[ p. 1 ]
Loué soit le Béni, l’Arahat, le Bouddha parfait.
[95.] Ce [2] discours sur la Vérité fut prononcé par le Bienheureux, alors qu’il résidait au Grand Monastère de Jetavana, près de Sāvatthi. Mais qui, demandez-vous, a été l’initiateur de ce récit ?
Eh bien, c’étaient les cinq cents amis du Trésorier, disciples des sophistes [^14].
Car, un jour, Anātha-piṇḍika [3] le Trésorier, prit ses amis, les cinq cents disciples d’autres écoles, et partit avec eux pour Jetavana, où il fit apporter une grande quantité de guirlandes, de parfums et d’onguents, ainsi que de l’huile, du miel, de la mélasse, des tissus et des manteaux. Après avoir salué le Bienheureux, il lui fit offrande des guirlandes et autres objets, et remit à l’Ordre des Frères l’huile médicinale et ainsi de suite, ainsi que les tissus ; et, cela fait, il s’assit d’un côté, évitant les six fautes en s’asseyant. De même, les disciples des autres écoles saluèrent le Bouddha et prirent place à côté d’Anātha-piṇḍika, contemplant le visage du Maître, glorieux comme la pleine lune, son excellente présence dotée des signes et des marques de la bouddhéité et entourée de lumière jusqu’à une brasse de longueur, et la riche gloire qui caractérise un Bouddha, une gloire qui se déployait comme en guirlandes appariées, paire sur paire.
Alors, bien que d’une voix tonitruante comme celle d’un jeune lion rugissant dans la Vallée Rouge ou comme celle d’un nuage d’orage pendant la saison des pluies, faisant descendre comme le Gange des Cieux [4]. [96] et semblant tisser un chapelet de joyaux, - pourtant d’une voix d’une perfection octuple, dont le charme ravissait l’oreille, il leur prêcha la Vérité dans un discours plein de douceur et brillant d’une beauté variée.
Après avoir entendu le discours du Maître, ils se levèrent, le cœur converti, et, après avoir salué le Seigneur de la Connaissance, ils mirent en pièces les autres doctrines dans lesquelles ils avaient trouvé refuge, et se tournèrent vers le Bouddha. Dès lors, ils allèrent sans cesse au monastère avec Anātha-pindika, parfums, guirlandes et autres objets, pour entendre la Vérité. Ils abondèrent en charité, observèrent les Commandements et observèrent le jeûne hebdomadaire.
Le Bienheureux quitta alors Sāvatthi pour retourner à Rājagaha. Dès le départ du Bouddha, ils brisèrent leur nouvelle foi et, retournant aux autres doctrines comme refuge, ils retournèrent à leur état originel.
Après un séjour de sept ou huit mois, le Bienheureux revint à Jetavana. Une fois de plus, Anātha-piṇḍika et ses amis vinrent auprès du Maître, le saluèrent, lui offrirent des parfums et autres offrandes, et s’assirent à côté. Les amis saluèrent également le Bienheureux et s’assirent de la même manière. Puis Anātha-piṇḍika raconta au Bienheureux comment, lorsque le Bouddha fut parti en pèlerinage d’aumônes, ses amis avaient de nouveau abandonné leur refuge pour les anciennes doctrines et étaient revenus à leur état originel.
