LIVRE XVI. HSIO KÎ OU RECORD SUR LE SUJET DE L’ÉDUCATION[1].
1. Lorsqu’un dirigeant se soucie de ce que ses mesures soient conformes à la loi et recherche l’aide des gens bons et intègres, cela suffit à lui assurer une réputation considérable, mais non à émouvoir les multitudes.
Lorsqu’il cultive la société des dignes et s’efforce d’incarner les vues de ceux qui sont éloignés (de la cour), cela suffit à émouvoir les multitudes, mais non à transformer le peuple.
S’il veut transformer le peuple et perfectionner ses mœurs et ses coutumes, ne doit-il pas partir des leçons de l’école ?
2. Le jade brut ne peut servir à rien ; et si les hommes n’apprennent pas, ils ne connaissent pas le chemin à suivre. C’est pourquoi les anciens rois, lorsqu’ils fondaient des États et gouvernaient le peuple, faisaient de l’instruction et des écoles leur objectif principal ; comme il est dit dans la Charge à Yüeh : « Du début à la fin, les pensées doivent être fixées sur l’apprentissage[2]. »
3. Si bons que soient les mets, si l’on n’en mange pas, on n’en connaît pas le goût ; si parfait que soit un plat, si l’on ne l’apprend pas, on n’en connaît pas la bonté. Ainsi, lorsqu’on apprend, on connaît ses propres lacunes ; lorsqu’on enseigne, on connaît les difficultés de l’apprentissage. Après avoir connu ses lacunes, on est capable de se retourner et de s’examiner ; après avoir connu les difficultés, on est capable de se stimuler à l’effort. C’est pourquoi il est dit : « Enseigner et apprendre s’aident mutuellement », comme il est dit dans la Charge à Yüeh : « Enseigner est la moitié de l’apprentissage[1:1]. »
4. Selon le système d’enseignement ancien, pour les familles (d’un hameau)[2:1] il y avait l’école du village ; pour un quartier[2:2] il y avait le hsiang ; pour les districts plus grands il y avait le hsü ; et dans les capitales il y avait le collège.
5. Chaque année, quelques élèves entraient au collège, et tous les deux ans, un examen comparatif avait lieu. La première année, on vérifiait s’ils lisaient intelligemment les textes et en interprétaient le sens ; la troisième année, s’ils étaient attentifs et respectueux à leur travail et quelle compagnie leur était la plus agréable ; la cinquième année, comment ils approfondissaient leurs études et recherchaient la compagnie de leurs professeurs ; la septième année, comment ils discutaient de leurs sujets d’étude et choisissaient leurs amis. On disait alors qu’ils avaient acquis quelques modestes connaissances. La neuvième année, lorsqu’ils maîtrisaient les différentes catégories de sujets et avaient acquis une intelligence générale, étaient solidement établis et ne reculaient plus, on disait qu’ils avaient accompli de grandes choses. Après cela, l’entraînement était suffisant pour transformer le peuple et changer les mœurs et les coutumes. Ceux qui vivaient à proximité se soumettaient avec joie, et ceux qui étaient loin pensaient à l’enseignement avec un désir ardent. Telle était la méthode du Grand Érudition ; comme il est dit dans le Record, « La petite fourmi exerce continuellement l’art (d’amasser)[1:2]. »
6. Au début de l’enseignement au Grand Collège, les maîtres, coiffés de leurs bonnets de peau, présentaient des offrandes de légumes aux anciens sages afin de montrer à leurs élèves le respect qu’ils devaient leur témoigner. Ils leur faisaient chanter simultanément les trois premiers morceaux des Odes mineures du Royaume, première leçon sur les devoirs des officiers[2:3]. À leur entrée au Collège, on battait le tambour et on leur présentait les sacoches, afin qu’ils puissent commencer leur travail avec respect. La canne et les épines[3] étaient là pour leur inculquer une crainte respectueuse. Ce n’est qu’au moment du sacrifice d’été[4] que l’examen d’évaluation eut lieu, afin de leur redonner le calme. Ils étaient constamment inspectés, mais on ne leur parlait pas, afin de préserver leur tranquillité d’esprit. Ils écoutaient, mais ne posaient pas de questions ; et ils ne pouvaient transgresser l’ordre d’étude qui leur était imposé. Ces sept points constituaient les principales règles de l’enseignement. Comme il est exprimé dans le Registre, « Dans tout apprentissage, pour celui qui veut devenir officier, la première chose est (la connaissance des) affaires ; pour les érudits, la première chose est la direction de l’esprit. »
7. Dans le système d’enseignement du Grand Collège, chaque saison avait son sujet approprié ; et lorsque les élèves se retiraient et abandonnaient leurs cours (pour la journée), ils étaient tenus de poursuivre leurs études à la maison.
