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Qu’a enseigné Jésus ? La meilleure façon de répondre à cette question est d’examiner des exemples concrets de son enseignement. Pour commencer, rien de tel que ce que nous appelons le « Sermon sur la montagne », qui occupe les cinquième, sixième et septième chapitres de notre premier Évangile.
Il s’agit bien d’un résumé des paroles les plus importantes de Jésus sur la nature de la justice, plutôt que d’un « sermon » au sens où nous l’entendons. Nous le savons pour au moins une raison – et une raison évidente – : il est trop dense pour être facilement suivi. Même pour nous, qui connaissons son contenu, le lire attentivement est une tâche ardue. Si un tel discours était adressé à des personnes qui n’avaient jamais entendu cet enseignement auparavant, nous imaginons difficilement qu’elles en saisiraient le sens ; l’effort même de concentration aurait conduit à une compréhension imparfaite. Au contraire, ce « sermon » est entièrement constitué de « textes » ou « pensées-semences », chacun ayant dû être amplifié et illustré lors de sa première lecture.
Cela ne signifie pas que des discours [1] n’étaient pas adressés aux auditeurs rassemblés autour de Jésus sur une colline ; il y a peut-être eu une centaine de tels discours [ p. 32 ] en de nombreux endroits différents. Des parties du soi-disant « Sermon sur la montagne » ont sans doute été expliquées et discutées à maintes reprises à de telles occasions. Il se peut même que lorsque Jésus a finalement choisi les Douze, il leur ait adressé une récapitulation formelle de son enseignement sous une forme semblable à notre passage. De telles questions, bien qu’intéressantes, ne sont pas vraiment importantes ; en tant que résumé ou récapitulation, le « Sermon » est beaucoup plus significatif pour nous qu’un compte rendu textuel d’un seul discours.
Il convient de noter, en premier lieu, que notre passage présente une structure bien définie. Un thème [2] est contrebalancé par un résumé [3] ; l’affirmation : « Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir », est résumée par les mots : « Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi, car c’est la loi et les prophètes. » Entre ces deux passages, il n’y a qu’un développement du thème, un aspect après l’autre : enseignement sur le péché, le meurtre, l’adultère, le parjure, les représailles, etc. Avant l’énoncé du thème, nous avons un prologue – les Béatitudes – qui décrit les conditions de la béatitude. Et après le résumé vient un épilogue, qui compare les conséquences du vrai et du faux enseignement ; aucune religion ne subsistera si elle n’est pas fondée sur un fondement solide de justice.
Lorsque nous réalisons que l’ensemble du « Sermon » est construit sur un thème unique, nous pouvons comprendre son objectif général [ p. 33 ] beaucoup plus facilement. « Je ne suis pas venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu pour les accomplir, pour révéler la véritable plénitude de leur sens. » Par conséquent, le « Sermon sur la montagne » n’est pas du tout un contraste entre « l’ancienne loi et la nouvelle », si par « ancienne » loi nous entendons la loi de l’Ancien Testament. Le but du Sermon est explicitement déclaré comme étant une affirmation de la loi de l’Ancien Testament dans son sens le plus profond. Par exemple, lorsque Dieu a dit : « Tu ne tueras point », il n’entendait pas seulement interdire l’acte meurtrier et autoriser les pensées et les paroles meurtrières ; Dieu peut juger certaines manifestations de colère aussi sévèrement que les hommes peuvent juger certains meurtres. Dieu n’a pas non plus voulu qu’un meurtrier puisse être absous de sa culpabilité simplement en payant la peine légale ; Dire : « Quiconque tuera sera passible du jugement » [4] est totalement inadéquat. Autrement dit, les enseignants juifs actuels, en traitant la loi divine comme les juristes traitent les lois humaines, l’avaient pervertie ; en fixant leur attention microscopique sur la lettre, ils avaient manqué l’esprit. Ainsi, le contraste établi dans le Sermon sur la montagne oppose la fausse interprétation traditionnelle de la loi à son véritable sens : « Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. »
