[ p. 51 ]
Les auteurs modernes parlent souvent du Sermon sur la montagne comme du « cœur de l’Évangile de Jésus ». Ils se trompent. L’enseignement du Sermon sur la montagne est un élément essentiel du message de Jésus ; c’est le « roc » sur lequel toute maison spirituelle doit être bâtie. Mais le Sermon sur la montagne n’est pas un « Évangile ».
La raison est simple. « Évangile » signifie « bonne nouvelle », mais les immenses exigences éthiques du Sermon ne sont pas une bonne nouvelle – si rien ne suit. Si ces exigences doivent être comprises simplement comme les conditions que chacun doit remplir pour pouvoir espérer le salut, elles sont la pire des nouvelles possibles, car elles exigent tant qu’elles nous laissent dans le désespoir. Le légalisme extérieur, que Jésus condamnait, était difficile, mais au moins il était à la portée de quelqu’un. Les zélotes, qui consacraient toute leur énergie à l’obéissance à la loi, pouvaient parfois se vanter sans fausseté d’avoir atteint leur objectif ; lorsque le pharisien de la parabole affirme avoir même outrepassé les exigences de la loi, il est censé dire la vérité exacte et littérale. Mais qui peut prétendre avoir été à la hauteur des normes énoncées dans le Sermon sur la montagne ? Ce n’est donc pas dans le Sermon que nous attendons la « bonne nouvelle ».
[ p. 52 ]
Où donc trouver cet Évangile, ou « bonne nouvelle » ?
Lorsque nous examinons les récits de l’enseignement de Jésus, nous observons un tableau curieux. D’un côté, il est décrit comme enseignant cet idéal éthique splendide mais radical, et le prêchant comme le seul idéal digne d’un disciple de Dieu. Nous l’entendons dénoncer les classes professionnellement pieuses de son époque, les qualifiant d’hommes dont la justice doit être surpassée par tous ceux qui espèrent entrer dans le Royaume. De l’autre, nous le voyons entretenir des relations amicales avec les « publicains et pécheurs », méprisés et exclus, hommes et femmes dont les réalisations morales, à tous égards, étaient bien inférieures à celles des pharisiens. Il va même jusqu’à proclamer le pardon des péchés pour ceux qui nous semblent n’avoir fait que de faibles débuts sur le chemin de la justice. Comment concilier ces deux aspects apparemment contradictoires du tableau ?
La réponse se trouve dans le titre que Jésus utilise pour Dieu : il l’appelait toujours « Père ». Nous avons déjà vu comment il fondait toute orientation morale sur ce nom, mais comment comprenait-il la paternité de Dieu comme l’expression d’une relation religieuse ? Et comment interpréter le terme correspondant, « enfant », dans cette même relation ? « Quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas. » Que signifie exactement « comme un petit enfant » ?
Tout d’abord, « comme un petit enfant » ne signifie pas que nous devons accepter les croyances avec ce que nous appelons aujourd’hui une « foi enfantine ». Cette expression, dans le langage [ p. 53 ] moderne, désigne généralement une crédulité qui accepte une affirmation sur la seule base d’une autorité extérieure, sans chercher d’autres raisons à cette croyance et sans se demander si elle est possible ou non. Un petit enfant croit au Père Noël sans même raisonner à ce sujet ; devons-nous croire en Dieu et en ses promesses de la même manière ? Poser cette question, c’est y répondre. Une telle foi n’est méritoire que chez un enfant. Il y a des sommets, bien sûr, que l’esprit ne peut atteindre, des sommets que nous ne pouvons gravir que par un effort de foi ; mais cette foi n’est pas « enfantine ».
L’humilité n’est pas non plus une qualité enfantine, bien qu’elle soit un élément important. Après tout, les enfants ne sont pas des êtres très humbles ; à certains égards, l’enfance est la période la plus égocentrique de la vie. En fait, la fierté innocente d’un enfant pour ses réussites est l’une de ses plus belles qualités ; une qualité qui nous manquerait cruellement si elle était absente.
Si nous cherchons vraiment la réponse à notre question, nous pouvons la trouver simplement en regardant un enfant ; la perfection des comparaisons de Jésus réside dans le fait qu’elles sont évidentes, pour peu que nous sachions de quoi il parle. La qualité qui rend un enfant attrayant est connue de tous, même si elle est peut-être difficile à formuler avec précision. Cependant, d’une manière générale, nous pouvons la résumer par un « naturel affectueux ». Il n’y a pas de marchandage dans la relation père-enfant. Tant que cette relation est préservée – n’oublions jamais que l’indignité de l’un ou l’autre peut la gâcher – l’amour du père ne se mesure pas au nombre d’actes de service que [ p. 54 ] l’enfant a accomplis chaque jour ; l’enfant ne s’attend pas non plus à mériter l’attention de son père par sa propre obéissance scrupuleuse. Si un enfant disait : « J’ai fait tout ce que tu m’as demandé, et je te demande donc en retour nourriture et vêtements », la relation authentique serait détruite. Ou lorsqu’on entend – comme c’est malheureusement parfois le cas – un enfant plus âgé dire : « J’ai accompli pleinement mon devoir légal envers mes parents », on a l’impression d’être insensible, conscient que cet enfant, de toute façon, ignore ce qu’est le véritable devoir. Autrement dit, la nature légale, qui, selon l’enseignement de Jésus, gâte la justice, gâche tout autant la véritable relation religieuse avec Dieu.
