« Puisque tu as gagné », etc. — Cette histoire fut racontée par le Maître, alors qu’il vivait à Jetavana, à propos de la tentation d’un Frère par sa femme, alors qu’il n’était pas encore régénéré. Lorsque le Frère confessa que c’était à cause de sa femme [ p. 145 ] qu’il était parti, qu’il regrettait d’avoir pris les ordres, le Maître dit : « Ce n’est pas seulement maintenant, Frère, que cette femme t’a fait du mal. Autrefois aussi, c’est à cause d’elle que tu as été décapité. » Et, à la demande des Frères, il raconta une histoire du passé.
Il était une fois, sous le règne de Brahmadatta, roi de Bénarès, le Bodhisatta, qui renaquit sous le nom de Sakka. À cette époque, un jeune brahmane de Bénarès acquit tous les arts libéraux à Takkasilā et, devenu expert en tir à l’arc, il était connu sous le nom de l’intelligent Petit Archer. Son maître pensa alors : « Ce jeune homme a acquis une habileté égale à la mienne », et il lui donna sa fille pour épouse. Il la prit et, désireux de retourner à Bénarès, il se mit en route. À mi-chemin de son voyage, un éléphant ravagea un endroit, et personne n’osa y monter. L’intelligent Petit Archer, malgré les tentatives des habitants, prit sa femme et grimpa jusqu’à l’entrée de la forêt. Alors qu’il était au milieu du bois, l’éléphant se leva pour l’attaquer. L’Archer le blessa au front d’une flèche qui, le transperçant de part en part, ressortit à l’arrière de sa tête, et l’éléphant tomba mort sur place. L’Archer astucieux, après avoir sécurisé cet endroit, continua sa route vers un autre bois. Cinquante brigands infestaient la route. Malgré les efforts des hommes pour l’arrêter, il grimpa jusqu’à l’endroit habituel, où les brigands tuèrent le cerf, rôtirent et mangèrent la venaison, près de la route. Les brigands, le voyant approcher avec sa femme, vêtue de couleurs vives, firent de grands efforts pour le capturer. Le chef des brigands, habile à déchiffrer le caractère d’un homme, lui jeta un coup d’œil et, reconnaissant en lui un héros distingué, ne les laissa pas se soulever contre lui, bien qu’il fût seul. L’Archer astucieux envoya sa femme vers ces brigands, en leur disant : « Allez leur dire de nous donner une broche de viande et de me l’apporter. » Elle alla donc dire : « Donnez-moi une broche de viande. » Le chef des brigands répondit : « C’est un brave garçon », et leur ordonna de la lui donner. Les brigands s’écrièrent : « Quoi ! Doit-il manger notre rôti ? » Et ils lui donnèrent un morceau de viande crue. L’Archer, ayant une bonne opinion de lui-même, fut en colère contre les brigands qui lui offraient de la viande crue. Les brigands dirent : « Quoi ! Est-il le seul homme, et ne sommes-nous que des femmes ? » Et le menaçant ainsi, ils se soulevèrent contre lui. L’Archer blessa et terrassa cinquante brigands sauf un avec le même nombre de flèches. Il n’avait plus de flèche pour blesser le chef des brigands. Il y avait bien cinquante flèches dans son carquois. Avec l’une d’elles, il avait blessé l’éléphant, et avec les autres, les cinquante brigands sauf un. Alors il renversa le chef des brigands et, assis sur sa poitrine, ordonna à sa femme de lui apporter son épée pour lui trancher la tête. À ce moment précis, elle conçut une passion pour le chef des brigands [221] et plaça la poignée de la [ p. 146 ] épée à la main et le fourreau dans celle de son mari. Le brigand, saisissant la poignée, tira l’épée et coupa la tête de l’archère. Après avoir tué son mari, il emmena la femme avec lui.Et tandis qu’ils voyageaient ensemble, il s’enquit de ses origines. « Je suis la fille », dit-elle, « d’un professeur de renommée mondiale à Takkasilā. »
« Comment t’a-t-il eue pour femme ? » demanda-t-il.
« Mon père, dit-elle, était si heureux d’avoir acquis de lui un art égal au sien qu’il me donna pour femme. Et parce que je suis tombée amoureuse de toi, je t’ai laissé tuer mon époux légitime. »
Le chef des brigands pensa : « Cette femme a tué son mari légitime. Dès qu’elle verra un autre homme, elle me traitera de la même manière. Je dois m’en débarrasser. »
Et tandis qu’il poursuivait son chemin, il vit leur chemin coupé par ce qui était habituellement un pauvre petit ruisseau peu profond, mais qui était maintenant inondé, et il dit : « Ma chère, il y a un crocodile sauvage dans cette rivière. Que devons-nous faire ? »
« Monseigneur, dit-elle, prenez tous les ornements que je porte, mettez-les dans un paquet que vous porterez dans votre robe supérieure, portez-les de l’autre côté de la rivière, puis revenez et faites-moi traverser. »
« Très bien », dit-il, et il prit tous ses ornements, et descendant vers le ruisseau, comme quelqu’un qui est en grande hâte, il gagna l’autre rive, la quitta et s’enfuit.
