie terrestre présente, mais elle provoque aussi la reproduction de la souffrance pour le soi dans les vies terrestres futures ; car c’est le désir des biens et des plaisirs terrestres qui, agissant comme une puissante force magnétique, attire le soi vers la terre encore et encore. Le désir en soi n’est pas mauvais. Sur ce point, l’enseignement du Bouddha ne doit pas être mal compris. Il est expressément dit à ses disciples – c’est la somme et la substance même de son enseignement – de désirer et de lutter pour l’illumination, la délivrance, le Nirvâna. Le désir des plaisirs, ou plutôt des joies, qui servent le soi réel, est entièrement bon. C’est le désir des plaisirs qui servent le soi inférieur ; c’est le désir d’affirmer le soi inférieur, d’y vivre, de s’y accrocher, de s’y reposer ; C’est le désir de s’identifier au soi individuel et au monde impermanent qui le constitue, au lieu de s’identifier au Soi Universel et au monde éternel dont il est à la fois le centre et la circonférence ; c’est ce désir, qui prend mille formes, qui est mauvais et qui se révèle mauvais en causant d’incessantes souffrances à l’humanité. Si le soi doit être délivré de la souffrance, le désir de ce qui est impermanent, changeant et irréel doit être éteint ; et l’extinction progressive des désirs indignes doit donc être le but central de la vie.
Mais comment éteindre le désir, avec la souffrance qu’il engendre ? La réponse à cette question est la Quatrième Vérité Sacrée : « Voici, ô moines, la vérité sacrée du chemin qui mène à l’extinction de la souffrance : c’est le chemin octuple sacré, à savoir : la Foi Juste, la Résolution Juste, la Parole Juste, l’Action Juste, l’Effort Juste, la Pensée Juste, la Concentration Juste sur Soi. »
Il n’y a pas de partie de l’enseignement du Bouddha où sa sagesse transparaît plus clairement qu’en cela. On pourrait d’abord penser que l’Action Juste est primordiale. Bouddha ne le pense pas. La Parole Juste, l’Action Juste et la Vie Juste peuvent peut-être être regroupées sous le terme général de Conduite Juste ; mais il existe d’autres éléments de la Droiture que Bouddha semble considérer comme tout aussi importants que ceux-ci, à savoir la Foi Juste, la Résolution Juste, l’Effort Juste, la Pensée Juste et la Concentration Juste sur Soi. Autrement dit, Bouddha accorde autant d’importance à l’aspect intérieur qu’à l’aspect extérieur de la moralité ; et il voudrait nous faire comprendre que la conduite, séparée de la foi, de la pensée et du but, n’a aucune valeur. Sous la Loi juive – du moins dans les développements ultérieurs du légalisme – l’action juste était considérée comme la seule chose nécessaire. Les conséquences de cette hypothèse furent extrêmement désastreuses. Une conception mécanique et quasi matérielle de la vie et du devoir fut introduite au cœur même de la religion et de la morale ; et la liberté spirituelle fut écrasée par le poids toujours croissant de règles étroites, rigides et despotiques. Bouddha, comme d’autres maîtres de morale, jugea nécessaire de donner aux hommes des règles de conduite ; mais non seulement il les rendit aussi peu nombreuses, simples et complètes que possible, mais en associant la foi, la pensée et le but à la parole et à l’action, en inculquant à ses disciples que l’aspect intérieur de la conduite compte au moins autant que l’aspect extérieur, il prévint cette misérable prolifération de règles triviales, inévitable dès lors que l’action juste est considérée comme une fin en soi ; et ce faisant, il protégea la liberté spirituelle de la forme de contrainte la plus oppressive et la plus mortelle.
Néanmoins, lorsque nous avons réalisé que l’aspect intérieur de l’action – ses approches intérieures et ses conséquences intérieures – est tout aussi réel et significatif que l’aspect extérieur, nous pouvons affirmer avec certitude, ce que Bouddha n’aurait pas nié, que la Conduite Juste est l’aspect de la Droiture qui nous concerne le plus. Ce que nous faisons, outre le fait d’être le signe extérieur et visible de notre état intérieur et spirituel, réagit naturellement et nécessairement sur ce que nous sommes, façonnant ainsi notre caractère et déterminant notre destinée – car « le caractère est la destinée » – tant dans cette vie terrestre que dans les vies futures. Cela étant, et la conduite étant l’aspect de l’attitude générale d’un homme pour lequel des directives sont [ p. 72 ] à la fois les plus nécessaires et les plus faciles à donner, il n’est pas étonnant que Bouddha ait pensé nécessaire de formuler des règles morales pour guider ses disciples, des hommes qui étaient vraisemblablement ignorants et non éclairés (car son message s’adressait à tous les hommes) et qui avaient donc besoin d’une certaine mesure de direction éthique.
En élaborant son code moral, Bouddha, selon son habitude, s’écarta largement des précédents et démontra que, dans sa conception de la vie, il était très en avance sur son époque. Les législateurs éthiques de l’Antiquité s’adressaient à un public relativement restreint – une cité, une tribu ou un peuple ; ils entrait dans les détails, leurs règles étant nombreuses et précises ; et ils dépassaient largement les limites de l’éthique proprement dite, les neuf dixièmes de leurs règles étant civiles ou cérémonielles plutôt qu’éthiques (au sens strict, mais aussi plus large et plus spirituel du terme). Bouddha, au contraire, s’adressait au plus large de tous les publics, à l’humanité tout entière : il s’abstenait soigneusement d’entrer dans les détails, ses règles étant peu nombreuses, simples et exhaustives ; et il s’en tenait entièrement aux limites de l’éthique proprement dite, limites qu’on peut presque dire – tant son enseignement était original et formateur – qu’il fut le premier à définir.
Voici son Code de Loi Morale.
