« Seuls ceux qui sont « divins » appellent. » — Cette histoire a été racontée par le Bienheureux alors qu’il était à Jetavana, à propos d’un Frère riche.
La tradition raconte qu’à la mort de sa femme, un écuyer de Sāvatthi rejoignit la Confrérie. Lors de son adhésion, il fit construire une chambre, une pièce pour le feu et un cellier ; et ce n’est qu’après avoir approvisionné son cellier en ghee, riz et autres denrées qu’il adhéra définitivement. Même après être devenu frère, il avait l’habitude de faire venir ses serviteurs et de leur faire préparer ce qu’il aimait. Il était richement pourvu du nécessaire [1] : il avait des vêtements de rechange pour la nuit et un autre pour le jour ; et il vivait à l’écart, aux abords du monastère.
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Un jour qu’il avait sorti ses vêtements et sa literie et les avait étendus pour sécher dans sa chambre, un certain nombre de frères de la campagne, qui étaient en pèlerinage de monastère en monastère [2], arrivèrent en chemin dans sa cellule et trouvèrent tous ces biens.
« À qui sont-ils ? » demandèrent-ils. « À moi, messieurs », répondit-il. « Quoi, monsieur ? » s’écrièrent-ils ; « ce drap de dessus et celui-là aussi ; ce drap de dessous et celui-là ; et cette literie aussi, est-ce tout à vous ? » « Oui, à personne d’autre qu’à moi. » « Monsieur », dirent-ils, « le Bienheureux n’a autorisé que trois draps ; et pourtant, bien que le Bouddha, à la doctrine duquel vous vous êtes consacrés, soit si simple dans ses besoins, vous avez bel et bien amassé tout ce stock de choses nécessaires. Venez ! nous devons vous conduire devant le Seigneur de la Sagesse. » Et, sur ces mots, ils partirent avec lui auprès du Maître.
Prenant conscience de leur présence, le Maître dit : « Pourquoi, Frères, avez-vous amené le Frère contre son gré ? » « Monsieur, ce Frère est aisé et possède un stock considérable de choses nécessaires. » « Est-il vrai, Frère, comme on le dit, que vous êtes si aisé ? » « Oui, Bienheureux. » « Mais pourquoi, Frère, avez-vous amassé ces biens ? N’exalte-je pas les vertus du manque de besoin, du contentement, etc., de la solitude et de la détermination ? »
Irrité par les paroles du Maître, il s’écria : « Alors je vais faire comme ça ! » Et, se débarrassant de ses vêtements de dessus, il se tint au milieu d’eux, vêtu seulement de sa ceinture.
Puis, pour le soutenir moralement, le Maître dit : « N’est-ce pas toi, Frère, qui autrefois recherchais la honte qui craint le péché, et qui, même lorsque tu étais un démon de l’eau, as vécu douze ans à la recherche de cette honte ? Comment se fait-il alors qu’après avoir fait vœu de suivre la doctrine du Bouddha, tu aies jeté tes vêtements et te tiens ici, sans honte ? »
Au mot du Maître, sa honte lui revint ; il revêtit de nouveau sa robe et, saluant le Maître, s’assit à côté.
Les Frères ayant demandé au Bienheureux de leur expliquer la chose qu’il avait mentionnée, le Bienheureux leur expliqua clairement ce qui leur avait été caché par la renaissance.
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Il était une fois Brahmadatta qui régnait à Bénarès, à Kāsi. Le Bodhisatta, né à cette époque comme fils du roi et de la reine, fut nommé prince Mahiṃsāsa. Avant qu’il ne puisse courir, un second fils naquit au roi, et on lui donna le nom de Prince Lune ; mais avant qu’il ne puisse courir, la mère du Bodhisatta mourut. Le roi prit alors une autre reine, qui fit sa joie et ses délices ; et leur amour fut couronné par la naissance d’un autre prince, qu’ils nommèrent Prince Soleil. Dans sa joie à la naissance du garçon, le roi promit de lui accorder toute faveur qu’elle pourrait demander pour l’enfant. Mais la reine chérissait cette promesse, espérant qu’elle se réaliserait au moment opportun. Plus tard, lorsque son fils eut grandi, elle dit au roi : « Sire, à la naissance de mon fils, vous m’avez accordé une faveur pour lui. Qu’il soit roi. »
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« Non », dit le roi, « j’ai deux fils, aussi brillants que des flammes ; je ne peux donner le royaume à votre fils. » Mais voyant que, sans se laisser intimider par ce refus, la reine le harcelait sans cesse pour qu’il accède à sa requête, le roi, craignant que la femme ne complote contre ses fils, les fit venir et dit : « Mes enfants, à la naissance du prince Soleil, je lui ai accordé une faveur ; et maintenant sa mère veut le royaume pour lui. Je ne souhaite pas le lui donner ; mais les femmes sont naturellement mauvaises, et elle complotera contre vous. Vous feriez mieux de vous retirer dans la forêt, pour revenir à ma mort régner sur la ville qui appartient de droit à notre maison. » Ce disant, en larmes et en lamentations, le roi embrassa ses deux fils sur la tête et les laissa partir.
