[140] « L’homme qui ne veille pas » — Cette histoire fut racontée par le Maître alors qu’il se trouvait dans la manguier d’Anūpiya, près de la ville d’Anūpiya. Il s’agit de l’Ancien Bhaddiya (l’Heureux), qui rejoignit la Confrérie en compagnie des six jeunes nobles avec lesquels se trouvait Upāli [1]. Parmi eux, les Anciens Bhaddiya, Kimbila, Bhagu et Upāli atteignirent l’état d’Arahant ; l’Ancien Ānanda s’engagea sur la Première Voie ; l’Ancien Anuruddha obtint la vision omnisciente ; et Devadatta obtint le pouvoir d’auto-abstraction extatique. L’histoire des six jeunes nobles, jusqu’aux événements d’Anūpiya, sera relatée dans le Khanṇḍahāla-jātaka [2].
Le vénérable Bhaddiya, qui, du temps de sa royauté, se protégeait comme s’il avait été désigné comme sa propre divinité tutélaire, se remémora l’état de peur dans lequel il vivait alors, sous la surveillance de nombreux gardes et lorsqu’il s’agitait même sur son lit royal, dans ses appartements privés, en haut du palais ; il compara à cela l’absence de peur dans laquelle, maintenant qu’il était un Arahat, il errait çà et là dans les forêts et les déserts. Et à cette pensée, il s’exclama avec émotion : « Ô bonheur ! Ô bonheur ! »
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Les Frères rapportèrent cela au Bienheureux, en disant : « Le vénérable Bhaddiya déclare la félicité qu’il a gagnée. »
« Frères », dit le Béni du Ciel, « ce n’est pas la première fois que la vie de Bhaddiya est heureuse ; sa vie n’était pas moins heureuse autrefois. »
Les Frères demandèrent au Bienheureux de leur expliquer cela. Le Bienheureux leur révéla ce que leur avait caché la renaissance.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta naquit, un riche brahmane du Nord. Conscient du mal des désirs et des bienfaits que procure le renoncement au monde, il abjura les désirs et se retira dans l’Himalaya, devint ermite et obtint les huit dotations. Sa suite s’agrandit, comptant cinq cents ascètes. Un jour, lorsque les pluies arrivèrent, il quitta l’Himalaya et, accompagné de ses compagnons ascètes, accomplit un pèlerinage d’aumônes à travers villages et villes. Il arriva enfin à Bénarès, où il s’établit à la faveur royale, bénéficiaire de la générosité du roi. Après y avoir séjourné pendant les quatre mois pluvieux, il vint prendre congé du roi. Mais le roi lui dit : « Vous êtes vieux, révérend. Pourquoi retourneriez-vous dans l’Himalaya ? Renvoyez vos disciples là-bas [141] et restez ici vous-même. »
Le Bodhisatta confia ses cinq cents ascètes aux soins de son plus ancien disciple, en disant : « Allez avec eux dans l’Himalaya ; je m’arrêterai ici. »
Or, ce disciple le plus âgé avait été roi, mais avait renoncé à un puissant royaume pour devenir Frère ; par l’accomplissement des rites de la concentration, il avait maîtrisé les huit Dons. Alors qu’il vivait avec les ascètes dans l’Himalaya, un jour, le désir de revoir le maître lui vint, et il dit à ses compagnons : « Continuez à vivre ici ; je reviendrai dès que j’aurai présenté mes respects au maître. » Il alla donc le voir, lui présenta ses respects et le salua affectueusement. Puis il s’allongea à côté de lui sur une natte qu’il étendit là.
À ce moment-là, le roi, venu voir l’ascète, apparut et, après l’avoir salué, il prit place à l’écart. Mais, bien que conscient de la présence du roi, le plus ancien disciple s’abstint de se lever et resta étendu là, criant avec une ferveur passionnée : « Oh, bonheur ! Oh, bonheur ! »
Mécontent que l’ascète, bien qu’il l’ait vu, ne se soit pas levé, le roi dit au Bodhisatta : « Révérend monsieur, cet ascète a dû être rassasié, vu qu’il continue à rester allongé là si heureux, s’exclamant avec tant de ferveur. »
« Sire », dit le Bodhisatta, « autrefois cet ascète était roi comme vous. Il songe qu’autrefois, alors qu’il était laïc et vivait dans une pompe royale, entouré de nombreux hommes d’armes, il n’avait jamais connu un bonheur tel qu’il est aujourd’hui. C’est le bonheur de la vie du Frère, et celui que procure la Vision, qui l’ont poussé à prononcer cette parole sincère. » Et le Bodhisatta répéta cette strophe pour enseigner la Vérité au roi :
L’homme qui ne garde pas, ni n’est gardé, sire,
Vit heureux, libéré de l’esclavage des convoitises.
[paragraphe continue] [142] Apaisé par la leçon ainsi enseignée, le roi salua et retourna à son palais. Le disciple prit également congé de son maître et retourna dans l’Himalaya. Mais le Bodhisatta continua à y résider et, mourant avec une vision profonde et intacte, il renaît au Royaume de Brahma.
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Sa leçon terminée, et les deux histoires racontées, le Maître montra le lien qui les reliait toutes deux, et identifia la Naissance en disant : « L’Ancien Bhaddiya était le disciple de ces jours-là, et moi-même le maître de la compagnie des ascètes. »
[Note. Pour l’histoire introductive, comparer Cullavagga, VII. l. 5—.]