« Ils connaissaient le monde. » — Cette histoire fut racontée par le Maître alors qu’il était à la Bambouseraie, à propos d’une tentative de meurtre. Car, assis dans la Salle de la Vérité, la Confrérie parlait de la méchanceté de Devadatta, disant : « Messieurs, Devadatta ignore l’excellence du Maître ; il cherche réellement à le tuer ! » Le Maître entra alors dans la Salle et demanda de quoi ils parlaient. 323] On lui dit, il dit : « Ce n’est pas la première fois, Frères, que Devadatta cherche à me tuer ; il a fait exactement la même chose autrefois. » Et ce disant, il raconta cette histoire du passé.
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Il était une fois Brahmadatta qui régnait à Bénarès. Il avait un fils nommé Prince Méchant. Féroce et cruel, tel un serpent rongé par la rage, il ne parlait à personne sans insultes ni coups. Ce prince était pour tous, à l’intérieur comme à l’extérieur du palais, comme un ogre vorace, tant il était redouté et cruel.
Un jour, voulant s’amuser sur la rivière, il se rendit au bord de l’eau avec une nombreuse suite. Une violente tempête éclata et l’obscurité totale s’installa. « Salut ! » cria-t-il à ses serviteurs ; « Emmenez-moi au milieu du fleuve, [ p. 178 ] baignez-moi là, puis ramenez-moi. » Ils l’emmenèrent donc au milieu du fleuve et tinrent conseil : « Que va nous faire le roi ? Tuons ce méchant misérable ici et maintenant ! Alors, vas-y, espèce de peste ! » s’écrièrent-ils en le jetant à l’eau. Lorsqu’ils atteignirent la rive, on leur demanda où était le prince et ils répondirent : « Nous ne le voyons pas ; voyant la tempête approcher, il a dû sortir du fleuve et rentrer chez lui avant nous. »
Les courtisans se présentèrent devant le roi, et celui-ci demanda où était son fils. « Nous l’ignorons, sire », dirent-ils ; « une tempête s’est levée, et nous sommes repartis persuadés qu’il avait dû partir en avant. » Aussitôt, le roi fit ouvrir les portes ; il descendit jusqu’au bord de la rivière et ordonna de rechercher avec diligence le prince disparu. Mais aucune trace de lui ne fut retrouvée. Car, dans l’obscurité de la tempête, il avait été emporté par le courant et, tombant sur un tronc d’arbre, il y avait grimpé, descendant ainsi le courant, hurlant à tue-tête, terrorisé par la peur de se noyer.
Or, il y avait alors à Bénarès un riche marchand qui mourut, laissant quarante crores enfouis sur les rives de ce même fleuve. Soucieux de ses richesses, il renaquit sous la forme d’un serpent à l’endroit même où reposait son précieux trésor. Au même endroit, un autre homme avait caché trente crores et, assoiffé de richesses, renaquit sous la forme d’un rat. L’eau s’engouffra dans leur demeure ; les deux créatures, s’échappant par le chemin par lequel l’eau s’engouffrait, traversaient le ruisseau lorsqu’elles tombèrent par hasard sur le tronc d’arbre auquel le prince s’accrochait. Le serpent grimpa à une extrémité, le rat à l’autre ; ainsi tous deux prirent pied, le prince sur le tronc.
Sur la rive poussait aussi un arbre à coton, où vivait un jeune perroquet. Cet arbre, déraciné par les eaux en crue, tomba dans la rivière. La forte pluie terrassa le perroquet qui tenta de s’envoler, et il atterrit dans sa chute sur ce même tronc. Les quatre oiseaux se retrouvèrent alors à flotter ensemble sur l’arbre.
