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SON ENFANCE
Mt. ii. 19-23 ; Luc ii. 39-52.
Ce fut début octobre que la Sainte Famille émigra en Égypte. Le 1er avril de l’an 4 av. J.-C., Hérode mourut, et ils furent alors libres de rentrer ; mais un certain temps s’écoula avant que la nouvelle parvienne en Égypte et que Joseph ait réglé ses affaires. C’est donc au mois d’octobre, selon la tradition, après un an d’exil, qu’ils repartirent pour leur pays. Arrivés aux frontières sud de la Judée, Joseph reçut des nouvelles inquiétantes. Dès son accession au trône, Archélaüs avait manifesté son enthousiasme par le massacre de trois mille fidèles rassemblés à Jérusalem pour la célébration de la Pâque. Il suivait les traces de son père, et Bethléem n’aurait pas été un lieu sûr pour les exilés. Joseph évita donc la Judée et, se dirigeant vers le nord, en Galilée, réoccupa son ancienne demeure de Nazareth.
Ici, le rideau tombe, et pendant les dix années qui suivent, la Sainte Famille est cachée à notre vue. Le seul témoignage est une phrase brève mais révélatrice : « L’enfant grandissait, prenait des forces et une sagesse toujours plus grande, et la grâce de Dieu reposait sur lui. » (Lc ii, 40). Il ressort également du récit ultérieur qu’il y eut bientôt d’autres enfants à la maison : quatre frères, Jacques, Joseph ou, comme le nom était en grec, José, Simon et Judas, ainsi que plusieurs sœurs (Mt. 13, 55, 56 ; Mc 6, 3). Par déférence pour le rite ecclésiastique [ p. 24 ] fiction de la virginité perpétuelle de Marie, on a imaginé qu’ils étaient soit des enfants de Joseph d’un précédent mariage, soit des neveux et nièces de Marie, enfants de sa sœur (Lc. ii. 7 ; cf. Mt. i. 25) ; mais il est écrit que Jésus était « son fils premier-né », et ce sont les enfants qu’elle donna plus tard à Joseph dans leur maison de Nazareth.
À l’âge de six ou sept ans, selon la loi juive, il entrait à l’école primaire rattachée à la synagogue locale. Le manuel étant le Livre de la Loi, on l’appelait beth ha-sepher, « la Maison du Livre ». C’est là qu’il en apprit les rudiments jusqu’à sa dixième année, puis, pendant les deux années suivantes, il fut instruit dans la Loi sacrée, apprenant ses préceptes par cœur selon la méthode juive de la mishnah, ou « répétition ».
Pendant tout ce temps, il respirait l’atmosphère d’un foyer pieux et aimant ; et, bien qu’ignorant le secret que Joseph et Marie avaient caché dans leur cœur, il prenait peu à peu conscience de son origine céleste. Nous sommes ici confrontés à un mystère ineffable ; pourtant, il peut nous aider, dans une certaine mesure, à le pénétrer et à mieux apprécier le témoignage des évangélistes si nous examinons les pensées des philosophes et des poètes sur le mystère apparenté de l’origine de l’âme humaine. La théorie la plus ancienne et la plus persistante est celle de la préexistence ; et nulle part elle n’est présentée de manière aussi émouvante que dans ce poème sublime, Intimations of Immortality from Recollections of Childhood de Wordsworth :
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« Notre naissance n’est qu’un sommeil et un oubli :
L’âme qui s’élève avec nous, l’étoile de notre vie,
A eu ailleurs son cadre,
Et vient de loin :
Pas dans un oubli complet,
Et non pas dans une nudité totale,
Mais traînant des nuages de gloire, nous arrivons
De Dieu, qui est notre demeure :
Le ciel nous entoure dès notre enfance !
Les ombres de la prison commencent à se fermer
Sur le garçon qui grandit,
Mais il voit la lumière, et d’où elle jaillit,
Il le voit dans sa joie ;
La jeunesse, qui chaque jour s’éloigne de l’est
Il faut voyager, il est toujours prêtre de la nature,
Et par la vision splendide Est accompagné sur son chemin ;
Finalement l’Homme s’aperçoit qu’il s’éteint,
Et disparaissent dans la lumière du jour ordinaire.
