PARLE DE LA MANIÈRE DONT DIEU COMMUNIQUE AVEC L’ÂME PAR LA VISION INTELLECTUELLE ET DONNE DES CONSEILS À CE SUJET. DES EFFETS PRODUITS PAR CETTE VISION LORSQU’ELLE EST AUTHENTIQUE. LE SECRET SUR CES FAVEURS EST ORDONNÉ.
1. La présence de Notre-Seigneur accompagnant l’âme. 2. L’expérience de sainte Thérèse à ce sujet. 3. La confiance et les grâces résultant de cette vision. 4. Ses effets. 5. Elle produit l’humilité. 6. Et prépare l’âme à d’autres grâces. 7. La conscience de la présence des saints. 8. Les obligations résultant de cette grâce. 9. Les signes que cette faveur est authentique. 10. Il faut consulter un confesseur. 11. Notre-Seigneur éclairera nos conseillers. 12. Précautions à prendre concernant cette vision.
1. Pour vous prouver plus clairement, mes sœurs, la vérité de ce que je viens de dire, et pour vous montrer que plus l’âme avance, plus ce bon Jésus lui tient compagnie, il serait bon que je vous dise comment, quand il le veut, elle ne peut se retirer de sa présence. Cela se voit clairement dans les manières dont Sa Majesté se communique à nous, manifestant son amour par des apparitions et des visions merveilleuses que, s’il veut m’aider, je vous décrirai, afin que vous ne soyez pas effrayées si l’une de ces faveurs vous est accordée. Nous devons, même si nous ne les recevons pas nous-mêmes, le louer avec ferveur de communier ainsi avec les créatures, voyant combien sa majesté et sa puissance sont souveraines.
2. Par exemple, une personne qui ne s’attend nullement à une telle faveur et ne s’est jamais crue digne de la recevoir, est consciente que Jésus-Christ se tient à ses côtés, bien qu’elle ne le voie ni avec les yeux du corps ni avec ceux de l’âme. [1] C’est ce qu’on appelle une vision intellectuelle ; je ne sais pas pourquoi. J’ai connu une personne à qui Dieu a accordé cette grâce et d’autres que je décrirai plus tard. Au début, elle en fut affligée, car elle ne pouvait la comprendre ; elle ne voyait rien, mais elle était si convaincue que Jésus-Christ se manifestait ainsi d’une certaine manière qu’elle ne pouvait douter qu’il s’agisse d’une vision, qu’elle vienne de Dieu ou non. Ses puissants effets étaient un argument de poids en faveur de sa venue ; néanmoins, elle était alarmée, n’ayant jamais entendu parler d’une vision intellectuelle et n’en imaginant pas l’existence. Elle était cependant certaine de la présence de notre Seigneur, [2] et il lui parla à plusieurs reprises de la manière que j’ai décrite. Avant de recevoir cette faveur, elle avait entendu des paroles prononcées mais n’avait jamais su qui les avait prononcées.
3. Elle fut effrayée par cette vision qui, contrairement à une vision imaginaire, ne passe pas rapidement, mais dure plusieurs jours, voire parfois plus d’un an. Elle se rendit, très inquiète, chez son confesseur [3] qui lui demanda comment, si elle ne voyait rien, elle savait que Notre-Seigneur était près d’elle, et lui demanda de décrire son apparence. Elle répondit qu’elle en était incapable, qu’elle ne pouvait ni voir son visage ni en dire plus qu’elle ne l’avait déjà fait, mais qu’elle était certaine que c’était bien Lui qui lui parlait et que ce n’était pas un tour de son imagination. Bien qu’on la mettait constamment en garde contre cette vision, elle trouvait généralement impossible d’y croire, surtout lorsqu’elle entendait ces mots : « C’est moi, n’aie pas peur » [4].
4. L’effet de ce discours fut si puissant que, pour le moment, elle ne put douter de sa véracité. Elle se sentit fort encouragée et réjouie d’être en si bonne compagnie, voyant que cette faveur l’aidait grandement à se souvenir constamment de Dieu et à prendre un soin extrême à ne déplaire en rien à Celui qui semblait toujours à ses côtés, la regardant. Chaque fois qu’elle désirait parler à Sa Majesté dans la prière, ou même à d’autres moments, Il semblait si proche qu’Il ne pouvait manquer de l’entendre, bien qu’Il ne lui parlât pas quand elle le souhaitait, mais à l’improviste, lorsque la nécessité s’en faisait sentir. Elle était consciente de Sa présence à sa droite, non pas comme nous connaissons une personne ordinaire à nos côtés, mais d’une manière plus subtile qu’on ne peut décrire. Pourtant, cette présence est tout aussi évidente et certaine, et même bien plus, que la présence ordinaire d’autrui, sur laquelle on peut se tromper ; elle n’en est pas ainsi en cela, car elle apporte avec elle des grâces et des effets spirituels qui ne pourraient provenir de la mélancolie. Le diable ne pouvait pas non plus remplir l’âme de paix, avec un désir constant de plaire à Dieu et un mépris si profond pour tout ce qui ne mène pas à Lui. Avec le temps, mon amie comprit que ce n’était pas l’œuvre du malin, comme le Seigneur le lui montrait de plus en plus clairement.
