[^324]
« J’ai erré, cherchant au loin », etc. — Cette histoire, le Maître la raconta alors qu’il résidait à Jetavana, à propos de deux anciens Anciens.
Mahā-Kosala, dit-on, en donnant sa fille au roi Bimbisāra [^325], lui attribua le village de Kāsi contre de l’argent en baths. [343] Après qu’Ajātasattu eut assassiné son père [^326], le roi Pasenadi détruisit ce village. Dans les batailles qui les opposèrent pour le conquérir, la victoire revint d’abord à Ajātasattu. Le roi de Kosala, ayant le plus de mal, demanda à ses conseillers : « Que pouvons-nous imaginer pour prendre Ajātasattu ? » Ils répondirent : « Grand roi, les Frères ont une grande maîtrise des charmes magiques. Envoyez-leur des messagers et recueillez l’avis des Frères du monastère. » Cela plut au roi. Il fit donc envoyer des hommes, leur ordonnant de s’y rendre et de se cacher pour écouter ce que les Frères diraient. Or, à Jetavana se trouvent de nombreux officiers du roi qui ont renoncé au monde. Deux d’entre eux, deux anciens, habitaient une hutte de feuilles à la périphérie du monastère : l’un s’appelait l’Ancien Dhanuggaha-tissa, l’autre l’Ancien Mantidatta. Ils avaient dormi toute la nuit et s’étaient réveillés à l’aube. L’Ancien Dhanuggaha-tissa dit, en allumant le feu : « Ancien Datta, monsieur. » « Alors, monsieur ? » « Dors-tu ? » « Non, je ne dors pas : que faire maintenant ? » « Quel imbécile que ce roi du Kosala ; tout ce qu’il sait faire, c’est manger un plat indigeste. » « Que voulez-vous dire, monsieur ? » « Il se laisse battre par Ajātasattu, qui n’est rien de plus qu’un ver dans son propre ventre. » « Que devrait-il faire, alors ? » « Eh bien, Ancien Datta, vous savez que l’ordre de bataille est de trois sortes : la bataille du chariot, la bataille de la roue et la bataille du lotus [^327]. » C’est la bataille des chariots qu’il doit employer pour capturer Ajātasattu. Qu’il poste des hommes vaillants sur ses deux flancs, au sommet de la colline, puis qu’il montre son principal combat en avant : une fois au milieu, qu’il crie et bondisse, et ils le prennent comme un poisson dans un casier à homards. C’est ainsi qu’on le capture. » Les messagers entendirent tout cela ; ils retournèrent ensuite le rapporter au roi. Celui-ci partit aussitôt avec une grande armée, fit prisonnier Ajātasattu et l’enchaîna. Après l’avoir ainsi puni pendant quelques jours, il le relâcha, lui conseillant de ne plus recommencer, et, en guise de consolation, lui donna sa propre fille, la princesse Vajirā, en mariage, et finalement le congédia en grande pompe.
On en parlait beaucoup parmi les Frères à l’intérieur : « Ajātasattu a été capturé par le roi du Kosala, parce qu’il avait suivi les instructions de l’Ancien Dhanuggaha-tissa ! » Ils en parlèrent de même dans la Salle de la Vérité, et le Maître, entrant, leur demanda ce qu’ils disaient. Ils le lui racontèrent. Puis il dit : « Ce n’est pas la première fois, Frères, que Dhanuggaha-tissa se montre expert en stratégie. » Et il leur raconta une histoire du passé.
[344] Il était une fois un charpentier, qui habitait un village près de la porte de Bénarès. Il alla dans la forêt pour couper du bois. Il trouva un jeune sanglier tombé dans une fosse, qu’il ramena chez lui et éleva, le nommant Sanglier du Charpentier. Le sanglier devint son serviteur : il retournait les arbres avec son museau et les lui apportait. Il attachait le cordeau à mesurer autour de sa défense et le tirait, puis il rapportait et portait herminette, ciseau et maillet entre ses dents.
En grandissant, il devint une bête monstrueuse et robuste. Le charpentier, qui l’aimait comme son propre fils et craignait que quelqu’un ne lui fasse du mal, le laissa libre dans la forêt. Le Sanglier pensa : « Je ne peux pas vivre seul dans cette forêt ; et si je recherchais mes proches et vivais parmi eux ? » Il chercha donc des sangliers dans cette multitude d’arbres, jusqu’à ce qu’en apercevant une harde, il se réjouit et récita trois strophes :
« J’ai erré, cherchant partout dans les bois et les collines alentour :
J’ai erré, à la recherche de mes proches : et voici, mes proches sont retrouvés !
« Il y a ici des racines et des fruits en abondance, ainsi que de nombreuses réserves de nourriture ;
Quelles belles collines et quels agréables ruisseaux ! Il fera bon y séjourner.
