XXIII. Le roi Kieh ou les différents enseignements des différents rois | Page de titre | XXV. Kung-Nî Yen Kü ou Kung-Nî à la maison en toute simplicité |
LIVRE XXIV. ÂI KUNG WAN OU QUESTIONS DU DUC ÂI[1].
1. Le duc Âi[1:1] demanda à Confucius : « Que dites-vous des grands rites ? Comment se fait-il que des hommes supérieurs, en parlant d’eux, leur attribuent tant d’honneur ? » Confucius dit : « Moi, Khiû, je suis un homme de petite taille, et je ne suis pas à la hauteur de la connaissance des rites. » « Absolument pas », dit le souverain. « Dites-moi ce que vous en pensez, mon maître. » Alors Confucius répondit : « D’après ce que j’ai entendu dire, de toutes les choses par lesquelles le peuple vit, les rites sont les plus importants. Sans eux, ils n’auraient aucun moyen de réguler les services rendus aux esprits du ciel et de la terre ; sans eux, ils n’auraient aucun moyen de distinguer les positions propres au père et au fils, aux grands et aux petits, aux vieux et aux jeunes ; Sans eux, ils n’auraient aucun moyen de maintenir le caractère distinct des relations intimes entre homme et femme, père et fils, frère aîné et cadet, ni de gérer les relations entre les familles contractantes dans un mariage, ni la fréquence ou la rareté (des réciprocités entre amis). C’est sur ces bases que les hommes supérieurs ont honoré et révéré (les rites) comme ils l’ont fait.
2. 'Par la suite, (ayant cette vision des rites), ils les enseignèrent au peuple, sur la base de leur capacité (à les pratiquer), sans négliger leurs principes généraux ni les limitations (que les circonstances imposent dans des cas particuliers).
3. « Lorsque leur objectif fut atteint (jusqu’à présent), ils procédèrent à donner des règles pour la gravure (des vases cérémoniels) et la broderie en différentes couleurs (des robes), afin d’assurer la transmission (des rites).
4. « Ayant obtenu l’assentiment du peuple sur ces choses, ils se mirent à lui indiquer les différentes périodes de deuil ; à fournir le nombre complet de trépieds et de supports ; à déposer les offrandes de porc et de viande séchée ; à entretenir leurs temples ancestraux ; puis, aux différentes saisons de l’année, à présenter respectueusement leurs sacrifices ; et à y disposer, par ordre, les différentes branches et membres de leur famille. En attendant, ils se contentaient de vivre économiquement, de ne rien porter de raffiné dans leurs vêtements ; d’avoir des maisons basses et pauvres ; d’éviter les sculptures sur leurs chariots ; d’utiliser leurs vases sans les graver ; et d’avoir une alimentation des plus simples, afin de partager tous leurs avantages avec le peuple. C’est ainsi que les hommes supérieurs de l’Antiquité pratiquaient les rites. »
5. Le duc dit : « Comment se fait-il que les hommes supérieurs d’aujourd’hui ne les pratiquent pas (de cette manière) ? » Confucius dit : « Les hommes supérieurs d’aujourd’hui ne sont jamais satisfaits de leur amour de la richesse et ne se lassent jamais de l’extravagance de leur conduite. Ils sont sauvages, oisifs, arrogants et insolents. Ils épuisent résolument les (ressources du) peuple, s’opposent à la multitude et cherchent à renverser ceux qui suivent le droit chemin. Ils cherchent à obtenir tout ce qu’ils désirent, sans référence au droit ni à la raison. Autrefois, on utilisait le peuple selon les règles anciennes ; on le traite aujourd’hui selon des règles plus récentes. Les hommes supérieurs d’aujourd’hui ne pratiquent pas les rites (comme ils devraient l’être). »
6. Confucius était assis à côté du duc Âi, lorsque celui-ci dit : « J’ose demander, selon la nature des hommes, quelle est la chose la plus importante à laquelle il faut prêter attention dans ses relations avec eux. » Confucius parut surpris, changea de visage et répondit : « Que Votre Seigneurie pose cette question est une bonne chose pour le peuple. Comment votre serviteur pourrait-il ne pas exprimer son opinion à ce sujet ? » Il poursuivit donc et dit : « Selon la nature des hommes, gouverner est la chose la plus importante pour eux. »