5. Cependant, je sais qu’elle éprouvait souvent une grande inquiétude et était parfois envahie par la confusion, incapable d’expliquer pourquoi une si grande faveur lui avait été accordée. Elle et moi étions si intimes [5] que je savais tout ce qui se passait dans son âme ; mon récit est donc parfaitement vrai et digne de foi. Cette faveur entraîne un profond sentiment d’humilité ; le contraire serait le cas si elle venait de Satan [6]. Elle est évidemment divine ; aucun effort humain ne pourrait produire de tels sentiments, et personne ne pourrait supposer qu’un tel profit vienne d’elle-même, mais il faut nécessairement y reconnaître un don de la main de Dieu.
6. Bien que je croie que certaines des faveurs précédentes soient plus sublimes, celle-ci apporte une connaissance particulière de Dieu ; un amour très tendre pour lui résulte de sa présence constante, et le désir de se consacrer entièrement à son service est plus fervent que tout ce qui a été décrit jusqu’ici. La conscience est grandement purifiée par la connaissance de sa présence constante et proche, car, bien que nous sachions que Dieu voit tout ce que nous faisons, la nature nous porte à l’insouciance et à l’oubli. Cela est impossible ici, car Notre-Seigneur rend l’âme consciente de sa proximité, la préparant ainsi à recevoir les autres grâces mentionnées [ p. 232 ] en accomplissant constamment des actes d’amour envers celui qu’elle voit ou sent à ses côtés. En bref, les bienfaits causés par cette grâce prouvent combien elle est grande et précieuse. L’âme remercie notre Seigneur de l’avoir accordé à quelqu’un qui n’en est pas digne, mais qui refuserait de l’échanger contre des richesses ou des délices terrestres.
7. Lorsque notre Seigneur choisit de se retirer, l’âme, dans sa solitude, fait tous les efforts possibles pour le faire revenir. Cela ne sert à rien, car cette grâce vient de sa volonté et non de nos propres efforts. Il nous arrive de profiter de la compagnie d’un saint, [7] ce qui nous apporte également un grand profit. Vous me demanderez : si nous ne voyons personne, comment pouvons-nous savoir s’il s’agit du Christ, de sa très glorieuse Mère, ou d’un saint ? Une telle personne ne peut répondre à cette question ni savoir comment elle les distingue, mais le fait demeure indéniable. Il semble facile de reconnaître notre Seigneur lorsqu’il parle, mais il est surprenant de voir comment l’âme peut, sans même l’entendre, reconnaître quel saint a été envoyé par Dieu pour être son compagnon et son aide.
8. Il y a d’autres choses spirituelles qui ne peuvent être expliquées. Notre incapacité à les saisir devrait nous apprendre combien notre nature est incapable de comprendre les sublimes mystères de Dieu. Ceux à qui ces faveurs sont accordées devraient s’émerveiller de la miséricorde divine et en louer la vertu. Comme ces grâces particulières ne sont pas accordées à tout le monde, celui qui les reçoit devrait les estimer hautement et s’efforcer de servir Dieu avec plus de zèle, puisqu’il lui a accordé une aide si particulière. C’est pourquoi une telle personne ne s’estime pas davantage pour cela, mais pense plutôt le servir moins que quiconque au monde ; se sentant plus obligée envers lui que les autres, toute faute qu’elle commet la transperce au cœur, comme il se doit en la circonstance.
9. Lorsque les effets décrits se feront sentir, quiconque d’entre vous que Notre-Seigneur guidera par ce chemin pourra être certain qu’il ne s’agit ni d’une tromperie ni d’une illusion dans son cas. Je crois qu’il est impossible au diable de produire une illusion aussi durable, ni de procurer à l’âme un bénéfice aussi remarquable, ni une telle paix intérieure. Ce n’est pas son habitude, et même s’il le voulait, une créature aussi mauvaise ne pourrait pas produire tant de bien ; l’âme serait bientôt obscurcie par l’estime de soi et l’idée qu’elle est supérieure aux autres. La présence continuelle de l’esprit en présence de Dieu [^351] et la concentration de ses pensées sur Lui exaspéreraient tellement le démon que, même s’il tentait l’expérience une fois, il ne la répéterait pas souvent. Dieu est trop fidèle pour lui permettre un tel pouvoir sur une personne dont le seul effort est de plaire à Sa Majesté et de donner sa vie pour son honneur et sa gloire ; il démasquerait bientôt les artifices du démon.
