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Comment frère Pacificus, tandis qu’il priait, vit l’âme de frère Humilis, son frère, monter au ciel
Dans la province de la Marche, après la mort de saint François, il y avait deux frères dans l’Ordre ; l’un s’appelait frère Humilis, et l’autre frère Pacificus, tous deux d’une sainteté et d’une perfection exceptionnelles. L’un d’eux, frère Humilis, demeurait à Soffiano, où il mourut ; l’autre vivait en communauté, loin de chez lui. Par la volonté de Dieu, frère Pacificus, alors qu’il priait un jour dans un lieu solitaire, fut ravi en extase et vit l’âme de son frère Humilis quitter son corps et s’envoler directement vers le ciel, sans aucun obstacle. Par la suite, bien des années plus tard, frère Pacificus, toujours en vie, demeurait avec les autres frères à Soffiano, où son frère était décédé. Français À ce moment-là, les frères, à la demande des seigneurs de Bruforte, échangèrent ledit lieu contre un autre ; c’est pourquoi, entre autres choses, ils emportèrent avec eux les reliques des saints frères qui étaient morts en ce lieu ; et, venant au tombeau de frère Humilis, frère Pacificus, son frère, prit ses os et les lava avec du bon vin, puis les enveloppa dans un linge blanc, et avec beaucoup de révérence et de dévotion les baisa et pleura sur eux ; sur quoi les autres frères s’étonnèrent et estimèrent que son exemple n’était pas bon ; en ce qu’il semblait que lui, bien qu’un homme d’une grande sainteté, pleurait son frère avec un amour charnel et mondain, et [ p. 120 ] montra plus de dévotion à ses reliques qu’à celles des autres frères, dont la sainteté n’avait pas été moindre que celle de frère Humilis, et dont les reliques étaient aussi dignes de révérence que les siennes. Et frère Pacificus, connaissant les imaginations perverses des frères, et voulant leur donner satisfaction, leur parla humblement et dit : « Frères bien-aimés, ne vous étonnez pas que j’aie fait aux os de mon frère ce que je n’ai pas fait aux autres os ; car, Dieu soit béni, l’amour charnel ne m’a pas ému comme vous le croyez ; mais j’ai agi ainsi parce que, lorsque mon frère a quitté cette vie, alors que je priais dans un lieu désolé et loin de lui, j’ai vu son âme monter au ciel par un chemin droit ; et, par conséquent, je suis certain que ses os sont saints et qu’ils devraient être au paradis. Et si Dieu m’avait accordé la même certitude concernant les autres frères, j’aurais montré la même révérence à leurs os. » C’est pourquoi les frères, voyant sa sainte et pieuse intention, furent grandement édifiés par lui, et rendirent grâces à Dieu, qui a fait de telles choses merveilleuses aux saints, ses frères.
De ce saint frère à qui la Mère du Christ apparut, alors qu’il était malade, et lui apporta trois boîtes d’électuaire
Dans le lieu-dit de Soffiano, vivait autrefois un frère mineur d’une sainteté et d’une grâce si grandes qu’il semblait tout à fait divin et qu’il était souvent transporté en Dieu. Or, un jour, ce frère, tout absorbé en Dieu et élevé (car il possédait à un degré marqué la grâce de la contemplation), des oiseaux de diverses espèces vinrent à lui et se perchèrent familièrement sur ses épaules, sa tête, ses bras et ses mains ; et ils chantaient merveilleusement. C’était un homme qui aimait la solitude et parlait rarement ; mais, lorsqu’on lui demandait quelque chose, il répondait avec tant de courtoisie et de sagesse qu’il ressemblait plus à un ange qu’à un homme ; il était très adonné à la prière et à la contemplation ; et les frères le tenaient en grande vénération. Or, ce frère, ayant achevé sa vie vertueuse, selon la volonté divine, tomba malade à en mourir, au point de ne pouvoir s’alimenter. Aussi, ne désirant recourir à aucun remède terrestre, il plaça toute sa confiance dans le Médecin céleste, Jésus-Christ le Bienheureux, et dans sa bienheureuse Mère, qui, par la clémence divine, lui avait valu d’être visité et soigné avec miséricorde. C’est pourquoi, alors qu’il était couché sur son lit et se préparait à la mort de tout son cœur et avec une entière dévotion, la glorieuse Vierge Marie, Mère du Christ, lui apparut avec une splendeur merveilleuse, au milieu d’une