Chapitre X. Visions intellectuelles (suite) | Page de titre | Chapitre I. La Chambre de la Présence de Dieu |
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TRAITE DE LA FAÇON DONT DIEU INSPIRE L’ÂME DE DÉSIRS SI VÉHÉMENTAUX ET IMPÉTUEUX DE LE VOIR QU’ILS METTENT LA VIE EN DANGER. DES BIENFAITS RÉSULTANT DE CETTE GRÂCE DIVINE.
1. Les faveurs augmentent le désir de l’âme pour Dieu. 2. Le dard de l’amour. 3. Les souffrances spirituelles produites. 4. Ses effets physiques. S. La torture du désir de Dieu. 6. Ces souffrances sont un purgatoire. 7. Les tourments de l’enfer. 8. Le désir douloureux de sainte Thérèse pour Dieu. 9. Cette souffrance irrésistible. 10. Les effets du dard de l’amour. 11. Deux dangers spirituels pour la vie. 12. Le courage nécessaire ici et donné par notre Seigneur.
1. Toutes ces grâces accordées par l’Époux à l’âme suffiront-elles à contenter cette petite colombe ou ce petit papillon (voyez-vous, je ne l’ai pas oubliée après tout !) afin qu’elle puisse s’installer et se reposer là où elle doit mourir ? Non, certes : son état est bien pire que jamais ; bien qu’elle ait reçu ces faveurs depuis de nombreuses années, elle soupire et pleure encore, car chaque grâce augmente sa douleur. Elle se voit encore loin de Dieu, mais, à mesure qu’elle connaît davantage ses attributs, son désir et son amour pour lui s’intensifient à mesure qu’elle apprend plus pleinement combien ce grand Dieu et Souverain mérite d’être aimé. À mesure que, d’année en année, son désir de le retrouver s’intensifie, elle éprouve les souffrances amères que je vais décrire. Je parle d’« années » car, pour raconter ce qui est arrivé à la personne dont j’ai parlé, je sais bien qu’avec Dieu, le temps n’a pas de limites et qu’en un instant, il peut élever une âme à l’état le plus sublime que j’ai décrit. Sa Majesté a le pouvoir de faire tout ce qu’elle veut et elle veut faire beaucoup pour nous. Ces désirs, ces larmes, ces soupirs, ces [ p. 253 ] désirs violents et impétueux, ces sentiments puissants, qui semblent provenir de notre amour véhément, ne sont pourtant rien comparés à ce que je vais décrire et ne semblent qu’un feu couvant dont la chaleur, bien que douloureuse, est néanmoins supportable.
2. Tandis que l’âme est ainsi enflammée d’amour, il arrive souvent que, d’une pensée passagère ou d’une parole sur la façon dont la mort retarde sa venue, le cœur reçoive, on ne sait comment ni d’où, un coup comme celui d’un dard enflammé. [1] Je ne dis pas que ce soit réellement un « dard », mais, quoi qu’il en soit, il ne vient assurément d’aucune partie de notre être. [2] Ce n’est pas non plus vraiment un « coup », bien que je le dise ainsi, mais il nous blesse gravement – non pas, je pense, dans cette partie de notre nature sujette à la douleur physique, mais au plus profond et au plus profond de l’âme, où ce coup de foudre, dans sa course rapide, réduit en poussière toute la partie terrestre de notre nature. Sur le moment, nous ne pouvons même pas nous souvenir de notre propre existence, car en un instant, les facultés de l’âme sont si enchaînées qu’elles sont incapables d’autre action que celle d’accroître notre torture. Ne croyez pas que j’exagère ; en effet, je ne parviens pas à expliquer ce qui se passe et qui ne peut être décrit.
3. C’est une transe des sens et des facultés, sauf en ce qui concerne ce qui contribue à aggraver l’agonie. L’entendement perçoit avec acuité la cause de la douleur que procure la séparation d’avec Dieu, et Sa Majesté augmente alors cette douleur par une manifestation vivante de Lui-même. Cela accroît l’angoisse à tel point que la victime pousse de grands cris qu’elle ne peut étouffer, aussi patiente et habituée soit-elle à la douleur, car cette torture n’est pas corporelle, mais attaque les recoins les plus profonds de l’âme. La personne dont je parle a appris par là combien l’esprit est capable de souffrir plus intensément que le corps ; elle a compris que cela ressemblait aux souffrances du purgatoire, où l’absence de chair n’empêche pas que la torture soit bien pire que toutes celles que nous pouvons ressentir en ce monde.
