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Français Des nombreuses « cantiques vulgaires » composées par saint François, la seule qui nous soit parvenue, pour autant que l’on sache, est la « Louange des créatures », ou, comme on l’appelle plus communément aujourd’hui, le « Cantique du Soleil ». Celano, qui fait allusion à cette louange, dit de saint François qu’il était de la race d’Ananias, d’Azarias et de Misaël, invitant toutes les créatures à glorifier avec lui Celui qui les a faites. [1] C’est cet aspect de la pensée de saint François qui trouve son expression dans le Cantique ; et dans cet ordre particulier d’idées, la poésie religieuse moderne n’a jamais rien produit de comparable à cette sublime improvisation dans laquelle sont passées à la fois « toute la richesse de l’imagination du saint et toute l’audace de son génie ». [2] La tradition nous dit que Fra Pacifico a contribué à l’embellissement de cette louange, [3] autour de laquelle s’est développée toute une littérature controversée. [4] Peut-être la nouvelle édition critique du Cantique promise par Luigi Suttina apportera-t-elle quelques éclaircissements sur cette délicate question.
Français Le Cantique paraît avoir été composé vers la fin de l’année 1225 dans une pauvre petite cabane près du monastère de San Damiano, où saint [ p. 151 ] François s’était retiré à cause de ses infirmités, et, si l’on en croit la tradition qui trouve son expression formelle dans le Speculum Perfectionis, deux strophes furent ultérieurement ajoutées par le saint à la composition originale : la huitième strophe à l’occasion d’une querelle entre l’évêque et les magistrats d’Assise, et la neuvième lorsque le saint reconnut l’approche de la mort. M. Renan, avec ce que le chanoine Knox Little [5] appelle « son inexactitude caractéristique », affirme que nous ne possédons pas l’original italien du Cantique, mais seulement une traduction italienne du portugais, qui a été à son tour traduite de l’espagnol. [6] Et pourtant le texte original italien existe, comme le note M. Sabatier, [7] non seulement dans de nombreux manuscrits en Italie et en France, notamment dans le manuscrit d’Assise M 338 [8] et à la bibliothèque Mazarin, [9] mais aussi dans le Livre des Conformités.
Le Cantique est reconnu comme authentique par les professeurs Boehmer et Goetz dans leurs récents travaux sur les Opuscules de saint François. S’il ne figure pas dans l’édition Quaracchi, c’est que la Bibliotheca Franciscana Ascetica Medii Ævi, dont fait partie l’Opuscule, se limite aux ouvrages écrits en latin ; les critiques de M. Sabatier sur les « préoccupations théologiques » des éditeurs Quaracchi sont donc totalement hors sujet.
Le texte du Cantique ici traduit est celui du manuscrit d’Assise 338 (fol. 33), dont la version [ p. 152 ] donnée dans les Conformités (par. 2, fol. ii) [10] ne diffère que par quelques variantes sans importance. Ce qui suit est une tentative de traduction littérale en anglais du rythme naïf de l’original italien, qui disparaît nécessairement dans toute traduction rimée formelle :
ICI COMMENCENT LES LOUANGES DES CRÉATURES QUE LE BIENHEUREUX FRANÇOIS FUT À LA LOUANGE ET À L’HONNEUR DE DIEU PENDANT QU’IL ÉTAIT MALADE À SAINT-DAMIEN :
Très-Haut, tout-puissant, bon Seigneur,
Louange, gloire, honneur et bénédiction, tout est à toi.
À Toi seul ils appartiennent, Très-Haut,
Et il n’y a aucun homme digne de te mentionner.
Louange à Toi, mon Seigneur, avec toutes Tes créatures,
Spécialement à mon vénérable frère le soleil,
Celui qui illumine le jour, et par lui tu donnes la clarté ;
Et il est beau et rayonnant d’une grande splendeur ;
De Toi, Très-Haut, donne une signification.
Loué soit mon Seigneur, pour sœur lune et pour les étoiles,
Au ciel, tu les as formés clairs, précieux et beaux. p. 153
Loué soit mon Seigneur pour frère vent
Et pour l’air et les nuages et le beau temps et toutes sortes de temps,
Par laquelle tu donnes à tes créatures la nourriture.
Loué soit mon Seigneur pour ma sœur l’eau,
Ce qui est très utile, humble, précieux et pur.
Loué soit mon Seigneur pour frère feu,
Par laquelle tu éclaires l’obscurité.
Et il est beau, gai, puissant et fort.
Loué soit mon Seigneur pour notre sœur, la terre mère,
Ce qui nous soutient et nous garde
Et produit divers fruits avec de l’herbe et des fleurs brillantes.
Loué soit mon Seigneur pour ceux qui, par amour, pardonnent
Et la faiblesse supporte et la tribulation.
Bienheureux ceux qui endureront en paix,
Car par Toi, Très-Haut, ils seront couronnés.
Loué soit mon Seigneur pour notre sœur, la mort corporelle,
Dont aucun homme vivant ne peut s’échapper.
Malheur à ceux qui meurent dans le péché mortel ;
Bienheureux ceux qui se trouveront dans ta très sainte volonté,
Car la seconde mort ne leur fera aucun mal.
Louez et bénissez mon Seigneur, et rendez-lui grâce,
Et soumettez-vous à Lui avec une grande humilité.
150:1 Voir 2 Cél. 3, 138-139 et 1 Cél. 80. ↩︎
150:2 Voir Chérancé, Vie de saint François, p. 260. ↩︎
150:3 Voir à ce sujet Ozanam, Les Poètes Franciscains, p. 82, et Matthew Arnold, Essays on Criticism, pp. 243-248. La traduction du Cantique par M. Arnold est bien connue. ↩︎
150:4 Pour une liste des études les plus importantes sur ce sujet, voir Speculum Perfectionis (éd. Sabatier), p. 289; L. Suttina, Notes biographiques sur les études franciscaines, p. 19; aussi Littérature italienne jusqu’à la mort de Dante de Gasparry, p. 358. ↩︎
151:1 Voir son Saint François d’Assise, p. 235, note 2. ↩︎
151:2 See Nouvelles Etudes d’histoire religieuse, p. 331. ↩︎
151:3 Vie de saint François, p. xxxiv et chap. xviii. ↩︎
151:4 Ce texte a été publié par le P. Panfilo da Magliano, OFM, dans sa Storia Compendiosa, également par M. Sabatier dans sa Vie de S. François et plus tard dans son Speculum, pp. 334-35. ↩︎
151:5 Le professeur Boehmer a publié le texte du Maz. MS. 1350 dans son Sonnengesang v. Fr. d’A., en 1871. ↩︎
152:1 J’ai eu l’avantage d’étudier deux des plus anciens manuscrits connus de cet ouvrage, ceux des couvents de La Verna et de la Portioncule. ↩︎