multitude d’anges et de saintes vierges, et s’approcha de son lit. Et, tandis qu’il la regardait, il en tira un immense réconfort et une grande joie, tant dans son âme que dans son corps, et commença humblement à la prier d’intercéder auprès de son Fils bien-aimé pour que, par ses mérites, il le tire de la prison de cette misérable chair. Et, tandis qu’il poursuivait encore cette prière, avec beaucoup de larmes, la Vierge lui répondit, l’appelant par son nom, et dit : « Ne doute pas, mon fils, car ta prière a été exaucée, et je suis venue te consoler un peu avant que tu ne quittes cette vie. » Or, il y avait, à côté de la Vierge Marie, trois saintes jeunes filles, qui portaient dans leurs mains trois boîtes d’électuaire d’un parfum et d’une douceur incomparables. Alors la glorieuse Vierge [ p. 122 ] prit une de ces boîtes et l’ouvrit, et toute la maison fut remplie de son parfum ; et, prenant un peu de cet électuaire dans une cuillère, elle le donna au malade, qui, dès qu’il l’eut goûté, ressentit une telle consolation et une telle douceur qu’il lui sembla que son âme ne pouvait plus rester dans son corps ; c’est pourquoi il commença à dire : « Plus maintenant, ô bienheureuse Vierge Mère très sainte, ô bienheureux médecin et sauveur du genre humain, plus maintenant ; car je ne puis supporter une telle douceur. » Mais la douce et pitoyable Mère continua d’offrir cet électuaire au malade et de le forcer à le prendre,Jusqu’à ce qu’elle ait vidé toute la boîte. Ensuite, lorsque la première boîte fut vidée, la Sainte Vierge prit la seconde boîte et y mit la cuillère pour la lui donner également. Sur quoi il se lamenta en disant : « Ô très sainte Mère de Dieu, si, à cause de la chaleur et de la douceur du premier électuaire, mon âme est presque toute fondue, comment pourrai-je supporter le second ? Je vous en prie, vous qui êtes bénie par-dessus tous les saints et tous les anges, daignez ne plus m’en donner. » À quoi la glorieuse Vierge Marie répondit : « Mon fils, goûte aussi un peu de cette seconde boîte » ; et après lui en avoir donné un peu, elle dit : « Aujourd’hui, mon fils, tu en as pris autant que tu peux. Prends courage, mon fils, car je reviendrai bientôt te chercher et je t’emmènerai dans le royaume de mon Fils, que tu as toujours recherché et désiré. » Après avoir ainsi parlé, elle prit congé de lui et partit. Il fut si consolé et réconforté par la douceur de cette friandise qu’il vécut plusieurs jours, rassasié et fort, sans aucune nourriture. Et, après quelques jours, tandis qu’il conversait gaiement avec les frères, il quitta cette misérable vie avec une grande joie et une grande allégresse.
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Comment frère Jacques de Massa vit dans une vision tous les frères mineurs du monde, dans une vision d’un arbre, et connut la vertu et les mérites et les défauts de chacun d’eux
Frère Jacques de Massa (à qui Dieu ouvrit la porte de ses secrets et donna une connaissance et une intelligence parfaites des Saintes Écritures et des choses à venir) était d’une telle sainteté que Frère Gilles d’Assise, Frère Marc de Montino, Frère Genévrier et Frère Lucidus disaient de lui qu’ils ne connaissaient personne au monde plus grand aux yeux de Dieu que ce frère Jacques. J’avais un grand désir de le voir, car, tandis que je priais Frère Jean, le compagnon dudit frère Gilles, de m’expliquer certaines choses spirituelles, il me dit : « Si tu veux être bien instruit dans la vie spirituelle, efforce-toi de parler avec Frère Jacques de Massa ; car Frère Gilles lui-même désirait être instruit par lui, et personne ne peut rien ajouter ni retrancher à ses paroles, car son esprit a pénétré les secrets célestes et ses paroles sont celles du Saint-Esprit ; et il n’y a personne sur cette terre que je désire autant voir. » Ce frère Jacques, au début du ministère de frère Jean de Parme, fut un jour ravi en Dieu tandis qu’il priait ; et il resta trois jours dans cette extase, avec toute sensation corporelle suspendue, et son insensibilité était si complète que les frères doutèrent qu’il ne fût pas mort ; et, pendant qu’il était dans ce ravissement, ce qui arrivera plus tard concernant notre