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MINISTÈRE À JÉRUSALEM
Luc X. 38-42. Jo. vii. 11-52 (Mt. xi. 28-30), viii. 12-x. 4a Mt. xxiii. 37-39 ; Luc XIII. 34, 35 ; Mt. xi. 25-27 ; Luc X. 21, 22.
Partis de Jéricho, ils gravirent la montée du Sang et, vers le soir, atteignirent le village de Béthanie, situé à moins de trois kilomètres de Jérusalem, à l’est de la crête du mont des Oliviers. C’est là que demeurait Marie de Magdala, que le Seigneur avait sauvée de la honte en Galilée, un an auparavant, avec son frère Lazare et sa sœur Marthe. C’était la première fois depuis qu’il passait par là, qu’il ne passerait pas par la maison que sa grâce avait tant bénie. Il aurait reçu un accueil chaleureux, mais c’était la fête des Tabernacles, et cette fête n’était pas seulement, comme nous l’avons vu, une commémoration des Pérégrinations dans le désert : c’était la fête de la Moisson, et toute la semaine, le peuple célébrait la fête et exprimait sa gratitude pour l’abondance de son blé et de son vin par sa bonté envers les pauvres, « mangeant les graisses et buvant les douceurs, envoyant des portions à celui pour qui rien n’était préparé, et se livrant à de grandes réjouissances ». (Ex. xxiii. 16 ; Dt. xvi. 13-15 ; Néh. vii. 9-18)
À son arrivée, les sœurs étaient occupées à leurs tâches ménagères. Toutes deux étaient ravies de le voir, mais elles le manifestaient de différentes manières. Marthe, l’aînée et ménagère distinguée, voulait le recevoir royalement et se mit à préparer un somptueux souper ; mais Marie, [ p. 264 ] oubliant tout sauf la présence de son cher Sauveur, s’assit à ses pieds, ces pieds sacrés qu’elle avait oints de son précieux nard et arrosés de ses chaudes larmes dans la salle du banquet de Simon le Pharisien. Elle resta assise là, écoutant ses paroles gracieuses et ne prenant aucune part à la préparation du repas ni au dressage de la table. Marthe en fut d’autant plus irritée que, selon son habitude féminine, elle était disposée à se montrer quelque peu dure envers sa sœur égarée ; et elle finit par perdre patience. Énervée et troublée, elle interrompit la conversation. « Seigneur », s’écria-t-elle, « cela ne vous dérange-t-il pas que ma sœur me laisse seule pour servir ? Dites-lui de m’aider. » Il la regarda avec un amusement bienveillant. « Marthe, Marthe », dit-il en jetant un coup d’œil à l’assortiment de mets savoureux dont elle garnissait la table, « vous êtes agitée et vous vous agitez pour bien des choses ; mais quelques-unes suffisent – ou plutôt une seule ; car », ajouta-t-il, faisant allusion aux bienfaits de cette saison hospitalière, « Marie a choisi la bonne “portion”, qui ne lui sera pas enlevée. » (Pr. xv. 17 RV marg.) C’était une douce interprétation du vieux proverbe : « Mieux vaut une portion d’herbes où règne l’amour qu’un bœuf à l’écurie et la haine qui l’accompagne. »
Le lendemain, le Seigneur quitta Béthanie pour Jérusalem. Il était à la fois embarrassant et dangereux pour lui de se présenter alors dans la Ville sainte. Car il avait laissé entendre à ses « frères » de Nazareth qu’il n’assisterait pas à la fête des Tabernacles ; et il n’avait pas l’intention d’y assister. Son projet était de voyager lentement, tout en prêchant ; mais l’hostilité des Samaritains l’avait empêché de le faire, et il arriva donc à Jérusalem plus [ p. 265 ] tôt que prévu – « au milieu de la fête », c’est-à-dire, puisque la célébration durait une semaine, le quatrième jour étant le 26 septembre, la fête ayant commencé cette année-là le 23. Ses frères auraient l’impression qu’il avait manqué à sa parole, et ils seraient prompts à le blâmer. Mais ce n’était pas tout. Les dirigeants méditaient sa destruction. Dix-huit mois s’étaient écoulés depuis sa dernière visite dans la Ville sainte. Lors de son passage, ils le considéraient, d’après le rapport de leurs émissaires en Galilée, comme passible de deux chefs d’accusation : violation du sabbat et blasphème. Il les avait tous deux établis, selon eux, par sa guérison du paralytique à Béthesda le jour du sabbat et sa défense ultérieure. Ils avaient alors tenté de le traduire en justice pour ces chefs d’accusation capitaux, et il n’avait échappé qu’en quittant la ville et en retournant en Galilée. Leur hostilité s’était accrue au cours des dix-huit mois écoulés depuis. Elle l’avait dissuadé d’assister à la Pâque ce printemps-là, et elle le confrontait maintenant lorsqu’il apparaissait parmi eux. (Cf. Jn 5. 18 ; Cf. Jn 7. 1)
Ils auraient promptement voulu l’arrêter et le condamner à mort, mais une considération prudente les en empêchait. Sa popularité n’avait cessé de croître. Il était le héros de la multitude, et ils comprenaient que s’ils se mêlaient de lui, ils provoqueraient un tumulte. Certes, l’opinion à son sujet était divisée à Jérusalem, où il était moins connu qu’en Galilée ; mais même là, sa renommée avait suscité la sympathie générale, et le fait même de cette divergence d’opinions aggraverait les troubles en créant un antagonisme mutuel entre les citoyens.
