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Avant que la foi en Jésus n’atteigne le point où l’on puisse le décrire et s’adresser directement à lui comme « Dieu », les chrétiens palestiniens entendaient de la bouche d’enseignants de haute autorité un fait nouveau et étrange concernant leur Maître. De même que sa manière de quitter le monde n’avait ressemblé à celle d’aucun autre homme, de même sa manière d’entrer dans le monde l’avait été. Jésus n’avait pas de père humain.
Une enquête critique montre clairement que cet enseignement a été transmis pour la première fois en Palestine à une date relativement ancienne. Il nous parvient de deux sources : les premiers chapitres de nos premier et troisième Évangiles. Le caractère juif du premier évangéliste est évident. Quant au troisième Évangile, bien que Luc lui-même fût un Gentil, son récit de l’enfance constitue la partie la plus juive de tout le Nouveau Testament. La doctrine messianique des premiers chapitres de son Évangile n’est pas seulement purement juive ; [1] elle appartient à une époque où les espérances de prospérité temporelle d’Israël n’étaient pas encore dissipées. « Dieu lui donnera le trône de David, son père, et il régnera sur la maison de Jacob pour toujours. » « Afin qu’il se souvienne de sa miséricorde envers Abraham et sa descendance pour toujours. » « Dans la maison de David, son serviteur, [ p. 223 ] nous serons sauvés de nos ennemis. » « Une bonne nouvelle d’une grande joie, qui sera pour tout le peuple. » « Attendant la rédemption de Jérusalem. » [2] L’« atmosphère » est entièrement hébraïque. Les récits de naissance ne peuvent donc s’expliquer par des parallèles avec les mythes grecs qui relatent la naissance d’un demi-dieu d’un dieu et d’un mortel. De telles histoires feraient reculer les Juifs d’horreur.
Bien sûr, de telles légendes n’existaient pas en Israël. Après que la croyance en la naissance surnaturelle de Jésus eut été établie, les chrétiens en quête de confirmation prophétique se sont emparés d’Isaïe VII : 14, et dans le Premier Évangile, ce verset est considéré (peut-être seulement à titre d’interprétation dévotionnelle pour les lecteurs juifs) comme une prédiction de la naissance du Messie d’une vierge. Mais, indépendamment de la véritable signification d’Isaïe [3], les Juifs d’avant le Nouveau Testament n’ont jamais considéré ce passage comme indiquant une naissance virginale, ni même comme une prédiction concernant le Messie. Dans toute la littérature messianique juive, rien ne suggère que le Messie – si tant est qu’il soit un homme – puisse naître d’une autre manière que les autres hommes.
Ce nouvel enseignement ne pouvait pas non plus être dû à une quelconque dépréciation du mariage au profit d’une considération ascétique du célibat. Une telle doctrine était également inconnue dans le judaïsme palestinien. [4] La chasteté avant le mariage était, bien sûr, un précepte rigoureux, mais la mort d’une fille [ p. 224 ] encore vierge était considérée comme une grande calamité. Aujourd’hui encore, les Juifs, lorsqu’ils rendent visite à un nouveau-né, prient pour qu’il soit amené « sous le dais nuptial ».
En d’autres termes, les raisons communément avancées pour expliquer l’apparition de la doctrine de la naissance virginale dans le christianisme, lorsqu’elles sont examinées attentivement et honnêtement, s’effondrent. Si ces récits avaient pris naissance, par exemple, à Corinthe, il y aurait eu de sérieuses raisons de soupçonner. Mais ils provenaient de Palestine.
Il est inutile de raconter longuement ces histoires. Rien n’est plus familier. La scène de l’Annonciation est l’une des plus belles jamais peintes. On y voit une charmante jeune fille juive, Marie de Nazareth. Elle apparaît comme une visiteuse céleste. Comme dans le cœur de toute femme juive, l’espoir vibrait en elle qu’un jour elle pourrait être la mère du représentant oint du Seigneur, le Messie-Roi qui viendrait redonner à la nation juive sa place et son pouvoir d’antan. L’ange dit à Marie qu’elle a trouvé grâce auprès de Dieu et qu’il l’a choisie pour cette tâche haute et sainte. Marie ne comprend pas. Elle est fiancée – pas encore mariée – et l’ange lui annonce que l’enfant sera bientôt le sien. Elle croit, bien qu’elle ne puisse comprendre ; c’est pourquoi l’explication lui parvient. L’Esprit de Dieu reposera sur elle ; la puissance du Très-Haut la couvrira de son ombre ; l’enfant n’aura pas de père terrestre ; « L’enfant saint » qui naîtra d’elle sera donc appelé Fils de Dieu.
Admettons un instant que l’histoire soit vraie, et jamais [ p. 225 ] femme n’a prononcé une parole plus noble ou plus courageuse que celle de Marie, lorsqu’elle a dit : « Qu’il me soit fait selon ta parole. » Elle a donné son consentement, avec tout ce que cela impliquait de suspicion, d’incompréhension, de commérages, de souffrances – une angoisse si grande qu’« une épée lui a transpercé le cœur ».
