« La conquête. » — Cette histoire fut racontée par le Maître alors qu’il était à Jetavana, à propos de l’Ancien nommé Cittahattha-Sāriputta. On dit qu’il était un jeune homme d’une bonne famille de Sāvatthi ; un jour, en rentrant du labour, il se rendit au monastère. Là, il reçut du bol d’un certain Ancien un mets délicat, riche et sucré, qui lui fit penser : « Jour et nuit, je travaille dur à diverses tâches, et pourtant je ne goûte jamais de nourriture aussi douce. Je dois devenir Frère moi-même ! » Il rejoignit donc la Confrérie, mais après six semaines d’application zélée à la pensée élevée, il tomba sous l’emprise des Convoitises et il partit. Son ventre se révélant à nouveau trop lourd, il revint rejoindre la Confrérie et étudia l’Abhidhamma [^123]. Il quitta ainsi la Confrérie six fois et y revint à nouveau ; mais lorsqu’il devint Frère pour la septième fois, il maîtrisa les sept livres de l’Abhidhamma et, par de nombreuses psalmodies de la Doctrine des Frères, acquit le Discernement et atteignit l’état d’Arahat. Ses amis parmi les Frères se moquèrent alors de lui, disant : « Serait-il possible, monsieur, que les luxures aient cessé de surgir dans votre cœur ? »
« Messieurs », fut la réponse, « j’ai désormais dépassé la vie mondaine. »
Ayant ainsi obtenu l’état d’Arahat, le bruit s’éleva dans la Salle de la Vérité, comme suit : « Messieurs, bien qu’il fût destiné à toutes les gloires de l’état d’Arahat, Cittahattha-Sāriputta renonça pourtant à la Fraternité à six reprises ; en vérité, l’état non converti est une grande erreur. »
De retour dans la salle, le Maître leur demanda de quoi ils parlaient. On lui répondit : « Frères, le cœur du mondain est léger et difficile à maîtriser ; les choses matérielles l’attirent et le retiennent ; une fois ainsi retenu, il ne peut être libéré en un clin d’œil. Excellente est la maîtrise d’un tel cœur ; une fois maîtrisé, il apporte joie et bonheur.
Il est bon d’apprivoiser un cœur têtu et fragile,
La passion l’emporte. Une fois apprivoisé, le cœur apporte la félicité.
C’est à cause de cette qualité obstinée du cœur, cependant, que, pour une jolie bêche qu’ils ne pouvaient se résoudre à jeter, les sages et les bons d’autrefois retournèrent six fois au monde par pure cupidité ; mais à la septième fois, ils gagnèrent la perspicacité et domptèrent leur cupidité. Et ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Un jour, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta reprit vie en tant que jardinier et grandit. « Sage à la bêche » était son nom. Avec sa bêche, il défricha un lopin de terre et y fit pousser des herbes aromatiques, des citrouilles, des courges, des concombres et autres légumes, dont la vente lui rapportait une maigre subsistance. Car, à part cette seule bêche, il n’avait rien au monde ! Résolu un jour à abandonner le monde pour la vie religieuse, il cacha sa bêche et devint reclus. Mais le souvenir de cette bêche remonta à son cœur et la passion de l’avidité le submergea, si bien que, pour sa bêche émoussée, il retourna au monde. [313] Cela se reproduisit à maintes reprises ; six fois, il cacha sa bêche et devint reclus, pour finalement renoncer à ses vœux. Mais la septième fois, il se rappela comment cette bêche émoussée l’avait fait rechuter à maintes reprises ; et il résolut de la jeter dans un grand fleuve avant de redevenir un reclus. Il emporta donc la bêche jusqu’au bord de la rivière et, craignant de revenir la repêcher en la voyant tomber, il fit tournoyer la bêche trois fois autour de sa tête par le manche et la lança avec la force d’un éléphant au milieu du courant, les yeux fermés. Alors retentit un grand cri de joie, un cri pareil au rugissement d’un lion : « J’ai vaincu ! J’ai vaincu ! »
Juste à ce moment-là, le roi de Bénarès, rentrant chez lui après avoir réprimé le désordre à la frontière, se baignait dans cette même rivière et chevauchait son éléphant dans toute sa splendeur lorsqu’il entendit le cri de triomphe du Bodhisatta. « Voici un homme », dit le roi, « qui proclame sa victoire. Je me demande qui il a vaincu. Allez, amenez-le-moi. »
Le Bodhisatta fut donc amené devant le roi, qui lui dit : « Mon bon ami, je suis moi-même un conquérant ; je viens de gagner une bataille et je rentre victorieux. Dites-moi qui vous avez vaincu. » « Seigneur », dit le Bodhisatta, « mille, oui, cent mille, de telles victoires sont vaines, si vous ne possédez pas la victoire sur les Désirs intérieurs. C’est en vainquant l’avidité intérieure que j’ai vaincu mes Désirs. » Tout en parlant, il contempla le grand fleuve et, en concentrant son esprit sur l’idée de l’eau, acquit la Vision. Puis, grâce à ses pouvoirs transcendantaux nouvellement acquis, il s’éleva dans les airs et, assis là, instruisit le roi dans la Vérité en cette stance :
La conquête qui par de nouvelles victoires
Il faut le maintenir, ou bien il faut enfin le vaincre,
C’est vain ! La véritable conquête dure éternellement !