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Telle était la situation à laquelle il se trouvait confronté à son arrivée. Conscient de la difficulté, il évitait toute provocation, sans pour autant se dérober à sa mission (cf. Jn 7, 10). Il se rendit dans la cour du Temple et s’adressa à la foule assemblée. Les chefs – « les Juifs », comme les appelle saint Jean – l’observaient jalousement, et eux aussi furent impressionnés par son discours, si gracieux et si sage. « Comment », demandèrent-ils, « cet homme est-il si savant, si ignorant ? » C’était un ricanement, un hommage involontaire ; il leur répondit que la qualité de son message prouvait sa mission divine, et que s’ils le mettaient à l’épreuve, ils seraient convaincus de sa prétention. « Mon enseignement n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un veut faire sa volonté, il découvrira si mon enseignement vient de Dieu ou s’il est simplement de moi. » Adopter envers son message l’attitude qui est la condition de la maîtrise de tous les domaines de la réussite humaine était un défi. « Ne réfléchissez pas : essayez », tel était le conseil habituel d’un éminent maître en sciences médicales à ses étudiants. Rembrandt le recommandait également à son élève Hoogstraten : « Efforcez-vous de bien mettre en pratique ce que vous savez déjà. Ce faisant, vous découvrirez, en temps voulu, les choses cachées que vous interrogez actuellement. » De même, notre Seigneur disait à ses critiques qu’il était vain de discuter de ses affirmations. Qu’ils les soumettent à l’épreuve de l’expérience et les considèrent à la lumière des Saintes Écritures, et ils le reconnaîtraient comme le Sauveur promis. Ses affirmations étaient attestées par leur Loi sacrée, et pourtant, en les avançant, ils cherchaient à le tuer.
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La plupart des gens de la foule étaient des étrangers venus de loin, ignorant le dessein funeste des dirigeants. « Tu es fou ! » s’écrièrent-ils. « Qui cherche à te tuer ? » Il répondit en rappelant comment il avait été attaqué pour avoir guéri le paralytique lors de sa dernière visite dans la ville. Le crime du miracle était qu’il avait été accompli le jour du sabbat ; et n’était-ce pas déraisonnable ? Un enfant né le jour du sabbat était circoncis le sabbat suivant, puisque la Loi exigeait qu’il soit circoncis « le huitième jour ». Ils violaient la loi du sabbat pour observer la loi de la circoncision (cf. Gen. xvii. 12 ; Lévitique xii. 3) ; et si infliger une blessure à la chair d’un enfant était permis le jour du sabbat, à plus forte raison l’était-il assurément de guérir le corps d’un homme.