Ouvrant le lotus de sa bouche, comme s’il s’agissait d’un coffret de joyaux, parfumé de senteurs divines et rempli de parfums divers en vertu du fait qu’il avait toujours parlé correctement à travers des myriades d’éons, le Béni du Ciel fit entendre sa douce voix, tandis qu’il demandait : « Est-il vrai que vous, disciples, avez abandonné les Trois Refuges [5] pour le refuge d’autres doctrines ? »
Et quand ils, incapables de cacher le fait, eurent confessé, disant : « C’est vrai, Béni du Ciel », alors le Maître dit : « Disciples, ni entre les limites de l’enfer [6] en bas et le plus haut ciel en haut, ni dans tous les mondes infinis qui s’étendent à droite et à gauche, il n’y a l’égal, et encore moins le supérieur, d’un Bouddha dans les excellences qui découlent de l’obéissance aux Commandements et d’autres conduites vertueuses. »
Il leur exposa ensuite les excellences des Trois Joyaux telles qu’elles sont révélées dans les textes sacrés, dont voici quelques exemples : « De toutes les créatures, mes frères, qu’elles soient sans pieds, etc., le Bouddha est le chef » ; « Quelles que soient les richesses de ce monde ou des autres, etc. » ; et « En vérité, le chef des fidèles, etc. ». Il poursuivit : « Aucun disciple, homme ou femme, cherchant refuge dans les Trois Joyaux, dotés de qualités aussi incomparables, ne renaît jamais en enfer ou dans des états similaires ; mais, libérés de toute renaissance dans des états de souffrance, ils accèdent au Royaume des Dévas et y reçoivent une grande gloire. Par conséquent, en abandonnant un tel refuge pour celui offert par d’autres doctrines, vous vous êtes égarés. »
[ p. 3 ]
(Et ici, les textes sacrés suivants doivent être cités pour préciser que personne de ceux qui, pour trouver la libération et le bien suprême, ont cherché refuge dans les Trois Joyaux, ne renaîtra dans des états de souffrance :
[97] Ceux qui ont trouvé refuge dans le Bouddha,
Ne passera pas d’ici à des états de souffrance ;
Aussitôt, lorsqu’ils quitteront leur corps humain,
Ces fidèles rempliront une forme de Deva [7].
_______________
Ceux qui ont trouvé refuge dans la Doctrine
&c., etc.
_______________
Ceux qui ont trouvé refuge dans l’Ordre ont trouvé
&c., etc.
_______________
Les refuges que recherchent les hommes sont multiples,
\—Le sommet de la montagne, la solitude de la forêt,
(et ainsi de suite jusqu’à)
Quand il aura cherché et trouvé ce refuge,
Il est entièrement libéré de toute douleur.) [^20]
Mais le Maître ne termina pas là son enseignement ; il continua en disant : « Disciples, la méditation sur la pensée du Bouddha, la méditation sur la pensée de la Vérité, la méditation sur la pensée de la Fraternité, c’est là ce qui donne accès et fruit aux Premier, Deuxième, Troisième et Quatrième Chemins de la Félicité [8]. » Et après leur avoir prêché la Vérité de ces manières et d’autres, il dit : « En abandonnant un tel refuge, vous vous êtes égarés. »
(Et ici, le don des différents Chemins à ceux qui méditent sur la pensée du Bouddha et ainsi de suite, devrait être clarifié par des écritures telles que les suivantes : « Il y a une chose, Frères, qui, si elle est pratiquée et développée, conduit au dégoût absolu des vanités du monde, à la cessation de la passion, à la fin de l’être, à la paix, à la vision profonde, à l’illumination, au Nirvana. Quelle est cette chose unique ? — La méditation sur la pensée du Bouddha. »)
Après avoir ainsi exhorté les disciples, le Bienheureux dit : « De même, dans le passé, les disciples, les hommes qui ont sauté à la conclusion absurde que ce qui n’était pas un refuge était un véritable refuge, sont devenus la proie des gobelins dans un désert hanté par les démons et ont été complètement détruits ; tandis que les hommes qui s’accrochaient à la vérité absolue et indiscutable, ont prospéré dans ce même désert. » Et après avoir dit cela, il se tut.
Puis, se levant de son siège et saluant le Bienheureux, le laïc Anātha-piṇḍika se lança dans des louanges et, les mains jointes, portées à son front en signe de révérence, parla ainsi : « Il est clair pour nous, Monsieur, qu’en ces jours-ci ces disciples ont été conduits par l’erreur à abandonner le refuge suprême. Mais la destruction passée de ces êtres opiniâtres dans le désert hanté par les démons, et la prospérité des hommes attachés à la vérité, nous sont cachées et connues de vous seul. [98] Puisse le Bienheureux, comme s’il faisait lever la pleine lune dans le ciel, nous éclairer sur ce point. »
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Alors le Bienheureux dit : « C’est uniquement pour écarter les difficultés du monde que, par la manifestation des Dix Perfections [22] à travers des myriades d’éons, j’ai acquis l’omniscience. Prêtez l’oreille et soyez attentifs, aussi attentivement que si vous remplissiez un tube d’or de moelle de lion. »
Ayant ainsi excité l’attention du Trésorier, il fit comprendre la chose que la renaissance leur avait cachée, comme s’il libérait la pleine lune de l’air supérieur, lieu de naissance des neiges.
