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LES SEPTIÈMES DEMEURES
TRAITE DES SUBLIME FAVEURS QUE DIEU ACCORDE AUX ÂMES QUI SONT ENTRÉES DANS LES SEPTIÈMES DEMEURES. L’AUTEURE MONTRE LA DIFFÉRENCE QU’ELLE CROIT EXISTER ENTRE L’ÂME ET L’ESPRIT, BIEN QU’ILS NE FASSENT QU’UN. CE CHAPITRE CONTIENT DES ÉLÉMENTS REMARQUABLES.
1. Mystères sublimes de ces demeures. 2. Sainte Thérèse confuse de traiter de tels sujets. 3. Notre Seigneur introduit son épouse dans sa chambre de présence. 4. Ténèbres d’une âme en état de péché mortel. 5. Intercession pour les pécheurs. 6. L’âme et un monde intérieur. 7. Les noces spirituelles. 8. Les faveurs antérieures diffèrent des noces spirituelles. 9. La Sainte Trinité révélée à l’âme. 10. Permanence de sa présence dans l’âme. 11. Les effets. 12. Cette présence n’est pas toujours également réalisée. 13. Elle échappe au contrôle de l’âme. 14. Le centre de l’âme reste calme. 15. L’âme et l’esprit distincts bien qu’unis. 16. L’âme et ses facultés ne sont pas identiques.
1. Vous pensez peut-être, mes sœurs, qu’on a tant parlé de ce cheminement spirituel qu’il n’y a plus rien à ajouter. Ce serait une grave erreur : l’immensité de Dieu est sans limites, pas plus que ses œuvres ; par conséquent, qui peut raconter ses miséricordes et sa grandeur ? [^391] C’est impossible ; ne vous étonnez donc pas de ce que j’écris à ce sujet, qui n’est qu’un aperçu de ce qui reste à dire sur Dieu. Il a fait preuve d’une grande miséricorde en communiquant ces mystères [ p. 262 ] à celui qui pourrait nous les raconter, car à mesure que nous apprenons davantage sur ses relations avec les créatures, nous devrions le louer avec plus de ferveur et estimer davantage l’âme en laquelle il prend tant de plaisir. Chacun de nous possède une âme, mais nous ne mesurons pas sa valeur, créée à l’image de Dieu, et nous ne comprenons donc pas les secrets importants qu’elle renferme. Que Sa Majesté veuille bien guider ma plume et m’apprendre à dire quelque chose des nombreuses révélations qu’il a faites aux âmes qu’il conduit dans cette demeure. Je l’ai supplié instamment de m’aider, car il voit que mon but est de révéler ses miséricordes pour la louange et la gloire de son nom. J’espère qu’il m’accordera cette faveur, sinon pour moi, du moins pour vous, mes sœurs, afin que vous compreniez combien il est vital pour vous de ne mettre aucun obstacle au mariage spirituel de l’Époux avec votre âme, qui apporte, comme vous le découvrirez, de si grandes bénédictions.
2. Ô grand Dieu ! Une créature aussi misérable que moi devrait trembler à l’idée de parler d’un sujet qui dépasse de loin tout ce que je mérite de comprendre. J’étais confus et je me demandais s’il ne serait pas préférable de terminer en quelques mots la description de cette Demeure, de peur que l’on ne s’imagine que je raconte mon expérience personnelle. J’étais accablé de honte, car, sachant ce que je suis, c’est une entreprise terrible. D’un autre côté, cette peur ne me semblait qu’une tentation et une faiblesse : même si je devais être mal jugé, pourvu que Dieu soit un peu mieux loué et connu, que le monde entier m’injurie. [ p. 263 ] D’ailleurs, je serai peut-être mort avant que ce livre ne soit lu ; que celui qui vit et vivra pour l’éternité soit loué ! Amen.
3. Lorsque Notre Seigneur se plaît à prendre en pitié les souffrances, passées et présentes, endurées par le désir de l’âme qu’il a spirituellement prise pour épouse, avant de consommer le mariage céleste, il l’amène dans sa demeure, ou chambre de présence. C’est la septième demeure, car de même qu’il a une demeure au ciel, il en a une dans l’âme, où nul autre que lui ne peut demeurer et que l’on peut appeler un second ciel.