Le croyant est requis
1. Ne tuer aucun être vivant.
2. Ne pas mettre la main sur la propriété d’autrui.
3. Ne pas toucher la femme d’autrui.
4. Ne pas dire ce qui est faux.
5. Ne pas boire de boissons enivrantes.
[ p. 73 ]
Ce code est simple, mais aussi profond qu’il l’est. Son extrême simplicité signifie d’abord que son autorité est, pour l’essentiel, évidente ; autrement dit, qu’il fait directement appel au sens moral latent de l’homme et, ce faisant, le forme et l’aide à grandir. Ensuite, le fait que les règles soient toutes des interdictions signifie que le croyant doit, avant tout, faire preuve de maîtrise de soi. La raison pour laquelle il doit faire preuve de maîtrise de soi est que la délivrance de la souffrance passe par la suppression des désirs indignes, et que sans maîtrise de soi, le désir ne peut être réprimé. Les cinq règles indiquent cinq directions principales dans lesquelles sa maîtrise de soi doit s’exercer. Ainsi, la première règle l’invite à maîtriser la passion de la colère ; la deuxième, le désir de biens matériels ; la troisième, les convoitises charnelles ; la quatrième, la lâcheté et la malveillance (principales causes du mensonge) ; la cinquième, le désir d’excitation malsaine. Il est à noter que les désirs et les passions que le croyant est appelé à réprimer sont ceux qui sont les plus nuisibles à sa vie intérieure, les plus générateurs de souffrance pour lui-même et pour ses semblables. En apprenant à se maîtriser à leur égard, non seulement il apporte le bonheur à lui-même et aux autres, mais il se renforce également pour l’œuvre plus générale de suppression des désirs indignes de toute sorte. Mais les cinq règles sont bien plus que de simples interdictions. La maîtrise de soi prépare nécessairement la voie au développement des vertus les plus positives et actives. Lorsque les tendances les plus basses de la nature humaine sont maintenues sous un contrôle si strict qu’elles perdent au moins leur bassesse et cessent d’entraver l’épanouissement des tendances les plus nobles, ces dernières doivent nécessairement commencer à germer. Ainsi, la maîtrise de la colère préparera la voie à l’épanouissement de la douceur et de la compassion ; la maîtrise de la convoitise, pour le développement de la charité et de la générosité ; la maîtrise de la luxure, pour le développement de la pureté et de l’amour désintéressé ; et ainsi de suite. « Comment un moine devient-il participant de la droiture ? » demande Bouddha. La réponse est : « Un moine s’abstient de tuer des créatures vivantes ; il s’abstient de causer la mort d’êtres vivants ; il pose le bâton ; il dépose les armes. Il est compatissant et tendre ; il recherche avec un esprit bienveillant le bien-être de tous les êtres vivants. Cela fait partie de sa droiture. » Qu’un homme s’abstienne de toute méchanceté envers ses semblables et les autres « créatures vivantes » – et les germes de bonté, de douceur et de compassion qui sommeillent en lui commenceront à se développer spontanément. Il en va de même pour les autres règles.
Pourtant, Bouddha a eu la sagesse de limiter sa loi formulée aux commandements négatifs. Si un commandement positif doit inciter les hommes au bien, il doit être en quelque sorte un conseil de perfection ; et rares sont ceux qui peuvent recevoir un conseil de perfection dans l’esprit dans lequel il leur est, ou devrait leur être, donné. Certaines natures sont surmenées par lui et perdent leur équilibre spirituel. D’autres l’interprètent littéralement, rendant ainsi absurde son sens transcendant. D’autres encore (la majorité) l’écoutent, mais n’y prêtent aucune attention. Pour les hommes ordinaires, il est préférable d’aborder le côté actif et positif de la vertu – progressivement et naturellement – par le biais de la maîtrise de soi. Il faut également se rappeler que la formulation d’une loi morale positive tend, surtout à une époque de cérémonialisme, à freiner le développement de la conscience, cette faculté même que, dans le modèle de vie bouddhiste, les hommes ont le plus besoin de cultiver. Lorsqu’un homme accomplit des actes de bonté et de compassion (disons), non pas parce que sa nature supérieure, agissant par son sens moral, l’y incite, mais parce qu’il en est formellement chargé, le danger existe que son sens moral, constatant qu’il n’a que peu ou pas de travail à fournir, que ce soit comme guide ou comme incitation, perde progressivement de son énergie, et que l’homme finisse par dépendre entièrement, pour sa guidance morale, de règles formulées et de leurs interprètes professionnels. L’obéissance à un commandement négatif – à condition que ce commandement soit suffisamment large et simple pour que son esprit soit attrayant – ne peut nuire à celui qui obéit, et peut même être très bénéfique, car la discipline de la maîtrise de soi est l’un des meilleurs toniques moraux. Mais lorsque la maîtrise de soi a fait son œuvre, lorsque l’âme, renforcée et disciplinée, est prête à marcher sur le chemin de la vertu active, il est au plus haut point désirable qu’on lui permette de marcher par elle-même (ou sans plus de conseils que ceux implicites dans les interdictions auxquelles elle a obéi), et que rien ne soit fait pour altérer sa perspicacité ou affaiblir sa volonté.
Il y avait donc de sérieuses raisons pour lesquelles l’enseignement éthique du Bouddha [ p. 76 ] était principalement négatif. Il existe cependant une vertu positive inculquée dans toutes les Écritures bouddhiques – la vertu dans laquelle, à son stade embryonnaire, toutes les autres vertus sont présentes à l’état embryonnaire – la vertu dans laquelle, à son stade idéal, toutes les autres vertus sont couronnées et consommées – l’amour. Non pas la passion impersonnelle de l’amour universel – qui viendrait à la fin du Chemin, non pas au commencement – mais le sentiment impersonnel de sympathie, avec tout ce qu’il implique : bonté, douceur, altruisme, compassion. Que cela ait trouvé une place prépondérante dans le schéma de vie bouddhique était inévitable, car, lorsque l’égoïsme a été maîtrisé, le soi est contraint, par la tension expansive de sa propre nature intérieure, de trouver des canaux pour le débordement de sa vie abondante ; et le canal de débordement le plus sûr et le plus accessible est celui de la sympathie, d’abord envers les autres hommes, puis envers tout être vivant. Mais le processus ainsi amorcé – un processus de réalisation de soi par l’expansion de soi – ne cessera que lorsque la sympathie se sera transformée en passion d’amour spirituel, et que la vie individuelle se sera immédiatement perdue et retrouvée dans la Vie Universelle, qui est et a toujours été son véritable moi.
