V. Fragments de la Règle des Sœurs de Sainte-Claire | Page de titre | VII. Vivre religieusement dans un ermitage |
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L’opuscule que saint François appelait son Testament est un document précieux et de la plus haute autorité. Renan en a certes nié l’authenticité, mais avec témérité, car, comme le remarque justement M. Sabatier [^321], celle-ci ne saurait être mise en doute [1]. Le Testament correspond en tous points aux autres écrits de saint François, et révèle d’ailleurs son caractère et son esprit à chaque ligne. Mais nous n’en sommes pas réduits à des preuves internes de son authenticité. Français Tous les historiens, y compris Thomas de Celano, [^323] et saint Bonaventure, [^324] le mentionnent, [2] tandis que Grégoire IX le cite textuellement dans sa bulle Quo elongati du 28 septembre 1230. Nous savons par cette bulle que le Testament du saint fut publié quelques jours seulement avant sa mort [^326]. Tout semble indiquer qu’il a été écrit à l’ermitage de la Celle près de Cortone, pendant le dernier séjour de saint François dans cette ville (été 1226), bien que certains pensent qu’il ait été dicté à Ange Tancrède, l’un des Trois Compagnons, dans la petite cabane la plus proche de la Portioncule qui servait d’infirmerie et dans laquelle saint François mourut.
Selon M. Sabatier, saint François a écrit plus d’un testament. En effet, le critique français va jusqu’à dire qu’à la fin de chacune de ses crises, le saint rédigeait son testament [^327], et cite à l’appui de cette affirmation le chapitre 87 de sa propre édition du Speculum Perfectionis, où l’on lit que, pendant une maladie (apparemment en avril 1226), saint François fit écrire par frère Benoît de Prato une bénédiction et quelques conseils « en signe de mémoire, de bénédiction et de testament ». Mais ce récit ne permet certainement pas de déduire la proposition générale selon laquelle saint François aurait écrit « plusieurs testaments ». Les premières Légendes sont muettes, sauf sur le seul Testament donné ici, et tous les passages que différents auteurs citent « du Testament » se trouvent dans celui-ci, si l’on excepte deux passages de l’édition de M. Sabatier du Speculum Perfectionis. Mais il n’est pas difficile de constater qu’à ces deux endroits le Speculum est erroné. Au neuvième chapitre, il répète incorrectement ce que frère Léon rapporte ailleurs [^328], et au cinquante-cinquième chapitre, le compilateur du Speculum est encore plus égaré, comme l’indique clairement la comparaison de ce chapitre avec le vingt-septième chapitre de l’édition du Speculum du Père Lemmens [^329]. Les deux éditions du Speculum relatent presque dans les mêmes termes l’amour de saint François pour l’église de la Portioncule. L’édition de M. Sabatier dit : « À sa mort, il fit inscrire dans le Testament que tous les frères feraient de même » ; tandis que l’édition du Père Lemmens se lit comme suit : « Vers sa mort, il a légué cette église aux frères par testament. »
Français Le Testament se trouve parmi les œuvres de saint François dans douze des codex décrits ci-dessus, [3] à [ p. 81 ] à savoir ceux d’Assise, [4] de Berlin, de Florence (MSS d’Ognissanti), de Saint-Florian, de Liegnitz, de Paris (Nat. lib. et Mazarin MSS. 989), de Prague et de Rome (Saint-Antoine et les deux MSS du Vatican), ainsi que dans un MS du XVe siècle à La Haye (Municip. lib. cod. K. 54, fol. 3 v). Le texte traduit ici est celui du codex d’Assise, collationné avec ceux d’Ognissanti (Florence) et de Saint-Antoine (Rome), ainsi qu’avec les versions du Testament contenues dans les Monumenta (fol. 274 v) et les Firmamenta [5] (fol. 16 v). Ici commence :
Le Seigneur m’a donné, à frère François, de commencer ainsi ma pénitence ; car lorsque j’étais dans le péché, il me semblait très amer de voir des lépreux, et le Seigneur lui-même m’a conduit parmi eux et je leur ai fait miséricorde. [6] Et lorsque je les ai quittés, ce qui m’avait semblé amer s’est transformé pour moi en douceur de corps et d’âme. Et ensuite, je suis resté un peu et j’ai quitté le monde. Et le Seigneur m’a donné tant [^334] de foi [ p. 82 ] dans les églises que je priais simplement et disais ainsi : « Nous t’adorons Seigneur Jésus-Christ ici [7] et dans toutes tes églises qui sont dans le monde entier, et nous te bénissons parce que par ta sainte croix tu as racheté le monde. »
Après cela, le Seigneur m’a donné, et me donne, une telle foi dans les prêtres qui vivent selon la forme de la sainte Église romaine, à cause de leur ordre, [8] que s’ils me persécutaient, j’aurais recours à eux. Et si j’avais autant de sagesse que Salomon, et si je rencontrais de pauvres prêtres de ce monde, [9] je ne prêcherais pas contre leur volonté dans les paroisses où ils vivent. Et je désire les craindre, les aimer et les honorer, ainsi que tous les autres, comme mes maîtres ; et je ne veux pas considérer le péché en eux, car en eux je vois le Fils de Dieu et ils sont mes maîtres. Et je le fais (le sien) parce que dans ce monde, je ne vois rien corporellement du Fils très haut de Dieu Lui-même, si ce n’est Son Corps et Son Sang très saints, qu’ils reçoivent et qu’eux seuls administrent aux autres. Et je veux que ces mystères très saints soient honorés et révérés par-dessus tout et qu’ils soient placés dans des lieux précieux. Partout où je trouve Ses Noms très saints et Ses paroles écrites dans des endroits inconvenants, je désire les recueillir, et je demande qu’ils soient recueillis et placés dans un lieu convenable. Et nous [ p. 83 ] devons honorer et vénérer tous les théologiens et ceux qui nous administrent les Paroles divines très saintes comme ceux qui nous administrent l’esprit et la vie. [10]
Et lorsque le Seigneur m’a donné des frères, personne ne m’a montré ce que je devais faire, mais le Très-Haut lui-même m’a révélé que je devais vivre selon la forme du saint Évangile. [11] Et je l’ai fait écrire en peu de mots et simplement, et le Seigneur Pape me l’a confirmé. Et ceux qui sont venus prendre sur eux cette vie ont donné aux pauvres tout ce qu’ils pouvaient avoir et ils [^340] se sont contentés d’une tunique, rapiécée à l’intérieur et à l’extérieur, par ceux qui le voulaient, [12] d’un cordon et d’une culotte, et nous n’en avons pas voulu davantage.