[314] Tandis qu’il écoutait la Vérité, la lumière brilla dans les ténèbres du roi, et les convoitises de son cœur furent apaisées ; son cœur était déterminé à renoncer au monde ; aussitôt, le désir de domination royale le quitta. « Et où irez-vous maintenant ? » dit le roi au Bodhisatta. « Dans l’Himalaya, Seigneur ; pour y vivre la vie d’anachorète. » « Alors, moi aussi, je deviendrai anachorète », dit le roi ; et il partit avec le Bodhisatta. Et avec le roi partit aussi toute l’armée, tous les brahmanes, les chefs de famille et tout le peuple, en un mot, toute l’armée qui était rassemblée là.
La nouvelle parvint à Bénarès que leur roi, ayant entendu la Vérité prêchée par le Sage de la Bêche, était prêt à vivre comme un anachorète et était parti avec toute son armée. « Et que ferons-nous ici ? » s’écrièrent les habitants de Bénarès. Sur ce, tous les habitants de cette ville, longue de douze lieues, partirent, formant un cortège de douze lieues, avec lequel le Bodhisatta passa jusqu’à l’Himalaya.
Alors le trône de Sakka, roi des Dévas, s’embrasa sous lui [1]. Regardant dehors, il vit que le Sage de la Bêche était occupé à une Grande [ p. 171 ] Renonciation [2]. Notant le nombre de ses disciples, Indra réfléchit à la manière de les loger tous. Il fit venir Vissakamma, l’architecte des Dévas, et dit ainsi : « Le Sage de la Bêche est occupé à une Grande Renonciation, [315] et il faut lui trouver un logement. Allez dans l’Himalaya, et là, sur un terrain plat, façonnez par la puissance divine un domaine d’ermite de trente lieues de long et quinze de large. »
« Ce sera fait, sire », dit Vissakamma. Et il partit, et fit ce qu’on lui avait ordonné.
(Ce qui suit n’est qu’un résumé ; les détails complets seront donnés dans le Hatthipāla-jātaka [3], qui forme un récit avec celui-ci.) Vissakamma fit élever un ermitage dans le domaine de l’ermite ; chassa toutes les bêtes bruyantes, les oiseaux et les fées ; et fit dans chaque direction cardinale un chemin juste assez large pour qu’une personne puisse le parcourir à la fois. Cela fait, il se rendit dans sa propre demeure. Le Sage de la Bêche avec son armée de gens arriva dans l’Himalaya et entra dans le domaine qu’Indra avait donné et prit possession de la maison et des meubles que Vissakamma avait créés pour les ermites. Tout d’abord, il renonça au monde lui-même, et ensuite fit y renoncer le peuple. Puis il partagea le domaine entre eux. Ils abandonnèrent toute leur souveraineté, qui rivalisait avec celle de Sakka lui-même ; et les trente lieues du domaine furent remplies. En accomplissant tous les autres rites [4] qui conduisent à la Vision, le Sage de Pique développa en lui une parfaite bienveillance et enseigna aux gens la méditation. Ainsi, tous obtinrent les Accomplissements et s’assurèrent leur entrée dans le Royaume de Brahma, tandis que tous ceux qui les servaient obtinrent l’accès au Royaume des Dévas.
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« Ainsi, Frères », dit le Maître, « le cœur, lorsque la passion le retient, est difficile à libérer. Lorsque les attributs de l’avidité surgissent en lui, ils sont difficiles à chasser, et même des personnes aussi sages et bonnes que celles mentionnées ci-dessus en sont rendues insensées. » Sa leçon terminée, il prêcha les Vérités, à l’issue desquelles certains gagnèrent la Première Voie, d’autres la Seconde, d’autres encore la Troisième, tandis que d’autres encore atteignirent l’état d’Arahant. De plus, le Maître démontra le lien et identifia la Naissance en disant : « Ānanda était le roi de ces jours, les disciples du Bouddha étaient les disciples, et moi-même le Sage de la Pique. »
169:1 Le troisième et le plus récent des Piṭakas, peut-être compilé à partir des Nikāyas du Sutta-piṭaka. ↩︎
170:1 Seuls les mérites d’un homme de bien luttant contre l’adversité pouvaient ainsi faire appel au trône de miséricorde de l’Archange. ↩︎
171:1 C’est seulement lorsqu’un futur Bouddha renonce au monde pour la vie religieuse, que sa « sortie » est appelée une Grande Renonciation. Cf. p. 61 du Vol. I. du texte de Fausböll concernant la « sortie » de Gotama. ↩︎
171:2 No. 509,—où, cependant, aucun autre détail n’est accordé. ↩︎