4. J’ai vu quelqu’un dans cet état, et je pensais sincèrement qu’il allait mourir, et cela n’aurait pas été surprenant, car le danger de mort est grand dans cet état. Aussi bref soit-il, il laisse les membres disjoints et le pouls aussi faible que si l’âme était sur le point de mourir, ce qui est effectivement le cas, car la chaleur naturelle s’éteint, tandis que la chaleur surnaturelle brûle tellement le corps que, même si elle augmentait un tant soit peu, Dieu satisferait le désir de mort de l’âme. Non pas que le corps ressente une douleur sur le moment, bien que, comme je l’ai dit, toutes les articulations soient disloquées, de sorte que pendant deux ou trois jours, la souffrance est trop intense pour que la personne ait même la force de tenir une plume ; [3] en fait, je crois que la santé s’en trouve affaiblie de façon permanente. Sur le moment, on ne le ressent pas, probablement parce que les tourments spirituels sont d’autant plus vifs que les tourments corporels passent inaperçus ; De même que lorsqu’il y a une douleur très vive dans une partie, on perçoit à peine des douleurs plus légères ailleurs, comme je le sais par expérience. Durant cette faveur, il n’y a aucune souffrance physique, ni grande ni petite, et je ne pense pas que la personne la ressentirait si elle était mise en pièces.
5. Peut-être direz-vous que c’est une imperfection, et vous demanderez-vous pourquoi elle ne se conforme pas à la volonté de Dieu, puisqu’elle s’y est si complètement abandonnée. Jusqu’ici, elle a pu le faire et y a consacré sa vie ; mais maintenant, elle ne le peut plus, car sa raison est réduite à un tel état qu’elle n’est plus maîtresse d’elle-même ; elle ne peut penser qu’à ce qui tend à accroître son tourment – car pourquoi chercherait-elle à vivre séparée de son seul Bien ? Elle ressent une étrange solitude, ne trouvant compagnie auprès d’aucune créature terrestre ; elle ne le pourrait pas non plus, je crois, parmi ceux qui habitent le ciel, puisqu’ils ne sont pas ses Bien-aimés : en attendant, toute société lui est une torture. Elle est comme suspendue dans les airs, incapable de toucher la terre ni de monter au ciel ; elle ne peut atteindre l’eau tant elle est desséchée par la soif et ce n’est pas une soif qui peut être supportée, mais une soif que rien ne peut étancher et qu’elle ne voudrait pas étancher sinon avec cette eau dont notre Seigneur a parlé à la Samaritaine, mais cela ne lui est pas donné. [4]
6. Hélas, Seigneur, dans quel état tu fais tomber ceux qui t’aiment ! Pourtant, ces souffrances ne sont rien comparées à la récompense que tu leur donneras. Il est juste que de grandes richesses soient chèrement achetées. De plus, ses souffrances purifient son âme afin qu’elle puisse entrer dans la septième demeure, comme le purgatoire purifie les esprits qui doivent entrer au ciel : [5] alors, en effet, ces épreuves apparaîtront comme une goutte d’eau comparées à la mer. Bien que ce tourment et cette douleur ne puissent, je pense, être surpassés par aucune croix terrestre (c’est du moins ce que cette personne a dit, et elle avait beaucoup enduré, tant physiquement que mentalement), ils ne lui semblaient rien comparés à leur récompense. L’âme réalise qu’elle n’a pas mérité une angoisse d’une valeur si incommensurable. Cette conviction, bien qu’elle n’apporte aucun soulagement ; permet à celui qui souffre de supporter ses épreuves de bon gré, toute sa vie, si Dieu le veut, bien qu’au lieu de mourir une fois pour toutes, ce ne soit qu’une mort vivante, car en vérité ce n’est rien d’autre.
7. Rappelons-nous, mes sœurs, combien ceux qui sont en enfer manquent de cette soumission à la volonté divine, de la résignation et de la consolation que Dieu donne à une telle âme, et de la consolation de savoir que leurs souffrances leur profitent, car les damnés souffriront toujours davantage ; (je veux dire de plus en plus, en ce qui concerne les douleurs accidentelles [6]). L’âme ressent bien plus vivement que le corps, et les tourments que je viens de décrire sont incomparablement moins intenses que ceux endurés par les perdus, qui savent aussi que leur angoisse durera toujours : que deviendront donc ces âmes misérables ? Que pouvons-nous faire ou souffrir durant notre courte vie qui vaille la peine d’être compté pour nous libérer de tourments aussi terribles et sans fin ? Je vous assure que, sans l’expérience, il serait impossible de vous faire comprendre combien les souffrances spirituelles sont intenses et différentes de la douleur physique. Notre Seigneur désire que nous comprenions cela, afin que nous comprenions la gratitude que nous lui devons de nous avoir appelés à un état où nous pouvons espérer, par sa miséricorde, être libérés et pardonnés de nos péchés.