7. Le duc dit : « J’ose demander ce que l’on entend par pratique gouvernementale. » Confucius répondit : « Gouverner, c’est rectifier. Quand le dirigeant agit correctement, tout le peuple suivra son gouvernement. Ce que fait le dirigeant, le peuple le suit. Comment pourrait-il suivre ce qu’il ne fait pas ? »
8. Le duc dit : « J’ose demander comment cette pratique gouvernementale doit être mise en œuvre. » Confucius répondit : « Mari et femme ont leurs fonctions distinctes ; entre père et fils, il doit y avoir de l’affection ; entre souverain et ministre, il doit y avoir une stricte adhésion à leurs rôles respectifs. Si ces trois relations sont correctement remplies, tout le reste suivra. »
9. Le duc dit : « Bien que je ne puisse, en raison de mon indignité, me considérer comme ayant atteint ce but, j’aimerais savoir comment ces trois choses que vous avez mentionnées peuvent être correctement obtenues. Puis-je les entendre de votre bouche ? » Confucius répondit : « Chez les anciens, l’amour des hommes était le point central de leur gouvernement ; dans la réglementation de cet amour des hommes, les règles de cérémonie étaient le point central ; dans la réglementation de ces règles, la révérence était le point central. Car la manifestation extrême de la révérence se trouve la plus grande illustration dans le grand mariage. Oui, dans le grand mariage, il y a la manifestation extrême du respect ; et lorsqu’il y en avait un, le marié, coiffé de son bonnet carré, allait en personne à la rencontre de la mariée, lui témoignant ainsi son affection. C’est en faisant cela lui-même que se manifestait son affection. C’est ainsi que l’homme supérieur commence par le respect comme base de l’amour. Négliger le respect, c’est laisser l’affection sans protection. » Sans amour, il ne peut y avoir d’union (réelle) ; et sans respect, l’amour ne sera pas juste. Oui, l’amour et le respect sont à la base du gouvernement.
10. Le duc dit : « J’aimerais pouvoir dire que je suis d’accord avec vous, mais que le marié, coiffé de son bonnet carré, aille en personne à la rencontre de la mariée, n’est-ce pas exagérer (la cérémonie) ? » Confucius parut surpris, changea de visage et dit : « (Un tel mariage) est l’union (des représentants de) deux noms de famille différents dans l’amitié et l’amour, afin de perpétuer la postérité des anciens sages[1:2], et de fournir ceux qui présideront aux sacrifices au ciel et à la terre, à ceux du temple des ancêtres, et à ceux des autels aux esprits de la terre et du blé ; comment votre seigneurie peut-elle dire que la cérémonie est exagérée ? »
11. Le duc dit : « Je suis stupide. Mais si je ne l’étais pas, comment aurais-je entendu ce que vous venez de dire ? Je voudrais vous interroger, mais je ne trouve pas les mots justes ; je vous prie d’aller plus loin. » Confucius dit : « Sans l’action conjointe du ciel et de la terre, le monde ne grandirait pas. Grâce au grand rite du mariage, les générations humaines se perpétuent à travers des myriades d’âges. Comment Votre Seigneurie peut-elle prétendre que la cérémonie en question est trop grandiose ? » Il ajouta aussitôt : « Dans leur sphère particulière, (ce mariage) sert à réguler les cérémonies du temple ancestral et suffit à fournir les corrélats des Intelligences spirituelles du ciel et de la terre ; dans la sphère (plus large) extérieure, il sert à réguler les cérémonies de la cour[2] et suffit à établir le respect de ceux qui lui sont inférieurs envers celui qui est au-dessus d’eux tous. S’il y a lieu de rougir du fait de l’insuffisance des ressources, cela suffit à les stimuler et à les préserver ; s’il y a lieu de rougir du fait de l’état des États, cela suffit à les revitaliser et à les renouveler. Les cérémonies sont la première chose à laquelle il faut prêter attention dans la pratique du gouvernement. Oui, cette cérémonie (du mariage) est à la base du gouvernement !