8. Si un étudiant n’apprend pas (au collège) à jouer juste, il ne peut pas jouir tranquillement de ses luths ; s’il n’apprend pas en profondeur les figures de la poésie, il ne peut pas jouir tranquillement des odes ; s’il n’apprend pas les variétés de vêtements, il ne peut pas participer tranquillement aux différentes cérémonies ; s’il n’acquiert pas les diverses réalisations, il ne peut pas prendre plaisir à apprendre.
9. C’est pourquoi un étudiant doué et vertueux poursuit ses études, retiré de tout le reste à l’université, et se consacre à leur développement, ou s’y consacre une fois retiré, et s’amuse. Ayant atteint cet état, il se repose tranquillement dans ses études et recherche la compagnie de ses professeurs ; il trouve du plaisir auprès de ses amis et a pleinement confiance en leur cheminement. Bien qu’il doive être séparé de ses professeurs et de ses assistants, il n’agira pas à l’encontre de leur cheminement ; comme il est dit dans l’Enseignement à Yüeh : « Gardez une humilité respectueuse et efforcez-vous d’être constamment sérieux. » Dans ce cas, la cultivation viendra sûrement.
10. Selon le système d’enseignement actuel, les maîtres bourdonnent sur les tablettes qu’ils ont sous les yeux, multipliant les questions. Ils parlent des progrès rapides des élèves, sans se soucier de leur confiance en leurs acquis. Ils manquent de sincérité dans leurs instructions et ne mettent pas tout en œuvre pour les enseigner. Ce qu’ils inculquent est contraire à la justice, et les élèves sont déçus par ce qu’ils recherchent. Dans ce cas, ces derniers sont affligés par leurs études et détestent leurs maîtres ; les difficultés les aigrissent et ne tirent aucun profit de leur travail. Ils semblent avoir terminé leur travail, mais ils abandonnent rapidement les leçons. Si leurs instructions ne donnent aucun résultat, n’est-ce pas à cause de ces défauts ?
11. Les règles du Grand Collège étaient : prévenir le mal avant qu’il ne se manifeste ; dispenser un enseignement opportun au moment opportun ; adapter les leçons aux circonstances ; et donner l’exemple aux personnes qui s’observent mutuellement. C’est grâce à ces quatre éléments que l’enseignement était si efficace et si florissant.
12. L’interdiction du mal après qu’il s’est manifesté rencontre de l’opposition et est inefficace. L’instruction donnée après son terme est pénible et difficile à mettre en œuvre. La transmission inconsidérée et inappropriée des leçons produit préjudice et désordre, et manque à son objectif. Apprendre seul et sans amis donne un sentiment de solitude et d’inculturation, avec peu d’informations. Les amitiés festives conduisent à l’opposition envers son maître. Les amitiés avec des personnes dissolues conduisent à négliger son apprentissage. Ces six choses contribuent toutes à rendre l’enseignement vain.
13. Lorsqu’un homme supérieur connaît les causes du succès de l’enseignement et celles qui le rendent inefficace, il peut devenir un enseignant. Ainsi, dans son enseignement, il guide et ne freine pas ; il renforce et ne décourage pas ; il ouvre la voie, mais ne conduit pas jusqu’au bout (sans les efforts de l’apprenant). Guider et ne pas freiner produit l’harmonie. Renforcer et ne pas décourager facilite l’accomplissement. Ouvrir la voie et ne pas conduire jusqu’au bout rend l’apprenant réfléchi. Celui qui produit une telle harmonie, une réalisation facile et une telle réflexion peut être qualifié d’enseignant compétent.
14. Parmi les élèves, il existe quatre défauts que l’enseignant doit connaître. Certains se trompent par la multitude de leurs études ; d’autres par leur rareté ; d’autres par la facilité avec laquelle ils avancent ; et d’autres encore par la promptitude avec laquelle ils s’arrêtent. Ces quatre défauts proviennent de la différence de leurs esprits. Lorsqu’un enseignant connaît la nature de son esprit, il peut préserver l’élève du défaut auquel il est sujet. L’enseignement doit viser à développer les points forts de l’élève et à corriger ses défauts.
15. Le bon chanteur permet aux hommes de poursuivre ses notes, et le bon professeur les rend capables de mettre en pratique ses idées. Ses paroles sont brèves, mais d’une grande portée ; sans prétention, mais profondes ; avec peu d’illustrations, mais instructives. On peut ainsi dire qu’il perpétue ses idées.