Ce n’était un secret pour personne à Jérusalem que les dirigeants avaient décidé de le mettre à mort, et les citoyens présents furent surpris qu’aucun mouvement ne soit fait pour l’arrêter. Plusieurs d’entre eux se tenaient là et discutaient de ce que cela signifiait. « N’est-ce pas, dit l’un, l’homme qu’ils cherchent à tuer ? Et voyez ! Il parle avec audace, et ils ne lui disent rien. » « Se pourrait-il, suggéra un autre, que les dirigeants aient vraiment compris que c’est le Christ ? » « Non, répondit un troisième, nous savons d’où il est, mais quand le Christ viendra, personne ne le comprendra. » Voici un exemple caractéristique de cette argumentation rabbinique qui enchantait tant les hommes de Jérusalem et les aveuglait trop souvent aux prétentions de notre Seigneur (cf. Mal. iii. 1 ; Mi. v. 2 ; cf. Mt. ii. 4-6). Diverses prédictions annonçaient que l’avènement du Messie serait une surprise soudaine et qu’il naîtrait à Bethléem, la ville de David ; et les rabbins en déduisaient que, de même que son prototype, Moïse, avait été emmené [ p. 268 ] en exil au pays de Madian et était réapparu de manière inattendue comme le champion de son peuple, de même il apparaîtrait soudainement et mystérieusement, on ne savait d’où. C’est ainsi qu’un proverbe juif disait que trois choses se présentent à l’improviste : un trésor, un scorpion sur le chemin et le Messie. C’est cette idée qui, théologiquement, leur semblait Un homme de Jérusalem, d’esprit vif, s’efforça d’écarter l’hypothèse que Jésus puisse être le Messie. Il était Galiléen, comme chacun le savait ; et lorsque le Messie viendrait, personne ne saurait d’où il était.
Ceci mit fin à la rencontre. Les dirigeants en furent très irrités. Ils auraient bien voulu l’arrêter s’ils l’avaient osé, mais il fut fortifié par la sympathie populaire et ils se retirèrent, impuissants, dans une malice impuissante. Leur exaspération fut d’autant plus grande que beaucoup de gens furent gagnés à la foi et se confessèrent comme ses disciples. Les pharisiens, chefs du parti populaire, en furent naturellement informés et, sur leur rapport, une réunion du Sanhédrin fut convoquée, probablement pour le lendemain matin. Il fut décidé d’agir immédiatement et les officiers du tribunal furent chargés de procéder à son arrestation. La tâche ne fut pas aisée, car ils le trouvèrent entouré d’une foule enthousiaste et compatissante. Ils écoutèrent son discours et revinrent avec un rapport. Une phrase en particulier les avait impressionnés : « Encore un peu de temps », avait-il dit, « je suis avec vous, et je m’en vais vers celui qui m’a envoyé. Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas, et là où je suis, vous ne pouvez venir. » Que voulait-il dire ? On suggéra qu’il avait peut-être l’intention de quitter la Terre Sainte et de se rendre auprès des communautés juives à l’étranger. Ce serait [ p. 269 ] une solution heureuse à leur embarras, et en attendant, leurs officiers reçurent l’ordre de le surveiller.
Ainsi les jours passèrent. La Fête des Tabernacles durait une semaine, mais le huitième jour était consacré à une « sainte convocation », une assemblée solennelle (cf. Lv. xxiii. 36 ; Nb. xxix. 35) ; et ce jour était considéré comme le plus important de tous. C’était « le grand jour de la Fête », et les pensées des fidèles étaient alors tournées vers l’avenir. Comme les autres jours, ils s’étaient réjouis avec gratitude de la récolte du blé et du vin, le huitième jour, ils imploraient le Seigneur de continuer à faire preuve de bonté et priaient pour que, l’année suivante, ils soient bénis par la pluie, ce « don de Dieu » si précieux en Orient. Dans chaque chose familière, notre Seigneur trouvait une parabole céleste ; et de même qu’il avait parlé de « l’eau vive » à la Samaritaine au puits de Jacob, il s’adressa de la même manière à la foule dans la cour du Temple (cf. Jn. iv. 10-14). « Si quelqu’un a soif », s’écria-t-il, « qu’il le fasse ». Venez à moi et buvez. Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son cœur. (Cf. Is. 41.3 ; 32.2) C’était un langage familier, qui rappelait à ses auditeurs bien des passages gracieux de leurs Écritures. N’était-il pas écrit : « Je répandrai de l’eau sur celui qui a soif, et des ruisseaux sur la terre desséchée » ? Et encore : « L’homme sera comme un abri contre le vent, et un abri contre la tempête, comme des ruisseaux d’eau dans un lieu aride, comme l’ombre d’un grand rocher dans une terre altérée. » (Cf. Pr. xi. 25) De même, dit notre Seigneur, celui qui ouvre son cœur à la grâce du Saint-Esprit a non seulement en lui une source intarissable, mais, étant lui-même arrosé, il arrose les autres comme une fontaine dans le désert. [ p. 270 ] Ceci n’est qu’une phrase de son discours, et il est clair, d’après l’impression qu’elle a produite sur ses auditeurs, qu’il a développé cette pensée gracieuse. C’est peut-être ici qu’il a prononcé cette parole d’or que saint Matthieu a conservée comme un fragment décousu (xi. 28-30) : « Venez à moi, vous tous qui