4. Il est important, mes sœurs, de ne pas imaginer que l’âme soit dans les ténèbres. Comme nous sommes habituées à croire qu’il n’y a de lumière que celle qui est extérieure, nous imaginons que l’âme est enveloppée d’obscurité. Il en est bien ainsi de l’âme hors de l’état de grâce, [1] non pas, cependant, par un quelconque retard dans le Soleil de Justice qui demeure en elle et lui donne l’être, mais l’âme elle-même est incapable de recevoir la lumière, comme je crois l’avoir dit en parlant de la première Demeure. [2] On a fait comprendre à quelqu’un que ces âmes malheureuses sont, pour ainsi dire, emprisonnées dans un sombre cachot, pieds et poings liés, incapables d’accomplir la moindre action méritoire ; elles sont aussi à la fois aveugles et muettes. Nous pouvons les plaindre en pensant que nous avons nous-mêmes été dans le même état et que Dieu leur fera aussi miséricorde. [ p. 264 ] 5. Soyons donc, mes sœurs, très zélées à intercéder pour elles et ne la négligeons jamais. Prier pour une âme en état de péché mortel est une aumône bien plus profitable que d’aider un chrétien que nous avons vu, les mains lourdement liées derrière le dos, attaché à un poteau et mourant de faim. Non pas par manque de nourriture, car il avait à sa disposition une abondance de mets de choix, mais parce qu’il ne pouvait les mettre dans sa bouche, bien qu’extrêmement épuisé et sur le point de mourir, non pas d’une mort temporelle, mais éternelle. Ne serait-il pas extrêmement cruel de notre part de le regarder sans lui donner à manger ? Et si, par vos prières, vous pouviez défaire ses liens ? Maintenant, vous comprenez.
7. Lorsque Sa Majesté daigne accorder à l’âme la grâce de ces noces divines, il l’amène dans sa chambre de présence et ne la traite plus comme auparavant, lorsqu’il la mettait en transe. Je crois qu’il l’unissait alors à lui, comme aussi pendant la prière d’union ; mais alors seule la partie supérieure était affectée, et l’âme ne se sentait pas appelée à entrer en son propre centre comme elle le fait dans cette demeure. Ici, peu importe que ce soit d’une manière ou d’une autre.
8. Dans les premières faveurs, Notre-Seigneur unit l’esprit à Lui et le rend à la fois aveugle et muet, comme saint Paul après sa conversion, [^394] l’empêchant ainsi de savoir d’où et comment il jouit de cette grâce, car le plus grand plaisir de l’esprit est de se rendre compte de sa proximité avec Dieu. Au moment même de l’union divine, l’âme ne ressent rien, toutes ses forces étant entièrement perdues. Mais maintenant, il agit différemment : notre Dieu miséricordieux lui ôte les écailles des yeux [^395], lui permettant de voir et de comprendre quelque chose de la grâce reçue d’une manière étrange et merveilleuse dans cette demeure au moyen de la vision intellectuelle.
9. Par une mystérieuse manifestation de la vérité, les trois Personnes de la Très Sainte Trinité se révèlent, précédées d’une illumination qui brille sur l’esprit comme un nuage de lumière éblouissant. [3] Les trois Personnes sont distinctes l’une de l’autre ; une connaissance sublime est infusée dans l’âme, l’imprégnant de la certitude que les Trois sont d’une même substance, d’une même puissance et d’une même connaissance, et qu’ils sont un seul Dieu. Ainsi, ce que nous tenons pour une doctrine de foi, l’âme le comprend maintenant, pour ainsi dire, par la vue, bien qu’elle ne voie la Sainte Trinité ni par les yeux du corps ni par ceux de l’âme, ce qui n’est pas une vision imaginaire. Toutes les trois Personnes ici se communiquent à l’âme, lui parlent et lui font comprendre les paroles de notre Seigneur dans l’Évangile selon lesquelles Lui, le Père et le Saint-Esprit viendront faire leur demeure dans l’âme qui l’aime et garde ses commandements. [^397]
10. Ô mon Dieu, combien il est différent de simplement entendre et croire ces paroles que de réaliser ainsi leur vérité ! De jour en jour, un étonnement croissant s’empare de cette âme, car les trois Personnes de la Sainte Trinité semblent ne jamais la quitter ; elle voit avec certitude, comme je l’ai décrit, qu’elles habitent au plus profond d’elle-même ; bien que, faute d’apprendre, elle ne puisse décrire comment, elle est consciente de la présence de ces divins Compagnons.