10. Je soutiens, comme je le ferai toujours, que si l’âme récolte les effets décrits de ces grâces divines, bien que Dieu puisse lui retirer ces faveurs spéciales, Sa Majesté tournera toutes choses à son avantage ; même s’il permettait au diable de la tromper à un moment donné, l’esprit malin ne récolterait que sa propre confusion. C’est pourquoi, comme je vous l’ai dit, mes filles, [ p. 234 ] aucune de vous qui êtes conduites par cette voie ne doit s’alarmer. La crainte est bonne et nous devons être prudentes et ne pas être trop confiantes, car si de telles faveurs vous rendaient insouciantes, cela prouverait qu’elles ne venaient pas de Dieu, car elles n’ont pas produit les résultats que j’ai décrits. Il serait bon d’abord de confier votre cas, sous le sceau de la confession, à un théologien parfaitement qualifié (car c’est de là que nous devons tirer la lumière) ou à une personne hautement spirituelle. Si votre confesseur n’est pas très spirituel, un bon théologien serait préférable ; [^352] Le meilleur de tous, celui qui réunit les deux qualités. [8] Ne vous inquiétez pas s’il appelle cela une simple fantaisie ; si c’est le cas, cela ne peut ni nuire ni profiter beaucoup à votre âme. Recommandez-vous à la divine Majesté et priez-la de ne pas vous laisser égarer.
11. Il serait pire qu’il vous dise que le diable vous trompe, bien qu’aucun homme instruit ne le dirait s’il voyait en vous les effets décrits. Même si votre conseiller disait cela, je sais que le même Seigneur qui est à vos côtés vous réconfortera et vous rassurera, et ira vers votre conseiller et lui donnera la lumière afin qu’il vous la communique. [9] Si le directeur, bien qu’adonné à la prière, n’a pas été conduit par Dieu de cette manière, il s’effrayera aussitôt et la condamnera. Je vous conseille donc de choisir [ p. 235 ] un théologien qualifié et, si possible, un théologien spirituel. La prieure devrait vous le permettre, car, bien qu’elle soit sûre que vous êtes à l’abri de l’illusion parce que vous menez une bonne vie, elle est néanmoins tenue de vous permettre de consulter quelqu’un pour votre sécurité mutuelle. Après avoir conféré avec ces personnes, soyez en paix ; ne vous en préoccupez plus, car parfois, lorsqu’il n’y a pas lieu de craindre, le démon fait naître des scrupules si immodérés que la personne ne peut se contenter de consulter une seule fois son confesseur à ce sujet, surtout s’il est inexpérimenté et timide ou s’il lui ordonne de le consulter de nouveau.
12. Ainsi, ce qui aurait dû rester strictement privé devient public ; [10] une telle personne est persécutée et tourmentée, et découvre que ce qu’elle croyait être son secret est devenu public. De ce fait, elle souffre de nombreux ennuis qui peuvent même affecter l’Ordre en des temps comme ceux-ci. Par conséquent, j’avertis toutes les prieures qu’une grande prudence est de mise en de telles choses ; elles ne doivent pas non plus croire qu’une religieuse est plus vertueuse que les autres parce qu’on lui accorde de telles faveurs. Notre-Seigneur guide chacun de la manière qu’il sait être la meilleure. Cette grâce, si on en fait bon usage, prépare celui qui la reçoit à devenir un grand serviteur de Dieu, mais parfois Notre-Seigneur la donne aux âmes les plus faibles ; elle n’est donc ni estimée ni condamnée en elle-même. Nous devons considérer les vertus ; celle qui est la plus mortifiée, la plus humble et la plus résolue à servir Dieu est la plus sainte. Cependant, nous ne pouvons jamais être très certains de ces choses tant que le véritable [ p. 236 ] Le Juge récompense chacun selon ses mérites. Nous serons alors surpris de constater combien son jugement est différent de celui de ce monde. Qu’il soit loué à jamais. Amen.
[^351] : 233 : 8 Gen. XVII, 1 : ‘Ambula coram me et esto perfectus.’
[^352] : 234 : 9 ‘Magni doctores scholastici, si non sint spirituales, vel omni rerum spiritualium exerientia careant, non solent esse magistri spirituales idonei — nam theologia scholastica est perfectio intellectus ; mystica, perfection intellectus et voluntatis : unde bonus theologus scholasticus potest esse malus theologus mysticus. In rebus tamen difficilibus, dubiis, spiritualibus, præstat mediocriter spiritualem theologum consulere quam spiritualem idiotam.’ (Schram, Theol. Myst. § 483.)
229:1 Vie, ch. xxvii. 3, 5. Rel. vii. 26. ↩︎
229:2 Vie, ch. xxvii. 7. ↩︎
229:3 Ibid. l.c. 4. Le Père Juan de Pradanos était alors le confesseur du Saint. ↩︎
230:4 Vie, ch. xxv. 22; XXX. 17. Supra, M. vi. ch. iii. 5. Rel. vii. 22. Saint Jean de la Croix, Montée du Mont Carmel, lb. ii. ch. xxxi. 1. ↩︎
231:5 En fait, une seule et même personne. ↩︎
231:6 Vie, ch. xix. a; xx. 38. Voie de la Perf. ch. xxxvi. 10. ↩︎
232:7 Vie, ch. xxix 6. ↩︎
234:10 Vie, ch. v. 6. ↩︎
234:11 Ibid. ch. xxv. 18 sqq. Voie de la Perf. ch. iv. 11; v. 3. ↩︎
235:12 Vie, ch. xxiii. 14-15. Rel. vii. 17. ↩︎