[ p. 16 ]
L’effet immédiat de la prédication de Jean-Baptiste fut de susciter une attente enthousiaste dans toute la nation. Au temple, dans les synagogues, sur les places publiques, tous étaient enflammés d’une fervente attente. L’idée messianique, toujours présente, était devenue l’élément le plus vital du moment. Toute la Palestine fut bientôt engagée dans un sérieux examen de conscience. Tel était le but de Jean. Son appel était national : « Préparez au Seigneur un peuple prêt pour lui. » Or, le sens de la solidarité raciale en Israël était extrême ; non seulement les péchés d’un père pouvaient affecter ses enfants, mais le péché d’un seul individu pouvait souiller toute une communauté. [1] Il ne s’ensuivait donc pas que tous ceux qui se soumettaient au baptême de Jean aient commis les péchés que Jean dénonçait ; il aurait pu être totalement exempt de tels manquements, mais son appartenance à la nation coupable suffisait à exiger ce que l’on pourrait appeler une « pénitence raciale ». Ainsi, lorsque Jésus de Nazareth a reçu le rite, nous devons nous garder de supposer qu’il devait être conscient de ses défauts personnels ; la certitude sans faille avec laquelle il parlait [ p. 17 ] de Dieu et de la justice est la preuve du contraire.
De la vie de Jésus avant sa venue auprès de Jean, nous ne savons presque rien ; entre sa naissance et son baptême, les annales ne nous en donnent qu’un aperçu. Cet aperçu est pourtant précieux. À l’âge de douze ans, Joseph et sa mère l’emmenèrent à Jérusalem, et « alors qu’ils s’en retournaient, le jeune Jésus resta en arrière ». Une recherche angoissée s’ensuivit, jusqu’à ce qu’on le découvre enfin au temple, écoutant les sages expliquer la Loi. Sa mère le réprimanda doucement : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu agi ainsi ? Ton père et moi, nous t’avons cherché avec tristesse. » Cette réponse est merveilleusement caractéristique de l’enfance, qui ne comprend pas que personne ne sache ce que le garçon tient pour acquis. « Pourquoi… pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je serais dans la maison de mon Père ? » Dès l’âge de douze ans, la conscience inébranlable de la paternité de Dieu était présente, conscience qui allait dominer l’enseignement de Jésus plus tard.
Durant la vie à Nazareth, il a dû y avoir également une certitude instinctive quant à la volonté de Dieu, une compréhension intuitive de la véritable nature de la justice. Il en a résulté un mécontentement toujours plus profond envers l’enseignement des représentants officiels du judaïsme, une indignation toujours croissante face à leur étroitesse d’esprit et à leur autosatisfaction. Le nationalisme superficiel de ceux qui voyaient dans le renversement des Romains [ p. 18 ] tout ce qui était nécessaire à l’établissement du Royaume de Dieu, avec pour conséquence l’attisation perpétuelle de la haine envers les ennemis d’Israël, justifiée par un commandement divin, devait être particulièrement odieux. Israël n’était pas en état de se vanter ainsi. Le jugement prochain de Dieu sur le monde était accepté partout ; tant mieux, mais comment Israël s’en sortirait-il ? Dans le message de Jean-Baptiste, Jésus entendait donc ses propres pensées se faire l’écho. Jean était bel et bien un prophète ; Tout Juif doit se soumettre à sa révélation. C’est pourquoi, avec le reste de la nation, Jésus s’est offert au baptême dans le Jourdain ; et, au moment de son baptême, l’appel de Dieu s’est adressé à lui.
Le récit de cet appel nous est donné sous forme d’expériences intérieures, illustrées de figures simples et concrètes qui les rendent compréhensibles à l’intelligence la plus simple. Il s’agit bien sûr d’un récit dramatique, et non d’un récit littéral. « La moitié des difficultés du Nouveau Testament disparaîtraient si l’on acceptait de traduire la poésie orientale en une prose occidentale brute et pragmatique. » Nous devons garder cet avertissement constamment à l’esprit et ne pas chercher à interpréter les détails de manière trop rigide. Mais Jésus – le récit ne peut venir que de lui – ne nous laisse aucun doute quant à l’essentiel des événements.
« Aussitôt sorti de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre en lui comme une [2] colombe. » Il eut une vision aveuglante et la soudaine prise de conscience d’un afflux de puissance. « Et une voix fit entendre des cieux : “Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute mon affection.” » Ou, pour traduire plus littéralement : « Tu es mon Fils, le Bien-aimé ; [ p. 19 ] en toi j’ai mis mon choix. » Trois expressions pour la même chose : « Tu es le Messie. »
Jésus avait toujours eu le sentiment de la différence entre lui et les autres hommes ; il en comprenait désormais l’ampleur. Il avait été choisi non seulement pour enseigner la volonté de Dieu, mais aussi pour l’accomplir ; non seulement pour proclamer l’avènement du Royaume final de Dieu, mais aussi pour fonder ce Royaume et y régner comme son Roi.
Une révélation aussi grave et solennelle exigeait la solitude. « Aussitôt l’Esprit le poussa dans le désert. » Jésus devait être seul. Il devait s’atteler à la tâche d’interpréter le message qu’il avait reçu et les autres messages que Dieu, il le savait, lui donnerait ; il devait réfléchir, et réfléchir intensément, jusqu’à être certain du dessein de Dieu ; réfléchir, et réfléchir intensément, de peur que le charme de sa récente expérience ne disparaisse ; se concentrer sur sa tâche avec une détermination telle qu’elle transcende toute interruption ordinaire et lui fasse même oublier le besoin de sommeil et de nourriture. Sa période de solitude dura, nous dit-on, « quarante jours » – un nombre rond, bien sûr ; pour un Oriental, en pratique, le nombre immédiatement supérieur à « dix » est « quarante ».