11. Vous pourriez imaginer qu’une telle personne est hors d’elle-même et que son esprit est trop ivre pour se soucier d’autre chose. Au contraire, elle est beaucoup plus active qu’auparavant dans tout ce qui concerne le service de Dieu, et lorsqu’elle a du temps libre, elle jouit de cette compagnie bénie. À moins qu’elle ne déserte d’abord Dieu, je crois qu’il ne cessera jamais de lui faire clairement sentir sa présence : elle est confiante, et c’est possible, qu’il ne lui fera jamais défaut au point de lui permettre de perdre cette faveur après l’avoir accordée ; en même temps, elle est plus attentive qu’auparavant à ne l’offenser en aucune façon.
12. Cette présence n’est pas toujours aussi pleinement perçue, c’est-à-dire aussi distinctement manifeste, qu’au début, ou comme elle l’est parfois lorsque Dieu renouvelle cette faveur, sinon la personne qui la reçoit ne pourrait s’occuper d’autre chose ni vivre en société. Bien qu’elle ne soit pas toujours perçue avec une lumière aussi vive, chaque fois qu’elle y réfléchit, elle ressent la compagnie de la Sainte Trinité. C’est comme si, alors que nous étions avec d’autres personnes dans une pièce très éclairée, quelqu’un l’obscurcissait en fermant les volets ; nous serions certains que les autres sont toujours là, même si nous ne pouvions pas les voir. [4]
13. Vous pourriez demander : « Ne pourrait-elle pas ramener la lumière et les revoir ? » [5] Cela n’est pas en son pouvoir ; quand Notre-Seigneur le voudra, Il ouvrira les volets de l’entendement : Il lui montre une grande miséricorde en ne la quittant jamais et en le lui faisant comprendre si clairement. Sa divine Majesté semble préparer son épouse à de plus grandes choses par cette compagnie divine qui contribue clairement à la perfection en tout et lui fait perdre la crainte qu’elle ressentait parfois lorsque d’autres grâces lui étaient accordées.
14. Une certaine personne, ainsi favorisée, trouva qu’elle avait progressé dans toutes les vertus : quelles que fussent ses épreuves ou ses travaux, le centre de son âme semblait toujours immobile. Ainsi, d’une certaine manière, son âme semblait divisée : peu de temps après que Dieu lui eut fait cette faveur, tout en endurant de grandes souffrances, elle se plaignit de son âme comme Marthe se plaignait de Marie, [6] lui reprochant de jouir d’une paix solitaire tout en la laissant si chargée de soucis et d’occupations qu’elle ne pouvait lui tenir compagnie.
15. Cela peut vous paraître extravagant, mes filles, mais bien que l’âme soit connue pour être indivise, c’est un fait, non une illusion, et cela arrive souvent. Les effets intérieurs montrent avec certitude qu’il existe une différence positive entre l’âme et l’esprit, bien qu’ils ne fassent qu’un. [7] Il existe entre eux une distinction extrêmement subtile, de sorte qu’ils semblent parfois agir différemment l’un de l’autre, tout comme la connaissance que Dieu leur a donnée.
16. Il me semble aussi que l’âme et ses facultés ne sont pas identiques. Il y a en nous tant de mystères transcendantaux, qu’il serait présomptueux de ma part de tenter de les expliquer. Si, par la miséricorde de Dieu, nous entrons au ciel, nous comprendrons ces secrets.