« Ici, je demeurerai avec tous mes proches, sans inquiétude, à mon aise,
N’ayant aucun problème, ne craignant rien d’aucun ennemi [^328].”
Les sangliers, en entendant ce verset, répondirent par la quatrième strophe :
« Un ennemi est ici ! Réfugie-toi ailleurs, va ton chemin.
Toujours le meilleur du troupeau, ô charpentier [^329], il tue !
« Qui est cet ennemi ? Dis-moi la vérité, ma famille, si bien connue,
Qui ne vous détruit pas ? Bien qu’il ne vous ait pas encore tout à fait détruit.
[345] "Un roi des bêtes ! Il est rayé de haut en bas, avec des dents pour mordre :
Il tue toujours le meilleur du troupeau, une bête puissante !
[ p. 218 ]
« Et nos corps ont-ils perdu leur force ? N’avons-nous plus de défenses à montrer ?
Nous le vaincrons si nous travaillons ensemble : seulement ainsi.
« De douces paroles à entendre, ô charpentier, dont mon cœur est avide :
« Ne laissez aucun sanglier fuir ! Sinon, il sera tué après la bataille ! »
Le Sanglier du Charpentier, les ayant tous mis d’accord, demanda : « À quelle heure le tigre viendra-t-il ? » « Aujourd’hui, il est venu tôt le matin et en a pris un ; demain, il viendra tôt le matin. » Le Sanglier était habile à la guerre et savait où prendre l’avantage pour remporter la victoire. Il chercha un endroit et les fit manger pendant qu’il faisait encore nuit ; puis, très tôt le matin, il leur expliqua que l’ordre de bataille se divise en trois types : la Bataille du Chariot, etc. Après quoi, il organisa la Bataille du Lotus [^330] de la manière suivante. Au milieu, il plaça les cochons de lait et leurs mères autour d’eux ; à côté d’eux, les truies stériles, puis un cercle de jeunes cochons, puis les jeunes aux défenses naissantes, puis les grands cochons, et les vieux sangliers à l’extérieur. Puis il posta des escouades plus petites de dix, vingt, trente hommes, ici et là. Il leur fit creuser une fosse pour lui-même, et le tigre y tomba dans un trou en forme de van : entre les deux trous, il laissa une bande de terre pour qu’il puisse s’y tenir. Puis, avec ses robustes sangliers de combat, il fit le tour des lieux pour encourager les sangliers.
[346] Tandis qu’il était ainsi occupé, le soleil se leva. Le Tigre, sortant de l’ermitage d’un faux ascète, apparut au sommet de la colline. Les Sangliers s’écrièrent : « Notre ennemi est arrivé, Seigneur ! » « N’ayez crainte », dit-il, « quoi qu’il fasse, faites de même. » Le Tigre se secoua et, comme s’il allait partir, fit pipi ; les Sangliers firent de même. Le Tigre regarda les Sangliers et poussa un grand rugissement ; ils firent de même. Observant ce qu’ils faisaient, il pensa : « Ils ont changé ; aujourd’hui, ils me font face en ennemis, en bandes bien rangées : un guerrier les a rassemblés ; je ne dois pas m’approcher d’eux aujourd’hui. » Craignant la mort, il fit demi-tour et s’enfuit vers le faux ascète ; et celui-ci, voyant le Tigre les mains vides, récita la neuvième strophe :
« As-tu abjuré tout meurtre ? As-tu juré
La sécurité pour chaque créature vivante née [^331] ?
Tes dents n’ont sûrement pas leur vertu habituelle.
Tu trouves un troupeau, et tu reviens mendiant !
Le Tigre répéta alors trois strophes :
« Mes dents ne mordent plus,
Mes forces sont complètement épuisées :
Frère après frère, tous ensemble se tenaient debout :
C’est pourquoi j’erre seul dans les bois.
[ p. 219 ]
« Autrefois, ils se dépêchaient et couraient partout
Pour retrouver leurs trous, une déroute paniquée.
Mais maintenant ils grognent en rangs serrés et compacts :
Invincibles, ils se dressent et me font face. [1]
[347]"Ils sont tous d’accord maintenant, ils ont un chef ;
Quand tout le monde est d’accord, ils peuvent me faire du mal : c’est pourquoi je n’en veux pas.
À cela, le faux ascète répondit par la strophe suivante :
« Seul le faucon soumet les oiseaux, seul
Les Titans sont renversés par Indra :
Et quand le puissant tigre voit un troupeau de bêtes,
Il choisit toujours les meilleurs et les tue à son aise.
Alors le Tigre en récita un :
« Aucun faucon, aucun tigre, seigneur des bêtes, ni Indra ne peut commander
Un hôte apparenté qui, tel un tigre [2], s’unit pour former une résistance.
Alors le faux ascète, pour l’encourager, récita deux strophes :
« Les petits oiseaux à plumes volent en bandes et en bandes,
En tas, ils s’élèvent ensemble, effleurent ensemble le ciel.