peinez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi, car je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez du réconfort pour vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau léger. » C’est l’image d’une bête fatiguée, peinant sous son fardeau ; et pour la comprendre, il faut observer la différence entre « un joug » et « un fardeau ». Un joug n’était pas un fardeau ; au contraire, c’était un instrument, comme le collier de notre cheval, pour porter le fardeau. Et un joug était généralement double. Deux bœufs étaient attelés côte à côte, le brancard entre eux, et le joug était une barre transversale attachée à chaque extrémité autour de leur cou. Le travail pouvait être rendu difficile de deux manières : si le joug était mal ajusté, au point d’irriter le cou des bêtes ; et si les bêtes étaient mal assorties et ne tiraient pas ensemble. Voyez donc ce que veut dire notre Seigneur.Il ne promet pas de nous libérer de nos fardeaux ; car un fardeau, quel qu’il soit, est inévitable, et sans lui, la vie serait une chose pauvre et vaine. Il ne promet pas de nous enlever nos fardeaux, mais il propose de nous aider à les porter. « Prenez-moi », dit-il, « pour compagnon de joug. Venez à mes côtés et prenez mon joug sur vous. Mon joug est un joug bienveillant » – le même mot que saint Paul emploie lorsqu’il dit : « L’amour est patient, l’amour est bon » (1 Cor. xiii. 3 ; Éph. iv. 32) ; « Traitez-vous les uns les autres avec bonté et tendresse, vous pardonnant réciproquement [ p. 271 ] comme Dieu vous a pardonné en Christ. » Mon joug est doux, bien ajusté et sans frottement ; et je serai un vrai compagnon de joug. Ton fardeau sera mon fardeau, et avec moi à tes côtés, il sera léger.
Bien sûr, il s’agit d’un langage figuré, et que signifie-t-il concrètement ? À cette époque, « le joug de la Loi » était une expression juive courante ; l’idée étant que la Loi était une règle de foi et de conduite et qu’en s’y soumettant, un homme pouvait s’acquitter correctement de ses devoirs. Mais la Loi s’était révélée un joug pénible – « un joug », comme le disait saint Pierre au Concile de Jérusalem, « que ni nos pères ni nous n’avons pu porter. » (Ac. xv. 10) C’est pourquoi notre Seigneur parle ici à ses auditeurs d’un joug meilleur, d’une meilleure règle de foi et de conduite que leur ancienne Loi. « Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi ; et vous trouverez du réconfort pour vos âmes. »
Son joug désigne donc la règle de foi et de conduite qu’il a substituée à la loi juive, avec sa multitude oppressive de préceptes et d’interdictions ; et si nous nous demandons ce que c’était, il suffit de considérer son exemple durant les années de son séjour terrestre. Deux principes régissaient chacune de ses pensées et de ses actions ; ils constituent le joug gracieux qu’il nous invite à porter. L’un était l’amour ; et lorsqu’il dit : « Prenez mon joug sur vous », il veut d’abord dire : « Apportez l’amour dans votre vie. » Et si nous agissons ainsi, nos vies seront transfigurées, et chaque expérience difficile et douloureuse sera facile et heureuse. Car, comme le dit saint Thomas d’Aquin : « L’amour est une grande chose, assurément un grand bien, et lui seul rend toute chose pesante légère. Car il porte un fardeau léger et rend toute [ p. 272 ] amertume douce et agréable au goût. » Son autre principe était la volonté de Dieu ; et cela fait une différence bénie lorsque nous le suivons ici aussi : lorsque nous reconnaissons le dessein souverain de Dieu et sa main gracieuse dans toutes nos expériences douloureuses et douloureuses, et que nous sommes persuadés que ce ne sont pas des accidents, mais ses nominations sages et bienfaisantes, servant des fins élevées qui, bien que cachées maintenant, seront un jour découvertes, si seulement nous les acceptons avec courage et foi et le laissons faire ce qu’il veut, en disant avec notre Seigneur dans sa dernière et terrible agonie : « La coupe que mon Père m’a donnée, ne la boirai-je pas ? » (Jo. xviii. 11)
Comment s’étonner qu’un tel discours ait ému le cœur des auditeurs et suscité la discussion ? Assurément, il n’était pas un personnage ordinaire ; et certains suggérèrent qu’il était le prophète qui, selon l’attente juive, apparaîtrait à la veille de la venue du Messie pour préparer la nation à le recevoir. D’autres allèrent plus loin. « Celui-ci », dirent-ils, « est le Messie. » Là, d’autres objectèrent : « Pourquoi le Messie vient-il de Galilée ? L’Écriture ne dit-elle pas que c’est de « la semence de David » et de « Bethléem », le village où était David, que le Messie vient ? » (Ps. lxxxix. 3,4 ; Michée v. 2). En vérité, leur objection était le témoignage suprême. Car que signifiait-elle ? Cela signifiait qu’à leur avis, la preuve de sa messianité était complète, sauf qu’il était, comme ils le supposaient, Galiléen, et que le Messie devait naître à Bethléem. Ils ne savaient pas qu’il était effectivement né à Bethléem, et s’ils l’avaient su, leur doute aurait disparu et ils l’auraient reconnu avec joie.
