LIVRE XXXVIII. ZÛ HSING OU LA CONDUITE DE L’ÉTUDIANT[1].
1. Le duc Âi de Lift demanda à Confucius : « Maître, la tenue que vous portez n’est-elle pas celle d’un érudit[2] ? » Confucius répondit : « Quand j’étais petit, je vivais à Lû et portais le vêtement à larges manches ; quand je fus grand, je vivais à Sung et je portais alors le bonnet kang-fû[3]. J’ai entendu dire que les études de l’érudit sont approfondies, mais sa tenue est celle de l’État dont il est issu. Je ne connais aucune tenue d’un érudit. »
2. Le duc dit : « Permettez-moi de vous demander quelle est la conduite de l’érudit. » Confucius répondit : « Si je devais énumérer les points brièvement, je ne pourrais pas tous les aborder ; si je devais entrer dans les détails de chacun, cela prendrait beaucoup de temps. Vous auriez changé tous vos serviteurs avant que j’aie terminé[4]. » Le duc ordonna qu’on lui place une natte, et Confucius prit place à ses côtés.
3. Il dit alors : « Le savant a une pierre précieuse posée sur sa natte, avec laquelle il attend de recevoir une invitation (d’un dirigeant)[1:1] ; tôt et tard, il étudie avec énergie, attendant d’être interrogé. Il porte en lui la sincérité et la bonne foi, attendant d’être élevé (à une fonction) ; il est vigoureux dans toutes ses actions, attendant d’être choisi (à un emploi) : ainsi il établit son caractère et se prépare (pour l’avenir). »
4. « Les vêtements et la casquette de l’érudit sont tous convenables et seyants ; il est prudent dans ses entreprises et ses actions : en déclinant de grands compliments, il peut paraître grossier, et à l’égard des petits compliments, hypocrite ; dans les grandes choses, il a un air de dignité, et dans les petites, de modestie ; il semble avoir du mal à avancer, mais se retire avec aisance et empressement ; et il a une apparence timide, comme s’il manquait de puissance : tel est son aspect extérieur. »
5. « Le savant, où qu’il réside, ordinairement ou seulement pour un temps, est grave comme s’il craignait les difficultés ; assis ou à pied, il est courtois et respectueux ; en parlant, son but est, avant tout, d’être sincère ; en agissant, il veut être exact et correct ; sur la route, il ne s’efforce pas des endroits les plus difficiles ou les plus faciles ; en hiver et en été, il ne s’efforce pas de la température, de la lumière et de l’ombre ; il se prémunit contre la mort pour être en attente (de tout ce à quoi il peut être appelé) ; il prend bien soin de sa personne pour être prêt à l’action : tels sont ses préparatifs et ses précautions pour l’avenir. »
6. « Le savant ne considère pas l’or et le jade comme des trésors précieux, mais la sincérité et la bonne foi ; il ne convoite ni terres ni territoires, mais considère l’établissement de la justice comme son domaine ; il ne désire pas une grande accumulation de richesses, mais considère ses nombreuses réalisations comme ses richesses ; il est difficile de le gagner, mais facile de le payer ; il est facile de le payer, mais difficile de le retenir. Comme il ne se montre pas quand le moment n’est pas venu, n’est-il pas difficile de le gagner ? Comme il refuse toute communion avec ce qui n’est pas juste, n’est-il pas difficile de le retenir ? Comme il doit d’abord accomplir le travail, puis percevoir le salaire, n’est-il pas facile de le payer ? » – telles sont les conditions de son étroite collaboration avec les autres.
7. « Bien qu’on puisse offrir au savant des objets de valeur et des richesses, et bien qu’on essaie de l’énerver avec des délices et des plaisirs, il voit ces avantages sans rien faire de contraire à son sens de la justice ; bien qu’une multitude puisse tenter de le forcer (à quitter son point de vue), et que son chemin soit arrêté par la force des armes, il regardera la mort en face sans changer les principes (qu’il) maintient ; (il affrontera) les oiseaux et les bêtes de proie avec leurs serres et leurs ailes, sans égard à leur férocité ; il entreprendra de soulever le trépied le plus lourd, sans égard à sa force ; il n’a aucune raison de regretter ce qu’il a fait dans le passé, ni de se préparer à ce qui peut lui arriver dans le futur ; il ne répète aucune erreur de langage ; il ne poursuit pas les rumeurs contre lui jusqu’à leur source ; il ne permet pas que sa dignité soit interrompue ; il ne craint pas de pratiquer (à l’avance) les conseils (qu’il donne) : — telles sont les choses dans lesquelles il se distingue et se distingue des autres hommes.