12. Confucius poursuivit : « Autrefois, sous le gouvernement des rois intelligents des trois dynasties, il était exigé d’un homme qu’il témoigne du respect à sa femme et à son fils. Lorsque l’on suivait la voie (du bon gouvernement), l’épouse était l’hôtesse des parents (décédés) ; un mari pouvait-il oser ne pas lui témoigner du respect ? Et le fils était le descendant de ces parents ; un père pouvait-il oser ne pas lui témoigner du respect ? Le respect de l’homme supérieur est universel. Il apparaît comme le plus grand dans son respect de lui-même. Il est par sa personne une branche de ses parents ; un fils peut-il ne pas avoir ce respect de soi ? S’il n’est pas capable de respecter sa propre personne, il blesse ses parents. S’il blesse ses parents, il blesse sa propre racine ; et lorsque la racine est blessée, les branches la suivent dans sa mort. » Ces trois choses sont une image de ce qui est vrai pour tout le peuple (dans le corps politique). La personne de chacun atteint la personne des autres ; « Son propre fils aux fils des autres ; sa propre femme aux femmes des autres. Si un dirigeant agit ainsi, l’esprit de sa conduite se répandra partout sous le ciel. Si la conduite du grand roi est ainsi, tous les États et toutes les familles lui obéiront docilement. »
113. Le duc dit : « J’ose demander ce que signifie « se respecter soi-même ». » Confucius répondit : « Lorsqu’un homme qui domine les autres[1:3] transgresse dans ses paroles, le peuple façonne son discours en conséquence ; lorsqu’il transgresse dans ses actes, le peuple en fait un modèle. S’il ne va pas au-delà de ce qui est dit, ni au-delà de ce qui devrait être un modèle dans ses actes, alors le peuple, sans qu’on lui en donne l’ordre, le révérera et l’honorera. Lorsqu’il en sera ainsi, on pourra dire qu’il a respecté sa personne. Ayant réussi à la respecter, il sera (en même temps) capable de faire tout ce qui est possible pour ses parents. »
14. Le duc dit : « J’ose demander ce que signifie faire tout ce qui est possible pour ses parents. » Confucius répondit : « Kün-dze est le nom le plus complet pour un homme ; quand on lui applique ce nom, on dit (en fait) qu’il est le fils d’un kün-dze ; et ainsi il fait de ses parents (?père) un kün-dze. C’est ce que je veux dire en disant qu’il fait tout ce qui est possible pour ses parents[2:1]. »
Confucius ajouta aussitôt : « Dans la pratique du gouvernement dans l’Antiquité, l’amour des hommes était le point essentiel. Si (un dirigeant) n’est pas capable d’aimer les hommes, il ne peut posséder[1:4] sa propre personne ; incapable de posséder sa propre personne, il ne peut jouir en paix de sa terre ; incapable de jouir en paix de sa terre, il ne peut se réjouir du Ciel ; incapable de se réjouir du Ciel, il ne peut faire tout ce qui peut être fait pour sa personne. »
15. Le duc dit : « J’ose demander ce que signifie « faire tout ce qui peut être fait pour sa personne ». » Confucius répondit : « C’est se garder de toute transgression de ce qui est dû dans tous les domaines au-delà de soi-même[2:2]. »
16. Le duc dit : « J’ose demander ce que l’homme supérieur apprécie dans la voie du Ciel. » Confucius répondit : « Il apprécie son incessant. Il y a, par exemple, la succession et la séquence du soleil et de la lune de l’est à l’ouest : telle est la voie du Ciel. Il y a la longue continuité de sa progression sans interruption : telle est la voie du Ciel. Il y a le fait de rendre toutes choses complètes sans rien faire : telle est la voie du Ciel. Il y a leur éclat une fois accomplies : telle est la voie du Ciel. »
17. Le duc dit : « Je suis très stupide, inintelligent aussi, et occupé par beaucoup de choses ; aidez-moi, monsieur, afin que je puisse garder cette leçon à l’esprit. »
18. Confucius prit un air grave, se leva légèrement de sa natte et répondit : « Un homme d’une vertu universelle[1:5] ne transgresse pas ce qui lui est dû dans tous les domaines au-delà de lui-même, et il en va de même pour un fils filial. C’est pourquoi un fils d’une vertu universelle sert ses parents comme il sert le Ciel, et sert le Ciel comme il sert ses parents. « C’est pourquoi un fils filial fait tout ce qui peut être fait pour sa personne[2:3]. »
19. Le duc dit : « J’ai entendu vos (excellentes) paroles ; comment se fait-il que je ne puisse plus jamais me garder de la culpabilité (de transgression) ? » Confucius répondit : « Que votre seigneurie exprime de telles paroles est un bonheur pour moi. »
XXIII. Le roi Kieh ou les différents enseignements des différents rois | Page de titre | XXV. Kung-Nî Yen Kü ou Kung-Nî à la maison en toute simplicité |
« Un homme d’une vertu universelle » est dans le texte simplement « l’homme bienveillant (###). » Mais ce nom doit être pris au sens de Mencius, qui dit que « la bienveillance est l’homme (###) » (vii, ii, 16) ; comme le traduit Julien, « Humanitas homo est ». Là ###, « bienveillance », est un nom désignant l’ensemble des vertus humaines, avec l’implication qu’elle est elle-même la caractéristique distinctive de l’homme. Ainsi, « humanité » peut être utilisé en anglais pour désigner « la nature particulière de l’homme par rapport aux autres êtres ». ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
Callery donne à ce propos : « Ce n’est autre chose que de se maintenir dans le devoir. » Wylie : « Ce n’est pas transgresser l’ordre naturel des choses. » La réponse de Confucius apparaît plus complètement dans les « Récits de l’École ». ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