Alors que les princes quittaient le palais après avoir fait leurs adieux à leur père, qui pouvait les voir sinon le prince Soleil lui-même, qui jouait dans la cour ? Aussitôt informé de la situation, il décida de partir avec ses frères. Il partit donc lui aussi en leur compagnie.
Les trois arrivèrent dans la région de l’Himalaya ; et là, le Bodhisatta, qui s’était détourné de la route et était assis au pied d’un arbre, dit au Prince Soleil : « Cours à l’étang là-bas, cher Soleil ; bois et baigne-toi là ; puis rapporte-nous aussi de l’eau dans une feuille de lotus. »
(Or, cette piscine avait été remise à un certain esprit des eaux par Vessavaṇa [3], qui lui dit : « À l’exception de ceux qui savent ce qui est vraiment divin, tous ceux qui descendent dans cette piscine sont à toi pour être dévorés. Sur ceux qui n’entrent pas dans les eaux, tu n’as aucun pouvoir qui t’est accordé. » Et dès lors, l’esprit des eaux avait l’habitude de demander à tous ceux qui descendaient dans la piscine ce qui était vraiment divin, dévorant tous ceux qui ne le savaient pas.)
C’est dans ce bassin que le prince Soleil descendit, sans le moindre soupçon, et fut saisi par l’esprit des eaux, qui lui dit : « Sais-tu ce qui est véritablement divin ? » « Oh oui », dit-il ; « le soleil et la lune. » « Tu ne sais pas », dit le monstre. Il entraîna le prince dans les profondeurs de l’eau et l’y emprisonna dans sa propre demeure. Constatant que son frère était parti depuis longtemps, le Bodhisatta envoya le prince Lune. Lui aussi fut saisi par l’esprit des eaux et lui demanda s’il savait ce qui était véritablement divin. « Oh oui, je sais », dit-il ; « les quatre coins du ciel sont. » « Tu ne sais pas », dit l’esprit des eaux en emmenant cette seconde victime dans la même prison.
Constatant que ce second frère tardait trop, le Bodhisatta fut certain qu’il leur était arrivé quelque chose. Il les suivit donc et suivit leurs pas jusque dans l’eau. [129] Comprenant aussitôt [ p. 26 ] que le bassin devait être le domaine d’un esprit des eaux, il ceignit son épée, prit son arc et attendit. Lorsque le démon comprit que le Bodhisatta n’avait aucune intention d’entrer dans l’eau, il prit la forme d’un forestier et, sous cette apparence, s’adressa ainsi au Bodhisatta : « Tu es fatigué de ton voyage, mon ami ; pourquoi n’entres-tu pas te baigner, boire un verre et te parer de lotus ? Tu continuerais ton voyage confortablement ensuite. » Reconnaissant aussitôt qu’il s’agissait d’un démon, le Bodhisatta dit : « C’est toi qui as capturé mes frères. » « Oui, c’est bien ça », répondit-il. « Pourquoi ? » Car tous ceux qui descendent dans cette piscine m’appartiennent. « Quoi, tous ? » « Pas ceux qui savent ce qui est vraiment divin ; tous sauf ceux-là sont à moi. » « Et veux-tu connaître ce qui est divin ? » « Moi, je le veux. » « S’il en est ainsi, je te dirai ce qui est vraiment divin. » « Fais-le, et je t’écouterai. »
« J’aimerais commencer », dit le Bodhisatta, « mais je suis souillé par mon voyage. » Alors l’esprit des eaux baigna le Bodhisatta, lui donna à manger et à boire, le décora de fleurs, l’aspergea de parfums et lui installa un lit au milieu d’un magnifique pavillon. S’asseyant sur ce lit et faisant asseoir l’esprit des eaux à ses pieds, le Bodhisatta dit : « Écoute donc et tu comprendras ce qu’est le véritable divin. » Et il répéta cette strophe :
Seuls ceux qui se détournent du péché sont appelés « divins »,
Les fidèles tranquilles du Bien à l’âme blanche.
