[137] « Celle qui a mangé tes mangues », etc. — Cette histoire fut racontée par le Maître alors qu’il était à Jetavana, à propos d’un ancien qui veillait sur les manguiers. Devenu vieux, dit-on, il devint ascète et construisit une hutte de feuilles dans un verger de manguiers à la périphérie de Jetavana. Non seulement il mangeait continuellement les fruits mûrs qui tombaient des manguiers, mais il en donnait aussi à ses proches. Alors qu’il se mettait à mendier, des voleurs abattirent ses mangues, en mangèrent une partie et s’en allèrent avec d’autres. À ce moment, les quatre filles d’un riche marchand, après s’être baignées dans la rivière Aciravatī, errèrent dans le verger de manguiers. Lorsque le vieil homme revint et les trouva là, il les accusa d’avoir mangé ses mangues.
« Monsieur, dirent-ils, nous venons juste d’arriver ; nous n’avons pas encore mangé vos mangues. »
« Alors, prête serment », dit-il.
« Nous le ferons, Seigneur », dirent-ils, et ils prêtèrent serment. Le vieillard, les ayant ainsi couverts de honte en les faisant prêter serment, les laissa partir.
Les Frères, apprenant son acte, soulevèrent une discussion dans la Salle de la Vérité : un vieil homme avait fait prêter serment aux filles d’un marchand qui étaient entrées dans le verger de manguiers où il vivait, et après les avoir humiliées en leur faisant prêter serment, les avait laissées partir. Lorsque le Maître arriva et, s’enquérant du sujet de discussion, il entendit ce qui se passait, il dit : « Non seulement maintenant, Frères, mais autrefois aussi, ce vieil homme, lorsqu’il gardait les manguiers, avait fait prêter serment aux filles d’un riche marchand, et après les avoir ainsi humiliées, les avait laissées partir. » Et, ce disant, il raconta une histoire du passé.
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Il était une fois, alors que Brahmadatta régnait à Bénarès, le Bodhisatta devint Sakka. À cette époque, un ascète fourbe construisit un ermitage de feuilles dans un verger de manguiers, au bord d’une rivière près de Bénarès. Surveillant les mangues, il mangea les fruits mûrs qui tombaient des manguiers et en donna à sa famille. Il y vécut, gagnant sa vie par diverses pratiques erronées.
À ce moment, Sakka, roi du ciel, pensa : « Qui, je m’en étonne, dans ce monde, soutient ses parents, honore les membres âgés de sa famille, fait l’aumône, observe la loi morale et jeûne ? Lesquels d’entre eux, après avoir adopté la vie religieuse, se consacrent continuellement aux devoirs dignes d’un prêtre, et lesquels, au contraire, se rendent coupables d’inconduite ? » Explorant le monde, il aperçut ce méchant ascète qui veillait sur ses mangues [138] et dit : « Ce faux ascète, abandonnant ses devoirs de prêtre, tels que le procédé par lequel on peut provoquer l’extase religieuse et autres choses du même genre, surveille continuellement un verger de manguiers. Je vais l’effrayer profondément. » Alors, lorsqu’il fut allé au village pour demander l’aumône, Sakka, par son pouvoir surnaturel, renversa les mangues, les faisant passer pour des voleurs. À ce moment, quatre filles d’un marchand de Bénarès entrèrent dans le verger, et le faux ascète, les voyant, les arrêta et leur dit : « Vous avez mangé mes mangues. »
Ils dirent : « Seigneur, nous venons juste d’arriver. Nous ne les avons pas encore mangés. »
« Alors, prête serment », dit-il.
« Mais dans ce cas, pouvons-nous y aller ? » demandèrent-ils. « Bien sûr. »
« Très bien, Monsieur », dirent-ils, et le plus âgé d’entre eux prêta serment en prononçant la première strophe :
Celle qui mangeait tes mangues,
Comme son seigneur reconnaîtra quelque rustre,
Que les cheveux gris seraient trichés avec de la teinture
Et ses mèches se bouclaient avec des pinces.
L’ascète dit : « Tiens-toi d’un côté », et il fit prêter serment à la seconde fille du marchand, qui répéta la deuxième strophe :
Que la servante qui a volé ton arbre
En vain soupire-t-on pour un mari,
Même si elle a dépassé l’adolescence,
Et à trente ans, presque près de la fin.
Et après avoir prêté serment et s’être tenue à l’écart, la troisième jeune fille prononça la troisième strophe :
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Celle qui a mangé tes mangues mûres
Le chemin fatigant doit être parcouru seul,
Et au rendez-vous, trop tard
Je suis en deuil de découvrir que son amant est parti.
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Lorsqu’elle eut prêté serment et s’écarta, la quatrième jeune fille prononça la quatrième strophe :
Celle qui a dépouillé ton arbre
Gaiement vêtu, avec une couronne sur la tête,
Et arrosé d’huile de santal
Je chercherai toujours un lit vierge.
L’ascète dit : « C’est un serment solennel que vous avez prêté ; d’autres ont dû manger les mangues. Allez-vous-en donc maintenant. » Et ce disant, il les renvoya. Sakka se présenta alors sous une forme terrible et chassa le faux ascète des lieux.
Le Maître, ayant terminé sa leçon, identifia la Naissance : « À cette époque, ce faux ascète était le vieil homme qui gardait les mangues. Les quatre filles du marchand jouaient alors le même rôle qu’aujourd’hui. Mais Sakka, c’était moi. »