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Il était une fois, à Bénarès, dans le pays de Kāsi, un roi nommé Brahmadatta. À cette époque, le Bodhisatta naquit dans une famille de marchands et, grandissant, voyagea avec cinq cents charrettes, tantôt d’est en ouest, tantôt d’ouest en est. Il y avait aussi à Bénarès un autre jeune marchand, un imbécile, sans ressources.
À l’époque de notre récit, le Bodhisatta avait chargé cinq cents charrettes de précieuses marchandises de Bénarès et les avait toutes préparées pour le départ. Le jeune marchand insensé en avait fait autant. Le Bodhisatta pensa : « Si ce jeune marchand insensé me tient compagnie tout le long du trajet et que les mille charrettes voyagent ensemble, la route sera trop longue ; il sera difficile de trouver du bois, de l’eau, etc. pour les hommes, ou de l’herbe pour les bœufs. Il faudra que ce soit lui ou moi qui parte en premier. » Il fit donc venir l’autre et lui exposa son point de vue : « Nous ne pouvons pas voyager ensemble ; préfères-tu partir en premier ou en dernier ? » L’autre pensa : « Il y aura de nombreux avantages à partir en premier. J’aurai une route qui n’est pas encore ouverte ; mes bœufs auront le choix de l’herbe ; mes hommes auront le choix des herbes pour le curry ; l’eau sera tranquille ; et, enfin, je fixerai moi-même le prix du troc de mes marchandises. » Il répondit donc : « J’irai en premier, mon cher monsieur. » [99]
Le Bodhisatta, quant à lui, voyait de nombreux avantages à partir en dernier, car il se raisonnait ainsi : « Ceux qui partent en premier aplaniront la route là où elle est accidentée, tandis que je suivrai celle qu’ils ont déjà empruntée ; leurs bœufs auront brouté l’herbe ancienne et rude, tandis que les miens brouteront les jeunes pousses sucrées qui pousseront à sa place ; mes hommes trouveront une nouvelle pousse d’herbes douces pour le curry là où les anciennes auront été cueillies ; là où il n’y a pas d’eau, la première caravane devra creuser pour s’approvisionner, et nous boirons aux puits qu’ils ont creusés. Marchander les prix est un travail de longue haleine ; tandis que moi, qui suivrai plus tard, je troquerai mes marchandises aux prix qu’ils ont déjà fixés. » Voyant tous ces avantages, il dit à l’autre : « Alors, allez en premier, mon cher monsieur. »
[ p. 5 ]
« Très bien, je le ferai », dit le marchand insensé. Il attela ses charrettes et se mit en route. Poursuivant son chemin, il laissa derrière lui les habitations humaines et arriva aux abords du désert. (Il existe cinq sortes de déserts : les déserts des brigands, les déserts des bêtes sauvages, les déserts de la sécheresse, les déserts des démons et les déserts de la famine. Le premier est celui où la route est assiégée par les brigands ; le deuxième celui où la route est assiégée par les lions et autres bêtes sauvages ; le troisième celui où il n’y a ni bain ni eau ; le quatrième celui où la route est assiégée par les démons ; et le cinquième celui où il n’y a ni racines ni nourriture. Et dans cette quintuple catégorie, le désert en question était à la fois un désert de sécheresse et un désert des démons.) En conséquence, ce jeune marchand prit de grandes jarres d’eau sur ses charrettes, les remplit d’eau et entreprit de traverser les soixante lieues de désert qui s’étendaient devant lui. Lorsqu’il fut arrivé au cœur du désert, le gobelin qui le hantait se dit : « Je vais forcer ces hommes à jeter leurs provisions d’eau et à les dévorer tous lorsqu’ils seront épuisés. » Il construisit donc, par son pouvoir magique, un ravissant char tiré par de jeunes taureaux d’un blanc immaculé. Accompagné d’une dizaine ou d’une douzaine de gobelins armés d’arcs, de carquois, d’épées et