Pour prendre un autre exemple, un aspect particulier du thème est donné par le précepte : « Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. » Or, un tel précepte n’existe pas dans l’Ancien Testament. « Aime ton prochain » [ p. 34 ] y figure assurément, mais la seconde partie de la proposition est une déduction juridique de la première, [5] et cette combinaison est la forme sous laquelle l’Ancien Testament était couramment enseigné. De plus, une fois convertie en déclaration juridique, chaque expression de la phrase était soumise à une analyse juridique plus approfondie. « Tu aimeras ton prochain » était lu comme « Tu aimeras ton prochain », avec la conclusion suivante : « Si un homme n’est pas votre prochain, vous n’êtes pas légalement tenu de l’aimer ; en fait, dans certaines circonstances, votre devoir peut être de le haïr. » Alors, « Qui est mon prochain ? » Devenu un problème à résoudre pour les érudits experts, l’un d’eux posa d’ailleurs cette question à Jésus, espérant peut-être obtenir lui-même un éclairage plus précis. Jésus répondit par la parabole du Bon Samaritain, avec cette morale : « Mon prochain, c’est l’homme qui est près de moi. » [6]
L’expression « le contraste entre l’ancienne et la nouvelle loi » est fausse sous un autre angle. Qualifier l’enseignement de Jésus de « nouvelle loi » donne d’emblée une fausse impression de sa manière d’enseigner. Il n’établit aucune « loi » ; le principe légaliste est le principe même qu’il condamne dans son exploration des préceptes de l’Ancien Testament pour leur vérité essentielle. Jésus donne des principes de conduite. Il ne prescrit pas de règles, il décrit un personnage ; il cherche à montrer à ses disciples [ p. 35 ] ce qu’ils doivent être, plutôt que ce qu’ils doivent faire. Les enseignants officiels de la loi mettaient l’accent sur les observances extérieures ; lui, sur les motivations intérieures. Ils se contentaient d’obéir aux textes législatifs et ne demandaient rien de mieux qu’une adhésion stricte aux normes établies par les traditionalistes de l’époque ; il exige une volonté d’aller au-delà de ce que les hommes peuvent exiger. Les enseignants officiels pourraient être satisfaits s’ils étaient convaincus d’avoir respecté les règles ; il appelle à ce « mécontentement divin » qui aspire à la perfection et ne peut être satisfait qu’une fois atteinte. « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. »
Prenons maintenant les aspects particuliers du thème de la justice tels qu’ils apparaissent dans le Sermon sur la montagne. Concernant le premier, la colère, une remarque a déjà été faite : Dieu peut juger la colère aussi sérieusement que les hommes jugent le meurtre. De même, des paroles colériques peuvent être porteuses de la culpabilité que les hommes attachaient à des crimes aussi graves que les fausses prophéties, réservées au « conseil » ou Grand Sanhédrin ; des abus inconsidérés [7] peuvent être aussi coupables que les hommes considéraient les péchés odieux punis par le bûcher dans la vallée de Hinnom [8]. Puisque la colère pouvait être si coupable, même les actes d’adoration les plus sacrés cédaient le pas au devoir de réconciliation.
De même, le septième commandement : « Tu ne commettras pas d’adultère » ne se contente pas d’interdire un acte impur ; [ p. 36 ] il condamne tout aussi fermement les pensées impures. Par conséquent, si quelqu’un pense que sa nature tolère l’auto-indulgence, il doit se détromper. Une telle nature doit être réformée à tout prix. « Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. »
Lorsqu’un homme se marie, il assume une responsabilité permanente, qui ne s’annule pas s’il est déçu par sa femme. Rien n’excusera son manque de patience ou de tolérance. Elle aussi a le même devoir envers lui. Ainsi, s’il la répudie et qu’elle se remarie, [9] il devient coupable de son péché en plus du sien : « il l’entraîne à commettre l’adultère. »
Ne pas dire la vérité ne peut être excusé par une casuistique qui enseigne que certaines formules sont convaincantes et d’autres non. Si le simple « oui » ou « non » d’un homme n’est pas fiable, c’est qu’il y a un problème quelque part.
La loi de l’Ancien Testament prévoyait certaines sanctions pour les délits ; certains en interprétaient le droit moral d’un homme lésé à exiger ces sanctions ; une doctrine qui enseignait que la vengeance était permise jusqu’à un certain point. Au contraire, Jésus déclare que le désir de vengeance est condamnable en toutes circonstances. Pour l’individu pris individuellement, toute insistance égoïste sur ses droits personnels ou patrimoniaux est un péché.
Le commandement d’aimer est totalement illimité ; en fait, l’obéissance à ce commandement n’est méritoire que lorsque [ p. 37 ] l’amour n’est motivé par aucun intérêt naturel. Dieu répand ses bienfaits sur les méchants comme sur les bons, et le véritable enfant de Dieu prend son Père pour modèle.
