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« Le chacal ivre » — Cette histoire fut racontée par le Maître à la Bambouseraie, au sujet de Devadatta. Les Frères s’étaient rassemblés dans la Salle de la Vérité et racontaient comment Devadatta s’était rendu à Gayāsīsa avec cinq cents disciples, qu’il induisait en erreur en déclarant que la Vérité était manifeste en lui « et non dans l’ascète Gotama » ; comment, par ses mensonges, il disloquait la Confrérie ; et comment il observait deux jours de jeûne par semaine. Alors qu’ils étaient assis là, à parler de la méchanceté de Devadatta, le Maître entra et on lui raconta le sujet de leur conversation. « Frères », dit-il, « Devadatta était un aussi grand menteur autrefois qu’aujourd’hui. » Ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta naquit, esprit des arbres, dans le bosquet d’un cimetière. À cette époque, une fête fut proclamée à Bénarès, et le peuple résolut de sacrifier aux ogres. Ils répandirent donc poisson et viande dans les cours, les rues et d’autres lieux, et disposèrent de grandes jarres de boissons fortes. À minuit, un chacal entra dans la ville par les égouts et se régala de viande et de liqueur. Rampant dans des buissons, il dormait profondément à l’aube. À son réveil, voyant qu’il faisait grand jour, il comprit qu’il ne pourrait pas rentrer sain et sauf à cette heure-là. Il s’allongea donc tranquillement au bord de la route, à l’abri des regards, jusqu’à ce qu’il aperçoive enfin un brahmane solitaire qui allait se rincer la bouche dans le réservoir. Le chacal pensa alors : « Les brahmanes sont des gens avides. Je dois jouer sur sa cupidité pour qu’il m’emporte hors de la ville, vêtu de son pagne sous sa robe extérieure. Alors, d’une voix humaine, il cria : « Brahmane. »
« Qui m’appelle ? » demanda le brahmane en se retournant. « Moi, brahmane. » « Pour quoi faire ? » « J’ai deux cents pièces d’or, brahmane ; et si tu me caches dans ton pagne sous ta robe et que tu me fais sortir de la ville sans que je sois vu, tu les auras toutes. »
Après avoir conclu son offre, le brahmane avide cacha le chacal et emporta la bête un peu hors de la ville. « Quel endroit est-ce, brahmane ? » demanda le chacal. « Oh, c’est tel endroit », répondit le brahmane. « Avance encore un peu », dit le chacal, et il le pressa d’avancer toujours un peu plus loin, jusqu’à ce qu’il atteigne enfin le parc crématoire. [426] « Dépose-moi ici », dit le chacal ; et le brahmane s’exécuta. « Étends ta robe par terre, brahmane. » Et le brahmane avide s’exécuta.
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« Et maintenant, déracinez cet arbre », dit-il. Pendant que le brahmane travaillait, il s’approcha de la robe et l’enfouit en cinq endroits : aux quatre coins et au milieu. Cela fait, il s’enfuit dans le bois.
Alors le Bodhisatta, debout dans la fourche de l’arbre, prononça cette strophe :
Le chacal ivre, brahmane, trompe ta confiance !
Tu ne trouveras pas ici cent coquillages cauris,
Bien moins que ta quête, deux cents pièces d’or.
Et après avoir répété ces vers, le Bodhisatta dit au brahmane : « Va maintenant laver ta robe, te baigner et vaquer à tes occupations. » Ce disant, il disparut, et le brahmane fit ce qu’on lui avait ordonné, et s’en alla très mortifié d’avoir été ainsi trompé.
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Sa leçon terminée, le Maître identifia la Naissance en disant : « Devadatta était le chacal de cette époque, et moi l’esprit de l’arbre. »