de boucliers, il les accompagna tel un puissant seigneur dans ce char, la tête ornée de lotus bleus et de nénuphars blancs, les cheveux et les vêtements mouillés, et les roues de son char souillées de boue. Ses serviteurs, devant et derrière lui, l’accompagnaient également, les cheveux et les vêtements mouillés, des guirlandes de lotus bleus et de nénuphars blancs sur leurs perles, des bouquets de lotus blancs à la main, mâchant les tiges luxuriantes et ruisselant d’eau et de boue. Les chefs de caravanes ont la coutume suivante : lorsque le vent leur souffle de travers, ils se placent en tête de leur carriole, entourés de leurs accompagnateurs, afin d’échapper à la poussière ; mais lorsque le vent souffle de derrière, ils se placent également à l’arrière de la colonne. Et, comme cette fois-ci le vent soufflait contre eux, le jeune marchand était en tête. Lorsque le gobelin s’aperçut de son approche, il écarta sa carriole de la voie et le salua gentiment, lui demandant où il allait. Le chef de la caravane fit également écarter sa carriole de la voie afin de laisser passer les charrettes, tandis qu’il restait en chemin et s’adressa ainsi au gobelin : « Nous revenons de Bénarès, seigneur. Mais je remarque que vous avez des lotus et des nénuphars sur la tête et dans les mains, que vos hommes mâchent les tiges odorantes, et que vous êtes tout couvert de boue et trempé. « Priez, a-t-il plu pendant que vous étiez sur la route, et êtes-vous tombé sur des étangs couverts de lotus et de nénuphars ? »
Là-dessus, le gobelin s’exclama : « Qu’as-tu dit ? Eh bien, là-bas apparaît la bande vert foncé de la forêt, et de là, il n’y a que de l’eau partout. Il pleut toujours là-bas ; les étangs sont pleins ; et de chaque côté, des lacs couverts de lotus et de nénuphars. » Puis, tandis que la file de charrettes [101] passait, il demanda où elles allaient. « À tel endroit », fut la réponse. « Et quelles marchandises avez-vous dans cette charrette et dans celle-ci ? » « Untel. » « Et que pourriez-vous bien avoir dans cette dernière charrette qui semble se déplacer comme si elle était lourdement chargée ? » « Oh, il y a de l’eau dedans. » « Tu as bien fait d’emporter de l’eau de l’autre côté. Mais ce n’est plus nécessaire maintenant, car l’eau est abondante plus loin. » Alors, brisez les jarres et jetez l’eau, afin que vous puissiez voyager plus facilement. » Et il ajouta : « Maintenant, continuez votre chemin, car nous nous sommes déjà arrêtés trop longtemps. » Puis il s’éloigna un peu plus loin, jusqu’à ce qu’il soit hors de vue, puis il retourna à la cité des gobelins où il habitait.
Telle était la folie de ce marchand insensé qu’il obéit aux ordres du gobelin, brisa ses jarres et jeta toute l’eau, sans même en conserver l’équivalent de ce qui tiendrait dans la paume d’une main. Puis il ordonna aux charrettes de continuer leur route. Pas une goutte d’eau ne se trouvait devant elles, et la soif les épuise. Toute la journée, jusqu’au coucher du soleil, ils poursuivirent leur marche ; mais au coucher du soleil, ils dételèrent leurs charrettes et formèrent un râtelier, attachant les bœufs aux roues. Les bœufs n’avaient pas d’eau à boire, et les hommes pas de quoi cuire leur riz ; et la troupe, épuisée, s’affaissa sur le sol pour s’endormir. Mais dès la nuit tombée, les gobelins sortirent de leur ville et massacrèrent tous ces hommes et bœufs ; et après avoir dévoré leur chair, ne laissant que les os, les gobelins s’en allèrent. Ainsi, le jeune marchand insensé fut la seule cause de la destruction de toute cette bande, dont les squelettes étaient éparpillés dans toutes les directions imaginables, tandis que les cinq cents charrettes restaient là avec leurs charges intactes.