Or, le Bodhisatta était né à nouveau à cette époque comme brahmane dans le pays du Nord-Ouest. Renonçant au monde pour la vie d’ermite à son apogée, il s’était construit un ermitage au bord d’un méandre de la rivière ; et c’est là qu’il vivait désormais. Alors qu’il arpentait la rivière, à minuit, il entendit les cris stridents du prince et pensa : « Ce semblable ne doit pas périr ainsi sous les yeux d’un ermite aussi miséricordieux et compatissant que moi. Je le sauverai de l’eau et lui sauverai la vie. » Alors il cria joyeusement : « N’ayez pas peur ! N’ayez pas peur ! » et, plongeant à travers le courant, il saisit l’arbre par une extrémité et, fort comme un éléphant, le tira jusqu’à la rive d’un long coup, et déposa le prince sain et sauf sur la rive. Devenant alors [ p. 179 ] conscient du serpent, du rat et du perroquet, il les emporta dans son ermitage. Là, allumant un feu, il chauffa d’abord les animaux, car ils étaient les plus faibles, puis le prince. Cela fait, il apporta des fruits de toutes sortes et les présenta à ses invités, s’occupant d’abord des animaux, puis du prince. Cela mit le jeune prince en colère, qui se dit intérieurement : « Ce scélérat d’ermite ne respecte pas ma naissance royale, mais donne la priorité aux bêtes brutes sur moi. » Et il conçut de la haine contre le Bodhisatta !
Quelques jours plus tard, lorsque tous les quatre eurent recouvré leurs forces et que les eaux se furent retirées, le serpent fit ses adieux à l’ermite en ces termes : « Père, tu m’as rendu un grand service. Je ne suis pas pauvre, car j’ai quarante crores d’or cachés à un certain endroit. Si jamais tu as besoin d’argent, tout mon trésor sera à toi. Tu n’as qu’à venir sur place et à appeler « Serpent ». Le rat prit ensuite congé avec une promesse faite à l’ermite, comme à son trésor, lui demandant de venir appeler « Rat ». [325] Le perroquet fit alors ses adieux en disant : « Père, je n’ai ni argent ni or ; mais si jamais tu manques de riz de qualité, viens chez moi et appelle « Perroquet » ; et moi, avec l’aide de ma famille, je te donnerai de nombreuses charrettes de riz. » Enfin, le prince s’adressa au prince. Son cœur était empli d’une ingratitude abjecte et déterminé à mettre à mort son bienfaiteur si le Bodhisatta venait lui rendre visite. Mais, dissimulant son intention, il dit : « Viens me voir, père, quand je serai roi, et je t’accorderai les Quatre Conditions. » Sur ces mots, il partit et accéda peu après au trône.
Le Bodhisatta désira mettre leurs professions à l’épreuve. Il se rendit d’abord auprès du serpent et, debout près de sa demeure, l’appela « Serpent ». À ce mot, le serpent s’élança et, avec un profond respect, dit : « Père, il y a ici quarante vieilles bêtes en or. Déterrez-les et prenez-les toutes. » « C’est bien », dit le Bodhisatta ; « si j’en ai besoin, je ne les oublierai pas. » Puis, prenant congé du serpent, il se rendit chez le rat et l’appela « Rat ». Le rat fit comme le serpent. S’approchant ensuite du perroquet et l’appelant « Perroquet », l’oiseau s’envola aussitôt de la cime de l’arbre à son appel et demanda respectueusement si le Bodhisatta souhaitait qu’avec l’aide de sa famille, il récolte du riz pour lui dans la région de l’Himalaya. Le Bodhisatta congédia également le perroquet en lui promettant que, si besoin était, il n’oublierait pas l’offre de l’oiseau. Enfin, voulant à son tour mettre le roi à l’épreuve, le Bodhisatta se rendit à la satisfaction royale et, le lendemain de son arrivée, soigneusement vêtu, se rendit en ville pour faire l’aumône. Juste à ce moment, le roi ingrat, assis dans toute sa splendeur royale sur son éléphant d’apparat, parcourait la ville en procession solennelle, suivi d’une nombreuse suite. Apercevant le Bodhisatta de loin, il pensa : « Voici ce vaurien d’ermite qui vient se partager sa vie et sa faim. Je dois lui couper la tête avant qu’il puisse révéler au monde le service qu’il m’a rendu. » Dans ce but, il fit signe à ses serviteurs et, lorsqu’ils lui demandèrent ce qu’il désirait, dit : « Il me semble que ce scélérat d’ermite est là pour m’importuner. Veillez à ce que ce fléau ne s’approche pas de moi, mais saisissez-le et liez-le ; fouettez-le à chaque coin de rue ; puis faites-le sortir de la ville, décapitez-le sur le lieu de l’exécution et empalez son corps sur un poteau. »