[^391] : 261 : 1 Ps. cxliv. 3 : « Magnitudinis ejus non est finis. »
[^394] : 265 : 4 Actes ix. 8 : ‘Surrexit autem Saulus de terra, apertisque oculis nihil videbat.’ Rien n’indique cependant qu’il était à la fois stupide et aveugle.
[^395] : 265 : 5 Actes ix. 18 : « Et confestim ceciderunt ab oculis ejus tamquam squamæ, et visum recepit. » Voie de Perf.. ch. xxviii. 11.
[^397] : 266 : 7 Saint-Jean xiv. 23 : « Si quis diligit me, sermonem meum servabit, et Pater meus diliget eum, et ad eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus. »
263:2 Voir la description que fait le Saint d’une âme en état de péché, Rel, iii. 13. (vers la fin). ↩︎
263:3 Supra, M. i, ch. ii. 1. ↩︎
265:6 Rel. iii. 6; v. 6-8; viii. 20, 21; ix. 12, 17, 19. Déposition du P. Giles Gonzalez, SJ, Provincial de Vieille Castille, puis Assistant général à Rome : « Lorsque la sainte Mère vivait au couvent de l’Incarnation d’Ávila [comme prieure], je lui parlais souvent, et je me souviens qu’elle me demanda un jour : « Que dois-je faire, Père ? Chaque fois que je me recueille, je me rends compte que déjà dans cette vie, on peut voir les Trois Personnes de la Sainte Trinité, et qu’elles m’accompagnent et m’assistent dans la gestion de mes affaires. » (Fuente, Obras, vol. VI, p. 280.)
« Doña Maria Enriquez, duchesse d’Albe, a dit que sainte Thérèse lui avait fait connaître de nombreuses révélations qu’elle avait reçues de Notre Seigneur, et qu’elle (la duchesse) tenait en sa possession trois tableaux de la Sainte Trinité, peints selon la description de la sainte Mère, qui, pendant qu’ils étaient exécutés, effaça de sa propre main les parties que le peintre n’avait pas dessinées conformément à la vision qu’elle avait eue. » (Fuente, l.c. p. 297.) ↩︎
267:8 Une des comparaisons favorites du Saint. Voir Vie, ch. xxvii. 7. Château, M. vi. ch. viii. 3. Rel. vii. 26. ↩︎
267:9 ‘Bien que l’âme soit toujours dans le haut état du mariage puisque Dieu l’y a placée, néanmoins, l’union actuelle dans toutes ses puissances n’est pas continue, bien que l’union substantielle le soit. Dans cette union substantielle, les puissances de l’âme sont le plus souvent en union et boivent à sa cave, l’entendement par la connaissance, la volonté par l’amour, etc. Nous ne devons donc pas supposer que l’âme, en disant qu’elle est sortie, a cessé son union substantielle ou essentielle avec Dieu, mais seulement l’union de ses facultés, qui n’est pas, et ne peut être, permanente en cette vie.’ (Saint Jean de la Croix, Cantique spirituel, strophe xxvi. 9. Sur les paroles : « Dans la cave intérieure de mon Bien-Aimé j’ai bu, et quand je suis sorti »). ↩︎
268:10 Saint Luc x. 40. Excl. v. 2, 3. Voie de Perf. ch. xv. 4; xxxi. 4. Rel. viii. 6. Concept. ch. vii. 4. ↩︎
268:11 Vie, ch. xviii. 4. La distinction entre âme et esprit, que l’on trouve dans l’Épître aux Hébreux, iv. 12, selon Cornelius a Lapide (ad loc.), consiste en ce que le terme âme comprend les facultés, les sens et les passions, tandis que le terme esprit désigne la substance de l’âme indépendamment de ses pouvoirs. Dans les degrés inférieurs de la vie mystique, Dieu opère par l’intermédiaire des facultés, tandis que dans le mariage mystique, il agit directement sur la substance de l’âme. Sainte Thérèse n’est pas tout à fait cohérente dans l’utilisation de ces termes, ce qui n’est pas surprenant, car elle avoue ne pas bien comprendre cette distinction subtile. ↩︎