[ p. 26 ]
[^19]
« Quiconque est coupé », etc. — Le Maître, alors qu’il résidait à Jetavana, raconta cette histoire à propos d’un Frère en colère. L’incident qui a donné naissance à cette histoire a déjà été décrit. Le Maître demanda à ce Frère : « Pourquoi, après avoir reçu les ordres du Bouddha qui ignore la colère, manifestes-tu de la colère ? Les sages d’autrefois, bien qu’ils aient subi mille coups et eu les mains, les pieds, les oreilles et le nez coupés, ne manifestaient aucune colère envers autrui. » Puis il raconta une histoire d’autrefois.
Il était une fois un roi de Kāsi nommé Kalābu qui régnait à Bénarès. À cette époque, le bodhisatta naquit au sein d’une famille de brahmanes, doté de quatre-vingts millions de dollars de trésors, sous la forme d’un jeune homme nommé Kuṇḍakakumāra. Devenu majeur, il acquit la connaissance de toutes les sciences à Takkasilā et s’établit ensuite comme chef de famille.
À la mort de ses parents, contemplant son trésor, il pensa : « Mes parents, qui ont amassé ce trésor, sont tous partis sans l’emporter ; c’est maintenant à moi de le posséder et de partir à mon tour. » Il choisit alors avec soin les personnes qui, par leurs aumônes, le méritaient, et leur donna toutes ses richesses. Pénétrant dans l’Himalaya, il adopta la vie ascétique. Il y vécut longtemps, se nourrissant de fruits sauvages. Descendant vers les régions habitées pour se procurer du sel et du vinaigre, il gagna peu à peu Bénarès, où il s’installa dans le parc royal. Le lendemain, il fit le tour de la ville pour demander l’aumône, jusqu’à ce qu’il arrive à la porte du commandant en chef. Satisfait de la conduite de l’ascète, celui-ci le fit entrer dans la maison [40] et le nourrit de la nourriture préparée pour lui-même. Après avoir obtenu son consentement, il le fit s’installer dans le parc royal.
Un jour, le roi Kalābu, enflammé par l’alcool, entra dans le parc en grande pompe, entouré d’une troupe de danseurs. Il fit alors étendre un lit sur le siège royal de pierre et s’allongea, la tête sur les genoux d’un favori du harem, tandis que les jeunes filles, expertes en chant, en musique instrumentale et en danse, assuraient un divertissement musical. Sa magnificence était si grande qu’elle rappelait celle de Sakka, le Seigneur des cieux. Le roi s’endormit. Les femmes dirent alors : « Celui pour qui nous donnons de la musique s’est endormi. À quoi bon chanter ? » Elles laissèrent alors de côté leurs luths et autres instruments de musique et se dirigèrent vers le jardin, où, séduites par les fleurs et les arbustes fruitiers, elles ne tardèrent pas à s’ébattre.
À ce moment, le Bodhisatta était assis dans ce jardin, tel un éléphant royal, fier de sa vigueur, au pied d’un arbre Sāl en fleurs, savourant la félicité de la retraite loin du monde. Alors, ces femmes, errantes, le rejoignirent et lui dirent : « Venez ici, mesdames, et asseyons-nous pour écouter le prêtre qui se repose au pied de cet arbre, jusqu’à ce que le roi se réveille. » Puis elles allèrent le saluer et, s’asseyant en cercle autour de lui, elles dirent : « Dites-nous quelque chose qui mérite d’être entendu. » Le Bodhisatta leur prêcha alors la doctrine.