Français Tout aussi parfaite est l’histoire de la naissance elle-même : le pèlerinage à Bethléem, où Joseph et Marie se rendirent pour être inscrits au recensement ; le repos dans la grotte de l’étable ; le berceau de la mangeoire ; comment l’enfant naquit dans l’étable où ils avaient trouvé refuge lorsque l’heure de la mère approcha, car les foules venues pour l’inscription remplirent la petite ville de sorte qu’il n’y eut « plus de place pour eux dans l’auberge » ; le contraste de l’humilité et de la gloire ; la naissance humble et la majesté divine du nouveau-né, le chant que les bergers entendirent, lorsqu’une voix d’ange annonça : « Voici, je vous annonce une bonne nouvelle qui sera une grande joie pour tout le peuple, car aujourd’hui vous est né dans la ville de David un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur » ; et la gloire qui « resplendit autour d’eux », tandis qu’un chœur d’autres voix angéliques chantait : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ; et sur la terre, paix, bonne volonté aux hommes » ; la visite des bergers à la mère et à l’enfant.
La plupart des gens aiment profondément ces histoires et ne les abandonnent pas, à moins qu’ils n’en ressentent le besoin en toute honnêteté. S’il faut les abandonner, nous pouvons au moins demander à ceux qui voudraient les abandonner de faire preuve de suffisamment [ p. 226 ] de respect pour ne pas s’y atteler avec une hâte irréfléchie et des déclamations bruyantes. Certains sont déjà suffisamment perturbés, confus et affligés par la menace de perte de ce qui leur est cher, sans redoubler leur angoisse par un déni grossièrement désinvolte. Dans toute étude de ces histoires, il faut toujours garder à l’esprit qu’elles racontent avec une simplicité directe, digne de volumes et de volumes de traités savants, l’importance de la naissance de Jésus pour le monde. Gardons également à l’esprit que, s’il apparaît que certains éléments sont le fruit d’une accumulation ultérieure, l’histoire de la naissance surnaturelle devait déjà exister pour devenir le centre de ces accumulations.
Le fait que le récit de la Naissance ne soit pas mentionné directement ailleurs dans le Nouveau Testament ne constitue pas non plus un argument contre lui. On ne peut supposer qu’il ait été connu des apôtres avant longtemps après que leur foi en Christ se soit consolidée. Bien sûr, il n’a pas été largement raconté. On comprend aisément pourquoi Jésus lui-même ne l’a pas raconté. Il est tout aussi évident qu’il n’a pas pu être rendu public du vivant de sa mère. On ne pouvait donc guère s’attendre à trouver explicitement cette doctrine chez saint Paul. Il n’est pas non plus surprenant de trouver des fragments de la tradition évangélique synoptique faisant référence à Joseph comme au « père » de Jésus. Il y a peut-être une signification à ce que ces passages se trouvent tous dans saint Luc et saint Matthieu, dont les premiers chapitres précisent le sens du mot « père ». [5] Saint Marc, dont le projet de commencer [ p. 227 ] par le baptême de Jésus l’oblige à omettre toute description de la naissance, évite toute mention de Joseph.
De plus, la naissance surnaturelle ne pouvait, de par la nature des choses, faire partie de la première prédication apostolique. Celle-ci reposait sur des événements publics, dont les apôtres pouvaient témoigner par leur propre expérience. « Dont nous sommes tous témoins » était la formule invariable. Répétons-le donc : la croyance en la naissance miraculeuse et l’acceptation de la divinité du Christ sont deux questions de foi distinctes. Jean, bien que son Évangile défende avec passion la seconde doctrine, ne juge jamais nécessaire de mentionner la première*1, et admet même deux références à Joseph comme « père » de Jésus sans correction explicite2.
Et n’est-il pas vrai que cette histoire s’inscrit, avec une congruence extraordinaire, dans le drame de l’Incarnation ? Dieu donnait un nouveau départ à l’humanité. Nulle part il n’y avait – et il n’y a toujours – un besoin aussi désespéré d’un nouveau départ que dans le domaine sexuel. L’instinct des premiers temps, qui acceptait l’histoire avec une foi enfantine et y trouvait un plaisir enfantin, est un instinct légitime ; il ne faut certainement pas le négliger à la légère.
Dans la seule référence aux non-Juifs (ii : 32), les Gentils reçoivent la « lumière », mais Israël reçoit la « gloire ». ↩︎
I : 32-33. 54-55. 69-71 ; II : 10h38. ↩︎
Les spécialistes de l’Ancien Testament s’accordent tous à dire que le prophète n’avait pas une telle idée en tête. ↩︎
Elle apparaît, en effet, dans le christianisme, mais seulement sous l’influence des Gentils et à une date bien plus tardive. Les arguments de Paul dans 1 Corinthiens VII reposent entièrement sur des considérations apocalyptiques d’opportunité. ↩︎
Les Juifs connaissaient un usage strictement légal mais non physique du terme « père ». L’enfant de la femme d’un homme était légalement l’enfant de l’homme, et il ne pouvait pas le déshériter même lorsque sa paternité n’était notoirement pas la sienne ; son seul recours était de divorcer de sa femme avant la naissance de l’enfant. Ceci explique les généalogies, qui font remonter la descendance de Jésus à Joseph. Dans un cas, l’enfant d’un homme vivant était légalement l’enfant de l’homme qui était peut-être mort depuis des années (Deutéronome xxv : 5-6 ; cité dans Saint Marc xii : 19). La coutume de l’Ancien Testament s’est perpétuée pendant quelques siècles jusqu’à l’ère chrétienne. La pratique a finalement été interdite par les rabbins, bien que la loi soit toujours en vigueur et que la cérémonie alternative de « libération » soit toujours en vigueur. ↩︎