religion lui fut révélé de Dieu ; c’est pourquoi, lorsque j’appris cela, mon désir de l’entendre et de lui parler augmenta. Et lorsqu’il plut à Dieu que j’eusse le loisir de parler avec lui, je le suppliai de cette manière : « Si ce que j’ai entendu dire de toi est vrai, je te prie de ne pas me le cacher. J’ai entendu dire que parmi les autres choses que Dieu t’a révélées, alors que tu étais pendant trois jours comme mort, il y avait ce qui devait arriver à notre religion ; et frère Matthieu, ministre de la Marche, à qui tu l’as révélé par obéissance, l’a dit. » Alors frère Jacques confessa avec une grande humilité que ce que frère Matthieu avait dit était vrai. Or, les paroles qu’il (à savoir frère Matthieu, ministre de la Marche) prononça étaient celles-ci : « Je connais un frère à qui Dieu a révélé ce qui arrivera dans notre religion ; en cela frère Jacques de Massa m’a manifesté et m’a dit qu’après que Dieu lui eut révélé beaucoup de choses concernant l’état de l’Église militante, il vit dans une vision passer un grand et bel arbre, dont la racine était d’or et ses fruits des hommes ; et tous étaient des frères mineurs. Ses branches principales étaient distinctes et séparées, selon le nombre des provinces de l’Ordre, et chaque branche portait autant de fruits qu’il y avait de frères dans la province représentée par cette branche ; et alors il connaissait le nombre de tous les frères de l’Ordre et de chaque province, ainsi que leurs noms, leurs âges et leurs conditions, et les grandes charges, dignités et grâces de chacun d’eux, et leurs défauts.Et il vit frère Jean de Parme au point le plus élevé de la branche centrale de cet arbre ; et sur les cimes des branches qui entouraient la branche centrale se trouvaient les ministres de toutes les provinces. Et, ensuite, il vit le Christ assis sur un très grand trône blanc ; et le Christ appela saint François là-haut et lui donna un calice rempli de l’esprit de vie, et le renvoya en disant : « Va visiter tes frères, et donne-leur à boire de ce calice de l’esprit de vie ; car l’esprit de Satan s’élèvera contre eux et les frappera ; et beaucoup d’entre eux tomberont et ne se relèveront plus. » Et le Christ donna à saint François deux anges pour qu’ils lui tiennent compagnie. Alors saint François vint offrir le calice de vie à ses frères ; et il l’offrit d’abord à frère Jean de Parme ; qui le prit et le but tout entier, à la hâte et avec dévotion ; et aussitôt il devint lumineux comme le soleil. Et après lui, saint François l’offrit à tous les autres à son tour ; et rares furent ceux qui le prirent avec la révérence et la dévotion qui convenaient et le burent tout entier. Ceux qui le prirent avec dévotion et le burent tout entier devinrent aussitôt resplendissants comme le soleil ; et ceux qui le renversèrent tout entier et ne le prirent pas avec dévotion, devinrent noirs, sombres, difformes et horribles à voir : ceux qui en burent une partie et en renversèrent une autre devinrent en partie brillants et en partie sombres, et plus ou moins, selon la quantité bue ou répandue ; mais ledit frère Jean était resplendissant au-dessus de tous les autres, dans la mesure où il avait bu plus complètement le calice de la vie, et avait ainsi contemplé plus profondément l’abîme de l’infinie lumière divine ; et, dans cette lumière, il avait discerné l’adversité et la tempête qui devaient s’élever contre ledit arbre et secouer et agiter ses branches. Pour cette cause, ledit frère Jean s’éloigna du sommet de la branche sur laquelle il était ; et descendant au-dessous de toutes les branches, se cacha dans la partie solide du tronc de l’arbre, et y resta plein de pensées sombres ; et un frère qui avait bu une partie du calice et en avait renversé une autre, monta jusqu’à cette branche et à l’endroit d’où frère Jean était descendu. Et, étant dans ledit endroit, les ongles de ses mains devinrent de fer, aigus et tranchants comme des rasoirs ; sur quoi il s’éloigna de l’endroit où il était monté, et avec impétuosité et fureur [ p. 126 ] chercha à se jeter sur ledit frère Jean pour lui faire du mal ; Mais frère Jean, voyant cela, poussa un grand cri et se recommanda au Christ assis sur le trône. À