Obéissant à l’ordre de leur roi, les serviteurs enchaînèrent l’innocent Grand Être et le fouettèrent à chaque coin de rue sur le chemin du lieu de l’exécution. Mais toutes leurs flagellations ne réussirent pas à émouvoir le Bodhisatta ni à lui arracher le moindre cri : « Ô, ma mère et mon père ! » Il se contenta de répéter cette stance :
Ceux qui connaissaient le monde connaissaient celui qui a formulé ce proverbe comme vrai -
« Une bûche rapporte plus que quelques hommes. »
Il répétait ces vers partout où il était fouetté, jusqu’à ce qu’enfin les sages parmi les spectateurs demandent à l’ermite quel service il avait rendu à leur roi. Le Bodhisatta raconta alors toute l’histoire, concluant par ces mots : « Il advient donc qu’en le sauvant du torrent, je me suis attiré tout ce malheur. Et quand je me rappelle comment j’ai ignoré les paroles des sages d’autrefois, je m’exclame, comme vous l’avez entendu. »
Remplis d’indignation par ce récit, les nobles, les brahmanes et toutes les classes sociales s’écrièrent d’un commun accord : « Ce roi ingrat ne reconnaît même pas la bonté de cet homme de bien qui a sauvé la vie de Sa Majesté. Comment pouvons-nous tirer profit de ce roi ? Saisissez le tyran ! » Et, dans leur colère, ils se ruèrent sur le roi de toutes parts et le tuèrent sur-le-champ, alors qu’il était monté sur son éléphant, à coups de flèches, de javelots, de pierres, de gourdins et de toutes les armes qui leur tombèrent sous la main. Ils traînèrent le corps par les talons jusqu’à un fossé et le jetèrent dedans. Puis ils oignirent le roi Bodhisatta et le mirent à leur tête.
Alors qu’il régnait avec justice, un jour, [327] il eut de nouveau envie d’essayer le serpent, le rat et le perroquet ; suivi d’une nombreuse suite, il arriva à l’endroit où résidait le serpent. À l’appel de « Serpent », le serpent sortit de son trou et, avec un profond respect, dit : « Voici votre trésor, mon seigneur ; prenez-le. » Le roi remit alors les quarante crores d’or à ses serviteurs et, se dirigeant vers l’endroit où résidait le rat, il appela « Rat ». Le rat sortit, salua le roi et remit ses trente crores. Remettant également ce trésor entre les mains de ses serviteurs, le roi se rendit à l’endroit où résidait le perroquet et appela « Perroquet ». L’oiseau revint de la même manière et, s’inclinant aux pieds du roi, lui demanda s’il devait récolter du riz pour Sa Majesté. « Nous ne vous dérangerons pas », dit le roi, « tant que vous n’aurez pas besoin de riz. Allons-y. » Ainsi, avec les [ p. 181 ] soixante-dix crores d’or, ainsi que le rat, le serpent et le perroquet, le roi retourna à la ville. Là, dans un noble palais, à l’étage duquel il monta, il fit loger et garder le trésor ; il fit fabriquer un tube d’or pour le serpent, un coffret de cristal pour abriter le rat et une cage d’or pour le perroquet. Chaque jour, sur ordre du roi, de la nourriture était servie aux trois créatures dans des vases d’or : du maïs grillé pour le perroquet et le serpent, et du riz parfumé pour le rat. Et le roi abondait en charité et en toutes bonnes œuvres. Ainsi, en harmonie et en bonne volonté les uns envers les autres, ces quatre-là vécurent leur vie ; et lorsque leur fin arriva, ils s’éteignirent selon leurs mérites.
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Le Maître dit : « Ce n’est pas la première fois, Frères, que Devadatta cherche à me tuer ; il a déjà fait pareil par le passé. » Sa leçon terminée, il réfléchit au lien et identifia la Naissance en disant : « Devadatta était le Roi Méchant en ces temps-là, Sāriputta le serpent, Moggallāna le rat, Ānanda le perroquet, et moi-même le Roi vertueux qui a conquis un royaume. »