[132] Et lorsque le démon entendit cela, il fut satisfait et dit au Bodhisatta : « Homme de sagesse, je suis satisfait de toi et je te donne l’un de tes frères. Lequel dois-je amener ? » « Le plus jeune. » « Homme de sagesse, bien que tu saches si bien ce qu’est le véritable divin, tu n’agis pas selon tes connaissances. » « Comment cela ? » « Tu préfères le plus jeune à l’aîné, sans tenir compte de son ancienneté. » « Démon, non seulement je connais, mais je pratique le divin. C’est à cause de ce garçon que nous avons cherché refuge dans la forêt ; c’est pour lui que sa mère a demandé le royaume à notre père, et notre père, refusant d’accéder à sa demande, a consenti à notre fuite vers le refuge de la forêt. Ce garçon est venu avec nous, et nous n’avons jamais pensé à revenir en arrière. Personne ne me croirait si je disais qu’il a été dévoré par un démon dans la forêt ; et c’est la peur de l’odieux qui me pousse à le réclamer de tes mains. »
« Excellent ! excellent ! Ô homme de sagesse ! » s’écria le démon en signe d’approbation ; « non seulement tu connais, mais tu pratiques la voie divine. » [133] Et en signe de satisfaction et d’approbation, il fit venir les deux frères et les donna tous deux au Bodhisatta.
Alors ce dernier dit à l’esprit des eaux : « Ami, c’est à cause de tes mauvaises actions passées que tu es né démon, te nourrissant de la chair et du sang d’autres créatures vivantes ; et dans cette vie présente, tu continues à faire le mal. Cette mauvaise conduite [ p. 27 ] t’empêchera à jamais d’échapper à la renaissance en enfer et aux autres états mauvais. C’est pourquoi, dès maintenant, renonce au mal et vis vertueusement. »
Après avoir œuvré à la conversion du démon, le Bodhisatta demeura en ce lieu sous sa protection, jusqu’au jour où il lut dans les étoiles la mort de son père. Emmenant alors l’Esprit des Eaux avec lui, il retourna à Bénarès et prit possession du royaume, faisant du Prince Lune son vice-roi et du Prince Soleil son généralissime. Il fit construire pour l’Esprit des Eaux une demeure dans un lieu agréable et prit des mesures pour lui assurer les guirlandes, les fleurs et la nourriture les plus raffinées. Il régna lui-même avec droiture jusqu’à sa mort, accomplissant ainsi ses actes.
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Sa leçon terminée, le Maître prêcha les Vérités, à la fin desquelles ce Frère obtint le Fruit du Premier Sentier. Et le Bouddha Omniscient, après avoir raconté les deux histoires, établit le lien entre elles et identifia la Naissance en disant : « Le Frère aisé était le démon de l’eau de cette époque ; Ānanda était le Prince Soleil, Sāriputta le Prince Lune, et moi-même le frère aîné, le Prince Mahiṃsāsa. »
[Note. Voir Dhammapada de Fausböll, p. 302, et Ten Jātakas, p. 88.]
23:2 C’est-à-dire un bol d’aumône, trois tissus, une ceinture, un rasoir, une aiguille et un filtre à eau. ↩︎
24:1 Je considère que c’est là le sens de senāsana-cārikā, par opposition à la cārikā ordinaire dans laquelle la destination était incertaine et dans laquelle les aumônes étaient reçues des laïcs. ↩︎
25:1 C’est un autre nom pour Kuvera, le Plutus hindou, demi-frère de Rāvaṇa, le roi-démon de Ceylan dans le Rāmāyaṇa. Comme il ressort du Jātaka n° 74, Vessavaṇa régnait sur les esprits des arbres ainsi que sur les esprits des eaux, exerçant son office depuis Sakka. ↩︎