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ORDINATION DES DOUZE
Mc iii. 7-12 (cf. Lc vi. 17-19). Mc iii. I3-I9« 5 Lc vi. 12-16 ; Mt. x. 2-4 (cf. Ac. i. 13). Mt. v. 1-16, 39-42, 44-48, vii. 1-6, 12, 15-27 ; Lc. vi. 20-38, 41-49.
C’est saint Jean qui rapporte la visite de notre Seigneur à Jérusalem et sa rencontre avec les pharisiens dans la cour du Temple. Il ne raconte pas la suite, mais saint Marc reprend le récit et, dans une brève phrase, indique ce qui s’est passé. « Jésus », dit-il, « avec ses disciples se retira vers la mer » – le lac de Galilée. (Cf. Mt. ii. 12,14,22) si. Son « retrait » était, selon l’usage du mot grec, une retraite, une fuite devant un danger imminent. Ses ennemis étaient déterminés à le détruire ; ils guettaient une occasion de l’arrêter et de le traduire en justice pour les accusations capitales de violation du sabbat et de blasphème ; et il quitta précipitamment la ville et se rendit chez lui à Capernaüm.
En reprenant son ministère, il trouva ses embarras considérablement accrus. Son apparition dans la Sainte Capitale, alors qu’elle était bondée de fidèles venus de près et de loin, avait répandu sa renommée au-delà de la Galilée et attiré des troupes d’étrangers à Capharnaüm, non seulement de Judée, mais aussi de l’extrême sud de l’Idumée, de la Persée à l’est du Jourdain et de la Phénicie au nord. Les foules qui se rassemblaient autour de lui chaque fois qu’il apparaissait au [ p. 113 ] bord du lac étaient si nombreuses et si impatientes qu’il dut recourir à un expédient qu’il avait déjà employé. Il ordonna à ses disciples pêcheurs de tenir toujours prête une petite barque (cf. Lc. v. 1-3) ; il y monterait et, s’éloignant un peu, s’adresserait à la multitude sur la plage. Il poursuivit son ministère de guérison et fut assailli par des malades qui, dans leur empressement, dit l’évangéliste, « se précipitaient sur lui pour le toucher ». Ses miracles furent salués comme des preuves de sa messianité, et malgré ses efforts pour la contenir, l’excitation populaire fut plus vive que jamais.
Ainsi commença, de manière embarrassante, la deuxième année de son ministère en Galilée, et dès lors, il adopta une nouvelle méthode. Durant la première année, sa principale occupation avait été de prêcher à la multitude. Cependant, pendant tout ce temps, il avait formé son groupe de compagnons qui l’assisteraient dans son ministère pendant son séjour parmi eux et le poursuivraient après son départ. Leur nombre était désormais complet, et leur instruction devint désormais sa principale préoccupation. De plus en plus, il se retirait de la foule bruyante et se consacrait à ses compagnons. De temps à autre, il quittait Capharnaüm et se retirait avec eux dans un lieu paisible où il pourrait communier avec eux, sans être dérangé par les affaires de son Royaume.
Et maintenant, il les ordonne à leur haute vocation. C’était une étape capitale, et selon son habitude, il ne la franchirait pas sans d’abord remettre son chemin à Dieu. Le soir, au lieu de se retirer pour se reposer, il quitta Capharnaüm et « monta sur la montagne », le plateau derrière la ville ; et là, « il passa la nuit en prière à Dieu » ou, selon une ancienne [ p. 114 ] lecture et interprétation, « dans son lieu de prière », « son oratoire ». Il avait l’habitude, lorsqu’il prenait la communion céleste (cf. Mc. i. 35 ; Lc. iv. 42), de se faufiler ainsi le soir ; et sur le flanc solitaire de la colline, il avait sa retraite habituelle. C’était son oratoire, et c’est là qu’il se rendait maintenant. De toute évidence, il n’y allait pas seul. Tout au long de son ministère, il recherchait non seulement (cf. Mc 9.2, XIV.33) la communion avec Dieu, mais aussi la sympathie humaine. Lorsqu’il se retirait, il prenait avec lui les trois disciples qui le comprenaient le mieux : Pierre, Jacques et Jean. C’étaient probablement eux qui l’accompagnaient maintenant, et au matin, il les envoya chercher les autres.
Ils étaient au nombre de douze, et il les désigna comme ses « apôtres » ou « missionnaires » et les plaça par paires (cf. Mc. 6, 7) afin qu’ils puissent s’encourager et se soutenir mutuellement lors de leurs difficiles missions. Qui étaient ces hommes si honorés ?
