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« Avec de lourdes charges. » — Cette histoire fut racontée par le Maître alors qu’il était à Jetavana, à propos du Double Miracle, qui, avec la Descente du Ciel, sera relatée dans le Treizième Livre, dans le Sarabhamiga-jātaka [1].
Après avoir accompli le Double Miracle et avoir séjourné au Ciel, le Bouddha Omniscient descendit dans la ville de Samkassa le jour de la Grande Fête de Pavāraṇā [2], et de là, accompagné d’une nombreuse suite, se rendit à Jetavana.
Réunis dans la Salle de la Vérité, les Frères étaient assis, louant les vertus du Maître et disant : « Messieurs, le Bouddha est sans égal ; nul ne peut porter le joug du Bouddha. Les Six Maîtres, bien qu’ils aient si souvent protesté qu’eux seuls accompliraient des miracles, n’en ont pas accompli un seul. Oh ! que le Maître est sans égal ! »
Entrant dans la salle et demandant le thème que les Frères discutaient en conclave [194], le Maître fut informé que leur sujet n’était autre que ses propres vertus. « Frères », dit le Maître, « qui portera désormais le joug que j’ai porté ? Même autrefois, lorsque je prenais vie sous la forme d’un animal, j’étais sans égal. » Et, ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta prit vie sous la forme d’un taureau. Alors qu’il n’était encore qu’un jeune veau, ses propriétaires, hébergés chez une vieille femme, le lui cédèrent en règlement de leurs comptes. Elle l’éleva comme son propre enfant, le nourrissant de gruau de riz, de riz et d’autres bonnes choses. On le surnomma « Noir de grand-mère ». En grandissant, il errait avec le reste du bétail du village et était noir comme du jais. Les gamins du village s’accrochaient à ses cornes, à ses oreilles et à ses fanons pour les chevaucher ; ou bien, par jeu, ils s’accrochaient à sa queue et montaient sur son dos.
Un jour, il pensa : « Ma mère est très pauvre ; elle m’a élevé péniblement, comme si j’étais son propre enfant. Et si je gagnais un peu d’argent pour alléger son sort ? » Dès lors, il chercha toujours du travail. Or, un jeune marchand, à la tête d’une caravane, arriva un jour avec cinq cents chariots à un gué dont le fond était si accidenté que ses bœufs ne pouvaient les tirer. Et même après avoir sorti les cinq cents paires de bœufs et les avoir attelés ensemble pour former un seul attelage, ils ne purent faire traverser la rivière à une seule charrette. Tout près de ce gué, le Bodhisatta se trouvait avec le reste du bétail du village. Et le jeune marchand, connaisseur en bétail, parcourut le troupeau du regard pour voir s’il y avait parmi eux un taureau pur-sang capable de tirer les chariots. Lorsque son regard tomba sur le Bodhisatta, il fut certain qu’il le ferait. Pour découvrir qui était son propriétaire, il dit aux bergers : « À qui appartient cet animal ? Si je pouvais l’atteler et faire traverser mes chariots, je paierais ses services. » Ils dirent : « Prenez-le et attelez-le ; il n’a pas de maître par ici. »
Mais lorsque le jeune marchand glissa une corde [195] sous le nez du Bodhisatta et tenta de l’entraîner, le taureau ne bougea pas. Car, dit-on, le Bodhisatta ne partirait pas tant que sa paie ne serait pas fixée. Comprenant ce qu’il voulait dire, le marchand dit : « Maître, si vous faites traverser ces cinq cents chariots, je vous paierai deux pièces par charrette, soit mille pièces en tout. »
Il ne fallut plus forcer pour faire venir le Bodhisatta. Il partit, et les hommes l’attelèrent aux chariots. Il tira le premier d’un seul coup et le fit atterrir haut et sec ; et il procéda de même avec toute la file de chariots.
Le jeune marchand attacha au cou du Bodhisatta une liasse contenant cinq cents pièces, soit une seule par chariot. Le Bodhisatta pensa : « Ce type ne nous paie pas comme convenu ! Je ne le laisserai pas passer ! » Il se plaça donc en travers du chemin du chariot de tête et lui barra le passage. Malgré tous leurs efforts, ils ne purent l’écarter. « Je suppose qu’il sait que je l’ai sous-payé », pensa le marchand. Il enveloppa mille pièces dans une liasse qu’il attacha au cou du Bodhisatta en disant : « Voici votre salaire pour avoir tiré les chariots. » Et le Bodhisatta repartit avec les mille pièces chez sa « mère ».
« Qu’est-ce que ça a autour du cou de Blackie de Grand-mère ? » s’écrièrent les enfants du village en courant vers lui. Mais le Bodhisatta les attaqua de loin et les fit détaler, si bien qu’il parvint enfin à rejoindre sa « mère ». Il semblait épuisé, les yeux injectés de sang, à force de traîner ces cinq cents chariots sur la rivière. La pieuse femme, trouvant mille pièces de monnaie autour de son cou, s’écria : « Où as-tu trouvé ça, mon enfant ? » Apprenant des bergers ce qui s’était passé, elle s’exclama : « Ai-je envie de vivre de tes gains, mon enfant ? Pourquoi as-tu enduré tant de fatigue ? » En disant cela, elle lava le Bodhisatta à l’eau tiède et le frictionna entièrement avec de l’huile ; elle lui donna à boire et le régala de nourriture. Et lorsque sa vie prit fin, elle s’éteignit, avec le Bodhisatta, pour vivre selon ses mérites.
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Lorsqu’il eut terminé cette leçon pour montrer que le Bouddha était sans égal dans le passé comme alors, il montra le lien en prononçant, en tant que Bouddha, cette strophe :
[196] Avec de lourdes charges à transporter, avec de mauvaises routes,
Ils attelent « Blackie » ; il tire bientôt la charge.
Après sa leçon pour montrer que seul « Blackie » pouvait tirer la charge, il a montré le lien et a identifié la Naissance en disant : « Uppala-Vaṇṇā était la vieille femme de cette époque, et moi-même « Blackie de grand-mère ».