8. Revenons à l’âme que nous avons laissée dans un si cruel tourment. Cette agonie ne dure pas longtemps dans toute sa violence – jamais, je crois, plus de trois ou quatre heures ; si elle se prolongeait, la faiblesse de notre nature ne pourrait la supporter que par miracle. Dans un cas, où elle ne dura qu’un quart d’heure, la victime resta complètement épuisée ; l’attaque fut si violente qu’elle perdit complètement connaissance. Cela se produisit lorsqu’elle entendit inopinément des vers à la défunte, lui disant que la vie semblait sans fin ; elle était alors en conversation, le dernier jour de Pâques. Pendant toute la période pascale, elle avait souffert une telle sécheresse qu’elle ne comprenait presque pas quel mystère était célébré. [7] [ p. 258 ] 9. Il est aussi impossible de résister à cette souffrance qu’il le serait d’empêcher la flamme d’être assez chaude pour nous brûler si nous étions jetés dans un incendie. Ces sentiments ne peuvent être dissimulés : tous ceux qui sont présents reconnaissent la situation dangereuse d’une telle personne, bien qu’ils soient incapables de voir ce qui se passe en elle. Certes, elle sait que ses amis sont proches, mais eux et toutes les choses terrestres ne lui semblent que des ombres. Pour vous montrer que, si jamais vous vous trouvez dans cet état, votre faiblesse et votre nature humaine peuvent vous être utiles, je peux vous dire que parfois, lorsqu’une personne semble agoniser de son désir de mourir [^384] qui accable son âme de chagrin au point qu’elle semble sur le point de quitter son corps, son esprit, terrifié à cette pensée, tente d’apaiser sa douleur afin de tenir la mort à distance. De toute évidence, cette peur naît de l’infirmité humaine, car le désir de mort de l’âme ne s’apaise pas entre-temps et ses chagrins ne peuvent être apaisés ni apaisés tant que Dieu ne lui apporte pas de réconfort. [8] Il le fait habituellement par une transe profonde ou par une vision par laquelle le véritable Consolateur console et fortifie le cœur, qui se résigne ainsi à vivre aussi longtemps qu’il le veut. [9] [ p. 259 ] 10. Cette faveur entraîne de grandes souffrances, mais laisse des grâces très précieuses dans l’âme, qui perd toute crainte des croix qu’elle pourrait désormais rencontrer, car en comparaison de l’angoisse aiguë qu’elle a traversée, tout le reste ne semble rien. Voyant ce qu’elle a gagné, la personne qui souffre endurerait volontiers fréquemment les mêmes douleurs [^387], mais ne peut rien faire pour s’en sortir. Il n’y a aucun moyen d’atteindre à nouveau cet état jusqu’à ce que Dieu veuille le décréter, alors ni résistance ni évasion ne sont possibles. L’esprit ressent un mépris bien plus profond pour le monde qu’auparavant, réalisant que rien de terrestre ne peut le secourir dans sa torture ; Elle est aussi beaucoup plus détachée des créatures, ayant appris que seul son Créateur peut lui apporter consolation et force. Elle est plus soucieuse et attentive de ne pas offenser Dieu, car il peut tourmenter aussi bien que réconforter. [10]
11. Deux choses dans cet état spirituel me semblent mettre la vie en danger : l’une est ce dont je viens de parler, qui est un péril réel et non négligeable ; l’autre une joie excessive et un délice si extrême que l’âme semble s’évanouir et sur le point de quitter le corps, ce qui lui procurerait en effet une joie non négligeable. [ p. 260 ] 12. Voyez-vous, mes sœurs, si je n’avais pas raison de vous dire qu’il fallait du courage pour ces faveurs et que lorsque quelqu’un les demande à Notre-Seigneur, il peut bien répondre, comme il l’a fait aux fils de Zébédée : « Pouvez-vous boire le calice que je vais boire ? » [^389] Je crois, mes sœurs, que nous devrions toutes répondre « oui » — et nous aurions parfaitement raison, car Sa Majesté donne la force quand elle en a besoin : il défend toujours de telles âmes et répond pour elles lorsqu’elles sont persécutées et calomniées comme il l’a fait pour la Madeleine — sinon en paroles, du moins en actes. [11] Enfin, ah, enfin ! avant qu’elles ne meurent, il leur rend tout ce qu’elles ont souffert, comme vous allez maintenant l’apprendre. Qu’il soit à jamais béni et que toutes les créatures le louent ! Amen.