Six d’entre eux sont déjà bien connus : les frères Simon Pierre et André, Jacques et Jean, Philippe et Matthieu. On ne connaît rien des antécédents de Simon et d’André, si ce n’est que leur père s’appelait Jean et qu’ils étaient pêcheurs à Bethsaïde, le quartier des pêcheurs de Capharnaüm. On en sait davantage sur les frères Jacques et Jean. Leur père était Zébédée, un pêcheur prospère, et leur mère était Salomé. C’était un personnage vraiment remarquable (cf. Mt. 16. 17 ; Jn 21. 15-17 RV ; cf. Jn 1. 44 ; cf. Mt. 27. 55 ; Mc 15. 40 ; cf. Mt. 27. 55 avec Jn 19. 25). Il semble qu’elle était une sœur de la Sainte Vierge, ses fils étant ainsi, en commun, considérés comme des cousins de Notre Seigneur ; et elle était l’une des trois femmes dévouées [ p. 115 ] qui se tenaient à ses côtés à la fin, près de sa croix. C’était une femme intelligente et courageuse, avec de grandes ambitions, bien que parfois malavisées (cf. Mt. xx. 20-28), pour ses fils ; et ils ont hérité de son esprit. Ils étaient dévoués au Maître ; et aussi patients qu’ils aient pu être face aux torts personnels, un affront envers Lui a allumé dans leur cœur un ressentiment vif (cf. Mc. ix. 38,39 ; Lc. ix. 49-56) et passionné qui leur a valu à plusieurs reprises ses réprimandes. Voici peut-être la raison du sobriquet qu’il leur a donné. Tout comme lors de sa première rencontre avec Simon, il remarqua son caractère impulsif et lui donna le titre de Pierre, « le Rocher », exprimant le caractère qu’il devait s’efforcer d’acquérir, de même, en guise d’avertissement, il appela Jacques et Jean Boanergès, « les Fils du Tonnerre ». Ces badinages enjoués témoignent de la familiarité bienveillante de ses relations avec les trois hommes, et ils furent en effet, tout au long de son ministère, ses compagnons les plus proches et les plus fidèles. Et ils en étaient vraiment dignes. Qui peut dire lequel était le plus digne ? Jean était reconnu comme « le disciple que Jésus aimait » ; mais Pierre, si ardent, si impétueux, si enclin à l’erreur, si prompt à la repentance, mérite assurément les éloges d’être le disciple qui aimait Jésus. « Si, dit saint Augustin, nous posons la question : « Lequel des deux est le meilleur, celui qui aime le Christ plus ou celui qui l’aime moins ? » 9, qui doutera de répondre que celui qui l’aime plus est le meilleur ? Si nous demandons : « Lequel des deux est le meilleur, celui que le Christ aime moins ou celui qu’il aime plus ? » nous répondrons que celui qui est le plus aimé du Christ est sans aucun doute le meilleur. Dans la première comparaison, Pierre est préféré à Jean ; dans la seconde, Jean à Pierre. » Quant à Jacques, il méritait [ p. 116 ] certainement sa place dans ce cercle le plus intime (Ac. xii. 2.) ; et si l’on parle peu de lui, c’est parce que sa carrière fut brève. Il mourut martyr sous Hérode Agrippa Ier en l’an 44.
André aussi, selon la tradition, obtint la couronne du martyr. Il fut crucifié, dit-on, à Patras en Achaïe sur une croix decussata (X), d’où son nom de « Croix de saint André » (cf. Jo. i. 40-42). Le récit sacré révèle qu’il était profondément attaché à son frère Simon ; et c’est peut-être pour cette raison qu’il était (cf. Mc. xiii. 3 ; cf. Jo. vi. 7, 8, xii. 21, 22) intimement associé aux trois favoris. Il semble également qu’il existait une étroite amitié entre lui et Philippe. Quant à ce dernier, bien que timide et quelque peu terne, il possédait un don particulier que le Maître utilisait. Il avait manifestement une aptitude pour les affaires pratiques et semblait servir de pourvoyeur à la compagnie (cf. Jo. vi. 5-7). Matthieu avait également un don particulier. Son travail à la douane avait fait de lui un scribe habile, et il employa ensuite sa plume à la rédaction du premier Évangile. Ce n’était pas notre « Évangile selon saint Matthieu » canonique, mais un recueil araméen des Paroles de Notre Seigneur. Il parut probablement en l’an 41 et constitua la base du précieux Évangile grec qui porte son nom et qui fut écrit comme un dernier appel aux Juifs incrédules juste après la chute tragique de Jérusalem en l’an 70. Il est très significatif que dans le récit de l’appel de l’Apôtre (Mt. 9, 9), alors que saint Marc et saint Luc l’appellent par son ancien nom de Lévi, notre premier Évangile, suivant son Livre des Paroles, l’appelle par son nouveau nom de Matthieu (Mt. 9, 9-13 ; Mc 2, 13-17 ; Lc 5, 27-32) ; et ainsi dans leurs catalogues des Apôtres, tandis que les autres l’appellent simplement Matthieu, il ajoute la [ p. 117 ] odieuse désignation de « le publicain ». De toute évidence, saint Marc et saint Luc, avec une charité bienveillante, auraient caché son passé honteux, mais il l’a publié pour la gloire de la grâce de son Sauveur.