Bien sûr, Dieu désire pleinement jouer son rôle dans cette relation. La parabole du fils prodigue raconte l’histoire dans les termes les plus simples et les plus familiers. Dans ce récit, Jésus, toujours attentif aux réalités de la vie, prend soin de ne pas choisir un père d’une sagesse extraordinaire ou d’une générosité inhabituelle. Il choisit pour illustration un parent ordinaire, aux qualités normales, bon mais peu enclin à se soucier outre mesure de ses enfants. Son fils aîné est dépeint comme possédant la fidélité laborieuse d’un cœur naturellement mais peu enclin au devoir. Son obéissance est simplement tenue pour acquise par le père, qui ne se soucie guère du besoin de détente et de divertissement de la jeunesse ; en conséquence, le garçon rumine ce qui lui semble être de la négligence. Le fils cadet est un jeune homme capricieux, impatient, « entêté », qui, fatigué [ p. 55 ] de la vie monotone du foyer, prit son héritage et partit « seul » dans la vie aventureuse du monde extérieur. Le père le laissa partir les poches pleines et sans personne pour le guider. Naturellement, il se produisit ce qui arrive trop souvent dans de tels cas : le garçon échoua tragiquement, sombra dans la débauche et disparut, au grand désespoir de son père. Humble et pénitent, le fils revint finalement, prêt à recommencer au plus bas de l’échelle de la vie, pour trouver un père désormais choqué par la prise de conscience de sa perte et prêt à l’accueillir à bras ouverts. Rien n’était trop excessif pour exprimer la joie de retrouver l’enfant perdu : des vêtements de fête, la meilleure nourriture possible, et même des artistes engagés pour chanter et danser pour lui.
Apparemment, personne ne prit la peine d’avertir le fils aîné, qui, rongé par le sentiment d’une longue injustice, pensa que cette dépense somptueuse pour le fils prodigue était la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Son attitude n’était peut-être pas charitable, mais elle était certainement naturelle. Sa colère fut cependant surmontée par les premiers mots d’amour que, peut-être, son père lui avait adressés depuis des années : « Fils, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » Le père réalisa soudain qu’il s’agissait là aussi d’un garçon qui lui était précieux.
Si donc un père terrestre a pu être si éveillé à la valeur de ses enfants, combien plus Dieu est-il constamment attentif à la valeur de ses créatures ! L’âme qui s’est éloignée de Dieu par des voies détournées n’a jamais à craindre de revenir ; Dieu fera bien plus que la moitié du chemin. Et les âmes fidèles et patientes, [ p. 56 ] qui travaillent jour après jour dans une vie qui semble monotone et ennuyeuse, ne doivent jamais penser un seul instant que Dieu les néglige. [1]
Avec la même morale générale, nous avons deux autres paraboles, si simples qu’elles n’ont pas besoin d’explication ; il suffit de les raconter :
« Quel homme d’entre vous, s’il a cent brebis, et qu’il en perde une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert, [2] pour aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? Et, lorsqu’il l’a retrouvée, il la met sur ses épaules avec joie. De retour à la maison, il appelle ses amis et ses voisins, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis qui était perdue.
Ou quelle femme, ayant dix pièces d’argent, et si elle en perd une, n’allume une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Et, lorsqu’elle l’a trouvée, elle appelle ses amies et ses voisines, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue.
Pour les Orientaux, de tels événements seraient aussi familiers que le jour : le berger joyeux, portant ses moutons et chantant de joie à tue-tête ; les femmes exubérantes convoquant tous les voisins pour un festin joyeux. « De même, il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent » – et [ p. 57 ] Celui qui se réjouit en présence des anges n’est autre que Dieu lui-même.
Il ne faut bien sûr pas chercher à tirer de ces récits plus que ce qu’ils sont censés nous enseigner ; ils ne concernent pas notre rôle dans l’obtention du pardon, mais celui de Dieu. Si nous cherchons, par exemple, à définir ce qui a rendu acceptable le repentir du fils prodigue, nous allons au-delà de la leçon de la parabole. Ces récits nous disent simplement : si une véritable relation peut être établie entre le Père et l’un de ses enfants, Dieu désire ardemment accueillir cet enfant. Et c’est de cette seule vérité que nous devons tirer les conclusions ultérieures.