Lorsqu’un enseignant tente de mettre le salut à la portée de tous, il se heurte à la difficulté que représentent les hommes à différents stades de développement spirituel, et que des règles de vie suffisantes pour le plus grand nombre peuvent s’avérer trop élémentaires pour quelques-uns. Non pas que ces derniers doivent ignorer ces règles ou négliger de les observer. Qu’ils les observent pleinement et fidèlement, et qu’ils n’osent jamais les transgresser, cela va de soi. Mais les règles de vie plus simples doivent être complétées, dans ces cas exceptionnels, par d’autres, à la fois plus élevées et plus exigeantes. Une fois les contreforts de la vie surmontés, des sommets plus difficiles et plus dangereux apparaîtront, et des instructions pour les gravir seront nécessaires et devront être données.
Dans le Chemin Octuple, il y a quatre étapes, chacune d’elles étant marquée par la rupture de certaines des « chaînes » – dix en tout – qui lient l’homme à la terre et à lui-même.
Dans la première étape, celle de la « Conversion » ou de « l’entrée dans le courant », trois chaînes sont brisées :
(1) L’illusion du soi ; la croyance illusoire que le soi individuel est réel et existe par lui-même. Cette entrave est à juste titre placée en tête de liste ; car l’attachement à l’individualité, le désir d’affirmer le soi apparent ou réel au lieu d’espérer son expansion dans le soi réel ou universel, a sa contrepartie éthique dans l’égoïsme, et l’égoïsme est le commencement et la fin du péché.
(2) Doute : doute quant à la sagesse de l’enseignant et à l’efficacité du chemin prescrit.
(3) Croyance en l’efficacité des bonnes œuvres et des cérémonies. Le disciple doit se libérer, d’abord de l’illusion générale selon laquelle une action extérieure correcte assurera le salut de l’homme, puis de l’illusion particulière selon laquelle les rites et cérémonies religieux ont une valeur intrinsèque.
Ayant brisé ces chaînes, le disciple entre dans la deuxième étape, « le chemin de ceux qui ne reviendront qu’une fois sur terre ». Dans cette étape, et dans la troisième, « le chemin de ceux qui ne reviendront jamais sur terre », deux autres chaînes sont brisées :
(4) L’entrave de la sensualité ou de la concupiscence charnelle. La croyance selon laquelle les concupiscences charnelles font la guerre à l’âme n’est pas propre au bouddhisme. La difficulté, pour la plupart des religions, et même pour la plupart des hommes, est de trouver le juste milieu entre l’ascétisme rigoureux et le laxisme moral. Bouddha, qui considérait la « vie de mortification » comme « irréelle » et « indigne », s’abstenait soigneusement de surmener la nature humaine dans cette direction particulière. Ce n’est que dans le cas du « moine », ou « dévot religieux », que le renoncement complet aux plaisirs de la chair était prescrit. Mais dans la troisième étape, « le chemin de ceux qui ne reviendront plus sur terre », chacun est en quelque sorte un dévot religieux ; et il ne fait guère de doute, je pense, qu’à ce stade, l’extinction définitive de la concupiscence était envisagée. Si tel était le cas, cet accomplissement serait l’aboutissement d’un long chemin – peut-être poursuivi sur plusieurs vies – de continence et de maîtrise de soi.
(5) L’entrave de la mauvaise volonté. Le disciple doit maîtriser tous les sentiments de colère, de ressentiment, d’envie, de jalousie, de haine, etc., qui naissent de son sentiment d’être séparé du reste de l’humanité, ou plutôt du reste des êtres vivants, et de sa réticence subséquente à s’identifier à la Vie Universelle. Pour se débarrasser de ces sentiments, les premiers bouddhistes prescrivaient un exercice spirituel, éminemment caractéristique de l’esprit général du bouddhisme.
[ p. 79 ]
« Il [le disciple] laisse son esprit imprégner un quart du monde de pensées d’amour, puis le deuxième, puis le troisième, puis le quatrième. Et ainsi, le vaste monde, en haut, en bas, autour et partout, il continue d’imprégner d’un cœur d’amour, d’une portée immense, grandi et incommensurable. De même qu’un puissant trompettiste se fait entendre sans difficulté dans les quatre directions, de même, de toutes les choses qui ont une forme, il n’en passe pas une qu’il néglige, mais les considère toutes avec un esprit libre et un amour profond. » L’exercice est alors répété, remplaçant chaque fois l’amour par la pitié, puis la sympathie, puis l’équanimité. Ainsi, la force de la cinquième entrave est progressivement affaiblie, et finalement détruite. [5]
Les deuxième et troisième étapes sont entièrement consacrées à la lutte contre les nombreux ennemis de la vie supérieure qui combattent sous les bannières de la sensualité et de la malveillance. Une fois tous vaincus, le disciple entre dans la quatrième étape, « la voie des Saints, ou Arahats ». Là, il brise, une à une, les cinq entraves restantes, à savoir :
(6) Le désir de vie\—de vie séparée—dans les mondes de la forme.
(7) Le désir de vie\—de vie séparée—dans les mondes sans forme.
(8) Fierté.
(9) L’autosatisfaction.
[ p. 80 ]
Les huitième et neuvième entraves n’auraient-elles pas dû être brisées depuis longtemps ? Peut-être le devraient-elles ; mais Bouddha savait que même à la dernière étape du Chemin ascendant, l’ombre de l’égoïsme peut planer sur la pensée. L’homme qui peut se dire : « C’est moi qui ai parcouru le Chemin. C’est moi qui ai gravi ces sommets. C’est moi qui ai réprimé l’égoïsme. C’est moi qui ai obtenu la délivrance » est encore victime d’illusions. Il lui reste encore des entraves à briser.