son cri, le Christ appela saint François, lui donna un silex aiguisé et lui dit : « Va avec ce silex et coupe les ongles de ce frère avec lesquels il cherche à déchirer frère Jean, afin qu’il ne puisse pas lui faire de mal. » Alors saint François vint et fit comme le Christ le lui avait ordonné. Et,Lorsqu’il eut terminé, une grande tempête de vent s’éleva et frappa l’arbre si violemment que les frères tombèrent à terre. Les premiers à tomber furent ceux qui avaient renversé tout le calice de l’esprit de vie ; ils furent emportés par les démons dans des lieux de ténèbres et de douleur. Mais frère Jean, avec ceux qui avaient bu tout le calice, fut emporté par les anges dans le lieu de vie, de lumière éternelle et de splendeur béatifique. Et ledit frère Jacques comprit et discerna particulièrement et distinctement ce qu’il avait vu dans la vision, touchant clairement le nom, la condition et l’état de chacun d’eux. Et la tempête fit rage si longtemps contre l’arbre qu’il tomba et le vent l’emporta. Puis, dès que la tempête eut cessé, de la racine de cet arbre, qui était d’or, jaillit un autre arbre, tout d’or, qui produisit des feuilles, des fleurs et des fruits d’or. Quant à l’arbre en question, à la façon dont il a étendu ses branches et enfoncé profondément ses racines, ainsi qu’à sa beauté, son parfum et sa vertu, il vaut mieux se taire que d’en parler pour le moment.
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Comment le Christ est apparu à frère Jean d’Alverne
Parmi d’autres frères sages et saints, fils de saint François, qui, selon la parole de Salomon, sont la gloire de leur père, il y avait de nos jours, dans ladite province de la Marche, le vénérable et saint frère Jean de Fermo, qui, en raison du long séjour qu’il fit en Alverne, où il passa également cette vie, était aussi appelé frère Jean d’Alverne ; car c’était un homme d’une vie excellente et d’une grande sainteté. Ce frère Jean, alors qu’il était encore enfant et vivait dans le monde, désirait de tout son cœur suivre la vie de pénitence, qui préserve la pureté du corps et de l’âme ; c’est pourquoi, tout petit enfant, il commença à porter la cotte de mailles et l’anneau de fer près de sa chair, et à pratiquer une grande abstinence. Surtout lorsqu’il séjournait chez les chanoines de Saint-Pierre de Fermo, qui vivaient somptueusement, il fuyait les plaisirs charnels et mortifiait son corps par une abstinence extrêmement stricte ; mais, comme il avait en ce lieu des compagnons qui s’y opposaient beaucoup et qui le dépouillèrent de sa cotte de mailles et contrarèrent son abstinence de diverses manières, il, inspiré de Dieu, résolut de quitter le monde et ses amants et de s’offrir tout entier aux bras du Crucifié, prenant l’habit de saint François crucifié ; et c’est ce qu’il fit. Et ayant été reçu dans l’Ordre si jeune et confié aux soins du maître des novices, il devint si spirituel et si dévot que, chaque fois qu’il entendait ledit maître parler de Dieu, son cœur fondait comme de la cire devant le feu ; et il était enflammé d’une telle douceur et d’une telle grâce par le [ p. 128 ] L’amour divin, qui, ne pouvant supporter une telle douceur en restant assis, se levait et, comme ivre de l’esprit, courait çà et là, tantôt dans le jardin, tantôt dans le bois, tantôt dans l’église, selon que la flamme et l’élan de l’Esprit le poussaient. Par la suite, au fil du temps, la grâce divine fit croître continuellement cet homme angélique de vertu en vertu, en dons célestes, en extases et en ravissements divins ; à tel point que tantôt son esprit s’éleva aux splendeurs des Chérubins, tantôt aux ardeurs des Séraphins, tantôt aux joies des Bienheureux, tantôt aux embrassades amoureuses et immodérées du Christ, non seulement avec des délices spirituelles intérieures, mais aussi avec des signes extérieurs manifestes et un plaisir corporel. Et, une fois en particulier, son cœur fut enflammé au-delà de toute mesure par le feu de l’amour divin ; Ce feu dura en lui pendant trois années entières. Durant cette période, il reçut de merveilleuses consolations et visites divines, et fut souvent transporté en Dieu. En un mot, durant cette période, il semblait tout