Nous, les clercs, nous récitions l’Office comme les autres clercs ; les laïcs récitaient le Paternoster, et nous restions volontiers dans les églises [13]. Et nous étions simples et soumis à tous. Et je travaillais de mes mains, et je désire travailler, et je désire fermement que tous les autres frères travaillent à un travail compatible avec l’honnêteté. Que ceux qui ne savent pas travailler apprennent, non par désir de recevoir le prix du travail, mais par exemple et pour repousser l’oisiveté. Et lorsque le prix du travail ne nous est pas donné, [ p. 84 ] recourons à la table du Seigneur, demandant l’aumône de porte en porte.
Le Seigneur m’a révélé cette salutation, que nous devons dire : « Que le Seigneur te donne la paix. » [^343] Que les frères se gardent bien de recevoir sous aucun prétexte des églises, des demeures pauvres et toutes autres choses [14] qui leur sont construites, à moins qu’elles ne soient, comme il convient à la sainte pauvreté que nous avons promise dans la Règle, y demeurant toujours comme des étrangers et des pèlerins. [^345]
J’enjoins strictement par obéissance [15] à tous les frères que, où qu’ils soient, ils n’osent, ni eux-mêmes ni par personne interposée, [16] demander aucune lettre à la curie romaine, ni pour une église [17] ni pour aucun autre lieu, ni sous prétexte de prêcher, ni à cause de leur persécution corporelle ; mais, partout où ils ne sont pas reçus, qu’ils fuient dans un autre pays pour faire pénitence, avec la bénédiction de Dieu. Et je veux obéir strictement au ministre général de cette confrérie et au tuteur qu’il lui plaira de me donner. Et je veux être si captif entre ses mains que je ne puisse aller ni agir au-delà de son obéissance et de sa volonté, car il est mon maître. Et bien que je sois simple et infirme, je désire néanmoins avoir toujours un clerc qui accomplisse avec moi l’office contenu dans la Règle.
Tous les autres frères seront tenus d’obéir à leur tuteur et d’accomplir leur office conformément à la Règle. Ceux qui ne se conforment pas à la Règle et souhaitent la modifier, ou qui ne sont pas catholiques, tous les frères, où qu’ils se trouvent, s’ils en trouvent un, seront tenus par obéissance de le présenter au custode le plus proche de l’endroit où ils l’ont trouvé. Le custode sera strictement tenu, par obéissance, de le garder étroitement jour et nuit comme prisonnier, afin qu’il ne puisse lui être arraché des mains jusqu’à ce qu’il le remette personnellement entre les mains de son ministre. Le ministre sera fermement tenu par obéissance de le faire envoyer par des frères qui le surveilleront jour et nuit comme prisonnier jusqu’à ce qu’ils le présentent au Seigneur d’Ostie, qui est le maître protecteur et le correcteur de cette confrérie. [18]
Et que les frères ne disent pas : Ceci est une autre Règle ; car ceci est un souvenir, un avertissement, une exhortation et mon Testament que moi, petit frère François, je fais pour vous, mes bienheureux frères, afin que nous observions d’une manière plus catholique la Règle que nous avons promise au Seigneur. Et que le ministre général et tous les autres ministres et custodes soient tenus par obéissance de ne rien ajouter à ces mots ni d’en retrancher. Et qu’ils aient toujours cette écriture avec eux à côté de la Règle. Et dans tous les Chapitres qu’ils tiennent, lorsqu’ils liront la Règle, qu’ils lisent également ces mots. Et j’enjoint strictement à tous mes frères, clercs et laïcs, par obéissance, de ne pas mettre de gloses sur la Règle ou sur ces mots en disant : Ainsi il faut les entendre ; mais comme le Seigneur m’a donné de dire et d’écrire la Règle et ces paroles simplement et purement, ainsi vous les comprendrez simplement et purement [19] et les observerez avec une sainte opération jusqu’à la fin.