Voyant cela, elle s’écria : « Seigneur, vous partez comme si vous me quittiez. Pourquoi faites-vous cela ? Revenez et emmenez-moi avec vous. » Et s’adressant à lui, elle prononça la première strophe :
Puisque tu as gagné l’autre côté,
Avec tous mes biens liés en paquet,
Revenez le plus vite possible
Et porte-moi avec toi.
Le voleur, en l’entendant, alors qu’il se tenait sur l’autre rive, répéta la deuxième strophe : [2]
Ton imagination, madame, vagabonde toujours
De la foi éprouvée aux amours plus légères,
[222] Moi aussi, tu voudrais bientôt me trahir,
Ne devrais-je pas fuir au loin ?
Mais lorsque le brigand dit : « Je vais plus loin ; reste où tu es », elle cria fort, et il s’enfuit avec tous ses ornements. Tel fut le sort qui s’abattit sur la pauvre folle par excès de passion. Et, complètement impuissante, elle s’approcha d’un bouquet de cassias et s’assit là en pleurant. À ce moment, Sakka, regardant le monde, la vit éperdue de désir et pleurant la perte de son mari et de son amant. [ p. 147 ] Et pensant qu’il irait la réprimander et la couvrir de honte, il prit avec lui Mātali et Pañcasikha [^91], et alla se tenir sur la rive de la rivière et dit : « Mātali, deviens-tu un poisson, Pañcasikha, tu te changes en oiseau, et je deviendrai un chacal. Et prenant un morceau de viande dans ma bouche, j’irai me placer devant cette femme, et quand tu me verras là, toi, Mātali, tu bondiras hors de l’eau et tu tomberas devant moi, et quand je laisserai tomber le morceau de viande que j’ai pris dans ma bouche et que je m’élèverai pour saisir le poisson, à ce moment-là, toi, Pañcasikha, tu bondiras sur le morceau de viande et tu voleras dans les airs, et toi, Mātali, tu tomberas dans l’eau.
Ainsi Sakka les instruisit. Et ils dirent : « Bien, mon seigneur. » Mātali fut changé en poisson, Pañcasikha en oiseau, et Sakka devint un chacal. Prenant un morceau de viande dans sa gueule, il alla se placer devant la femme. Le poisson bondit hors de l’eau et tomba devant le chacal. Le chacal, lâchant le morceau de viande qu’il tenait dans sa gueule, bondit pour attraper le poisson. Le poisson bondit et tomba dans l’eau, et l’oiseau saisit le morceau de viande et s’envola dans les airs. Le chacal perdit ainsi poisson et viande et resta assis, maussade, regardant le bouquet de casse. La femme, voyant cela, dit : « Par trop de cupidité, il n’a obtenu ni chair ni poisson », et, comme si elle comprenait le but de la ruse, elle rit de bon cœur.
Le chacal, en entendant cela, prononça la troisième strophe :
Qui fait sonner le fourré de cassia
Avec des rires, même si personne ne danse ni ne chante,
Ou applaudir, bon moment à garder ?
Belle, ne ris pas quand tu devrais pleurer.
En entendant cela, elle répéta la quatrième strophe :
Ô chacal idiot, tu dois souhaiter
Tu n’avais perdu ni chair ni poisson.
Pauvre fou ! Tu peux bien être triste de voir
Que résulte-t-il de ta stupidité ?
Alors le chacal répéta la cinquième strophe :
Les défauts d’autrui sont clairement visibles,
Il est difficile de voir les siens, je pense.
Je pense que toi aussi tu dois compter le prix,
Lorsque le conjoint et l’amant sont tous deux perdus.
[224] En entendant ses paroles, elle prononça cette strophe :
Roi chacal, c’est exactement comme tu le dis,
Alors je partirai au loin,
Et cherche un autre amour conjugal
Et efforce-toi d’être une épouse fidèle.
[ p. 148 ]
Alors Sakka, roi du ciel, entendant les paroles de cette femme vicieuse et impudique, répéta la strophe finale :
Celui qui volerait un pot d’argile
Je volerais un laiton n’importe quand :
Alors celle qui était le fléau de son mari
Ce sera à nouveau aussi mauvais, voire pire.
Ainsi Sakka la fit honte et l’amena à se repentir, puis retourna dans sa propre demeure.
Le Maître termina ici sa leçon et révéla les Vérités, et identifia la Naissance : — À la conclusion des Vérités, le Frère rétrograde atteignit le fruit du Premier Sentier : — « À ce moment-là, le Frère rétrograde était l’Archer, la femme qu’il avait quittée était cette femme, et moi-même j’étais Sakka, roi du ciel. »
[^91] : 147 : 1 Son conducteur de char et un gandharva.