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Nous apprenons de saint Bonaventure [1] et des Fioretti [2] qu’à mesure que ses compagnons commençaient à affluer vers saint François, l’homme de Dieu hésita un temps entre une vie de prière et une vie de prédication. Bien que, comme nous le savons, il se soit finalement décidé en faveur de l’apostolat, il n’a jamais pour autant complètement séparé la vie contemplative de la vie active. Un précieux témoignage de ce fait se trouve dans le Règlement concernant les frères pendant leur séjour en ermitage qui nous intéresse ici. Pour comprendre la portée de cette législation particulière, il faut se rappeler qu’au début du mouvement franciscain, les frères n’avaient pas de domicile fixe [3]. Le vaste monde était leur cloître [4]. Ne possédant rien, ils erraient comme des enfants insouciants du jour, enseignant ou prêchant, passant la nuit dans les greniers à foin ou sous les églises [ p. 88 ] porches, dans des lazarets, ou des cabanes et grottes abandonnées. [5] Le besoin d’avoir une sorte de retraite permanente où ils pourraient se retirer de temps en temps pour prier ou se reposer, a conduit à l’institution des ermitages. Ces petites solitudes, où François aimait se retirer, peuvent être trouvées partout où le saint est allé. La Celle près de Cortina, le Carénage sur le mont Subasio, Greccio dans la vallée de Rieti, et les ermitages plus solitaires, comme Lo Speco, forment, comme quelqu’un l’a dit, une série de documents sur la vie de saint François, tout aussi importants que les écrits. Et une bonne partie de son esprit subsiste encore dans ceux de ces ermitages qui subsistent encore. C’est pour le gouvernement de petits loci [6] comme ceux-ci que la présente petite Règle spéciale a été écrite. Son attribution à saint François n’a pas été mise en doute. La simplicité pittoresque de sa conception témoigne de son authenticité, et dans aucun codex il ne porte le nom d’un autre auteur que saint François. Il a peut-être été écrit vers 1217 ; sa composition appartient certainement à la première décennie de l’Ordre.
Dans les anciens recueils d’écrits de saint François, retrouvés dans les codex de Florence (Ognissanti), Foligno et Rome (MS. 1/25 de saint Isidore et MS. 7650 du Vatican), ainsi que dans les copies de la compilation commençant par Fac secundum exemplar, cette Instruction se trouve à la fin des Admonitions. Mais dans la plupart des codex anciens, les Admonitions se terminent comme dans la présente traduction, et l’opuscule sur les ermitages en est de préférence séparé, comme dans le codex d’Assise et celui de saint Isidore de Rome (MS. 1/73). Le texte qui suit est basé sur le manuscrit d’Assise, qui a été collationné avec celui d’Ognissanti et ceux de Saint-Isidore, ainsi qu’avec la version de ce règlement donnée par Barthélemy de Pise dans ses Conformités. [^360] Voici le texte :
Que ceux qui désirent vivre religieusement dans les ermitages soient trois frères ou quatre au plus. Que deux d’entre eux soient mères et aient deux fils, ou au moins un. Que les deux premières mènent la vie de Marthe et les deux autres celle de Marie-Madeleine. [7]
Que ceux qui vivent selon la vie de Marie aient un cloître [8] et chacun sa place, afin qu’ils ne puissent ni vivre ni dormir ensemble. Et qu’ils disent toujours Complies du jour vers le coucher du soleil, [9] et qu’ils veillent à garder le silence, à dire leurs Heures et à se lever pour Matines, et qu’ils cherchent d’abord « le royaume de Dieu et sa justice ». [10] Et qu’ils disent Prime et Tierce au temps convenable, et, après l’heure de Tierce, ils peuvent rompre le silence et parler et, quand cela leur plaît, ils peuvent aller vers leurs mères et leur demander l’aumône pour l’amour du Seigneur Dieu, comme de petits pauvres. [11] Et après cela, qu’ils disent Sexte, Nones et Vêpres au temps fixé.
Et ils ne doivent permettre à personne [12] d’entrer dans le cloître où ils vivent, ni y manger. Que les frères qui sont mères s’efforcent de se tenir à l’écart de toute personne et, par obéissance à leur custode, protègent leurs fils de toute personne, afin que personne ne puisse leur parler. Et que ces fils ne parlent à personne, sauf à leur mère et à leur custode, lorsqu’il lui plaira de les visiter avec la bénédiction de Dieu. [13] Mais les fils doivent parfois, à leur tour, assumer la fonction de mères, pour un temps, selon leur volonté. Qu’ils s’efforcent d’observer tout ce qui précède avec diligence et sincérité. [^368]
[^360] : 89 : 1 Voir « Franciscus in admonitionibus suis » (fruct. xii, P. 11, cap. 30). C’est de ce texte que Wadding a pris le règlement pour son édition de l’Opuscula dans lequel il figure sous le titre Collationes Monasticae III.
[^368] : 90 : 5 Voir 2 Cél. 3, 113.
87:1 Voir Bonav. Leg. Maj., XII, 1, où le saint est représenté discourant sur les mérites et les avantages relatifs de la vie active et de la vie contemplative. Wadding cite ce discours parmi les conférences monastiques qu’il attribue à saint François. Voir Opuscula, Coll. XIV, p. 318. ↩︎
87:2 Voir Floretum S. Francisci, éd. Sabatier, cap. 16, p. 60. Ce chapitre, qui est l’un des plus intéressants au point de vue critique, représente saint François consultant sainte Claire et frère Sylvestre au sujet de son doute. ↩︎
87:3 Voir Première Règle, chap. vii (ci-dessus, p. 40); également Speculum Perf., éd. Sabatier, pp. 25-26. ↩︎
87:4 Comme le décrit avec beaucoup de poésie l’auteur du Sacrum Commercium. « Montrez-moi votre cloître », demande Dame Pauvreté aux frères. Et ceux-ci, la conduisant au sommet d’une colline, lui montrèrent le vaste monde en disant : « Ceci est notre cloître, ô Dame Pauvreté. » (Voir Dame Pauvreté, de M. Carmichael, p. 128.) ↩︎
88:1 Voir 1 Cel. 1, 17; et Leg. III Soc. 55. De telles grottes peuvent encore être vues dans le pays de saint François; elles servent d’abri aux mendiants et aux gitans. ↩︎
88:2 Saint François emploie habituellement le mot locus ou lieu pour désigner les habitations des frères (voir ci-dessus, Règle II, chap. vi, p. 68). ↩︎
89:2 La figure qui présente Marie et Marthe comme des types de vie contemplative et active était déjà familière. Voir Gregor., VI Moral., c. 37, n. 61 : « Quid per Mariam, quae verba Domini résident audiebat, nisi contemplativa vita exprimitur ? Quid per Martham outsideibus obsequiis occu patam nisi activa vita signatur ? ↩︎
89:3 Cod. Comme. après le cloître on peut lire : « dans laquelle chacun aura sa propre cellule. » ↩︎
89:4 Cod. As. se lit comme suit : « immédiatement après le coucher du soleil. » ↩︎
90:1 Luc 12: 31. ↩︎
90:2 C’est la lecture du Cod. As. et Is. ; d’autres textes lisent les « mendiants les plus pauvres ». ↩︎
90:3 Cod. O. ajoute : « toute femme ou personne quelle qu’elle soit. » ↩︎
90:4 Le texte du Cod. As. se termine ici. ↩︎