(10) Ignorance. La dernière entrave, comme la première, est l’ignorance. De même que le Chemin commence avec l’illumination, il s’achève avec elle. Il commence avec l’illumination potentielle. Il s’achève avec l’illumination réelle. Il commence avec l’illumination partielle. Il s’achève avec l’illumination parfaite. C’est pour la connaissance – la connaissance réelle, définitive, absolue – que le Chemin a été suivi. Savoir que le Soi Universel est son propre Soi véritable, connaître cette vérité, non pas comme une théorie, ni comme une conclusion, ni comme une idée poétique, ni comme une révélation soudaine, mais comme le fait central de sa propre vie intime, connaître cette vérité (au sens le plus intime du mot connaître) en la vivant, en l’étant, est le but ultime de tout effort spirituel. L’expansion du Soi, fruit de l’effort spirituel, entraîne l’expansion de la conscience ; et lorsque la conscience est devenue universelle, l’entrave de l’ignorance est définitivement brisée, et l’illusion du Soi disparaît.
Lorsque la dernière chaîne a été brisée, le disciple – l’« Arahat » ou le « Saint » comme on l’appelle maintenant – a atteint son but ; en d’autres termes, il [ p. 81 ] a atteint un état de connaissance parfaite [6], d’amour parfait, de paix parfaite, de félicité parfaite.
On a tendance à dire qu’il y a quelque chose d’ésotérique dans ce Chemin des Quatre Étapes. On a du mal à l’identifier avec l’Octuple Sentier de la Quatrième Vérité Sacrée. Depuis l’époque du Bouddha jusqu’à nos jours, il n’y a jamais eu d’époque où le nombre d’hommes capables de briser ne serait-ce que la première des Dix Chaînes n’ait pas été extrêmement faible. Qu’en est-il du reste de l’humanité ? Le plan de vie du Bouddha n’était-il pas prévu pour eux ? Ce plan était-il destiné uniquement aux reclus et aux « adeptes » – ou aux aspirants « adeptes » ? Les hommes ordinaires devaient-ils être livrés à eux-mêmes jusqu’à ce que vienne le moment de se « convertir » (par quel miracle, nous ne pouvons guère le deviner) et de réaliser ce qui est si difficile à saisir, même pour les meilleurs d’entre nous : l’irréalité de la vie individuelle ?
Certainement pas. La « conversion » a été heureusement définie comme la « réalisation effective d’une vérité admise [ p. 82 ] ». Le processus qui conduit à la « conversion » se déroule, pour la plupart, dans le silence et l’obscurité. Il y a toujours une longue période de croissance prénatale avant que la nouvelle idée, la nouvelle façon de voir les choses, puisse naître. Les autorités bouddhiques que j’ai consultées ne précisent pas si la première entrave devait être brisée à l’entrée dans la première étape du chemin, ou s’il s’agissait de la première illusion à éliminer après que l’âme soit entrée dans cette étape. Dans ce dernier cas, la difficulté d’identifier le chemin des quatre étapes avec le chemin octuple disparaît ; Car il est tout à fait concevable que l’âme s’attarde longtemps dans la Première Étape, et même qu’elle traverse, durant son séjour, une série de vies terrestres, avant de réaliser que son sentiment de séparation est illusoire. Dans le premier cas, nous devons adopter une autre hypothèse. Nous devons supposer qu’avant de pouvoir accéder à la première des Quatre Étapes, la plupart des hommes doivent passer par une longue phase préliminaire de préparation, durant laquelle ils suivent, peut-être pendant une série de vies, les règles de la Conduite Juste – les simples règles de bonté, d’honnêteté, de continence, de véracité, de tempérance – jusqu’à ce qu’enfin la réaction de la Conduite Juste sur le caractère, et l’expansion du Soi et l’élargissement du champ de sa conscience qui en résultent, leur permettent d’entrer sur le Chemin véritable, le Chemin qui les mènera, avec le temps, au but de l’union consciente avec le Tout Vivant. Dans les deux cas, nous pouvons tenir pour acquis qu’avant que la Première Chaîne puisse être brisée et jetée de côté, l’âme doit s’efforcer d’acquérir la [ p. 83 ] force qui lui permettra d’accomplir cet acte initiatique de renonciation, et que ce n’est que par une ligne de « Bonne Conduite » – par l’exercice constant de la maîtrise de soi et la culture de la sympathie – qu’elle peut acquérir la force dont elle a besoin.
Quoi qu’il en soit, nous sommes libres de considérer la Quadruple Vérité comme un message adressé à l’humanité entière. Les hommes pourraient accepter ce message, et même commencer, à leur manière hésitante et hésitante, à le suivre, avant d’être aptes à progresser vers les étapes plus ésotériques du Chemin de la Vie. Mais ces étapes doivent être franchies – Bouddha aurait insisté là-dessus de toute son autorité – avant que le but puisse être atteint. Les miracles, au sens surnaturel du terme, ne se trouvent pas plus dans le monde moral que dans le monde physique. Il est concevable que mon voisin, dont le développement spirituel est bien plus avancé que le mien, puisse achever le Chemin en 50 ans, tandis que mon séjour sur ce Chemin peut durer 50 000 ans ; mais par lui comme par moi, et par moi comme par lui, chaque étape doit être franchie et chaque entrave brisée, si l’on veut remporter le prix promis. On dit parfois que pour les hommes ordinaires, le chemin de l’ascension spirituelle est spiralé, tandis que pour les hommes au développement spirituel exceptionnel, il est direct. C’est peut-être vrai ; ou bien il se peut que pour tous les hommes, le chemin soit spiralé jusqu’à un certain point, et direct au-delà. Mais qu’il soit spiralé, direct, ou les deux, il est certain qu’il doit nous libérer de toute illusion qui nous sépare du Soi Réel, s’il veut nous conduire à notre but.