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[paragraphe continue] Fuente, l.c. vol. v. 143, note 1. Œuvres, ii. 231. (Poème 36, version anglaise.) Il y a une légère différence dans les deux relations de cet événement. Dans Rel. iv. sainte Thérèse semble sous-entendre que cela s’est produit le soir du dimanche de Pâques, mais ici elle dit distinctement : « Pascua de Resurreccion, el postrer dia », c’est-à-dire le mardi de Pâques, 17 avril 1571, à Salamanque.
[^384] : 258 : 8 Comparez les mots « Que muero porque no muero » dans la Glosa de Sainte Thérèse. Voie de Perf. ch. XLII. 2. Château, M. vii. ch. iii. 14.
[^387] : 259:11 Rel. viii. 17.
[^389] : 260:13 Saint Matthieu. XX. 22 : « Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum ? »
253:1 Vie, ch. xxix. 17. (Transverbération.) ↩︎
253:2 Ibid. ch. xxix. 13, 14. Rel. viii. 16-19. ↩︎
254:3 Saint Jean de la Croix, Nuit obscure, l. ii. ch. i. (in fine); Cantique spirituel, strophe xiii; xiv-xv. (in fine). Lorsque cela arriva à sainte Thérèse, elle fut incapable d’écrire pendant douze jours. Ribera, Acta SS. p. 555 (in fine). Rel. viii. 13. Vie, ch. xx. 16. ↩︎
255:4 St. Jean iv. 15. Vie, ch. xxx. 24. Chemin de Perf. ch. xix. 4 sqq. Concept. ch. vii. 7, 8. Fondé. ch. xxxi. 42. Voir note, Vie, ch. i. 6. ↩︎
256:5 Saint Jean de la Croix, Nuit obscure, livre ii. ch. xii. ↩︎
256:6 Note marginale de la main du Saint. La douleur « substantielle » de l’enfer consiste en la perte irrévocable de Dieu, notre fin dernière et notre Bien suprême ; elle est subie dès le premier instant dans sa plus grande intensité et ne peut donc pas augmenter. La douleur physique dont seront affligés les corps une fois unis aux âmes après la résurrection générale peut varier, mais n’augmentera ni ne diminuera. La douleur « accidentelle » des damnés provient de causes diverses, par exemple des effets toujours croissants des mauvaises actions, et augmente donc dans la même proportion. Ainsi, un hérésiarque souffrira d’une douleur accidentelle plus intense à mesure que de plus en plus d’âmes seront perdues à cause de son faux enseignement. ↩︎
257:7 Rel. iv. 1. Concept. ch. vii. 2. Isabelle de Jésus, dans sa déposition dans les Actes de Canonisation (Fuente, Obras, vol. vi. 316), déclare être la chanteuse. Les paroles étaient :
Véante mes yeux,
Bon doux Jésus :
Véante mes yeux,
Et je me suis suicidé ensuite. ↩︎
258:9 Voie de la Perf. ch. xix. 10. Excl. vi.; xii. a.; xiv. ↩︎
258:10 Voir les deux versions des poèmes écrits par la sainte lors de sa guérison de la transe dans laquelle elle fut plongée, commençant par « Vivir sin vivir in me » et le poème « Cuan triste es, Dios mio » (poèmes 2, 3 et 4, version anglaise). Voir aussi le poème de sainte Thérèse, « Ya toda me p. 259 entregué y dí. » (poème 7, version anglaise).
Frappé par le doux chasseur
Et renversé,
Dans les bras de l’Amour
Mon âme était à terre.
Enfin ressuscité à une nouvelle vie,
Ce contrat passé entre nous,
Que le Bien-Aimé soit à moi,
Je suis à Lui seul. ↩︎
259:12 Acta SS. p. 64, n. 229. ↩︎
260:14 St. Matt. xxvi. à: St. Marc xiv. 6; St. Jean xii. 7. Chemin de Perf. ch. xvi. 7; xvii. 4. Excl. v. 2-4. ↩︎