Pendant ce temps, la favorite royale réveilla le roi d’un mouvement de corps. Le roi, s’éveillant, ne voyant pas les femmes, demanda : « Où sont passés ces misérables ? » « Votre Altesse », dit-elle, « elles sont parties et sont assises auprès d’un certain ascète. » Le roi, furieux, saisit son épée et s’en alla précipitamment en disant : « Je vais donner une leçon à ce faux ascète. » Alors, les femmes les plus en faveur, voyant arriver le roi furieux, allèrent lui prendre l’épée des mains et le calmèrent. Puis il vint se placer près du Bodhisatta et demanda : « Quelle doctrine prêchez-vous, moine ? » « La doctrine de la patience, Votre Majesté », répondit-il. « Qu’est-ce que cette patience ? » demanda le roi. « Ne pas se mettre en colère quand les hommes vous insultent, vous frappent et vous insultent. » Le roi dit : « Je vais voir maintenant la réalité de votre patience », et il appela son bourreau. Dans l’exercice de ses fonctions, il prit une hache et un fouet d’épines, vêtu d’une robe jaune et coiffé d’une guirlande rouge. Il vint saluer le roi et dit : « Que voulez-vous, Sire ? » « Prenez et traînez ce vil ascète », dit le roi, « et jetez-le à terre, avec votre fouet d’épines, fouettez-le devant, derrière et de chaque côté, et infligez-lui deux mille coups. » Ce fut fait. Les peaux du Bodhisatta furent transpercées jusqu’à la chair, et le sang coula. Le roi demanda de nouveau : « Quelle doctrine prêchez-vous, moine ? » « La doctrine de la patience, Votre Altesse », répondit-il. « Vous croyez que ma patience n’est qu’une question de peau. Elle n’est pas superficielle, mais ancrée au plus profond de mon cœur, là où vous ne la voyez pas, Sire. » Le bourreau demanda de nouveau : « Que voulez-vous, Sire ? » Le roi dit : « Coupez les deux mains de ce faux ascète. » Il prit donc sa hache et, plaçant la victime dans le cercle fatal, lui coupa les deux mains. Le roi dit alors : « Qu’on lui coupe les pieds ! » Et ses pieds furent tranchés. Le sang coula des extrémités de ses mains et de ses pieds comme le jus d’une jarre percée. Le roi demanda de nouveau quelle doctrine il prêchait. « La doctrine de la patience, Votre Altesse », répondit-il. « Vous imaginez, Sire, que ma patience réside aux extrémités de mes mains et de mes pieds. Elle n’y est pas, mais elle est profondément ancrée ailleurs. » Le roi dit : « Coupez-lui le nez et les oreilles. » Le bourreau s’exécuta. Son corps tout entier était maintenant couvert de sang. Le roi l’interrogea de nouveau sur sa doctrine. Et l’asétique dit : « Ne croyez pas que ma patience réside au bout de mon nez et de mes oreilles : elle est profondément ancrée dans mon cœur. » Le roi dit : « Allonge-toi, faux moine, et de là, exalte ta patience. » Et disant cela, il frappa le Bodhisatta au-dessus du cœur avec son pied et s’éloigna.
Lorsqu’il fut parti, le commandant en chef essuya le sang du corps du Bodhisatta, [42] mit des bandages [^20] sur les extrémités de ses mains, de ses pieds, de ses oreilles et de son nez, puis l’ayant doucement placé sur un siège, il le salua et, s’asseyant sur un côté, il dit : « Si, Révérend Monsieur, vous voulez être en colère contre quelqu’un qui a péché contre vous, soyez en colère contre le roi, mais contre personne d’autre. » Et faisant cette demande, il répéta la première strophe :
Celui qui t’a coupé le nez et l’oreille, et le pied et la main,
Sois en colère contre lui, âme héroïque, mais épargne, nous t’en prions, cette terre.
Le Bodhisatta, en entendant cela, prononça la deuxième strophe :
Vive le roi, dont la main cruelle a ainsi souillé mon corps,
Les âmes pures comme la mienne ne font jamais de tels actes avec colère.
Et juste au moment où le roi quittait le jardin, et au moment même où il sortait du champ de vision du Bodhisatta, la puissante terre, épaisse de deux cent quarante mille lieues, se fendit en deux, telle une étoffe épaisse, et une flamme jaillissant d’Avīci s’empara du roi, l’enveloppant comme d’une robe royale de laine écarlate. Ainsi, le roi s’enfonça dans la terre, juste à la porte du jardin, et fut fermement fixé dans le grand Enfer d’Avīci. Et le Bodhisatta mourut ce jour-là. Les serviteurs du roi et les citoyens arrivèrent, parfums, couronnes et encens à la main, et célébrèrent les obsèques du Bodhisatta. Certains racontèrent que le Bodhisatta était reparti directement dans l’Himalaya. Mais ils disaient là une chose qui n’était pas.
[43]
Un saint d’autrefois, comme les hommes l’ont dit,
Un grand courage a été démontré :
Ce saint si fort pour souffrir le mal
Le roi Kāsi a tué.
Hélas ! la dette du vain regret
Ce roi devra payer ;
Condamné à demeurer dans l’enfer le plus profond,
Il regrettera longtemps ce jour.
Ces deux strophes ont été inspirées par la Sagesse Parfaite.
[ p. 29 ]
Le Maître, sa leçon terminée, révéla les Vérités et identifia la Naissance : — À la conclusion des Vérités, le Frère colérique atteignit la réalisation du Second Chemin, tandis que beaucoup d’autres atteignirent la réalisation du Premier Chemin : — « À cette époque, Devadatta était le roi Kalābu de Kāsi, Sāriputta était le Commandant en chef, et j’étais moi-même l’Ascète, le Prédicateur de la Patience. »
[^19] : 26 : 1 Voir Jātakamālā, n° 28 : « L’histoire de Kshāntivādin. »
[^20] : 28 : 1 Mahāvagga, vi. 14.5.