« L’homme irréfléchi » — Le Maître raconta cette histoire à Jetavana, au sujet du fils du Trésorier Supérieur. On dit que ce Trésorier Supérieur était un homme très riche de Sāvatthi, et que sa femme devint la mère d’un être vertueux du royaume des anges de Brahma, qui grandit aussi beau que Brahma. [433] Or, un jour que la fête de Kattikā fut proclamée à Sāvatthi, toute la ville se livra aux festivités. Ses compagnons, fils d’autres hommes riches, avaient tous épousé une femme, mais le fils du Trésorier Supérieur avait vécu si longtemps dans le royaume de Brahma qu’il était pur de toute passion. Ses compagnons complotèrent pour lui trouver une compagne et l’obliger à célébrer la fête avec eux. Alors, s’adressant à lui, ils lui dirent : « Cher ami, c’est la grande fête de Kattikā… Ne pourrions-nous pas te trouver une compagne et passer un bon moment ensemble ? » Finalement, ses amis choisirent une charmante jeune fille, la parèrent et la laissèrent chez lui, avec l’ordre de se rendre dans sa chambre. Mais lorsqu’elle entra, le jeune marchand ne lui lança ni un regard ni un mot. Piquée par cet affront à sa beauté, elle déploya toutes ses grâces et ses charmes féminins, souriant en attendant pour montrer ses jolies dents. La vue de ses dents suggéra des os, et son esprit fut envahi par cette idée d’os, si bien que le corps entier de la jeune fille ne lui sembla plus qu’une chaîne d’os. Alors il lui donna de l’argent et lui ordonna de partir. Mais, alors qu’elle sortait de la maison, un noble la vit dans la rue et lui offrit un cadeau pour qu’elle le raccompagne chez lui.
Au bout de sept jours, la fête fut terminée. Voyant que sa fille ne revenait pas, la mère alla trouver les amis du jeune marchand et leur demanda où elle était. Ceux-ci interrogeèrent à leur tour le jeune marchand. Il répondit qu’il l’avait payée et renvoyée dès qu’il l’avait vue.
La mère de la jeune fille insista pour que sa fille lui soit rendue et amena le jeune homme devant le roi, qui procéda à une enquête. En réponse aux questions du roi, le jeune homme admit que la jeune fille lui avait été remise, mais affirma ignorer où elle se trouvait et n’avoir aucun moyen de la présenter. Le roi dit alors : « S’il ne présente pas la jeune fille, qu’il soit exécuté. » Le jeune homme fut alors immédiatement emmené, les mains liées dans le dos, pour être exécuté. Toute la ville fut en émoi à cette nouvelle. Les mains posées sur la poitrine, le peuple le suivit en gémissant, disant : « Que signifie ceci, seigneur ? Vous souffrez injustement. »
Alors le jeune homme pensa : « Tout ce chagrin m’est arrivé parce que je menais une vie laïque. Si seulement je pouvais échapper à ce danger, j’abandonnerais le monde et rejoindrais la Confrérie du grand Gotama, l’Être Éveillé. »
La jeune fille entendit le vacarme et demanda ce que cela signifiait. Informée, elle courut dehors en criant : « Écartez-vous, messieurs ! Laissez-moi passer ! Que les hommes du roi me voient. » Dès qu’elle se fut montrée, elle fut remise à sa mère par les hommes du roi, qui libérèrent le jeune homme et s’en allèrent.
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Entouré de ses amis, le fils du Trésorier Supérieur descendit à la rivière et se baigna. De retour chez lui, il prit son petit-déjeuner et fit part à ses parents de sa résolution d’abandonner le monde. Puis, prenant un tissu pour sa robe d’ascète, suivi d’une foule nombreuse, il alla trouver le Maître et, après les salutations qui lui étaient dues, demanda à être admis dans la Confrérie. D’abord novice, puis frère à part entière, il médita sur l’idée de l’esclavage jusqu’à ce qu’il acquière la sagesse et, peu après, obtienne le titre d’Arahat.
Un jour, dans la Salle de la Vérité, les Frères réunis parlèrent de ses vertus, rappelant comment, à l’heure du danger, il avait reconnu l’excellence de la Vérité et, résolu avec sagesse d’abandonner le monde pour elle, avait obtenu ce fruit suprême qu’est l’état d’Arahat. Tandis qu’ils parlaient, le Maître entra et, sur sa demande, on lui raconta le sujet de leur conversation. Il leur déclara alors que, tel le fils du Trésorier Supérieur, les sages d’autrefois, en prenant garde à l’heure du péril, avaient échappé à la mort. Ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait sur Khénares, le Bodhisatta, par un changement d’existence, naquit caille. Or, à cette époque, un chasseur de cailles capturait de nombreux oiseaux dans la forêt et les rapportait chez lui pour les engraisser. Lorsqu’ils étaient gras, il les vendait aux gens pour gagner sa vie. Un jour, il captura le Bodhisatta et le ramena chez lui avec d’autres cailles. Le Bodhisatta pensa : « Si je prends la nourriture et la boisson qu’il me donne, je serai vendu ; tandis que si je ne les mange pas, je maigrirai tellement que les gens le remarqueront et me laisseront tranquille, ce qui me garantira la sécurité. Voilà donc ce que je dois faire. » Il jeûna donc, jeûna encore et encore, jusqu’à devenir si maigre qu’il ne fut plus que peau et os, et que personne ne voulut de lui, à aucun prix. Après s’être débarrassé de tous ses oiseaux, à l’exception du Bodhisatta, l’oiseleur sortit le Bodhisatta de la cage et le déposa sur ses paumes pour voir ce qui le touchait. Observant l’homme se laisser aller, le Bodhisatta déploya ses ailes et s’envola vers la forêt. Le voyant revenir, les autres cailles lui demandèrent ce qu’il était devenu depuis si longtemps et où il était allé. Il leur raconta alors qu’il avait été capturé par un oiseleur et, comme on lui demandait comment il avait réussi à s’échapper, il répondit que c’était grâce à un stratagème qu’il avait imaginé, à savoir ne prendre ni la nourriture ni la boisson que l’oiseleur lui avait fournies. Ce disant, il prononça cette strophe :
L’homme insouciant ne récolte aucun profit. — Mais voyez
Le fruit de la pensée en moi, libéré de la mort et de l’esclavage.
C’est ainsi que le Bodhisatta parla de ce qu’il avait fait.
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Sa leçon terminée, le Maître identifia la Naissance en disant : « J’étais la caille qui a échappé à la mort en ces jours-là. »