enflammé et brûlant d’amour pour le Christ, et ce sur la sainte montagne d’Alverne. Mais, parce que Dieu prend particulièrement soin de ses enfants, leur accordant, à divers moments, tantôt consolation, tantôt tribulation,Tantôt prospérité, tantôt adversité, selon qu’il voit qu’il en est besoin, pour les conserver dans l’humilité ou pour allumer en eux un plus grand désir des choses célestes ; il plut à la divine bonté, après ces trois années, de retirer audit frère Jean cette lumière et ce feu de l’amour divin, et de le priver de toute consolation spirituelle. C’est pourquoi frère Jean, resté sans lumière et sans amour de Dieu, fut tout inconsolable, affligé et triste ; pour cette raison, étant dans une telle angoisse, il traversa le bois, courant çà et là, [ p. 129 ] appelant à voix haute, larmes et soupirs l’Épouse bien-aimée de son âme, qui s’était cachée et éloignée de lui, et sans la présence de laquelle son âme ne trouvait ni calme ni repos ; Mais nulle part ni d’aucune manière il ne put retrouver son doux Jésus, ni renouveler la douce consolation spirituelle de l’amour du Christ dont il avait joui auparavant. Cette tribulation dura de nombreux jours, durant lesquels il persévéra dans les pleurs et les soupirs continuels, implorant toujours Dieu de lui rendre, par sa miséricorde, l’Épouse bien-aimée de son âme. Enfin, lorsqu’il plut à Dieu d’avoir suffisamment éprouvé sa patience et éveillé son désir, un jour que frère Jean traversait ledit bois, ainsi affligé et troublé, il s’assit de fatigue et s’appuya contre un hêtre. Là, le visage baigné de larmes, il resta immobile, le regard tourné vers le ciel. Et voilà que Jésus-Christ lui apparut soudain sur le chemin par lequel frère Jean était venu ; mais il ne dit mot. Alors frère Jean, le voyant et sachant très bien que c’était le Christ, se jeta aussitôt à ses pieds et, avec des larmes infinies, le supplia très humblement et dit : « Aide-moi, ô mon Seigneur, car sans toi, mon très doux Sauveur, je demeure dans les ténèbres et dans la douleur ; sans toi, très doux Agneau, je suis plein d’angoisse, de douleur et de terreur ; sans toi, Fils de Dieu, très haut, je suis rempli de confusion et de honte ; sans toi, je suis dépouillé de tout bien et je suis aveuglé ; car tu es Jésus-Christ, la vraie lumière des âmes ; sans toi, je suis perdu et damné, car tu es la vie des âmes, la vie des vies ; sans toi, je suis stérile et sec, car tu es la source de tout don et de toute grâce ; sans toi, je suis tout à fait inconsolable, car tu es Jésus notre rédemption, notre amour et [ p. 130 ] désire le pain qui donne de la force et le vin qui réjouit le cœur des anges et le cœur de tous les saints ; éclaire-moi, Maître très miséricordieux et Pasteur très miséricordieux, car je suis ta petite brebis, bien que toute indigne. Mais parce que le désir des saints, lorsque Dieu tarde à les entendre, les enflamme d’un plus grand amour et d’un plus grand mérite,Le Christ bienheureux s’en alla sans écouter sa prière ni lui répondre un mot, et il s’en alla par le chemin indiqué. Alors frère Jean se leva, courut à sa poursuite et se jeta de nouveau à ses pieds. Avec une sainte importunité, il le saisit et le retint, le suppliant avec des larmes de fer : « Ô très doux Jésus-Christ, aie pitié de moi dans mon affliction ; exauce-moi par l’abondance de ta miséricorde et par la vérité de ton salut, et rends-moi la joie de ton visage et de ton regard compatissant, car toute la terre est pleine de ta miséricorde. » Et, de nouveau, le Christ s’en alla sans lui adresser la parole, ni lui apporter la moindre consolation ; il fit comme une mère envers son enfant, lorsqu’elle lui fait désirer le sein et la suit en pleurant, afin qu’il le prenne ensuite avec plus d’empressement. Français C’est pourquoi frère Jean, avec encore plus de ferveur et de désir, suivit le Christ, et, lorsqu’il l’eut rejoint, le Christ bienheureux se tourna vers lui et le regarda avec un visage joyeux et gracieux ; et, ouvrant ses bras très saints et très miséricordieux, l’embrassa très tendrement ; et en ouvrant les bras, frère Jean vit des rayons de lumière resplendissants sortir du sein très saint du Sauveur, qui illuminaient