16. Lorsqu’un homme doué et vertueux connaît la difficulté et la facilité d’apprendre, et connaît également les qualités et les défauts de ses élèves, il peut varier ses méthodes d’enseignement. Lorsqu’il peut varier ses méthodes, il peut véritablement devenir un maître. Lorsqu’il peut véritablement être un enseignant, il peut être le chef (d’un département officiel). Lorsqu’il peut être un tel chef, il peut être le dirigeant (d’un État). C’est donc auprès du maître que l’on apprend à gouverner, et le choix d’un maître exige le plus grand soin ; comme il est dit dans le Livre des Rois : « Les trois rois et les quatre dynasties furent ce qu’ils furent par leurs maîtres[1:3]. »
17. Dans la poursuite de l’apprentissage, la difficulté réside dans le respect dû au maître. Ce faisant, la discipline (qu’il inculque) est honorée. Ainsi, le peuple sait respecter l’apprentissage. Ainsi, parmi ses sujets, deux sont ceux que le souverain ne traite pas comme tels. Si l’un d’eux se fait passer pour son ancêtre, il ne le traite pas comme tel, ni son maître comme tel. Selon les règles du Grand Collège, le maître, bien que communiquant quelque chose au fils du Ciel, ne se tenait pas face au nord. C’était ainsi qu’on lui rendait honneur.
18. L’élève habile, malgré l’indifférence apparente de son maître, obtient pourtant le double des résultats d’un autre et, par la suite, en attribue le mérite. L’élève malhabile, malgré la diligence de son maître, obtient pourtant la moitié des résultats du premier et, par la suite, est mécontent de son maître. L’interrogateur habile est comme un ouvrier qui s’attaque à un arbre dur. Il s’attaque d’abord aux parties faciles, puis aux parties noueuses. Après un long moment, l’élève et le maître discutent ensemble, et le sujet est expliqué. L’interrogateur malhabile fait le contraire. Le maître qui attend habilement d’être interrogé peut être comparé à une cloche lorsqu’on la frappe. Frappée avec un petit marteau, elle produit un son faible. Frappée avec un grand marteau, elle produit un son puissant. Mais qu’on la frappe doucement et correctement, elle produit tout le son dont elle est capable[1:4]. Celui qui n’est pas habile à répondre aux questions est à l’opposé de cela. Tout cela décrit la méthode pour progresser dans l’apprentissage.
19. Celui qui transmet (seule) l’enseignement de sa mémoire dans les conversations n’est pas apte à être un maître. N’est-il pas nécessaire qu’il écoute les questions (de ses élèves) ? Oui, mais s’ils ne sont pas capables de poser des questions, il doit leur soumettre des sujets. S’il le fait et qu’ils ne montrent aucune connaissance des sujets, il peut les laisser tranquilles.
20. Le fils d’un bon fondeur apprendra certainement à fabriquer une robe de fourrure. Le fils d’un bon fabricant d’arcs apprendra certainement à fabriquer un tamis. Ceux qui attellent un (jeune) cheval le placent derrière, la voiture devant. L’homme supérieur qui examine ces cas peut s’y instruire (sur la méthode d’)apprentissage[1:5].
21. Les anciens, poursuivant leur apprentissage, comparaient différentes choses et recherchaient des analogies entre elles. Le tambour n’a aucun rapport particulier avec les notes musicales ; mais sans lui, elles ne peuvent être harmonisées. L’eau n’a aucun rapport particulier avec les cinq couleurs ; mais sans elle, elles ne peuvent être mises en valeur[2:4]. L’apprentissage n’a aucun rapport particulier avec les cinq sens ; mais sans lui, ils ne peuvent être réglés. Un maître n’a aucun rapport particulier avec les cinq degrés de deuil ; mais sans son aide, ils ne peuvent être portés comme ils le devraient.
22. Un homme sage a dit : « La grande vertu ne se limite pas à une seule fonction ; la grande puissance de méthode ne se limite pas à la production d’un seul article ; la grande vérité ne se limite pas à la confirmation des serments ; la grande opportunité accomplit tout, et chaque chose en son temps. » En examinant ces quatre cas, nous apprenons à orienter nos objectifs vers l’essentiel.
Les éditeurs de Khien-lung disent que ce paragraphe vise à montrer que l’apprentissage doit se faire progressivement. Jusque-là, c’est clair ; mais les illustrations employées et leur application au sujet traité ne sont pas faciles à comprendre. Dans son cinquième livre (vers la fin), Lieh-dze donne les deux premières illustrations comme tirées d’un vieux poème, mais d’une manière assez différente du texte : « Le fils d’un bon archet doit d’abord apprendre à fabriquer un tamis ; et le fils d’un bon potier doit d’abord apprendre à fabriquer une robe de fourrure. » Sous cette forme, elles auraient plus justement leur place au paragraphe 18. ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
C’est-à-dire en peinture. Les Chinois ne peignent qu’à l’aquarelle. « L’eau elle-même », dit Khung Ying-tâ, « n’a pas de couleur, mais la peinture nécessite d’être appliquée avec de l’eau, afin de pouvoir être exposée. » Je ne peux pas suivre le texte aussi facilement dans ce qu’il dit sur les autres illustrations. ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
Callery les appelle « la latte et la baguette ». ↩︎
Khung Ying-tâ pensait qu’il s’agissait du sacrifice quinquennal. Voir les éditeurs de Khien-lung sur ce point. ↩︎