8. « On peut cultiver des relations amicales avec l’érudit, mais on ne doit pas tenter de le contraindre ; on peut rechercher une association étroite avec lui, mais on ne peut pas le lui imposer ; on peut le tuer, mais on ne peut pas le déshonorer ; dans sa demeure, il ne sera pas extravagant ; dans son alimentation et sa boisson, il ne sera pas luxueux ; on peut l’avertir gentiment de ses erreurs et de ses manquements, mais on ne doit pas les lui énumérer en face : telle est son audace et sa détermination. »
9. « Le savant considère la loyauté et la bonne foi comme sa cotte de mailles et son casque ; la bienséance et la droiture comme son bouclier et sa cuirasse ; il marche, portant haut au-dessus de sa tête la bienveillance ; il demeure, tenant la droiture dans ses bras devant lui ; le gouvernement peut être violemment oppressif, mais il ne change pas de cap : telle est la manière dont il se maintient. »
10. « Le savant peut avoir une maison dans (seulement) un mâu de terrain, une (pauvre) habitation dont chacun des murs (d’enceinte) ne fait (que) dix pas de long, avec une porte extérieure d’épines et de bambous, et des ouvertures dans le mur, longues et pointues ; à l’intérieur, la porte intérieure bouchée par des broussailles, et de petites fenêtres rondes comme l’ouverture d’une jarre[1:2] ; les occupants peuvent avoir à échanger des vêtements lorsqu’ils sortent ; ils peuvent avoir à faire servir la nourriture d’un jour pendant deux jours ; si le dirigeant lui répond, il n’ose avoir aucune hésitation (à accepter une fonction) ; s’il ne répond pas, il n’a pas recours à la flatterie : tel est-il lorsqu’il s’agit de prendre une fonction, (aussi petite soit-elle). »
11. « Le savant vit et fréquente les hommes d’aujourd’hui, mais les hommes de l’Antiquité sont ses sujets d’étude. En suivant leurs principes et leur exemple aujourd’hui, il deviendra un modèle pour les siècles à venir. Si son époque ne le comprend pas et ne l’encourage pas, si ses supérieurs ne le soutiennent pas et ses subordonnés ne le poussent pas en avant, ou même si calomniateurs et flatteurs s’unissent pour le mettre en danger, sa personne peut être mise en péril, mais son objectif ne peut lui être retiré. Même si le danger le menace dans ses entreprises et où qu’il soit, il poursuivra toujours son but et n’oubliera jamais les afflictions du peuple (qu’il souhaite soulager) : telle est l’anxiété qui le nourrit. »
12. « Le savant apprend abondamment, mais ne laisse jamais ses recherches s’arrêter ; il fait ce qu’il fait de toutes ses forces, mais ne se lasse jamais ; il peut vivre inaperçu, mais ne cède pas à la licence ; il peut avoir libre cours dans sa position reconnue, mais n’en est pas gêné ; dans sa pratique des usages cérémoniels, il montre la valeur qu’il accorde à une aisance naturelle ; dans l’excellence de sa loyauté et de sa bonne foi, il agit sous la loi d’un enjouement bienveillant ; il montre son respect affectueux pour les hommes de vertu et de capacité, et pourtant est indulgent et bon envers tous ; il (est comme un potier qui) brise son carré (moule), et ses tuiles s’assemblent : telle est la grandeur et la générosité de son esprit.
13. « Le savant recommande les membres de sa propre famille (aux emplois publics), sans reculer devant cela, à cause de leur parenté, et en propose d’autres au-delà, sans tenir compte de leur inimitié envers lui ; il estime les mérites des hommes et prend en considération tous leurs services, choisissant ceux qui sont vertueux et capables, et les mettant en avant, sans attendre aucune récompense de leur part ; le dirigeant obtient ainsi ce qu’il désire, et si le bénéfice en résulte pour l’État, le savant ne recherche ni richesses ni honneurs pour lui-même : tel est son comportement lorsqu’il favorise l’emploi des dignes et met en avant les capables. »
14. Le savant, lorsqu’il entend ce qui est bien, le dit à (ses amis), et lorsqu’il voit ce qui est bien, le leur montre ; du point de vue du rang et de la position, il leur donne la préséance sur lui-même ; s’ils rencontrent des calamités et des difficultés, il est prêt à mourir avec eux ; s’ils tardent (à obtenir de l’avancement), il les attend ; s’ils sont loin, il les rassemble avec lui : tel est son comportement dans l’emploi et la promotion de ses amis.