Cette vérité, en effet, nous dit tout ce que nous devons savoir. Notre rôle est de répondre à l’offre de Dieu comme un enfant accepte l’amour de son père, avec gratitude, sans chercher à négocier ni à plaider ses propres accomplissements comme s’il attirait la faveur divine. Telle était l’erreur du pharisien, qui énumérait avec douceur le catalogue de ses propres vertus : « Je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ni même comme ce publicain qui se tient près de moi. Je jeûne deux fois par semaine ; [3] je donne la dîme de tout [4] ce que je reçois. » Cet homme sentait qu’il n’avait rien à regretter, rien à désirer, aucun but qu’il n’avait atteint ; il n’avait rien négligé de ce qu’il aurait dû faire, il avait même dépassé les exigences légales ; il était parfaitement satisfait de lui-même. Comment un tel homme pouvait-il être amené à ressentir la véritable signification de la paternité de Dieu ? [ p. 58 ] Il se considérait comme traitant avec Dieu sur un pied d’égalité, lui faisant sa part tandis que Dieu faisait la sienne. Et il imaginait les deux parties au contrat se félicitant mutuellement de leurs réussites mutuelles !
C’est pourquoi Jésus parle avec une extrême sévérité de ceux qui étaient les « bonnes gens » de leur époque, que l’on voyait constamment en prière, qui observaient sans faille les rites religieux, qui étaient des chefs dans la vie de leur Église et qui étaient désignés comme méritant tous les éloges et le respect. En général, il voyait toujours des possibilités latentes de bien là où on les attendait le moins ; il semblait, instinctivement, tirer le meilleur des gens ; il faisait preuve d’une patience infinie envers les pécheurs les plus dépravés, et ne prononçait jamais une parole qui les amènerait à se mépriser ou à désespérer d’eux-mêmes. Mais pour l’esprit pharisaïque, son langage était celui d’une dénonciation sévère, voire d’une dérision méprisante. Chez le pharisien, Jésus ne pouvait rien faire appel. Tant que la voix de la conscience n’a pas été complètement réduite au silence, tant qu’il y a une pointe occasionnelle d’auto-condamnation, tant qu’il y a des désirs agités, l’amour peut faire ressortir le meilleur de soi ; mais tout cela était absent chez le pharisien, et donc la seule chose possible était de le piquer avec le mépris, dans l’espoir qu’à la fin il pourrait être piqué au mépris de lui-même. [5] Tout cela, nous le voyons dans la parabole, dans une phrase courte et percutante qui raconte toute l’histoire en une ligne.
[ p. 59 ]
Accepter les exigences du Sermon sur la Montagne aurait anéanti l’auto-supériorité pharisaïque. Connaître la véritable nature de la justice de Dieu aurait été profondément humiliant. La vision d’un idéal inatteignable, avec de nouvelles perspectives s’ouvrant constamment, des possibilités toujours nouvelles d’ascensions encore plus élevées, lui aurait fait prendre conscience de la petitesse de ses progrès par rapport au publicain méprisé. Il aurait compris que toutes ses réalisations glorieuses ne lui avaient donné et ne pouvaient lui donner aucun droit à Dieu ; que tout son espoir était de s’approcher de Dieu comme un enfant pénitent s’approche de son père, conscient de ne pouvoir réparer ses fautes, mais confiant dans l’amour de son père pour le pardon. C’est pourquoi le publicain, avec la prière : « Ô Dieu, sois apaisé envers moi, pécheur », pouvait rentrer chez lui justifié, plutôt que le pharisien.
Et c’est pourquoi les deux côtés de l’image de l’enseignement de Jésus – l’exigence drastique de justice et le message d’un Père miséricordieux – ne sont pas contradictoires mais complémentaires ; les deux côtés sont nécessaires pour toute la vérité.
Bien sûr, il s’agit d’un élément secondaire dans l’histoire, mais un élément qui est certainement présent. Les paroles d’éloge et d’affection du père pour son fils aîné excluent toute tentative de traiter ce garçon comme simplement répréhensible et sans cœur. ↩︎
Ces moutons sont censés être dans un endroit sûr. ↩︎
Selon la loi de l’Ancien Testament, le jeûne n’était obligatoire qu’une fois par an, le jour des Expiations. ↩︎
Selon la loi de l’Ancien Testament, les dîmes n’étaient obligatoires que sur les produits agricoles cultivés en Palestine. ↩︎
Il y avait peut-être six mille pharisiens à l’époque de Jésus. Bien sûr, ses condamnations ne s’appliquaient pas à chaque individu du groupe. ↩︎