Au sens strictement religieux du terme, les Juifs divisaient la « justice » en trois actes : l’aumône, la prière et le jeûne. Ces trois actes doivent être considérés comme des relations entre l’âme et Dieu. Utilisés à d’autres fins, comme pour obtenir la louange des hommes, ils perdent toute valeur intrinsèque. Et ce qui est vrai de ces observances l’est tout autant de l’utilisation des richesses : utilisées uniquement pour les besoins du présent, elles peuvent, au mieux, être futiles, rongées par les mites et la rouille ; utilisées pour servir la cause de Dieu, elles deviennent un bien permanent et durable. Ainsi, le principal besoin de l’homme en matière spirituelle est d’avoir un but unique, une vision claire et inébranlable de son objectif ; sinon, il sera comme un serviteur tentant l’impossible tâche de servir deux maîtres à la fois.
Après une digression sur la libération des soucis présents, le Sermon revient à l’illustration concrète de son thème par ces mots : « Ne jugez pas. » Car critiquer autrui avec acharnement risque de sombrer dans un égoïsme effronté ; contempler les défauts d’autrui est le moyen le plus réconfortant de détourner l’attention des nôtres, et il n’y a pas de plus grand péché contre l’amour. Cette faute est donc une « poutre » comparée à laquelle la plupart des autres erreurs ne sont que des poussières.
Et ainsi [10] le Sermon passe à son résumé, qui [ p. 38 ] condense toute l’application particulière en une formule parfaite : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le-leur de même. Telle est la véritable signification de la loi et des prophètes. »
Pour reprendre une expression moderne, le Sermon sur la montagne constitue le résumé le plus complet de l’« éthique » de Jésus. Par conséquent, il convient de souligner, une fois de plus, la manière dont cet enseignement éthique est dispensé. Nous n’y trouvons pas d’énoncé de commandements légalistes, mais l’énoncé de principes ; si nous prenons les paroles de Jésus et tentons de les transformer en termes juridiques banals, elles risquent de devenir absurdes. Par exemple : « Lorsque tu pries, entre dans ta chambre, et, ayant fermé la porte, prie ton Père qui est là dans le secret. » Interprété de manière légaliste et littérale, cela interdirait totalement le culte public. Mais dans ce cas, cela condamnerait avant tout Jésus lui-même, car il fréquentait assidûment les synagogues et avait une profonde révérence pour le temple.
Il convient de noter, en outre – et c’est très important – que, dans chaque cas concret, chaque principe est analysé individuellement, que, pour l’instant, chacun de ces principes est considéré de manière totalement isolée. Quelle est la véritable nature de la douceur ? De la pureté ? De la véracité ? Chaque vertu est considérée individuellement, comme si, aux fins de l’analyse, elle était la seule vertu au monde. De la même manière, les individus sont considérés indépendamment les uns des autres. Lorsque Jésus dit : « Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre », l’individu [ p. 39 ] est isolé du reste de l’humanité ; seul l’effet sur lui est pris en compte. S’il tend volontairement l’autre joue, il peut être certain de ne nourrir aucun désir de vengeance ; c’est le seul point directement en jeu.
Or, on peut le dire avec justesse, la vie n’est pas ainsi. Elle ne présente presque jamais de problème impliquant un seul motif, et peut-être même jamais de problème impliquant exclusivement un seul agent. Dès que nous tentons d’agir, des complications surviennent. Si je suis frappé à la joue, je dois me libérer de tout désir de vengeance ; certes, mais j’ai aussi un devoir d’amour envers l’offenseur ; je dois lui faire tout le bien possible. Je suis donc obligé de me demander : lui ferai-je toujours le plus grand bien en lui laissant croire qu’il peut nuire à autrui imprudemment et en toute impunité ? Ma douceur est peut-être le meilleur remède que je puisse lui offrir, mais Jésus ne le dit pas. En énonçant ce principe, Jésus ne fait que considérer la personne lésée, et seulement comme un homme qui peut s’estimer en droit de se venger.
Ou peut-être qu’un tiers est blessé pendant que je suis spectateur ; que se passe-t-il alors ? Ici encore, il nous faut observer attentivement ce que Jésus ne dit pas. Il ne dit pas : « Si quelqu’un frappe un enfant sur la joue droite, qu’il frappe aussi l’autre joue ! » Il ne dit pas non plus : « Si quelqu’un prend le pain de la veuve, qu’il prenne aussi celui de l’orphelin ! » Lorsque nous essayons de formuler son principe de manière légaliste sous de telles formes, nous [ p. 40 ] réalisons instantanément l’absurdité de notre interprétation de cet enseignement comme précepte.