Quelle que soit l’opinion que nous ayons de l’enseignement du Bouddha, nous devons admettre qu’il n’appartient, par essence, à aucune nation ni à aucune époque. Moïse a légiféré pour les Juifs, Lycurgue pour les Spartiates, Zoroastre pour les Perses, Confucius pour les Chinois, Bouddha pour tous les hommes qui ont des oreilles pour entendre. L’homme, tel que Bouddha le concevait, n’est pas un citoyen, mais une « âme vivante ». La vie que ce système prescrivait, bien que compatible avec un bon civisme et même propice à celui-ci, en est tout à fait indépendante. Elle est également tout à fait indépendante de la caste, de la gradation sociale, des distinctions telles que celle entre prêtre et laïc, entre savant et ignorant, entre gentil et simple, entre riche et pauvre. L’affirmation du Dr Oldenberg selon laquelle Bouddha n’avait aucun message pour les pauvres et les humbles est difficilement défendable. La vie intérieure et spirituelle peut être vécue par les plus pauvres des journaliers tout autant que par les plus riches des millionnaires. Il est même plus facile pour les pauvres que pour les riches d’entrer dans le « Royaume des Cieux », car ils ont moins de liens terrestres à rompre. Lorsque le Dr Oldenberg cite le dicton « aux sages appartient la loi, non aux insensés » et en conclut que « pour les enfants et ceux qui sont comme des enfants, les bras du Bouddha ne sont pas ouverts », il joue sur le mot « sage ». La sagesse magnifiée par Bouddha n’était pas celle de l’intellectuel, du savant, du cultivé, mais celle de ceux qui ont appris, en marchant sur le Chemin de la Vie, à distinguer les ombres des réalités. La simplicité du code éthique du Bouddha le met à la portée des natures les plus simples. Il est certainement possible à ceux « qui sont comme des enfants » d’être bienveillants envers leurs semblables, de s’abstenir d’envie et de convoitise, de [ p. 85 ] contrôler les désirs charnels, être sincère en paroles et en actes. S’il y a des sommets à gravir au-delà de ceux dont l’« enfantin » peut rêver, l’âme ne sera pas invitée à les gravir avant que, par la pratique d’une vie de simple bonté, elle ne soit devenue suffisamment forte pour la tâche la plus ardue. La grandeur du Bouddha en tant qu’enseignant est prouvée par le fait que son plan de vie, si simple et pourtant si complexe, si évidemment et pourtant si profondément vrai, si modeste dans ses objectifs et pourtant si audacieusement ambitieux, si modéré et pourtant si extravagant dans les exigences qu’il impose à nos ressources spirituelles, répond aux besoins de tous les hommes, à tous les stades de développement, de tous les types de caractère, de tous les types d’esprit.
Il y a un aspect de l’enseignement du Bouddha qui exige notre attention particulière, car il semble imprégner, telle une atmosphère, l’ensemble de son plan de vie. Nous savons par expérience que nos actions produisent des conséquences profondes que nous pouvons suivre, tant latéralement que linéairement, sur une distance considérable. Nous savons, par exemple, que nos actions affectent nos conditions matérielles et celles des autres ; qu’elles produisent des conséquences sociales qui ont un large cercle de perturbations ; qu’elles affectent, en bien ou en mal, notre propre caractère et, dans une moindre mesure, celui de ceux avec qui nous sommes en contact fréquent. Nous savons aussi, si nous prenons la peine d’y réfléchir, que ces conséquences sont les effets naturels et nécessaires des causes que notre action met en mouvement ; et, si nous suivons cette [ p. 86 ] ligne de pensée, nous arriverons probablement à la conclusion que le monde moral tout entier, sous ses deux aspects – extérieur et intérieur – est, comme le monde physique, sous la domination de la loi naturelle. C’est à cet aspect de la moralité que Bouddha attachait une importance suprême. Selon la loi du Karma, qu’il n’a pas été le premier à formuler mais qu’il a acceptée sans réserve, les conséquences des actions d’un homme – au premier rang desquelles son effet sur son caractère – le suivent, non seulement tout au long de sa vie (au sens vulgaire du terme), mais aussi de vie en vie, jusqu’à épuisement de leur influence.
« Les Livres disent bien, mon frère ! la vie de chaque homme
Le résultat de sa vie passée est. » [^17]
[paragraphe continue] Ce que nous avons fait a fait de nous ce que nous sommes. Ce que nous faisons, c’est façonner notre caractère et déterminer l’orientation de son développement. Lorsqu’un homme meurt, il emporte son caractère avec lui. Lorsqu’il revient sur terre, il le ramène avec lui, un caractère qui détermine la nature même de son environnement matériel, car l’âme qui se réincarne recherche (selon la doctrine du Karma), ou se fait attribuer, l’environnement particulier qui est à la fois le plus conforme à sa nature et le plus propice à son développement.
« Ce que vous semez, vous le récoltez. Regardez ces champs là-bas !
Le sésame était du sésame, le maïs
C’était du maïs. Le Silence et les Ténèbres le savaient !
Ainsi naît le destin d’un homme.
« Il vient, moissonneur de ce qu’il a semé, . . . » [^17]
[ p. 87 ]
L’idée qui imprègne tout l’enseignement du Bouddha est que tout ce que nous semons, nous devons le récolter ; en particulier, que rien ne peut s’interposer entre notre conduite et ses conséquences intérieures ; que chaque pensée, chaque mot, chaque acte nous fait ou nous détruit ; enfin, que notre destinée spirituelle, qui après tout est notre véritable destinée, est entre nos mains.
Avec sa sagesse caractéristique, Bouddha n’a pas tenté de concilier la liberté humaine avec la suprématie de la loi naturelle. Il a probablement compris que l’opposition de la liberté à la loi est une fausse antithèse, l’une des conséquences fatales du dualisme de la pensée ordinaire. Quiconque envisagerait les choses du point de vue de la philosophie des Upanishads saurait que l’énigme du libre arbitre, qui a enchevêtré la pensée occidentale dans tant d’embrouilles désespérées, n’est qu’une « idole de la caverne ». Il saurait que le Soi Réel ou Suprême – étant, par hypothèse, universel et éternel, et donc exempt de toute contrainte extérieure – est absolument libre. Il saurait que le Soi Réel est présent en puissance dans chaque vie individuelle, et que chaque « âme vivante » est donc potentiellement libre. Il saurait, en outre, que le développement de l’âme, vers son véritable soi, est toujours marqué par la croissance de la liberté ; et il en déduirait que la liberté varie, dans son degré de développement, d’une âme à l’autre, et que, d’une manière générale, elle se perd ou se gagne par la conduite. Mais bien qu’aucun homme ne soit absolument libre, et bien que chez la plupart des hommes la liberté n’ait qu’une existence rudimentaire, il comprendrait que la meilleure façon de favoriser sa croissance est de postuler son existence et d’en appeler à elle, comme le sage maître en appelle toujours (bien qu’ici aussi il en appelle probablement à ce qui n’a qu’une existence rudimentaire) au meilleur de l’être humain. En fin de compte, loin d’enseigner que la liberté est incompatible avec la loi, il comprendrait que la loi de la croissance de la liberté – la loi apparemment paradoxale selon laquelle la liberté, sans laquelle l’action morale est impossible, est elle-même engendrée par l’action morale – est l’une des lois maîtresses de la vie humaine. Que Bouddha ait ou non accepté les idées des Upanishads est une question que nous examinerons bientôt. En attendant, il suffit de savoir que, pour ses propres fins pratiques, il a non seulement postulé la liberté dans l’homme, mais - en plaçant la vie intérieure sous la domination de la loi naturelle, et en excluant ainsi toute influence étrangère - il a imposé un fardeau énorme à la volonté humaine ; car il a dit aux hommes qu’il leur appartenait, et à eux seuls, de déterminer quel cours devrait prendre le processus de leur développement, et combien de temps devrait durer leur pèlerinage sur terre (de vie en vie).