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D’autres témoignèrent. Dans la foule qui l’entourait et écoutait son discours, les officiers du Sanhédrin guettaient l’occasion de l’arrêter et de le traduire devant la haute cour, déjà convoquée. Face à l’opinion publique, ils n’osèrent pas exécuter leur mission ; ils n’étaient même pas disposés à se mêler de lui, touchés par leur propre cœur. Ils retournèrent au tribunal sans leur prisonnier, et lorsqu’on leur demanda pourquoi ils ne l’avaient pas amené, ils répondirent : « Jamais homme n’a parlé ainsi. » Ce furent les pharisiens, gardiens de l’orthodoxie, qui menèrent l’accusation ; et ils réprimandèrent les officiers avec indignation. « Vous aussi, avez-vous été égarés ? » s’écrièrent-ils, dénonçant comme une intolérable insubordination le fait qu’ils aient ainsi ignoré le mandat de leurs supérieurs et, faisant fi du jugement des docteurs de la Loi, pris le parti de la populace ignorante.
C’était une explosion inconvenante, indigne de cet auguste tribunal, et elle suscita la protestation de l’un des conseillers : Nicodème, le vieux pharisien qui, en cette nuit mémorable deux ans et demi plus tôt, avait interviewé Notre Seigneur dans sa retraite du mont des Oliviers. Ce qu’il avait entendu alors s’était gravé dans son cœur, et il était déjà croyant, bien qu’il n’ait pas encore osé confesser sa foi. La confesser maintenant face à ses collègues en colère exigeait plus de courage qu’il n’en possédait, mais il ne pouvait se taire. Il souleva timidement une question d’ordre. Un criminel, souligna-t-il, a droit à un procès équitable et ne doit pas être condamné sans avoir été entendu. « Notre loi juge-t-elle l’homme sans l’avoir d’abord entendu et sans avoir constaté sa faute ? » Sa [ p. 274 ] protestation resta vaine. Elle ne fit que l’exposer à l’insulte. « Vous êtes aussi de Galilée ? » Ils ricanaient. Pour les Judéens, si fiers de leur Ville Sainte, de leur Temple, de leurs écoles et de toutes leurs traditions sacrées, la Galilée était synonyme d’ignorance grossière. Un prophète de Galilée, en vérité ! L’idée même était absurde. « Cherchez, et vous verrez que de Galilée ne surgit aucun prophète. »
Ce fut le dernier jour de la Fête que ces événements se produisirent. Le lendemain, les étrangers partirent et la ville reprit son calme habituel. Notre Seigneur resta là ; car ce n’était pas la Fête qui l’avait amené ici. Il était venu lancer un dernier appel aux citoyens et à leurs dirigeants, et maintenant il s’attelle à cette tâche. La difficulté de la tâche a déjà été démontrée. Jérusalem était la capitale sacrée, le siège du Temple et le foyer du rabbinisme ; elle grouillait de prêtres et de docteurs de la Loi qui le respectaient jalousement, avides d’un prétexte pour le mettre en accusation. Il trouvait toujours une audience disponible dans la cour extérieure du Temple, ce lieu de rendez-vous habituel, et il y avait toujours des pharisiens et des sadducéens présents pendant ses discours, écoutant avec critique et saisissant la moindre occasion pour lui opposer une objection, une question pointilleuse, dans l’espoir de le confondre et de le discréditer auprès du peuple.
