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UNE AUTRE RETRAITE DE L’AUTRE CÔTÉ DU LAC
Marc. vi. 14-16, 30-52 ; Mt. XIV. 1, 2, 13-33 ; Luc ix. 7-17 ; Joh. vi. 1-21.
Il était de retour à Capharnaüm, mais pas pour y rester. La mort tragique du Baptiste n’était pas seulement pour lui une grande tristesse ; c’était un présage du sort qui l’attendait et qui, compte tenu de l’inimitié croissante des puissants dirigeants, ne pouvait tarder. Jean avait été victime, et « de même », reconnaissait-il, « le Fils de l’homme souffrirait bientôt de leurs mains » (cf. Mt. 17, 12). Cette perspective redoutable ne l’alarmait pas ; car n’était-il pas prévu qu’il meure, en sacrifice pour le péché du monde ? Mais en attendant, il avait du travail à accomplir. Les Douze avaient encore besoin d’être instruits, notamment sur la signification de sa Passion ; il était donc impératif que, dès qu’ils le rejoindraient, il les emmène dans une retraite tranquille, d’autant plus qu’il se trouvait à ce moment-là menacé par un double embarras.
D’un côté, la renommée de ses miracles en Galilée méridionale était parvenue aux oreilles d’Hérode Antipas, et avait secoué son âme coupable d’une terreur superstitieuse. Son crime pesait lourdement sur sa conscience, et lorsqu’il entendit parler des agissements du Seigneur, il pensa qu’il ne pouvait s’agir que de cet « homme juste et saint » (cf. Mc. VI, 20) ressuscité des morts et armé, comme il sied à un [ p. 172 ] visiteur venu de l’invisible, de pouvoirs surnaturels. Il désirait un entretien personnel ; et notre Seigneur était conscient du risque qu’il courait, s’il restait à Capharnaüm, d’être conduit devant le Tétrarque, et de l’opprobre qui lui serait infligé lorsque le tyran découvrirait son erreur et l’inanité de ses craintes.
Ce n’était pas le seul embarras qui le menaçait. L’enthousiasme populaire, accru par ces deux miracles transcendants – la résurrection de l’enfant de Jaïr juste avant son départ de Capharnaüm et la récente résurrection du fils de la veuve à Naïn – était de grand augure ; et il remarqua une activité singulière parmi ses disciples : des allées et venues incessantes, des conversations secrètes et des murmures mystérieux. De toute évidence, un dessein secret se tramait, et il le découvrit bientôt. Persuadés de sa messianité et impatientés de sa lenteur à abandonner son humble déguisement et à prendre son trône, ils étaient déterminés [ p. 173 ] à précipiter le grand dénouement (cf. Jn 6, 15). La Pâque approchait, et ils le conduiraient alors à la Sainte Capitale et, en présence de l’assemblée des fidèles, l’acclameraient roi d’Israël et l’installeraient sur le trône de son père David.
Il aurait été bien pour lui de quitter Capharnaüm et de chercher une retraite ; et ce serait un soulagement pour lui lorsque ses apôtres apparaîtraient. Ils étaient remplis de leur expérience, mais il coupa court à leurs récits. « Venez à l’écart, dit-il, dans un endroit isolé et reposez-vous un peu. » Il avait fixé sa destination : cette vaste campagne bordant le lac au nord-est. C’était un endroit agréable, arrosé de nombreux ruisseaux et, au printemps, couvert d’une épaisse herbe verte et douce. Et c’était un refuge paisible, car il était peu peuplé, à l’exception de la ville de Bethsaïde Julias, à l’extrémité nord, à plus d’un mille à l’intérieur des terres, près du haut Jourdain ; et, appartenant à la tétrarchie de Philippe, il se trouvait hors de la juridiction d’Antipas.
Ils traversèrent la mer sur une distance d’environ huit kilomètres et, une fois débarqués, se rendirent sur les hauteurs dominant la plaine. Le Seigneur aimait les montagnes, et là, il trouva un refuge commode, où il s’assit et s’entretint avec les Douze. Peu après, ils furent surpris par la vue d’une foule immense déferlant sur la plaine. Le peuple l’avait vu partir de Capharnaüm et s’était précipité à sa poursuite à pied, contournant ainsi la source du lac. C’était une interruption malvenue, et il aurait pu s’enfoncer plus profondément dans les hauteurs et échapper à leur quête ; mais il n’eut pas le cœur de les traiter ainsi. Car ils formaient un spectacle vraiment pathétique : une multitude d’environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants. Ils étaient épuisés par leur long voyage, et certains d’entre eux étaient malades et étaient venus pour être guéris. Il quitta sa retraite, descendit dans la plaine et les salua avec bienveillance, leur parlant du Royaume de Dieu et guérissant les malades.