Or, la première et la dernière des lois de la Nature est celle de la croissance ; et l’enseignant qui soumet la vie intérieure de l’homme à la loi naturelle la soumet aussi, par implication, à la loi de la croissance. Partout où il y a vie, il y a croissance ; autrement dit, il y a un passage progressif de l’existence embryonnaire à la maturité, de l’état de semence, dans lequel sont enveloppées toutes les potentialités de la perfection future, à la perfection elle-même, la perfection de l’espèce ou du type particulier. [ p. 89 ] Cette loi s’applique au soi, tout autant qu’à l’animal ou à la plante. En effet, elle s’applique d’abord et avant tout au soi, et s’applique aux êtres vivants qui nous entourent parce que, et dans la mesure où, eux aussi, sont des manifestations de la vie unique et auto-évolutive. Il existe cependant une différence essentielle entre la croissance de l’âme et celle de tout animal ou plante. « Les lis des champs… Ils ne travaillent pas, et ils ne filent pas : et pourtant… Salomon, dans toute sa gloire, n’était pas vêtu comme l’un d’eux. » Mais si l’âme doit être vêtue de gloire, elle doit à la fois travailler et filer. « Lequel d’entre vous, demande le Christ, peut, en réfléchissant, ajouter une coudée à sa stature ? » L’enseignement de Bouddha se fonde sur l’hypothèse qu’en réfléchissant, nous pouvons ajouter à notre stature spirituelle, que l’âme peut se faire grandir. Bouddha, je pense, si nous pouvions l’interroger, passerait du « pouvoir » au « devoir ». Il dirait que, lorsqu’un certain stade de notre développement est atteint, l’âme ne peut plus croître que ce qu’elle veut, que ce n’est que par l’action de la volonté – elle-même l’un des principaux « courants de tendance » de la Nature – que les forces expansives de la Nature qui sont à l’œuvre dans l’âme peuvent être coordonnées et rendues efficaces. Il dirait que le pouvoir de l’âme de se faire grandir est le fruit même de tout le processus antérieur de sa croissance ; que sa présence est la preuve que le processus a (jusqu’ici) été accompli avec succès ; que si elle fait défaut, le processus préliminaire de croissance n’a pas été poussé assez loin ; que si, après avoir été gagnée, elle s’est atrophiée par désuétude, la croissance de l’âme a été [ p. 90 ] arrêtée et le contre-processus de dégénérescence a commencé.
Afin de mieux saisir le sens et la portée ultérieure de cette conception, comparons-la à celle qui a longtemps dominé la philosophie éthique occidentale. En raison de la myopie de l’esprit occidental, la doctrine selon laquelle l’âme peut accomplir sa destinée éternelle en une seule vie terrestre a pu être généralement acceptée. Cette doctrine est évidemment incompatible avec l’idée que la destinée de l’âme doit être accomplie par le processus vital de croissance ; car il va de soi que, dans l’ordre naturel des choses, ni la dépravation totale ni la perfection absolue ne peuvent être atteintes dans le bref espace d’une seule vie. Comment alors obtenir le « salut » ? Israël, dont l’esprit occidental a hérité sa philosophie populaire, se persuadait que le salut s’obtenait par l’obéissance à une Loi formelle. Cette Loi était l’œuvre du Dieu surnaturel, par qui elle avait été miraculeusement transmise à l’homme. Il n’y avait aucune raison pour que tous, ni même plusieurs de ses commandements, soient moraux, au sens strict du terme. Le Dieu surnaturel, dont les voies sont vraisemblablement impénétrables, pouvait, pour des raisons qui lui étaient propres, ordonner à l’homme de faire des choses apparemment insignifiantes ou déraisonnables. S’il le faisait, l’homme devait obéir. Par ailleurs, il y avait une raison particulière pour laquelle de nombreux commandements de la Loi juive étaient amorals. La fragilité de l’homme est telle qu’il est toujours susceptible de désobéir à Dieu. La désobéissance est odieuse à Dieu et attire sa colère sur le pécheur. Afin d’apaiser Dieu [ p. 91 ] et de détourner sa colère, l’homme doit offrir quelque chose qu’il apprécie particulièrement : un bœuf, un bouc, ou toute autre victime. Ainsi, l’idée de propitiation par le sacrifice est liée à l’idée de salut par l’obéissance à une Loi formulée par Dieu. Les observances sacrificielles, constituant une part importante de la vie humaine, doivent être dûment et formellement réglementées. Autrement dit, les directives cérémonielles doivent toujours constituer une partie essentielle d’une Loi venue à l’homme d’une source surnaturelle. Or, il est évident qu’en matière de rigueur cérémonielle, il ne peut y avoir de critère intérieur du bien et du mal. La correction des actes extérieurs est tout ce qui est exigé ; mais une correction absolue est indispensable, et l’idée générale selon laquelle une action doit être extérieurement correcte pour plaire à Dieu se propage facilement du côté cérémoniel au côté plus strictement moral de la Loi. Dans la tentative de définir la correction avec une précision parfaite, règles et sous-règles surgissent en abondance, jusqu’à ce que le fardeau du légalisme menace enfin d’éteindre la vie spirituelle.
