[142] « Oies, hérons, éléphants, » etc. — Le Maître raconta cette histoire alors qu’il demeurait à Jetavana, à propos de Lakuṇṭaka le vénérable et le bon.
Or, ce vénérable Lakuṇṭaka, nous l’apprenons, était bien connu dans la foi du Bouddha, un homme célèbre, prononçant des paroles douces, un prédicateur mielleux, d’un discernement aigu, avec ses passions parfaitement maîtrisées, mais en stature le plus petit de tous les quatre-vingts Anciens, pas plus grand qu’un novice, comme un nain gardé pour l’amusement.
Un jour, alors qu’il se rendait à la porte de Jetavana pour saluer le Bouddha, trente frères de la campagne arrivèrent, venant le saluer eux aussi. Voyant l’Ancien, ils le prirent pour un novice ; ils tirèrent le coin de sa robe, lui saisirent les mains, lui tinrent la tête, lui pincèrent le nez, le saisirent par les oreilles, le secouèrent et le manipulèrent très rudement. Puis, après avoir déposé leur bol et leur robe, ils allèrent voir le Maître et le saluèrent. Ils lui demandèrent ensuite : « Monsieur, nous avons appris que vous avez un Ancien du nom de Lakuṇṭaka le Bon, un prédicateur mielleux. Où est-il ? » « Voulez-vous le voir ? » demanda le Maître. « Oui, Monsieur. » « C’est l’homme que vous avez vu près de la porte, et qui a agité sa robe et l’a tiré avec une grande rudesse avant de venir ici. » « Pourquoi, Seigneur, demandèrent-ils, comment se fait-il qu’un homme dévoué à la prière, plein de hautes aspirations, un vrai disciple, soit si insignifiant ? » « À cause de ses propres péchés », répondit le Maître ; et à leur demande, il leur raconta une histoire du vieux monde.
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Il était une fois, alors que le roi Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta devint Sakka, le roi des dieux. Brahmadatta ne supportait rien de vieux ou de décrépit, qu’il s’agisse d’éléphant, de cheval, de bœuf ou de quoi que ce soit d’autre. Il était plein de farces et, dès qu’il en voyait, il les chassait. Il cassait les vieilles charrettes ; il envoyait chercher les vieilles femmes qu’il croisait, leur frappait le ventre, puis les relevait et leur faisait peur ; il faisait rouler les vieillards et jouer par terre comme des sauteurs. S’il n’en voyait aucun, mais entendait seulement parler d’un vieux barbu dans telle ou telle ville, il le faisait venir et emportait son divertissement avec lui.
À cette occasion, le peuple, par honte, envoya ses parents hors des frontières du royaume. Les hommes ne s’occupèrent plus de leurs parents. Les amis du roi étaient aussi débauchés que lui. À mesure que les hommes mouraient, ils remplissaient les quatre mondes du malheur ; la compagnie des dieux diminuait de plus en plus.
Sakka vit qu’il n’y avait aucun nouveau venu parmi les dieux ; il réfléchit à la marche à suivre. Finalement, il trouva un plan. « Je vais l’humilier ! » pensa Sakka. Il prit alors la forme d’un vieil homme, plaça deux jarres de babeurre dans un vieux chariot déjanté, y attela deux vieux bœufs et partit un jour de fête. Brahmadatta, monté sur un éléphant richement caparaçonné, faisait une procession solennelle dans la ville toute décorée ; et Sakka, vêtu de haillons et conduisant ce chariot, vint à la rencontre du roi. Lorsque le roi aperçut le vieux chariot, il cria : « À vous de jouer ! » Mais son peuple répondit : « Où est-il, mon seigneur ? Nous ne voyons aucun chariot ! » (car Sakka, par son pouvoir, ne le laissait voir que par le roi). Sakka, s’approchant à plusieurs reprises du roi, finit par briser l’une des jarres sur sa tête, le faisant se retourner. Il brisa ensuite l’autre de la même manière. Le babeurre coula de chaque côté de sa tête. Le roi fut ainsi tourmenté, tourmenté et rendu malheureux par les agissements de Sakka.
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Voyant sa détresse, Sakka fit disparaître le chariot et reprit sa forme originelle. Suspendu dans les airs, la foudre à la main, il le réprimanda : « Ô roi méchant et injuste ! Ne vieilliras-tu jamais ? La vieillesse ne t’assaillira-t-elle pas ? Pourtant, tu te moques, tu te moques et tu méprises les vieux ! C’est à cause de toi seul, et de tes agissements, que les hommes meurent de tous côtés, que les quatre mondes de malheur sont remplis, et que les hommes ne peuvent se soucier du bien-être de leurs parents ! Si tu persistes, je te fendrai la tête de ma foudre. Va, et ne recommence plus. »
Après cette réprimande, il proclama la valeur des parents et fit connaître l’intérêt de respecter la vieillesse. Après quoi, il regagna son royaume. Dès lors, le roi n’eut plus l’idée de refaire ce qu’il avait fait auparavant.
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[144] Cette histoire terminée, le Maître, devenu parfaitement éclairé, récita ces deux distiques :
« Oies, hérons, éléphants et cerfs tachetés
Bien que tous différents, le lion a la même peur.
« De même, un enfant est grand s’il est intelligent ;
Les imbéciles peuvent être grands, mais ils ne peuvent jamais être grands [^89].
Lorsque ce discours fut terminé, le Maître déclara les Vérités et identifia la Naissance : à la conclusion des Vérités, certains de ces Frères entrèrent sur le Premier Sentier, d’autres sur le Second, et d’autres sur le Quatrième : « L’excellent Lakuṇṭaka était le roi de l’histoire, qui faisait des gens la cible de ses plaisanteries et devint ensuite lui-même une cible, tandis que moi-même j’étais Sakka. »
[^89] : 100 : 1 Ces lignes apparaissent dans Samyutta-Nikāya, pt. II. XXI. 6 (ii. p. 279, éd. P. TS).