« Change d’endroit. » — Cette histoire fut racontée par le Maître alors qu’il était à Jetavana, à propos d’un ancien orfèvre, devenu Frère et co-résident avec le Capitaine de la Foi (Sāriputta).
Or, seul un Bouddha possède la connaissance des cœurs et peut lire les pensées des hommes ; et donc, faute de ce pouvoir, le Capitaine de la Foi connaissait si peu le cœur et les pensées de son co-résident qu’il lui prescrivit l’impureté comme thème de méditation. Cela ne lui servit à rien. La raison en était que, selon la tradition, il était invariablement né, au cours de cinq cents naissances successives, comme orfèvre ; et, par conséquent, l’effet cumulatif de la vue prolongée d’or absolument pur avait rendu le thème de l’impureté inutile. Il passa quatre mois sans en avoir la moindre idée. Ne parvenant pas à conférer l’état d’Arahant à son co-résident, le Capitaine de la Foi pensa : « Ce doit être quelqu’un que seul un Bouddha peut convertir ; je vais le conduire au Bouddha. » Alors, à l’aube, il accompagna le Frère auprès du Maître.
« Qu’est-ce qui vous a amené ici avec ce frère, Sāriputta », dit le Maître ? « Monsieur, je lui ai donné un thème de méditation, et après quatre mois, il n’en a même pas encore eu la moindre idée ; je vous l’ai donc amené, pensant qu’il s’agissait de quelqu’un que seul un Bouddha peut convertir. » « Quelle méditation, Sāriputta, lui avez-vous prescrite ? » « La méditation sur l’impureté, Ô Bienheureux. » « Sāriputta, il ne vous appartient pas de connaître les cœurs et de lire les pensées des hommes. Partez maintenant seul et revenez ce soir chercher votre co-résident. »
Après avoir ainsi congédié l’Ancien, le Maître fit revêtir ce Frère d’un beau sous-vêtement et d’une robe, le garda constamment à ses côtés lorsqu’il allait en ville demander l’aumône et veilla à ce qu’il reçoive des mets de choix de toutes sortes. De retour au Monastère, entouré des Frères, le Maître se retira pendant la journée dans sa chambre parfumée. Le soir, alors qu’il se promenait dans le Monastère avec ce Frère à ses côtés, il fit apparaître un étang et, à l’intérieur, un grand bouquet de lotus d’où poussa une grande fleur de lotus. « Assieds-toi ici, Frère », dit-il, « et contemple cette fleur. » Et, laissant le Frère ainsi assis, il se retira dans sa chambre parfumée.
Ce Frère contempla cette fleur, qu’il contempla sans cesse. Le Bienheureux la fit pourrir. Tandis que le Frère la regardait, la fleur, en déclin, se fana ; les pétales [ p. 65 ] tombèrent, en commençant par le bord, jusqu’à ce qu’au bout d’un moment, ils disparaissent tous ; puis les étamines tombèrent, ne laissant que le péricarpe. En regardant, ce Frère pensa en lui-même : « Même maintenant, cette fleur de lotus était belle et belle ; pourtant, sa couleur a disparu, et seul le péricarpe est resté debout. La pourriture s’est abattue sur ce magnifique lotus ; que ne peut-il pas arriver à mon corps ? Éphémères sont toutes choses composées ! » Et cette pensée lui permit d’acquérir la Perspicacité.
Sachant que l’esprit du Frère s’était élevé à la Perspicacité, le Maître, assis comme il l’était dans sa chambre parfumée, émit une ressemblance radieuse de lui-même et prononça cette strophe :
Arrache l’amour-propre, comme avec la main que tu arraches
Le nénuphar d’automne. Fixez votre cœur
Sur rien d’autre que cela, le parfait Chemin de la Paix,
Et cette extinction que le Bouddha a enseignée.
À la fin de cette strophe, ce Frère obtint l’état d’Arahant. À la pensée qu’il ne renaîtrait plus jamais, qu’il ne serait plus jamais troublé par l’existence sous quelque forme que ce soit par la suite, il s’exclama avec émotion, commençant par ces strophes : « Celui qui a vécu sa vie, dont la pensée est mûre ;
Celui qui, purifié et libéré de toutes souillures,
Il porte son dernier corps ; celui dont la vie est pure,
Dont les sens sujets le reconnaissent comme souverain seigneur ;
Lui, comme la lune qui gagne enfin son chemin
Des mâchoires de Rāhu [1], a obtenu la libération suprême.
La saleté qui m’enveloppait, qui provoquait
J’ai dissipé l’obscurité totale de l’illusion ;
\—Comme, trompé par mille rayons, le soleil rayonnant
Illumine le ciel d’un flot de lumière.