« Le faucon se baisse, et tout seul, sur eux pendant qu’ils jouent,
Il les harcèle et les tue à sa guise : telle est la voie de votre tigre.
[348] Cela dit, il l’encouragea encore : « Tigre royal, tu ne connais pas ton propre pouvoir. Un seul rugissement, et un bond ! Il n’en restera plus deux ensemble, j’ose le jurer ! » Le Tigre s’exécuta.
Pour expliquer cela, le Maître a dit une strophe :
« Alors, avec un regard cruel et avide, il jugea ces paroles vraies,
Il prit courage et, avec ses crocs dénudés, sauta sur l’équipage aux défenses.
Eh bien, le Tigre retourna sur ses pas et resta un moment sur la colline. Les Sangliers annoncèrent au Sanglier du Charpentier qu’il était de retour. « N’ayez pas peur », dit-il pour les réconforter, puis il se posta sur la crête entre les deux fosses. Le Tigre bondit de toutes ses forces vers le Sanglier, mais celui-ci roula sa queue sur son museau dans le premier trou. Le Tigre ne put retenir son attaque et tomba tout en tas dans la fosse en forme de van. Le Sanglier bondit en un clin d’œil, enfonça ses défenses dans la cuisse du Tigre, le transperça jusqu’au cœur, dévora la chair, le mordit et le traîna dans la fosse suivante en criant : « Tiens, prends le valet ! » [349] Les premiers arrivés n’eurent qu’une seule chance de boire une bouchée chacun, les suivants demandèrent : « Quel goût a la viande de tigre ? »
[ p. 220 ]
Le Sanglier du Charpentier sortit de la fosse et, regardant les autres autour de lui, dit : « Eh bien, ça ne vous plaît pas ? » Mais ils répondirent : « Monseigneur, vous avez fait le Tigre, et celui-là en est un ; mais il en reste un autre, pire que dix. » « Qui est-ce, je vous prie ? » « Un faux ascète, qui mange la viande que le Tigre lui apporte de temps en temps. » « Venez donc, et nous l’attraperons. » Alors ils s’élancèrent ensemble.
Le faux ascète surveillait la route et attendait le Tigre à chaque instant. Et que voyait-il venir, sinon les Sangliers ! « Ils ont tué le Tigre, je crois, et maintenant ils viennent me tuer ! » Il s’enfuit et grimpa sur un figuier sauvage. « Il a grimpé à un arbre ? » dirent les Sangliers à leur chef. « Quel arbre ? » « Un figuier. » « D’accord, nous l’aurons tout de suite. » Il fit déraciner la terre par les jeunes Sangliers, et les truies apportèrent chacune autant d’eau que leur bouche pouvait en contenir, jusqu’à ce que l’arbre se dresse, nu jusqu’aux racines. Puis il écarta les autres et, s’agenouillant, frappa les racines avec sa défense : il coupa la racine comme avec une hache, et l’arbre s’abattit, mais l’homme n’atteignit jamais le sol : il fut déchiqueté et dévoré en chemin. Constatant ce prodige, l’esprit de l’arbre récita une strophe :
« Amis unis, comme les arbres de la forêt, c’est un spectacle agréable :
Les Sangliers se sont unis, d’un seul coup le Tigre a été tué sur le coup.
Et le Maître récita une autre strophe, expliquant comment tous deux furent détruits :
« Les sangliers détruisirent ainsi le brahmane et le tigre,
Et ils poussèrent un rugissement fort et retentissant dans leur joie extrême.
[350] Le Sanglier demanda de nouveau : « Et avez-vous un autre ennemi ? » « Non, mon seigneur », répondirent-ils. Ils proposèrent alors de l’asperger pour leur roi. On alla chercher de l’eau. Apercevant la coquille que le faux ascète utilisait pour boire, une précieuse conque dont la spirale était tournée vers la droite [3], ils la remplirent d’eau et consacrèrent le Sanglier Charpentier là, sur la racine du figuier ; là, l’eau de consécration fut versée sur lui. Ils firent d’une jeune truie sa parèdre. De là naquit la coutume, encore en vigueur aujourd’hui, de consacrer un roi en l’asseyant sur une chaise en bois de figuier et en l’aspergeant d’une conque dont les spirales courent vers la droite.
[ p. 221 ]
Le Maître l’expliqua également en récitant la dernière strophe :
« Les sangliers sous le figuier sauvage versaient l’eau bénite,
Sur le charpentier, et s’écria : Tu es notre Roi et Seigneur !
Après avoir terminé ce discours, le Maître dit : « Non, Frères, ce n’est pas la première fois que Dhanuggaha-tissa se montre habile en stratégie, mais il l’était déjà auparavant. » Par ces mots, il identifia la Naissance : « À cette époque, Devadatta était le faux ascète, Dhanuggaha-tissa le Sanglier Charpentier, et j’étais moi-même l’esprit de l’arbre. »