[ p. 197 ]
« Nourriture et boisson riches », etc. — Le Maître raconta cette histoire alors qu’il résidait au sanctuaire d’Aggālava, près d’Ālavī, à propos des règles de construction des cellules.
Des frères qui vivaient à Ālavī [1] mendiaient [2] de toutes parts les matériaux pour les maisons qu’ils se faisaient construire. Ils ne cessaient de s’agiter et de réclamer : « Donnez-nous un homme, donnez-nous quelqu’un pour faire le travail de domestique », etc. Tous étaient irrités par ces supplications. Leur agacement était tel qu’à la vue de ces frères, ils furent effrayés et s’enfuirent.
Il advint que le révérend père Mahākassapa entra à Ālavī et traversa le lieu en quête d’aumônes. Les gens, dès qu’ils aperçurent l’Ancien, s’enfuirent comme auparavant [^160]. Après le repas, de retour de sa tournée, il convoqua les frères et s’adressa à eux ainsi : « Autrefois, Ālavī était un haut lieu de l’aumône ; pourquoi est-il si pauvre maintenant ? » Ils lui en expliquèrent la raison.
Le Bienheureux résidait alors au sanctuaire d’Aggālava. L’Ancien vint le trouver et lui raconta tout. Le Maître convoqua les Frères à ce sujet. « J’ai entendu dire », dit-il, « que vous construisez des maisons et que vous sollicitez l’aide de tout le monde. Est-ce vrai ? » Ils répondirent que oui. Alors le Maître les réprimanda, ajoutant : « Même dans le monde des serpents, Frères, si rempli des sept pierres précieuses qu’il soit, cette sorte de mendicité est répugnante aux serpents. Combien plus encore aux hommes, dont il est aussi difficile d’obtenir une roupie que d’écorcher un silex ! » Et il raconta une histoire du vieux monde.
_____________________________
Il était une fois, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta naquit, fils d’un riche brahmane. Lorsqu’il fut en âge de courir, sa mère donna naissance à un autre être sage. Les deux frères, devenus grands, furent si profondément peinés par la mort de leurs parents qu’ils devinrent anachorètes et habitèrent dans des huttes de feuilles qu’ils avaient construites au bord d’un méandre du Gange. L’aîné avait sa loge près du Gange supérieur, et le cadet près du Gange inférieur.
Un jour, un Roi-Serpent (son nom était Maṇikaṇṭha, ou Gorge-de-Joyau) quitta sa demeure et, prenant la forme d’un homme, marcha le long de la rive jusqu’à l’ermitage du frère cadet. Il salua le propriétaire et s’assit à l’écart. Ils conversèrent agréablement ensemble ; et ils devinrent si amis qu’il n’y avait plus de vie séparée pour eux. Souvent, Gorge-de-Joyau venait rendre visite au jeune reclus, et s’asseyait pour parler et bavarder ; et lorsqu’il partit, il aimait tant l’homme qu’il quitta sa forme, entoura l’ascète de ses plis de serpent et l’embrassa, sa grande capuche sur la tête ; il resta là un moment, jusqu’à ce que son affection soit satisfaite ; puis il lâcha le corps de son ami et, lui disant adieu, retourna chez lui. Par peur de lui, l’ermite maigrit ; il devint sordide, perdit sa couleur, jaunit de plus en plus, et les veines se dressèrent sur sa peau.
Un jour, il rendit visite à son frère. « Eh bien, mon frère », lui dit-il, « qu’est-ce qui te fait maigrir ? Comment as-tu perdu tes couleurs ? Pourquoi es-tu si jaune, et pourquoi tes veines ressortent-elles ainsi sur ta peau ? »
L’autre lui a tout raconté.
« Viens me dire », dit le premier, « aimes-tu qu’il vienne ou non ? » [284]. « Non, je ne veux pas. »
« Eh bien, quel ornement porte le Roi-Serpent lorsqu’il vous rend visite ? »
« Un bijou précieux ! »
« Très bien. Lorsqu’il reviendra, avant qu’il ait le temps de s’asseoir, demandez-lui de vous donner le bijou. Il partira alors sans vous enlacer dans ses replis sinueux. Le lendemain, placez-vous devant votre porte et demandez-le-lui ; et le troisième jour, demandez-le-lui dès qu’il sortira de la rivière. Il ne vous rendra plus jamais visite. »
Le plus jeune promit de le faire et retourna à sa hutte. Le lendemain, lorsque le Serpent fut arrivé, l’ermite, debout, s’écria : « Donne-moi ton magnifique bijou ! » Le Serpent s’éloigna précipitamment sans s’asseoir. Le lendemain, l’ermite, impassible, s’arrêta à sa porte et s’écria à l’arrivée du Serpent : « Tu n’as pas voulu me donner ton bijou hier ! Aujourd’hui, tu dois le faire ! » Et le Serpent s’éclipsa sans entrer dans la hutte. Le troisième jour, l’homme s’écria, juste au moment où le Serpent émergeait de l’eau : « Voilà trois jours que je te le demande : viens, donne-moi ce bijou ! » Et le Serpent, parlant depuis sa place dans l’eau, refusa, selon les termes de ces deux strophes :
« Je peux avoir de la nourriture riche et des boissons en abondance
Au moyen de ce beau bijou dont vous rêvez :
Tu demandes trop, je ne te donnerai pas le joyau.
Je ne viendrai plus te rendre visite tant que je vivrai.
« Comme des jeunes gens qui attendent avec une épée trempée à la main,
Tu me fais peur car tu exiges mon bijou,
Tu demandes trop, je ne te donnerai pas le joyau,
Je ne viendrai jamais te rendre visite tant que je vivrai !
[ p. 199 ]
[285] Avec ces mots, le Roi des Serpents plongea sous l’eau et s’en alla chez lui, pour ne jamais revenir.
Alors l’ascète, ne revoyant plus son beau Roi-Serpent, devint de plus en plus maigre ; il devint plus sordide, perdit sa couleur plus qu’auparavant, et devint plus jaune, et les veines s’épaissirent sur sa peau !
Le frère aîné pensa aller voir comment son frère allait. Il lui rendit visite et le trouva plus jaune qu’avant.
« Mais comment cela se fait-il ? C’est pire que jamais ! » dit-il.
Son frère répondit : « C’est parce que je ne vois jamais le beau Roi des Serpents ! »
« Cet ermite, dit l’aîné en entendant sa réponse, ne peut vivre sans son Roi-Serpent ; » et il répéta le troisième verset :
« N’importune pas un homme dont tu apprécies l’amour,
Car la mendicité vous rend odieux à ses yeux.
Le brahmane a supplié le joyau du serpent si douloureusement
Il a disparu et n’est plus jamais revenu.
Il conseilla alors à son frère de ne pas s’affliger et, fort de cette consolation, le quitta et retourna à son ermitage. Après cela, les deux frères cultivèrent les Facultés et les Acquis, et furent destinés au ciel de Brahma.
_____________________________
Le Maître ajouta : « Ainsi, Frères, même dans le monde des serpents, où abondent les sept pierres précieuses, la mendicité est détestée par les serpents ; combien plus encore par les hommes ! » Et, après leur avoir enseigné cette leçon, il identifia la Naissance : « À cette époque, Ananda était le frère cadet, mais l’aîné, c’était moi-même. »
[^160] : 197 : 4 Lecture de patipajjīsu.