Après cela et de nouvelles exclamations de joie, il alla trouver le Bienheureux et le salua. L’Ancien vint également et, après avoir salué le Maître comme il se doit, s’en alla avec son co-résident.
Lorsque la nouvelle se répandit parmi les Frères, [184] ils se réunirent dans la Salle de la Vérité et s’y assirent, louant les vertus du Seigneur de Sagesse et disant : « Seigneurs, ne connaissant ni le cœur ni les pensées des hommes, l’Ancien Sāriputta ignorait la nature de son co-résident. Mais le Maître le savait et, en un seul jour, lui accorda l’état d’Arahat et une érudition parfaite. Oh, que sont grands les merveilleux pouvoirs d’un Bouddha ! »
En entrant et en prenant le siège qui lui avait été préparé, le Maître demanda : « Quel est le thème de votre discours ici en conclave, Frères ? »
« Rien d’autre, Bienheureux, que ceci : que toi seul avais connaissance du cœur et pouvais lire les pensées du co-résident du Capitaine de la Foi. »
« Ce n’est pas étonnant, Frères ; que moi, en tant que Bouddha, je connaisse maintenant le tempérament de ce Frère. Même autrefois, je le connaissais aussi bien. » Et, ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Il était une fois Brahmadatta qui régnait à Bénarès. À cette époque, le Bodhisatta était le directeur du roi pour les affaires temporelles et spirituelles.
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À ce moment-là, on avait lavé un autre cheval, une bête affreuse, au bain du destrier royal. Et lorsque le palefrenier voulut conduire le destrier dans la même eau, l’animal, outré, refusa d’y entrer. Le palefrenier alla donc trouver le roi et lui dit : « S’il vous plaît, Votre Majesté, votre destrier refuse de prendre son bain. »
Le roi envoya alors le Bodhisatta en disant : « Allez, sage, et découvrez pourquoi l’animal refuse d’aller à l’eau lorsqu’on le mène. » « Très bien, sire », dit le Bodhisatta, et il se dirigea vers la rive. Là, il examina le cheval ; et, constatant qu’il ne souffrait d’aucune maladie, il essaya d’en deviner la raison. Finalement, il conclut qu’un autre cheval avait dû être lavé à cet endroit, et que le destrier en avait été si offensé qu’il refusa d’aller à l’eau. Il demanda donc aux palefreniers quel animal ils avaient lavé en premier. « Un autre cheval, mon seigneur, un animal ordinaire. » « Ah, c’est son amour-propre qui a été si profondément offensé qu’il refuse d’aller à l’eau », se dit le Bodhisatta ; « il faut le laver ailleurs. » Il dit alors au palefrenier : « Un homme se lassera, mon ami, même des mets les plus délicats, s’il en a toujours. Et c’est ainsi pour ce cheval. Il a été lavé ici d’innombrables fois. Emmenez-le à d’autres eaux [185], et là, baignez-le et abreuvez-le. » Et ce disant, il répéta cette strophe :
Change d’endroit et laisse boire le destrier
Maintenant ici, maintenant là, avec un changement constant de décor.
Car même le lait de riz fait enfin un homme.
Après avoir écouté ses paroles, ils emmenèrent le cheval ailleurs, où ils l’abreuvèrent et le lavèrent sans problème. Pendant qu’ils lavaient l’animal après l’avoir abreuvé, le Bodhisatta retourna auprès du roi. « Eh bien », dit le roi, « mon cheval a-t-il bu et pris son bain, mon ami ? » « Oui, sire. » « Pourquoi ne l’a-t-il pas fait tout de suite ? » « Pour la raison suivante », répondit le Bodhisatta, et il raconta toute l’histoire au roi. « Quel homme intelligent ! » dit le roi ; « il peut lire dans les pensées même d’un animal comme celui-ci. » Il rendit un grand honneur au Bodhisatta et, à la fin de sa vie, s’éteignit pour vivre selon ses mérites. Le Bodhisatta s’éteignit également pour vivre selon ses mérites.
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Lorsque le Maître eut terminé sa leçon et répété ce qu’il avait dit quant à sa connaissance, dans le passé comme dans le présent, de la disposition de ce Frère, il montra le lien et identifia la Naissance en disant : « Ce Frère était le destrier d’État de cette époque ; Ananda était le roi et moi-même le sage ministre. »
65:1 Rāhu était une sorte de Titan dont on pensait qu’il provoquait des éclipses en avalant temporairement le soleil et la lune. ↩︎