Il était déjà tard, et ils avaient faim. Un Juif emportait toujours des provisions lorsqu’il partait en voyage, de peur de manger des aliments impurs. Son panier à pain (kophinos) était l’emblème du voyageur juif et la cible des moqueries des Gentils. Les Douze avaient leurs paniers, mais ces pauvres gens, dans leur hâte, étaient venus sans [ p. 174 ] provisions. Et maintenant, ils étaient affamés. Il leur fallait de la nourriture, et les disciples suggérèrent de les renvoyer, espérant qu’ils pourraient s’en procurer dans les villages et les fermes voisins. Mais cela aurait été une triste occasion ; et non seulement le Seigneur allait secourir la multitude, mais il y vit une occasion d’initier les Douze à un mystère sacré. Il se tourna vers Philippe, le fournisseur de la troupe des Apôtres, et lui demanda : « Où pouvons-nous leur acheter des pains à manger ? » C’était impossible, et Philippe le démontra par une estimation approximative. La foule, selon ses calculs, comptait plus de six mille personnes, et le salaire journalier à cette époque était d’un denier. Une maisonnée moyenne comptait cinq personnes, et la moitié du salaire journalier était consacrée à la nourriture – trois repas (cf. Mt. 20, 2). Si la nourriture quotidienne pour cinq personnes coûtait un demi denier, deux cents deniers suffiraient à peine à fournir un seul repas à plus de six mille personnes. André intervint alors, corroborant les propos de son ami Philippe. Bien qu’ils aient eu l’argent, il n’y avait pas de marché. Un marchand était effectivement apparu – un jeune paysan venu dans l’espoir de commercer avec la foule ; mais il n’avait que cinq pains d’orge grossiers et deux petits poissons séchés.
« Apportez-les-moi », dit le Seigneur. Il ordonna que le peuple s’étendît sur l’herbe, et les Douze, pour faciliter le service, les disposèrent par dizaines, en groupes de cinquante à cent. C’était une disposition ordonnée ; et, comme le dit saint Marc, les groupes, avec leurs vêtements bigarrés sur l’herbe verte et douce, ressemblaient aux « rangs » ou parterres d’un jardin. Lorsqu’ils furent tous en place, le Seigneur leva d’abord les yeux au ciel et bénit la provision, puis la rompit et en donna les portions aux Douze pour qu’ils la distribuent. À mesure qu’il la distribuait, la [ p. 175 ] provision grandissait entre ses mains ; elle ne fut pas épuisée lorsque toute la multitude eut mangé et fut rassasiée. Sur son ordre, les Douze déposèrent les morceaux restants dans leur panier*, et chaque panier fut rempli.
Le miracle eut des conséquences fâcheuses. C’était une nouvelle preuve de sa messianité, et les enthousiastes qui complotaient un coup d’État à l’approche de la Pâque, s’enhardirent dans leur projet insensé et méditèrent son exécution immédiate en l’acclamant Roi sur-le-champ. Devinant leur intention, il insista pour que les Douze rembarquent et fassent voile vers Capharnaüm sans lui ; puis, s’extrayant de la foule, il s’enfuit dans les hauteurs. Là, il se cacha et libéra son cœur troublé dans la prière.
La nuit s’acheva bruyamment sous un fort vent d’ouest ; mais, absorbé par sa communion céleste, il resta inconscient de la lutte des éléments jusqu’au moment où, au début de la quatrième veille (3h-6h), il aperçut la barque, lourdement chargée, les Douze ayant emmené d’autres hommes avec eux pour le retour (cf. Mt. 14, 33), à mi-chemin seulement, luttant contre la tempête. Il alla à leur secours. À leur stupéfaction, ils le virent approcher sur le lac, marchant sur les eaux agitées comme sur la terre ferme. Ils crurent qu’il s’agissait d’un fantôme, jusqu’à ce qu’il s’approche et les aborde : « Courage ! C’est moi ; n’ayez pas peur. » « Seigneur », s’écria Pierre avec son impulsive habitude, « si c’est toi, ordonne-moi de venir à toi sur les eaux. » « Viens », dit le Seigneur, et Pierre sauta par-dessus bord. Son courage lui manqua et, en coulant, il s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! » Jésus étendit la main et le saisit. « Que ta foi est petite ! » dit-il. « Pourquoi as-tu douté ? » À peine furent-ils montés [ p. 176 ] à bord que le vent tomba et la barque fila rapidement vers le port.
Ce fut une expérience extraordinaire, et les passagers de la barque y virent une preuve supplémentaire de sa messianité. « Vraiment », confessèrent-ils en s’inclinant devant lui, « tu es le Fils de Dieu. » Mais ni eux ni les Douze ne comprenaient encore la signification des deux miracles dont ils avaient été témoins. Il leur restait encore à en apprendre l’interprétation.