15. « Le savant garde sa personne exempte de toute tache et baigne (et rafraîchit) continuellement sa vertu ; il expose ce qu’il a à dire (à son supérieur en guise d’avertissement), mais reste lui-même à l’arrière-plan, essayant ainsi tranquillement de le corriger ; si son supérieur ne reconnaît pas (son conseil), il fait connaître ses vues plus fièrement et plus clairement, mais ne les insiste pas pour autant avec insistance ; il ne va pas parmi ceux qui sont bas pour se faire passer pour haut, ni ne se place parmi ceux qui ont peu (de sagesse) pour se faire passer pour avoir beaucoup ; dans un temps de bon gouvernement, il ne pense pas peu (de ce qu’il peut faire lui-même) ; dans un temps de désordre, il ne permet pas que sa voie soit entravée ; il ne se met pas (à la hâte) d’accord avec ceux qui pensent comme lui, ni ne condamne ceux qui pensent différemment : ainsi se tient-il seul parmi les autres et suit sa propre voie solitaire.
16. « L’érudit n’acceptera parfois pas la haute fonction de ministre du fils du Ciel, ni la fonction inférieure de servir le prince d’un État ; il veille sur lui-même dans sa retraite et apprécie un élargissement généreux de l’esprit, tout en étant en même temps audacieux et résolu dans ses relations avec les autres ; il apprend abondamment afin de savoir ce qui doit être fait ; il se familiarise avec les réalisations élégantes, et ainsi lisse et polit tous ses coins et angles ; même si l’offre lui était faite de partager un État avec lui, ce ne serait rien de plus pour lui que les petits poids d’une balance ; il n’acceptera pas de ministère, il n’acceptera pas d’office : telles sont les règles et la conduite qu’il se prescrit. »
17. « Le savant a ceux avec qui il est d’accord dans le but, et poursuit les mêmes objets, avec qui il cultive la même voie, et cela par les mêmes méthodes ; quand ils sont au même niveau que lui, il se réjouit d’eux ; si leur niveau est inférieur au sien, il ne s’en lasse pas ; s’il ne les a pas vus depuis longtemps, et entend des rumeurs à leur préjudice, il ne les croit pas ; ses actions sont enracinées dans la rectitude, et sa position dans ce qui est juste[1:3] ; s’ils vont dans la même direction que lui, il avance avec eux, sinon dans la même direction, il s’éloigne d’eux : il en est de même dans ses relations avec ses amis. »
18. « La douceur et la bonté sont les racines de l’humanité ; le respect et l’attention sont son fondement ; la générosité et la largeur d’esprit en sont la manifestation ; l’humilité et la courtoisie en sont le pouvoir ; les règles de cérémonie en sont la démonstration ; la parole en est l’ornement ; le chant et la musique en sont l’harmonie ; le partage et la distribution en sont le don. » Le savant possède toutes ces qualités réunies et les possède, et pourtant il n’osera pas prétendre à une humanité parfaite à cause d’elles : tel est l’honneur (qu’il éprouve pour son idéal) et l’humilité (avec laquelle) il le décline (pour lui-même).
19. « L’érudit n’est ni abattu ni déraciné par la pauvreté et la misère ; il n’est ni exalté ni épuisé par la richesse et la noblesse ; il ne ressent aucune honte que les dirigeants et les rois pourraient lui infliger ; il est au-dessus des liens que les anciens et les supérieurs pourraient lui imposer ; et les officiers supérieurs ne peuvent le déstabiliser. C’est pourquoi on le qualifie d’érudit. Ceux à qui la multitude donne aujourd’hui ce nom n’y ont aucun droit, et ils l’emploient constamment les uns envers les autres comme un terme de reproche. »
Lorsque Confucius revint (de ses pérégrinations à Lû) chez lui, le duc Âi lui offrit un logement (public). En entendant ces paroles, le duc devint plus sincère dans ses paroles et plus juste dans sa conduite. Il dit : « Jusqu’à la fin de mes jours, je n’oserai pas me moquer du nom d’érudit[1:4]. »
Je soupçonne qu’il y a ici une erreur dans le texte. ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
Callery traduit ici Zû par « le Philosophe ». Il existait manifestement à l’époque de Confucius une classe d’hommes, ainsi dénommée, qui se distinguait par son érudition et sa conduite. Ce nom apparaît pour la première fois dans le Kâu Lî. Il est aujourd’hui utilisé pour désigner les lettrés de Chine, les disciples de Confucius, par opposition aux taoïstes et aux bouddhistes. ↩︎
Voir vol. xxvii, page 438, paragraphe 3. Les ancêtres de Confucius appartenaient à l’état de Sung, le représentant de l’ancien Yin. ↩︎
Il était de coutume pour un souverain de changer ses serviteurs afin de ne fatiguer personne. ↩︎