Qu’en est-il des six autres qui font maintenant leur première apparition dans le récit ? Barthélemy est nommé dans tous les catalogues, et de nouveau dans le livre des Actes parmi la compagnie assemblée dans la chambre haute à Jérusalem après la Résurrection (Ac. i. 53) ; c’est là et nulle part ailleurs dans les pages du Nouveau Testament. Il est cependant significatif que Barthélemy ne soit pas un nom propre mais simplement un patronyme, représentant l’araméen Bar Talmai, « le fils de Talmai » ; et il a été suggéré qu’il ne s’agissait de nul autre que Nathanaël de Cana (cf. 2 Sam. xiii. 37). Il y a en effet de nombreuses raisons à cette identification. Ne serait-il pas étrange que Nathanaël, seul des cinq disciples que Jésus a conquis à Béthanie au matin de son ministère, ne trouve aucune place parmi ses apôtres ? C’est saint Jean qui raconte l’histoire, et il présente à nouveau Nathanaël, à la fin de son Évangile, parmi les apôtres qui attendaient la manifestation du Seigneur ressuscité au bord de la mer de Galilée. (Cf. Jn. xxi. 2)
Nathanaël était assurément un apôtre. Et il n’était certainement autre que Bar Talmaï ; car il était, selon saint Jean, un ami de Philippe, et saint Matthieu, qui catalogue les Douze par paires, associe Bar Talmaï à Philippe comme son camarade missionnaire.
De même, les autres évangélistes ne mentionnent que Thomas, et c’est à saint Jean que nous devons (cf. Jn 11. 16 ; xiv. 5 ; xx. 24-29) notre connaissance de l’homme : son découragement, sa propension à toujours voir le côté obscur, et en même temps son dévouement héroïque au Maître. Et Thomas [ p. 118 ] n’est pas non plus un nom propre. C’est une épithète signifiant, comme l’observe saint Jean, « le Jumeau », en grec Didyme. Son nom, d’après le témoignage de l’historien Eusèbe et d’autres, était Judas ; il était naturel qu’il soit remplacé, puisque deux autres personnes dans le groupe portaient ce nom malheureux. Son compagnon missionnaire était Matthieu, et peut-être la raison de leur association était-elle que le souvenir de son passé honteux avait inculqué à ce dernier un esprit d’humilité qui lui permit de supporter un compagnon aussi querelleur.
Vient ensuite un second Jacques, distingué du premier par le fait qu’il était le fils d’Alphée, forme grecque de Clopas (cf. Jo. XIX. 25 RV ; cf. Mc. XV. 40 RV marg.). Il était également connu en raison de sa stature comme « le Petit ». Sa mère s’appelait Marie, et il avait un frère nommé José. La tradition veut qu’il ait été collecteur d’impôts ; et comme Alphée – vraisemblablement, en l’absence de distinction expresse, le même dans les deux cas – était également le père de Lévi le collecteur d’impôts, Jacques était le frère de Matthieu.
Son camarade est désigné de diverses manières. Saint Luc l’appelle Judas, et pour le distinguer des autres Judas de mauvaise mémoire, il le qualifie de « fils de Jacques » – et non de « frère de Jacques » comme le dit notre version autorisée, suivant une vieille idée qui l’identifiait à l’auteur de « l’Épître de Jude », un frère de « Jacques, le frère du Seigneur », oubliant qu’aucun de « ses frères » ne croyait en lui (cf. Gal. i. 19 ; cf. Jo. vii. 3-5). Saint Matthieu, de son côté, le qualifie de Lebbée (Libbaï) et de saint Marc Thaddée (Taddaï). Ce sont des épithètes, Libbai signifiant « chaleureux » et Taddaï probablement « affectueux » ; et elles étaient destinées, [ p. 119 ] comme la mention par saint Luc de son père inconnu, pour le distinguer du traître. Il n’apparaît qu’une seule fois dans le récit évangélique : dans la Chambre haute (cf. Jn 14, 22), où il adresse une question perplexe au Maître. C’est saint Jean qui raconte l’histoire, et il manifeste une sollicitude similaire pour la réputation de son camarade : « Judas, et non l’Iscariote, lui dit. »
Vient ensuite un second Simon, distingué de Simon Pierre par le terme « Cananéen » ou, comme le dit saint Luc, traduisant le terme araméen, « le Zélote ». Et qui étaient les Zélotes ? C’était une fraternité de patriotes désespérés qui s’étaient engagés à renverser la domination romaine et ne perdaient aucune occasion d’allumer la flamme de l’insurrection. Ils contrastaient radicalement avec les collecteurs d’impôts qui s’étaient mis au service de l’oppresseur ; et n’est-il pas remarquable qu’un Zélote et deux collecteurs d’impôts se soient rencontrés dans la communion de Jésus ? Il était bel et bien le Réconciliateur.