tout le bois, et lui aussi, à la fois dans son âme et dans son corps. Alors frère Jean s’agenouilla aux pieds du Christ, et le bienheureux Jésus, comme il l’avait fait pour la Madeleine, lui offrit gracieusement son pied à baiser ; et frère Jean, le tenant avec une extrême révérence, le baigna de tant de larmes qu’il semblait en vérité une autre Madeleine ; et il dit avec dévotion : « Je te prie, mon Seigneur, de ne pas regarder mes péchés, mais, par l’effusion de ton sang très saint, de vivifier mon âme dans la grâce de ton amour ; car tu nous as commandé de t’aimer de tout notre cœur et de toute notre âme ; et ce commandement, nul ne peut l’accomplir sans ton aide. Aide-moi donc, Fils très aimant de Dieu, à t’aimer de tout mon cœur et de toutes mes forces. » Et tandis que frère Jean parlait ainsi, couché aux pieds du Christ, sa prière fut exaucée, et il reçut de lui une fois de plus la première grâce, à savoir le feu de l’amour divin, et se sentit entièrement renouvelé et réconforté ; et, sachant que le don de la grâce divine lui était revenu, il commença à remercier le bienheureux Christ et à lui baiser dévotement les pieds. Et, après s’être levé pour regarder le visage du Christ, Jésus-Christ tendit ses très saintes mains et les lui offrit à baiser ; Et, lorsque frère Jean les eut embrassés, il s’approcha et s’appuya sur la poitrine de Jésus, l’embrassa et l’embrassa ; et le Christ, de même, l’embrassa et l’embrassa. Et dans cet embrassade et ce baiser, frère Jean perçut un parfum si divin que, si toutes les grâces odoriférantes et toutes les choses parfumées du monde avaient été réunies,L’odeur en aurait semblé une puanteur en comparaison de ce parfum ; et frère Jean en fut ravi, consolé et illuminé ; et ce parfum demeura dans son âme pendant de nombreux mois. Et dès lors, de sa bouche, qui avait bu à la source de la sagesse divine dans le sein sacré du Sauveur, sortirent des paroles merveilleuses et célestes, [ p. 132 ] qui transformèrent les cœurs et portèrent beaucoup de fruits dans les âmes de ceux qui l’écoutaient ; et dans ce sentier boisé où se tenaient les pieds bénis du Christ, et à quelque distance alentour, frère Jean, pendant longtemps après, sentit ce parfum et vit cette splendeur, chaque fois qu’il s’y rendait. Or, lorsque frère Jean fut revenu à lui après ce ravissement, et que la présence corporelle du Christ eut disparu, son âme demeura si illuminée, au fond de l’abîme de sa divinité, que, bien qu’il ne fût pas un homme instruit par les études humaines, il résolvait et expliquait merveilleusement les questions les plus subtiles et les plus élevées concernant la divine Trinité et les profonds mystères des Saintes Écritures. Et souvent, par la suite, parlant devant le pape, les cardinaux, les rois, les barons, les maîtres et les docteurs, il les émerveillait tous par les paroles sublimes qu’il prononçait et par la profondeur de ses jugements.
Comment, en célébrant la messe le jour des morts, frère Jean d’Alverne a vu de nombreuses âmes libérées du purgatoire
Un jour, tandis que ledit frère Jean célébrait la messe, le lendemain de la Toussaint, pour toutes les âmes des défunts, selon l’ordre de l’Église, avec une telle ferveur de charité et une telle angoisse de compassion, il offrit ce sacrement sublime (que, par son efficacité, les âmes des défunts désirent plus que tout ce qui peut être fait pour elles) qu’il semblait tout entier rempli de tendre pitié et d’amour fraternel. C’est pourquoi, pendant cette messe, tandis qu’il élevait pieusement [ p. 133 ] le corps du Christ et l’offrant à Dieu le Père, et priant que, par amour pour son bienheureux Fils Jésus-Christ, qui avait été pendu sur la croix pour racheter les âmes des hommes, il lui plaise de libérer des peines du purgatoire les âmes des morts qu’il a créées et rachetées, — aussitôt il vit une multitude presque infinie d’âmes sortir du purgatoire, comme les étincelles de feu innombrables qui jaillissent d’une fournaise ardente ; et il les vit s’élever au ciel, par les mérites de la passion du Christ, qui chaque jour est offert pour les vivants et les morts dans cette hostie très sainte, qui est digne d’être adorée in sæcula sæculorum.