[ p. 106 ]
« Viens, Tortue », etc. — Cette histoire, le Maître la raconta à Véḷuvana, au sujet de Devadatta. Le Maître apprit que Devadatta complotait sa mort. « Ah, mes frères », dit-il, « c’était exactement la même chose il y a longtemps ; Devadatta a essayé alors de me tuer, comme il essaie encore aujourd’hui. » Et il leur raconta cette histoire.
_____________________________
[153] Il était une fois, alors que Brahmadatta était roi de Bénarès, le Bodhisatta devint une antilope et vécut dans une forêt, dans un fourré près d’un lac. Non loin de ce même lac, un pic était perché au sommet d’un arbre ; et dans le lac vivait une tortue. Les trois devinrent amis et vécurent ensemble en amitié.
Un chasseur, errant dans la forêt, remarqua l’empreinte du Bodhisatta en descendant dans l’eau. Il tendit un piège de cuir, solide comme une chaîne de fer, et s’en alla. À la première veille de la nuit, le Bodhisatta descendit boire et se prit dans le nœud coulant. Il poussa alors un long et puissant cri. Le Pic descendit alors de la cime de son arbre, et la Tortue sortit de l’eau et consulta sur la conduite à tenir.
Le Pic dit à la Tortue : « Ami, tu as des dents, mords ce piège ; je vais veiller à ce que le chasseur reste à distance ; et si nous faisons tous les deux de notre mieux, notre ami ne perdra pas la vie. » Pour bien faire comprendre cela, il prononça la première strophe :
« Viens, Tortue, déchire le piège de cuir et mords-le de part en part,
Et je prendrai soin du chasseur et je le tiendrai loin de toi.
La Tortue se mit à ronger la lanière de cuir : le Pic se dirigea vers la demeure du chasseur. À l’aube, le chasseur sortit, couteau à la main. Dès que l’oiseau le vit sursauter, il poussa un cri, battit des ailes et le frappa au visage alors qu’il quittait la maison. « Un oiseau de mauvais augure m’a frappé ! » pensa le chasseur. Il se retourna et s’allongea un instant. Puis il se releva et prit son couteau. L’oiseau raisonna : « La première fois qu’il est sorti par la porte d’entrée, il sortira maintenant par l’arrière » et il s’assit derrière la maison. [154] Le chasseur raisonna de la même manière : « Quand je suis sorti par la porte d’entrée, j’ai vu un mauvais présage, maintenant je vais sortir par l’arrière ! » et il fit ainsi. Mais l’oiseau cria de nouveau et le frappa au visage. Constatant qu’il était de nouveau frappé par un oiseau de mauvais augure, le chasseur s’exclama : « Cette créature ne me lâchera pas ! » Et, se retournant, il resta couché jusqu’au lever du soleil. Lorsque le soleil fut levé, il prit son couteau et partit.
Le Pic se hâta de rejoindre ses amis. « Voici le chasseur ! » s’écria-t-il. La Tortue avait alors rongé toutes les lanières, à l’exception d’une seule, bien solide : ses dents semblaient sur le point de tomber et sa bouche était maculée de sang. Le Bodhisatta vit le jeune chasseur arriver comme l’éclair, couteau à la main ; il brisa la lanière et s’enfuit dans les bois. Le Pic se percha au sommet de son arbre. Mais la Tortue était si faible qu’elle resta là. Le chasseur la jeta dans un sac et l’attacha à un arbre.
Le Bodhisatta remarqua que la Tortue avait été prise et résolut de sauver la vie de son ami. Il le laissa donc voir au chasseur et fit semblant d’être faible. Le chasseur le vit et, le croyant faible, saisit son couteau et se lança à sa poursuite. Le Bodhisatta, se tenant hors de sa portée, le conduisit dans la forêt ; voyant qu’ils étaient arrivés au loin, lui échappa et revint aussi vite que le vent par un autre chemin. Il souleva le sac avec ses cornes, le jeta à terre, le déchira et laissa sortir la Tortue. Et le Pic descendit de l’arbre.
Alors le Bodhisatta s’adressa à eux deux : « Vous m’avez sauvé la vie, et vous avez agi en ami envers moi. Le chasseur va maintenant venir vous chercher ; toi aussi, ami Pic, tu migres ailleurs avec ta progéniture, et toi, amie Tortue, tu plonges dans l’eau. » Ils s’exécutèrent.
_____________________________
Le Maître, devenu parfaitement illuminé, prononça la deuxième strophe : —[155]
« La tortue est allée dans l’étang, le cerf dans le bois,
Et de l’arbre le pic emporta sa couvée.
Le chasseur revint et ne vit aucun d’eux. Il trouva son sac déchiré, le ramassa et rentra chez lui, triste. Les trois amis vécurent toute leur vie dans une amitié indéfectible, puis s’éteignirent, suivant leurs actes.
_____________________________
Lorsque le Maître eut terminé ce discours, il identifia la Naissance : « Devadatta était le chasseur, Sāriputta le pic, Moggallāna la tortue, et j’étais l’antilope. »