C’est ce qui arriva à Israël à l’époque de sa décadence nationale. Le christianisme hérita de ses idées, mais rejeta le fardeau intolérable de sa Loi. Il hérita de l’idée que le salut s’obtient par l’obéissance ; mais il commença, sous la pression de l’influence vivifiante du Christ, par supposer que la Loi à laquelle Dieu voulait que les hommes obéissent était principalement, sinon entièrement, morale. Obéir à une loi morale est cependant encore plus difficile qu’obéir à une loi cérémonielle ; et dans un cas comme dans l’autre, la peine de la désobéissance, lorsque la Loi vient de Dieu, est la mort éternelle. Comment alors détourner la colère de Dieu de l’homme désobéissant ? « Par le sacrifice du Christ, médiateur entre Dieu et les hommes », telle est la réponse que la théologie chrétienne a donnée et donne encore à cette question. Dans l’Église catholique, le sacrifice du Christ est perpétuellement répété par le prêtre. Dans les Églises protestantes, le Sacrifice est censé avoir été accompli une fois pour toutes ; et la foi en l’efficacité de la Croix ouvre la porte du salut au croyant. La réapparition – inévitable – de l’idée sacrificielle dans les religions occidentales tendait, pour des raisons évidentes, à discréditer la morale et à substituer des mécanismes à la vie. Un homme pouvait avoir atteint le plus haut sommet de la vertu (au sens humain du terme), voire le plus haut degré de sainteté (au sens intérieur et spirituel du terme), et pourtant être condamné à la perdition éternelle, soit parce qu’il n’avait pas foi en l’efficacité des sacrements de l’Église, soit parce qu’il rejetait la doctrine de la justice imputée du Christ. À l’inverse, un homme pouvait avoir péché profondément, bassement et systématiquement, et pourtant, après un repentir tardif, être pardonné – et donc « sauvé » – pour l’amour du Christ. Lorsque de telles anomalies étaient possibles, il ne pouvait y avoir de lien de causalité entre la conduite et ses conséquences. La doctrine du pardon des péchés a toujours eu tendance à démoraliser la vie humaine, en sapant l’idée que la vertu est récompensée par la vertu et le vice puni par le vice. Un Paradis futur est réservé par le christianisme officiel à ceux qui remplissent certaines conditions clairement prescrites ; [ p. 93 ] un Enfer futur, à ceux qui négligent de les remplir. Mais ni au Paradis ni en Enfer, un homme ne récolte réellement ce qu’il a semé. S’il le faisait, le faux dualisme du Paradis et de l’Enfer disparaîtrait, et il y aurait des millions d’états ultérieurs au lieu de seulement deux. Même lorsque l’Enfer a été honnêtement mérité, il est concevable qu’on puisse l’éviter, car le pécheur a toujours la possibilité de recourir aux miséricordes divines non promises.
Du début à la fin, cette théorie des choses – une théorie d’où les idées de loi naturelle et de croissance naturelle sont manifestement absentes – est totalement étrangère au plan de vie du Bouddha. L’intervention miraculeuse, quelle que soit sa forme, dépasse l’horizon de sa pensée. Le système sacrificiel, le cérémonialisme, le sacerdoce, le légalisme – tout cela, il le rejette entièrement. L’action extérieure correcte ne compte pour rien à ses yeux. La motivation intérieure et les conséquences profondes de l’action sont tout ce qu’il considère. Les médiateurs ne comptent pour rien. Les rédempteurs ne comptent pour rien. Les prêtres ne comptent pour rien. Les casuistes et autres directeurs spirituels ne comptent pour rien. Le mieux qu’un homme puisse faire pour les autres hommes est de leur parler du Chemin de la Vie – le vaste Chemin du développement personnel par l’abandon de soi – et de leur donner des indications générales pour le trouver et le suivre. Le véritable Sauveur des hommes est celui qui fait cela. Mais chacun, à son tour, doit marcher sur le Chemin, en utilisant sa propre vision, sa propre force, son propre jugement, sa propre volonté.
« C’est pourquoi, ô Ananda ! soyez des lampes pour vous-mêmes. Soyez un refuge pour vous-mêmes. Ne cherchez refuge auprès d’aucun autre que vous-mêmes. » Il ne faut pas rechercher de récompenses extérieures. Il ne faut pas craindre de châtiments extérieurs.
Il [7] ne connaît ni colère ni pardon ; c’est tout à fait vrai
Ses mesures mesurent, sa balance impeccable pèse ;
Les temps sont comme rien, demain on jugera,
Ou après plusieurs jours. [8]
[paragraphe continue] La vertu se récompense en fortifiant la volonté, en maîtrisant les désirs indignes, en générant la connaissance de la réalité, en procurant la paix intérieure. Le péché se punit lui-même en affaiblissant la volonté, en enflammant les désirs indignes, en générant des illusions, en suscitant fièvre et agitation. Que le péché soit « pardonné » est aussi impossible que pour la vertu de renoncer à sa récompense. Marcher sur le Chemin est sa propre récompense ; car le Chemin est éclairé par la lueur toujours plus profonde de son but. S’écarter du Chemin est sa propre punition ; car les pas égarés doivent, à tout prix, être retracés. Doit être retracé, car toutes les forces de la Nature œuvrent à la croissance de l’âme, aussi sûrement qu’au printemps toutes les forces de la Nature œuvrent à la croissance des fleurs et des feuilles. C’est la Nature [9] elle-même qui, agissant par son sens du bien et du mal, contraint celui qui a quitté le Chemin à chercher à le regagner. Mais le Chemin ne peut être retrouvé que par une montée raide et ardue ; [ p. 95 ] et plus le retour est retardé, plus la montée se révélera raide et ardue.