Le Bodhisatta laissa s’écouler environ six semaines après le départ du jeune marchand insensé avant de se mettre en route. Il quitta alors la ville avec ses cinq cents charrettes et arriva en temps voulu aux abords du désert. Là, il fit remplir ses jarres et les remplit d’une ample réserve d’eau ; et, au son du tambour, il rassembla ses hommes au campement [102] et leur dit : « Qu’on n’utilise pas la moindre poignée d’eau sans mon autorisation. Il y a des arbres vénéneux dans ce désert ; aussi, que personne parmi vous ne mange de feuille, de fleur ou de fruit qu’il n’ait déjà mangé, sans me le demander au préalable. » Après cette exhortation à ses hommes, il s’enfonça dans le désert avec ses cinq cents charrettes. Arrivé au milieu du désert, le gobelin apparut sur le chemin du Bodhisatta, comme la première fois. Mais, dès qu’il s’aperçut de sa présence, le Bodhisatta le perça à jour ; Car il se disait : « Il n’y a pas d’eau ici, dans ce « Désert sans eau ». Cet individu, avec ses yeux rouges et son attitude agressive, ne projette aucune ombre. Il a très probablement incité le jeune marchand insensé qui m’a précédé à jeter toute son eau, puis, attendant qu’ils soient épuisés, il a dévoré le marchand et tous ses hommes. Mais il ne connaît pas mon ingéniosité et ma vivacité d’esprit. » Puis il cria au gobelin : « Va-t’en ! Nous sommes des hommes d’affaires, et ne jetons pas l’eau que nous avons avant d’avoir vu d’où nous en trouverons davantage. Mais, lorsque nous en verrons davantage, on pourra nous faire confiance pour la jeter et alléger nos chariots. »
Le gobelin poursuivit sa route jusqu’à disparaître, puis retourna chez lui, dans la cité démoniaque. Une fois le gobelin parti, les hommes du Bodhisatta lui dirent : « Seigneur, ces hommes nous ont dit que là-bas apparaît la bande vert foncé de la forêt, là où, disent-ils, il pleuvait toujours. Ils avaient des lotus sur la tête et des nénuphars à la main, et ils en mangeaient les tiges, leurs vêtements et leurs cheveux trempés, ruisselant d’eau. Jetons notre eau et allons plus vite avec des charrettes allégée. » À ces mots, le Bodhisatta ordonna une halte et fit rassembler tous les hommes. « Dites-moi », dit-il, « quelqu’un parmi vous a-t-il déjà entendu parler d’un lac ou d’une mare dans ce désert ? » « Non, Seigneur », répondit-il, « pourquoi l’appelle-t-on « le Désert sans Eau » ? »
« On vient de nous dire qu’il pleut juste devant, dans la ceinture forestière ; jusqu’où porte un vent de pluie ? » [103] « Une lieue, monsieur. » « Et ce vent de pluie a-t-il atteint quelqu’un ici ? » « Non, monsieur. » « À quelle distance pouvez-vous voir la crête d’un nuage d’orage ? » « Une lieue, monsieur. » « Et quelqu’un ici a-t-il vu le sommet d’un seul nuage d’orage ? » « Non, monsieur. » « À quelle distance pouvez-vous voir un éclair ? » « Quatre ou cinq lieues, monsieur. » « Et quelqu’un ici a-t-il vu un éclair ? » « Non, monsieur. » À quelle distance peut-on entendre un coup de tonnerre ? » « Deux ou trois lieues, monsieur. » « Et quelqu’un ici a-t-il entendu un coup de tonnerre ? » « Non, monsieur. » « Ce ne sont pas des hommes, mais des gobelins. Ils reviendront dans l’espoir de nous dévorer lorsque nous serons faibles et épuisés après avoir jeté notre eau à leur demande. Le jeune marchand qui nous a précédés n’étant pas un homme débrouillard, il s’est probablement laissé berner et a jeté son eau à la poubelle, avant d’être dévoré par l’épuisement. Nous pouvons nous attendre à retrouver ses cinq cents charrettes, exactement comme elles étaient chargées au départ ; nous les attaquons aujourd’hui. Poursuivons notre route à toute vitesse, sans jeter une seule goutte d’eau.