Le camarade du Zélote était « Judas Iscariote, devenu traître ». Iscariote signifie « l’homme de Kerioth », un village du sud de la Judée. Son père s’appelait Simon ; et comme il portait aussi le nom local d’Iscariote, il semblerait qu’il fût propriétaire foncier, occupant un domaine héréditaire (Cf. Jo. vi. 71, xiii. 26 RV). Judas avait ainsi une double distinction. Les autres apôtres étaient des Galiléens méprisés, et il était le seul Judéen parmi eux ; et il était le seul à pouvoir prétendre à la considération en raison de sa naissance et de sa fortune. Et c’est précisément ce qui le perdit. L’ambition mondaine était son péché principal. Comme tous les autres, il entretenait l’idéal dominant du Messie comme roi de la lignée de David et, persuadé par ses miracles [ p. 120 ] qu’il était le Messie et qu’il manifesterait bientôt sa dignité royale et prendrait son trône, il épousa sa cause, s’attendant à partager le splendide triomphe. Le cours des événements brisa ce rêve séculier. Les autres restèrent fidèles au Maître, ayant découvert en Lui une gloire plus divine ; mais la déception de son espérance terrestre fut amère pour Judas, qui abandonna ce qu’il considérait comme une cause perdue. Il est insensé de se demander pourquoi Jésus l’appela à l’apostolat ou de se demander s’il avait été trompé. Judas avait d’excellentes qualités, et tout comme Philippe servait de pourvoyeur (cf. Jn 12, 6), de même, grâce à ses aptitudes particulières, il agissait comme trésorier de la compagnie. Il était naturellement doté de grandes possibilités, et dès le départ, il avait fait de belles promesses ; s’il avait résisté à ses penchants les plus bas, il aurait atteint un rang noble dans le Royaume des Cieux ; c’est pourquoi il fut appelé à l’apostolat. N’est-ce pas la manière de Dieu, dans ses relations providentielles avec les hommes, de les prendre tels qu’ils sont, en leur accordant les opportunités qui leur conviennent et en les laissant décider eux-mêmes de l’issue ? Il choisit Saül comme roi parce qu’il était le plus apte, mais Saül trahit sa confiance et se déshonora.
Ces douze, Jésus les « ordonna » ou les « nomma » solennellement — le terme employé dans la version des Septante (cf. 1 Sam. xii. 6) pour désigner Moïse et Aaron — à leur haut service. C’était, comme le définit saint Marc, un double service : lui tenir compagnie et partir, selon ses instructions, en mission de prédication, s’acquittant des tâches qui leur incomberaient après son départ. Ils furent [ p. 121 ] désormais ses collaborateurs dans l’établissement du Royaume des Cieux, et il leur conféra, comme il se doit, son pouvoir messianique de guérison.
Ensuite, il leur parla de l’œuvre qui les attendait. « Béni soyez-vous », commença-t-il ; et avec leur conception juive d’un royaume terrestre, ils s’attendaient à entendre parler d’une haute destinée de dignité terrestre. Mais la perspective qu’il entrevoyait était bien différente. Vue. Ce qui les attendait, eux comme Lui, était une expérience de pauvreté, de chagrin, de privation, de souffrance et de persécution ; et c’est là que résidait leur bonheur. Car tel était le chemin que les prophètes avaient parcouru avant eux ; et c’était le chemin qui, parcouru avec douceur, courage et foi, mènerait à l’honneur, au triomphe et à un héritage dans le véritable Royaume des Cieux. Ils n’étaient pas appelés à une aisance égoïste, mais à un ministère dévoué, servant dans un monde mauvais et sombre, comme le sel salutaire qui, comme le savaient bien les pêcheurs galiléens, sauvait la récolte du lac de la corruption, ou comme le phare qui les guidait vers le port.