L’idée ici est que, dans l’enfance, nos âmes immortelles sont hantées par de « vagues souvenirs » d’un état antérieur, mais ceux-ci sont peu à peu submergés par le bruit grossier du monde et effacés par son contact souillant. C’est un souvenir qui s’estompe ; mais si nous pouvions seulement maintenir le dialogue avec le Ciel, alors « la gloire et la fraîcheur du rêve » survivraient et le souvenir s’illuminerait. Et il en fut de même pour le Rédempteur incarné. La pureté de son âme ne fut jamais souillée, sa sérénité jamais obscurcie ; et ainsi, son souvenir de « ce palais impérial d’où il venait », au lieu de s’estomper, s’est accru et s’est précisé jusqu’à se cristalliser en une conscience et une vision de Dieu.
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Cette crise capitale est le seul incident relaté de son enfance. En août 7 apr. J.-C., il atteignit sa treizième année, l’âge où un jeune garçon juif devenait bar mitzvah, « fils du commandement », citoyen responsable de la République d’Israël ; et lors de la Pâque qui suivit, qui tomba cette année-là le 9 avril, il accompagna Joseph et Marie lors du pèlerinage annuel à la Ville sainte. Cette célébration sacrée, à la fois commémorative de la délivrance historique de l’Exode et prophétique de la rédemption messianique, fut pour lui une expérience éclairante. Elle interpréta les pensées qui l’animaient et lui révéla qui il était et pourquoi il était venu. À la fin de la semaine de fête, les fidèles rentrèrent chez eux, hommes et femmes voyageant, selon la coutume, en groupes séparés ; et lorsque la caravane atteignit la première station, Joseph et Marie découvrirent qu’il avait disparu. Durant la journée de marche, chacun avait cru qu’il était en compagnie de l’autre, mais il semblait maintenant qu’il avait été laissé derrière. Ils rebroussèrent chemin, le cherchant tout le long du chemin, et ce ne fut que tard le surlendemain de leur départ qu’ils revinrent à Jérusalem. Le lendemain, ils reprirent leur quête et le trouvèrent enfin là où ils s’y attendaient le moins : au Collège rabbinique, dans l’enceinte du Temple, où, huit ans plus tard, Saül de Tarse fut éduqué aux pieds de Rabbi Gamaliel. Il était entré dans la salle de classe et s’était assis parmi les étudiants. Ils avaient l’habitude non seulement d’écouter le discours du rabbin, mais aussi de poser des questions chaque fois que des difficultés leur venaient à l’esprit ; et il se joignait à [ p. 27 ] la discussion. Il était le plus jeune de tous, car ce n’est qu’à l’âge de quinze ans qu’un étudiant juif commençait son cursus théologique. Il a pourtant fait preuve d’une intelligence si rare que les enseignants et les érudits en ont été étonnés.
Joseph et Marie l’emmenèrent, et elle le réprimanda doucement pour l’inquiétude qu’il leur avait causée. « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je suis dans la maison de mon Père ? » Ce sont ses premières paroles dont on nous ait parlé, et elles sont très significatives. Il avait découvert sa relation céleste et sa mission divine, et désormais il n’avait plus de parenté humaine ni de demeure terrestre. Dieu était son Père, et le Temple, où depuis des générations il avait habité parmi son peuple et manifesté sa grâce et sa gloire, était son lieu de résidence privilégié.
Français À partir de ce jour, il reconnut qu’il était le Messie promis et que l’œuvre de sa vie était l’accomplissement de la rédemption préfigurée dans les pages prophétiques de la Sainte Écriture ; mais « son heure n’était pas encore venue ». Il retourna à Nazareth avec Joseph et Marie et reprit sa place dans cette humble maison. À l’âge de douze ans, un jeune Juif fut mis à l’apprentissage d’un métier, et Jésus suivit naturellement l’activité de charpentier de Joseph et travailla à ses côtés, fabriquant, dit saint Justin Martyr (Mc VI, 3), des charrues et des jougs pour les vignerons qui labouraient les champs autour du village. Il semble, puisqu’il n’apparaît plus dans le récit sacré après cette mémorable visite à la Pâque, que Joseph mourut bientôt ; et il incomba à Jésus de gagner sa vie non seulement pour lui-même, mais aussi pour Marie et ses [ p. 28 ] autres enfants. C’était un lourd fardeau pour quelqu’un de si jeune, mais il le porta courageusement, fidèle au dur devoir que chaque jour lui apportait et se préparant ainsi au haut ministère qui l’attendait lorsque l’heure fixée arriverait.