Après avoir ainsi exhorté ses hommes à avancer, il poursuivit son chemin jusqu’à ce qu’il rencontre les 500 charrettes, immobiles comme elles avaient été chargées, et les squelettes des hommes et des bœufs éparpillés dans toutes les directions. Il fit dételer ses charrettes et les disposa en cercle afin de former un solide râtelier ; il veilla à ce que ses hommes et ses bœufs soupassent de bonne heure, et que les bœufs se couchassent au milieu, les hommes autour d’eux ; et lui-même, avec les hommes de tête de sa troupe, monta la garde, l’épée à la main, pendant les trois veilles de la nuit, attendant le lever du jour. Le lendemain, à l’aube, après avoir nourri ses bœufs et fait le nécessaire, il remplaça ses charrettes fragiles par des plus solides, et ses biens communs par les plus précieux des objets abandonnés. Il continua ensuite sa route vers sa destination, où il échangea ses marchandises contre des marchandises valant deux ou trois fois leur valeur, et revint dans sa ville sans perdre un seul homme de toute sa compagnie.
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[104] Cette histoire terminée, le Maître dit : « Ainsi, profane, autrefois, les insensés furent complètement détruits, tandis que ceux qui s’attachaient à la vérité, échappant aux mains des démons, atteignaient leur but sains et saufs et revenaient chez eux. » Et lorsqu’il eut ainsi relié les deux histoires, lui, en tant que Bouddha, prononça la strophe suivante pour les besoins de cette leçon sur la Vérité :
Alors certains ont déclaré la seule et unique vérité, la vérité sans pareille ;
Mais les faux logiciens parlaient autrement.
Que celui qui est sage en tire une leçon,
Et saisissez fermement la seule et unique vérité, sans pareille.
[105] Ainsi le Bienheureux enseigna cette leçon concernant la Vérité. Et il poursuivit : « Ce qu’on appelle marcher par la vérité confère non seulement les trois dons heureux, les six cieux des royaumes des sens et les dons du Royaume supérieur de Brahma, mais confère aussi finalement l’état d’Arahant [106] ; tandis que marcher par le mensonge entraîne une renaissance dans les quatre états de châtiment ou dans les castes les plus basses de l’humanité. » De plus, le Maître exposa de seize manières les Quatre Vérités [9], à l’issue desquelles ces cinq cents disciples furent établis dans le Fruit du Premier Sentier [10].
Après avoir donné sa leçon et son enseignement, et après avoir raconté les deux histoires et établi le lien qui les reliait, le Maître conclut en identifiant la Naissance comme suit : « Devadatta était le jeune marchand insensé de cette époque ; ses disciples étaient les disciples de ce marchand ; les disciples du Bouddha étaient les disciples du marchand sage, qui était moi-même. »
[ p. 9 ]
Note. Voir le Journal of the Ceylon Branch of the Royal Asiatic Society de 1847, où Gogerly a donné une traduction de ce Jātaka, ainsi que des 2e, 3e, 4e, 6e et 38e, avec une brève introduction au livre des Jātaka. Voir aussi la page 108 du Manuel de bouddhisme de Hardy et Gogerly dans le Ceylon Friend d’août 1838. Ce Jātaka est cité dans le Milinda-pañho, p. 289 de la traduction de Rhys Davids, dans le vol. 35 des Sacred Books of the East. Il existe un Apaṇṇaka-Sutta dans le Majjhima-Nikāya (n° 60), mais il ne semble pas lié à cet Apaṇṇaka-Jātaka.
[^14] : 1 : 3 Littéralement « sectaires » ; mais généralement traduit par « hérétiques », terme qui a fini par avoir une connotation trop théologique pour être applicable aux philosophes. Les six rivaux avec lesquels Gotama devait principalement rivaliser étaient Pūraṇa Kassapa, Makkhali Gosāla, Ajita Kesa-kambalī, Pakudha Kaccāyana, Sañjaya Belaṭṭhi-putta et Nigaṇṭha Nāta-putta (voir, par exemple, le Sāmaññaphala Sutta dans le Dīgha Nikaya, Vol. 1. p.