Quoi qu’il en soit, la période fut suffisamment longue pour engendrer l’épuisement physique, et la nature outragée prend toujours sa revanche. Un corps porté au plus haut degré d’exaltation mentale reprendra invariablement ses [ p. 20 ] droits. À mesure que les exigences de la faim se feront insistantes, l’extase spirituelle s’atténuera. Alors, les perplexités se muent en doutes, et les doutes en tentations ; tentations qui naissent souvent de l’extase même qui les a précédées. Dans le cas de Jésus, c’était tout à fait vrai ; l’acuité de ses tentations résidait dans le fait qu’elles reposaient sur des conceptions populaires et séduisantes de ce que le Messie devait faire.
La première tentation résultait directement de la faim de Jésus. Tous considéraient que le Messie avait un pouvoir arbitraire sur les forces de la nature et qu’il pouvait accomplir tous les miracles qu’il voulait. Pourquoi alors Jésus, en tant que Messie, n’aurait-il pas utilisé ce don pour soulager sa propre détresse ? « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Pourquoi pas ? Pourquoi se soumettre à l’inconfort alors qu’un miracle apporterait un soulagement immédiat ? Pourquoi ne pas faire preuve de bon sens et choisir la voie la plus facile ? La réponse de Jésus : « L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » apportait la réponse. Dieu, qui prend soin des oiseaux et des fleurs dans le cours ordonné de son gouvernement, se soucie d’autant plus d’eux. L’inconfort et la douleur ont aussi leur place dans son plan et il ne faut pas les éluder imprudemment : demander un miracle simplement pour améliorer son confort, c’est contester la sagesse de Dieu. Chacun a ressenti la même tentation de fuir les difficultés ; ceux qui s’y soumettent constituent les lâches, les faibles, les toxicomanes de ce monde.
Jésus contemplait alors les royaumes du monde et [ p. 21 ] leur gloire comme du haut d’une montagne. Puisqu’il était le Messie, toutes ces choses pouvaient lui appartenir. N’était-il pas communément admis qu’Israël devait conquérir le monde sous la suprématie du Messie ? Son meilleur plan n’était-il pas de déployer le drapeau de la révolte et d’appeler la nation au combat ? Il avait toujours détesté ce nationalisme mesquin, certes, mais y avait-il place pour un idéalisme pur dans ce monde de dures réalités ? Peut-on parvenir à quelque chose sans compromettre un principe strict ? « Pourquoi pas la moitié d’un pain, plutôt que pas de pain ? » Là encore, c’est une tentation que tout le monde a ressentie. La réponse de Jésus fut brève et sans ambiguïté : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul. » Tout abaissement du niveau moral est, par essence, une adoration de Satan.
Finalement, [3] Jésus se demanda s’il était vraiment le Messie. Pouvait-il croire à l’appel que Dieu lui avait adressé, même s’il constituait l’aboutissement d’une longue série d’expériences ? Pourquoi ne pas mettre sa nouvelle conviction à l’épreuve ? S’il se jetait du haut du temple, il pourrait dissiper tous ses doutes. S’il n’était pas le Messie, il serait détruit, mais il serait libéré d’une responsabilité fatale. Ou bien les anges de Dieu le soutiendraient, confirmeraient sa prétention à son propre esprit et l’attesteraient sans équivoque à la nation ; alors il pourrait aller de l’avant sans hésitation. Probablement toute âme ayant reçu une vocation pour une œuvre difficile a-t-elle été tentée de la même manière d’exiger un miracle qui dissiperait toute hésitation. Mais il suffit que notre [ p. 22 ] devoir nous soit moralement clair : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. »
Les mêmes tentations se sont répétées tout au long de la vie de Jésus : lorsque Pierre a cherché à le retenir lors de son dernier voyage à Jérusalem ; lorsque les pharisiens lui ont demandé un signe ; lorsque les observateurs moqueurs du Calvaire lui ont dit que s’il descendait de la croix, ils croiraient. Ce sont des tentations qui, d’une manière ou d’une autre, nous touchent tous, mais plus particulièrement tout homme qui se sait doté de grands dons et comprend qu’il doit les mettre au service de Dieu, mais qui se sent constamment attiré par les hauteurs et se demande s’il ne pourrait pas chercher une voie plus facile et emprunter un chemin plus aisé.
À la suite des tentations, Jésus vit clairement quel genre de Messie il ne devait pas être : il ne devait pas être le roi que la foule attendait ; il ne devait pas s’abaisser à des conceptions populaires et modifier ses propres convictions ; il ne devait pas employer la force, même en cas de crise majeure. Certes, l’idée du Messie comportait des possibilités qui n’avaient peut-être pas encore été éclaircies, des difficultés dont il devait se fier à l’avenir pour la solution. Mais Jésus sortit du désert, certain de suivre le chemin de la vérité et de la lumière, où qu’il le mène et quel qu’en soit le prix. Dieu n’a jamais voulu rendre la vie facile ; il voulait rendre les hommes grands. Dieu désire des hommes d’une persévérance extraordinaire et d’une détermination inébranlable pour vivre fidèlement au meilleur – des hommes qui feront toujours ce que la vérité et [ p. 23 ] l’honneur exigent et qui fermeront l’oreille à toute suggestion de compromission avec les principes et les desseins divins.
Jésus rejeta donc résolument toute pensée d’autoglorification. Il commença son œuvre par la proclamation de la volonté de Dieu ; il refusa de parler de lui-même.