En d’autres termes, alors que les problèmes de la vie sont généralement liés à un conflit de motivations et de devoirs, le Sermon sur la Montagne s’intéresse aux principes fondamentaux qui sous-tendent l’action. Le problème simple doit précéder le plus complexe ; avant de pouvoir traiter des éléments contradictoires, il faut d’abord les comprendre séparément. Le but du Sermon est d’éclaircir le problème simple dans chaque cas ; de garantir l’unicité de l’« œil » spirituel, sans lequel le corps tout entier serait plongé dans les ténèbres. L’individu doit apprendre à examiner et à analyser ses propres motivations fondamentales. Lorsqu’il est assuré de leur pureté – et seulement alors – il peut véritablement sentir qu’il commence à agir en être moral. Alors, une fois les motivations individuelles purifiées, la tâche de les combiner sera grandement facilitée. Mais pour les différentes combinaisons, il ne peut y avoir de règles rigides ; chaque cas doit être examiné individuellement.
C’est pourquoi Jésus ne donne pas de lois de vie précises, définies ou spécifiques. Il nous laisse faire quelque chose par nous-mêmes. Il veut que nous travaillions dur pour forger notre caractère. Dans chacune de ses paroles, il y a un principe à découvrir et à appliquer : cultiver un esprit de générosité débordante ; maîtriser l’avidité ; faire preuve de magnanimité et de générosité ; réfréner le ressentiment personnel. Le langage utilisé est oriental, vivant, paradoxal, aphoristique, épigrammatique, parabolique. Il nous appartient de découvrir le [ p. 41 ] noyau de vérité dans la parabole ou le paradoxe et de l’appliquer aux diverses circonstances de la vie. N’est-ce pas ainsi que la vérité est le mieux rendue vivante ? L’enseignant idéal est celui qui vous fait voir l’idée, et non celui qui perd la pensée dans un labyrinthe de détails, et encore moins dans un catalogue prudent d’exceptions.
C’est une tâche magnifique et inspirante, dans le monde où nous vivons, avec les tâches que nous avons à accomplir et les tentations que nous devons surmonter, que de tenter de lire « l’esprit du Maître » pour découvrir ce que Jésus-Christ attend de nous. Seul un faible souhaiterait une carte du devoir, avec toutes les directions clairement imprimées. L’appel du Christ est de vivre avec altruisme, de donner avec joie et générosité, de briser la tyrannie des classes, de renverser l’ordre habituel de la vie et de penser davantage aux autres qu’à soi-même. C’est à nous de nous demander : « Quand ? », « Où ? » et « Pourquoi ? »
C’est ce qui rend l’enseignement de Jésus universel. Aucune nouvelle génération ne l’a amélioré et aucune nouvelle civilisation ne le supplantera. Les conditions changent et son application varie, mais les principes demeurent. Chaque époque a trouvé son idéal suprême incarné en Christ. Il a été la vérité parfaite pour des siècles de pensée philosophique ; l’exemple suprême pour une époque de discipline ; le vivificateur de la lettre morte pour une époque de réforme ecclésiastique ; l’exemple de service pour notre époque pratique ; l’éveilleur de conscience pour une génération confrontée aux problèmes sociaux ; l’espoir de ceux qui recherchent la paix pour le monde.
Et puis, merveille des merveilles : il était tout ce qu’il enseignait. Son enseignement sera-t-il efficace ? Regardez-le et [ p. 42 ] nous verrons qu’il a fonctionné. D’autres enseignants ont eu de belles pensées ; plus leurs idéaux étaient élevés, plus le contraste avec leurs actions était marqué et plus la différence entre ce que les hommes disent et ce qu’ils sont est évidente. Jésus-Christ a toujours été l’incarnation vivante de chaque mot de son enseignement.
Ce ne sont pas vraiment des « sermons » au sens où nous les connaissons. ↩︎
Saint Matthieu v: 17. ↩︎
Saint Matthieu vii: 12. ↩︎
c’est-à-dire des juges humains qui ont jugé de telles affaires. ↩︎
Aidé, peut-être, par certaines des dénonciations les plus grossières de l’Ancien Testament contre les ennemis d’Israël. ↩︎
Il faut cependant préciser explicitement que dans le judaïsme des siècles ultérieurs, de nombreuses grossièretés du début du premier siècle ont été écartées par le bon sens des érudits juifs. ↩︎
Nous ne connaissons pas la force exacte de « Raca » ou de « Thou fool », mais le sens général doit être à peu près celui supposé ici. ↩︎
Près de Jérusalem, au sud-ouest. « L’enfer de feu » est une traduction inappropriée dans ce passage. ↩︎
Dans les conditions juives, cela est considéré comme inévitable. ↩︎
Après une autre courte digression. ↩︎