[^20] : 3 : 2 Dhammapada, v. 188-192.
1:1 Le texte canonique du livre Jātaka, qui se compose exclusivement de gāthās ou strophes, est divisé en « livres », ou nipātas, selon le nombre de gāthās. Le présent volume contient les 150 histoires qui illustrent et forment le commentaire d’une seule gāthā dans chaque cas, et composent le premier livre. Les livres ultérieurs contiennent un nombre croissant de gāthās et un nombre décroissant d’histoires : par exemple le deuxième livre contient 100 histoires à deux gāthā, le troisième livre 50 histoires à trois gāthā, et ainsi de suite. Le nombre total de livres ou nipātas est de 22, dont 21 forment le texte des cinq volumes publiés du texte pāli. Les nipātas sont subdivisés en vaggas, ou ensembles d’environ dix histoires, généralement nommées d’après leur première histoire. Il n’a pas été jugé souhaitable d’alourdir la traduction avec ces subdivisions. ↩︎
1:2 L’histoire d’introduction commence généralement en citant, comme slogan, les premiers mots du gāthā suivant. ↩︎
1:4 C’est un surnom, signifiant littéralement « nourrisseur des pauvres ». Son nom ordinaire était Sudatta. Voir le récit dans le Vinaya (Cullavagga, vi. 4, 9) de la façon dont il acheta au prince Jeta le bosquet de ce dernier pour une somme suffisante pour paver le terrain, et comment il y construisit le Grand Monastère pour le Bouddha. ↩︎
2:1 c’est-à-dire la Voie Lactée. ↩︎
2:2 c’est-à-dire le Bouddha, la Vérité qu’il a prêchée et la Fraternité qu’il a fondée. Infra cette triade est appelée les « Trois Joyaux ». ↩︎
2:3 À proprement parler, le bouddhisme ne connaît pas d’enfer, seulement des purgatoires, qui – bien que des lieux de tourment – sont temporaires et éducatifs. ↩︎
3:1 Le mot deva, que j’ai conservé sous sa forme pāli, signifie un « ange » plutôt qu’un « dieu » dans la croyance athée du bouddhisme. Voir à ce sujet Rhys Davids dans son ouvrage « Buddhist Suttas », page 162. ↩︎
8:1 Ces quatre vérités cardinales du bouddhisme sont les suivantes : (i) l’existence individuelle est souffrance ; (ii) les désirs entraînent la continuation de l’existence individuelle ; (iii) avec la disparition des désirs, l’existence individuelle disparaîtrait également ; et (iv) les désirs disparaissent en suivant le Noble Octuple Sentier indiqué par le Bouddha. (Voir ici la conférence Hibbert de Rhys Davids de 1881.) ↩︎
8:2 La route normale vers l’idéal bouddhiste après la conversion est divisée en quatre étapes successives, appelées les cattāro maggā ou « quatre chemins ». Le premier d’entre eux est celui parcouru par le sotāpanno (celui « qui est entré dans le courant » qui coule vers l’océan du Nirvana), qui est assuré d’atteindre finalement son but mais doit d’abord subir sept existences supplémentaires dont aucune ne peut être dans un état de souffrance ; le deuxième chemin est celui parcouru par le sakadāgāmī, le disciple dont les imperfections ont été si loin éradiquées qu’il n’a plus qu’à « retourner » à une forme humaine une fois de plus avant d’atteindre le Nirvana ; le troisième chemin est celui de l’anagāmī, le disciple qui « ne reviendra pas » sur terre, mais atteindra le but à partir d’un royaume de Brahma ; tandis que le quatrième et dernier est l’état d’Arahat, qui est le Nirvana. Chacune de ces quatre étapes est subdivisée en deux sous-étapes, la inférieure appelée « le chemin » et la supérieure « le fruit ». (Voir Mahā-parinibbāna Sutta et le commentaire du Sumaṅgala Vilāsinī´.) ↩︎