Et quiconque observera ces choses [20] sera comblé au ciel de la bénédiction du Père Très-Haut, et sur terre de la bénédiction de son Fils bien-aimé, du Saint-Esprit, du Paraclet, de toutes les Puissances du ciel et de tous les saints. Et moi, frère François, votre petit serviteur, autant que je le peux, je vous confirme intérieurement et extérieurement cette très sainte bénédiction. [21] Amen. [22]
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[^321] : 79:1 Sabatier ; Vie de S. François; Étude des Sources.
[^323] : 79 : 3 Voir 1 Cel. 17 ; 2 Cél. 3, 99.
[^324] : 79 : 4 Voir Bonav., Leg. Maj., III, a.
[^326] : 79 : 6 « Circa ultimum vitae suae », etc. Voir Bullarium Franc., t. Moi, p. 63.
[^327] : 79:7 « À la fin de chacune de ces crises, il faisait de nouveau p. 81 fils testament. Speculum Perf. (éd. Sabatier), p. xxxiii, note 2. Voir aussi Speculum (éd. Lemmens), n° 30.
[^328] : 80:1 Voir S. Francisci Intentio regulae, nn. 14 et 15, dans la Documenta Antiqua Franciscana, P. I, p. 97.
[^329] : 80 : 2 Voir Documenta Antiqua Franciscana, P. II, p. 60.
[^334] : 81:4 Cod. Comme. lit « talem fidem », « une telle foi ».
[^340] : 83:3 Cod. O. lit : eramus « nous étions contents. »
[^343] : 84 : 1 Voir Bonav. Jambe. Maj., 111, 2.
[^345] : 84 : 3 Voir Documenta antiqua Franciscana, P. I, page 98, n. 15, où ce passage est cité parmi les Verba quae scriptsit Frater Leo.
79:2 Voir aussi Goetz, l.c., t. XXII, pp. 372 seq. ↩︎
79:5 Il est également expressément cité dans la Leg. III Soc. 11 et 29. ↩︎
81:1 Le texte du Testament donné par M. Sabatier dans son édition du Speculum Perf. est celui de ce manuscrit d’Assise. ↩︎
81:2 On peut également le trouver dans le Speculum Minorum (Tract. III, 8 r) et dans les Annales de Wadding (ad an. 1226, 35). ↩︎
81:3 Voir 1 Cel. 17, où ce passage du Testament est cité. Voir aussi Bonav. Leg. Maj., II, 6 ; et Leg. III Soc. 11. Certains textes au lieu de « feci misericordiam cum illis » donnent « feci moram cum illis » : « J’ai fait un séjour avec eux. » Voir Miscell. Franc., III (1888), p. 70. Il est intéressant de noter ici comment saint François, à la veille de sa mort, jetant un regard rétrospectif sur les chemins par lesquels il avait été conduit, s’attarde sur cet incident qui avait marqué une ère nouvelle dans sa vie. ↩︎
82:1 Cod. As. et O. omettent « ici ». (Voir 1 Cel. 45 ; et Bonav. Leg. Maj. 43, où cette prière peut être trouvée.) Cod. An. Firm. et Wadd. insèrent « ici ». ↩︎
82:2 Ordre, c’est-à-dire caractère sacerdotal. ↩︎
82:3 Prêtres du monde, c’est-à-dire prêtres séculiers. ↩︎
83:1 Voir 2 Cel. 3, 99, où ce passage du Testament est cité ; voir aussi Bonav. Epis. de tribus quaestionibus dans lequel il est également mentionné. (Opera Omnia, t. VIII, p. 335.) ↩︎
83:2 Voir Leg. III Soc. 29, pour référence à ce passage. ↩︎
83:4 Cod. As. omet qui volebant, « par ceux qui le souhaitaient ». ↩︎
83:5 Firm, et Wadd. ajoutent : « églises pauvres et négligées. » ↩︎
84:2 Cod. As. omet « d’autres choses », et O. omet « toutes les autres choses ». ↩︎
84:4 Cod. O. omet « par obéissance ». ↩︎
84:5 Cod. An. omet cette clause. ↩︎
84:6 Cod. O. omet « soit pour une église ». ↩︎
85:1 Le cardinal Ugolino, plus tard Grégoire IX, était alors évêque d’Ostie et protecteur de l’Ordre. ↩︎
86:1 Cod. As. et Mon. pour « purement » lire « sans glose » ; Firm. et Wadd. ajouter « sans glose ». ↩︎
86:2 Cod. An. et O. lisent « ceci » pour « ces choses ». ↩︎
86:3 Cod. O. ajoute « à celui qui a fait écrire ces paroles, soient tout honneur, toute louange et toute gloire, aux siècles des siècles. » ↩︎
86:4 Voir 1 Cel. 34, pour la bénédiction donnée par saint François sur son lit de mort à Élie et à l’Ordre. ↩︎