C’est, je crois, la conception la plus intime de la vie et la norme de valeur morale la plus intrinsèque qui ait jamais été présentée à la pensée humaine. Lorsque le Christ dit : « Gardez-vous de faire l’aumône devant les hommes, pour en être vus ; autrement, vous n’aurez pas de récompense auprès de votre Père céleste » ; lorsqu’il nous invite à prier et à jeûner en secret afin d’être récompensés, non par les applaudissements des hommes, mais par « le Père qui voit dans le secret » ; lorsque l’auteur de l’« Imitation » – à certains égards le plus chrétien de tous les chrétiens – nous rappelle que « ce que chacun est à tes yeux, il l’est, et rien de plus » – nous sommes entraînés aussi loin que possible vers la pure intériorité et la réalité intrinsèque pour ceux qui adorent et ont longtemps adoré un « Dieu personnel ». Que « le Père céleste » adoré par le Christ coïncide, en dernière analyse, avec Brahma – le Soi omniscient et omnipensant, la Vie omniprésente et omnisciente – est plus que probable. Mais si le maître inspiré, dont les pensées sont autant de poèmes, peut purifier et spiritualiser la conception d’un Dieu personnel, l’homme moyen est certain de la dégrader et de l’extérioriser. Si nous pouvions écouter les prières adressées à tout moment « en secret au Père qui voit dans le secret », nous réaliserions à quel point la pensée populaire s’est largement éloignée d’une conception véritablement intérieure de la vie et d’une norme morale intrinsèque. Ce qui est unique dans le schéma de vie du Bouddha, c’est que toute influence [ p. 96 ] qui pourrait s’interposer entre la conduite et ses conséquences est rigoureusement exclue. Dieu lui-même – si nous continuons à penser et à parler de Dieu – « ne connaît ni colère ni pardon ». Mais pouvons-nous continuer à penser et à parler d’un Dieu aussi impersonnel ? Bouddha a dû, je pense, se poser cette question essentielle. Une grande œuvre spirituelle est toujours le fruit d’un grand renoncement ; et il est possible que ce à quoi Bouddha a renoncé soit quelque chose de plus précieux que la richesse ou le pouvoir, plus précieux même qu’une femme ou un enfant. L’austérité intérieure de son enseignement avait sa contrepartie, comme nous le verrons bientôt, dans un profond silence sur ce qui est ultime et profond, un silence qu’il a dû s’imposer au début de son long ministère, et qu’il n’a jamais rompu. [10]
Je n’ai pas non plus parlé de la croyance que Bouddha aurait incarnée dans son enseignement : « [aux disciples], par une intense absorption de soi et une méditation mystique, ils pouvaient atteindre un état de transe, où les conditions ordinaires de l’existence matérielle étaient suspendues », et acquérir certains pouvoirs supranormaux. Si j’ignore cette croyance, ce n’est pas que je la considère comme intrinsèquement ridicule, ni même comme incompatible avec la philosophie de Bouddha, mais parce que, pour tenter de la corréler avec son plan de vie, je devrais aborder des questions importantes et brûlantes, qui ne pourraient être traitées de manière adéquate dans le cadre de cet ouvrage. Pour l’esprit occidental, intoxiqué et abruti par l’idée du surnaturel, l’idée contraire du supranormal dans la nature provoque un choc si terrible qu’elle le prive temporairement de la capacité de penser de manière cohérente. Cela étant, il vaut mieux que j’ignore ce qui est peut-être un aspect vital de l’enseignement du Bouddha, même si mon interprétation de son credo devait souffrir de cette réticence forcée, plutôt que de m’occuper d’un problème qui exige pour sa considération préliminaire une conception entièrement nouvelle de la Nature, et dont le traitement superficiel donnerait donc lieu à des malentendus perpétuels, et ne servirait à rien.
60:1 Gaudama (ou Gotama), l’Éveillé. Je devrais, à la rigueur, appeler ce livre « Le Credo de Gaudama Bouddha », tout comme j’aurais dû appeler mon étude des idées du Christ « Le Credo de Jésus-Christ ». Ma raison de parler du fondateur du bouddhisme comme de Bouddha est la même que ma raison de parler du fondateur du christianisme comme du Christ. Il arrive que dans chaque cas, la religion soit nommée d’après le titre plutôt que le nom de son fondateur, ce qui a eu pour résultat que le titre a progressivement acquis la force et l’association d’un nom familier. De même que Jésus, le Christ ou l’Oint, est communément appelé le Christ, de même Gaudama, le Bouddha ou l’Éveillé, est communément appelé, et peut, sans inconvenance, être appelé, Bouddha. ↩︎
66:1 « Bouddha », par Herman Oldenberg. Traduit par W. Hoey. ↩︎
68:1 « Bouddha », par Herman Oldenberg. Traduit par W. Hoey. ↩︎
68:2 La distinction entre le supérieur et l’inférieur, le soi réel et le soi apparent, est à la racine de l’enseignement moral du Bouddha, comme elle l’est de celui du Christ. ↩︎
79:1 « Le bouddhisme, son histoire et sa littérature », par TW Rhys Davids. ↩︎
81:1 J’emploie le mot parfait, dans ce passage et dans d’autres similaires, dans un sens relatif, et non absolu. (Voir la note de bas de page de la p. 27.) Je ne pense pas à la perfection absolue, quelle qu’elle soit, mais à la perfection relative atteinte lorsqu’un processus, tel que celui de la croissance de l’âme, a été mené à son terme apparent, à la conclusion qui limite notre vision prophétique, lorsque nous contemplons le panorama que ce processus nous ouvre. Il est possible que le Nirvâna lui-même ne soit qu’un lieu de repos dans le voyage de l’âme, un lac ou une lagune où de nombreux courants de vie de l’âme se rencontrent et semblent se perdre, mais d’où ils sortiront comme un seul fleuve puissant et reprendront, dans des conditions nouvelles, leur voyage vers l’océan de la vie consciente. Mais comme cet Océan se trouve bien au-delà de l’horizon le plus lointain de nos pensées, il est tout à fait juste que nous considérions la paix du Nirvâna, comme le bouddhisme l’a toujours considérée, comme le but ultime de notre aspiration et de notre effort spirituels. ↩︎
86:1 « La lumière de l’Asie », par Sir Edwin Arnold. ↩︎
94:1 La Puissance divine qui est au cœur de l’Univers. ↩︎
94:2 « La lumière de l’Asie », par Sir Edwin Arnold. ↩︎
94:3 Lorsque nous nommons le mot Nature, nous atteignons la racine du problème. Marcher sur le Chemin, c’est s’allier aux forces profondes de la Nature. Telle est sa récompense. S’écarter du Chemin, c’est lutter contre les forces profondes de la Nature. Telle est sa punition. ↩︎