Leur succès dépendrait de l’esprit qui les animerait. Et d’abord, Il inculque un esprit de douceur. Ils allaient entrer dans un monde rude où ils seraient fréquemment confrontés à des insultes, des torts et des oppressions ; et ils devraient les endurer patiemment et sans résistance. Ici, il faut le remarquer, Il parle avec un humour calme. Un soufflet au visage était autrefois considéré comme la pire indignité qui soit. pourrait infliger, exposant l’agresseur à une lourde amende. « As-tu été frappé sur la joue ? » (Cf. 1 Rois xxii. 24 ; Ac. xxiii. 2 ; 2 Cor. xi. 20) dit-il. « Alors ne riposte pas et ne cherche pas à obtenir réparation : tends l’autre joue. » C’est comme le conseil du moraliste rabbinique : « Si ton voisin [ p. 122 ] te traite d’âne, mets-toi une selle sur le dos. » La loi juive autorisait un créancier à saisir les vêtements de son débiteur en garantie. Il pouvait prendre sa tunique, mais il ne devait pas prendre son manteau qui servait de couverture au pauvre, ou s’il le prenait, il devait le restituer avant la tombée de la nuit (cf. Exode 22.26,27). « Renoncer à ce droit », dit Jésus. « S’il prend ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau. » De même, la loi romaine autorisait les officiers militaires à « réquisitionner » hommes et bêtes comme porteurs de bagages (cf. Mc 15.21), ce qui suscita l’indignation des Juifs patriotes. « Soumettez-vous joyeusement », dit Jésus.« Si on vous réquisitionne pour un mile, faites-en deux. »
Et leur douce soumission doit s’accompagner, dans des conditions plus heureuses, d’une grande générosité. « Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter. » Bien sûr, c’est une plaisanterie. La charité aveugle est un tort malfaisant, ruineux, comme l’a prouvé Timon d’Athènes, pour celui qui donne et démoralisant pour celui qui reçoit. Refuser une aumône ou un prêt est souvent à la fois un devoir et une bonté ; et notre Seigneur le reconnaît. Voyez ce qui suit. Après avoir inculqué ainsi une générosité sans bornes, il la recommande et la définit aussitôt en montrant l’exemple suprême. La source de la charité est l’amour ; et le véritable amour est universel, embrassant non seulement les amis, mais aussi les ennemis. C’est ainsi que le Père céleste aime, faisant lever son soleil avec une bénédiction impartiale sur les méchants comme sur les bons, et faisant pleuvoir sur les justes comme sur les injustes. Et si nous sommes ses fils, alors nous aimerons comme lui, bienveillants envers tous, nous amicaux envers tous, pardonnant à tous, mais refusant, comme lui, ce qu’ils demandent de mal, tout en nous souvenant de notre propre indignité. C’est là l’exigence de [ p. 123 ] notre Seigneur : que nous traitions les autres comme Dieu nous a traités, aussi indignes que nous soyons, et comme nous voudrions qu’ils nous traitent si nous étions à leur place et eux à la nôtre. « Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur toujours de même. »
En vérité, la principale raison de notre impatience envers les autres est l’oubli de nos propres défauts ; et leurs sévères critiques à notre égard sont en grande partie une riposte à nos critiques à leur égard. Pourquoi, dit notre Seigneur, citant un proverbe de charpentier, « vois-tu la paille dans l’œil de ton frère, sans jamais considérer la poutre dans le tien ? » Un jugement bienveillant révèle une nature bienveillante et suscite une bienveillance réciproque ; pourtant, c’est une charité fallacieuse qui ignore les distinctions morales, et il est des occasions où la sévérité est un devoir. Les Apôtres allaient rencontrer des hommes déraisonnables et méprisants qu’il était impossible de gagner ; et ils devaient les laisser tranquilles. La dispute ne ferait que provoquer la grivoiserie ; et pourquoi exposer le message de l’Évangile au blasphème ? Pourquoi, selon le proverbe, « donner ce qui est saint aux chiens ou jeter des perles aux pourceaux » ?
Les pires contrevenants seraient, comme cela apparut peu après son départ, non pas les adversaires déclarés de l’Évangile, mais « les faux prophètes », les enseignants hérétiques qui surgiraient au sein de l’Église ; et le Seigneur conclut son discours par une solennelle admonestation à ses Apôtres. S’ils manquaient de fidélité à leur mission, tous leurs dons ne leur serviraient à rien, mais leur vaudraient plutôt une condamnation plus sévère au jour du jugement. Son enseignement était le fondement sur lequel ils devaient bâtir, et tout autre fondement n’était que du sable mouvant.