Un soir, il enseignait « au Trésor » – les treize coffres, « les Trompettes » comme on les appelait d’après leur forme, qui se trouvaient dans la cour sacrée pour recevoir les contributions des fidèles (cf. Mc 12. 41 ; Lc 21. 1). C’était le mois d’octobre, les jours raccourcissaient, et, selon [ p. 275 ] son habitude, tandis que les ombres tombaient et que les lampes s’allumaient, il y trouva une parabole. « La Lumière » était un nom juif pour le Messie. « Moi », dit-il, « je suis la Lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. »
Les pharisiens intervinrent alors, citant la maxime juridique selon laquelle la déposition d’un plaideur ne constitue pas une preuve. « Vous témoignez de vous-même. Votre témoignage n’est pas vrai. » C’était une piètre argutie, et comment y répondit-il ? Il leur dit d’abord qu’il ne s’agissait pas d’une preuve juridique. Il annonçait la nouvelle qu’il avait apportée de l’Invisible, ce monde d’où il était venu et où il retournerait bientôt. Et même comme preuve, ajouta-t-il, c’était valable. Car n’existait-il pas une autre maxime juridique : « Sur la déposition de deux témoins, une affaire sera établie » ? Et sa déclaration était corroborée par son Père. Il voulait dire que sa déclaration était divinement attestée par ses miracles et les Écritures ; mais ils ne comprirent pas. « Où est votre père ? » demandèrent-ils, le mettant au défi de produire son témoignage. « Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père. » Il était le Fils Éternel de Dieu incarné, l’Image Visible du Père Invisible ; et le connaître c’était connaître le Père, connaître le Père c’était le reconnaître.
Un autre jour, les suppliant d’accepter son message avant que leur chance ne soit passée, il dit : « Je m’en vais, et vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. Où je vais, vous ne pouvez pas venir. » Son appel fut accueilli par les dirigeants présents [ p. 276 ] avec dérision. « Va-t-il se tuer ? » s’écria l’un d’eux. Ils l’avaient traité de fou, et maintenant ce moqueur grivois suggère qu’il avait l’intention de se suicider et d’aller dans cet enfer le plus sombre où la théologie rabbinique reléguait les âmes des suicidés. « Va-t-il se tuer ? C’est pourquoi il dit : « Où je vais, vous ne pouvez pas venir. » C’était une raillerie grossière, et il la reprit avec mépris. Avec des hommes qui pouvaient ainsi parler, il n’avait rien en commun : ils appartenaient à des mondes de pensée et de sentiment différents. « Toi », rétorquèrent-ils, « qui es-tu ? » Et, plein de dégoût, il s’exclama : « Oh, pourquoi est-ce que je te parle ? » [1] Ils étaient désespérés. Il était inutile de raisonner avec eux, mais ils reconnaîtraient bientôt, trop tard, la justesse de ses prétentions.
Ce fut une rencontre douloureuse, mais il en résulta du bien. Avec cet instinct d’équité qui anime toujours une assemblée populaire, l’auditoire prit le parti de notre Seigneur, et « beaucoup », dit l’évangéliste, « crurent en lui », ce qui signifie qu’ils lui donnèrent leur cœur et se confessèrent comme ses disciples. Plus encore : certains dirigeants furent impressionnés. Ils ne « croyaient pas en lui », mais, précise l’évangéliste, définissant laconiquement leur attitude, ils « croyaient en lui », ce qui signifie, selon l’usage grec, qu’ils reconnaissaient la véracité de son enseignement et étaient disposés à reconnaître ses prétentions. Honteux des grivoiseries de leurs collègues, ils cherchèrent aussitôt à l’interroger, et il accéda volontiers à leur demande. Où eut lieu l’entrevue ? C’était dans l’enceinte du Temple, mais comme ils souhaitaient l’intimité, ce ne serait guère dans la cour extérieure où se trouvait le [ p. 277 ] les gens se rassemblèrent. Le magnifique édifice, commencé par le roi Hérode quelque quarante-huit ans auparavant, était encore inachevé ; et il semblerait, d’après la suite de Jo. ii., qu’ils le rencontrèrent dans un quartier 20 *, barricadé à l’accès général, où des travaux de construction étaient en cours et où des fragments de maçonnerie jonchaient le trottoir. Là, après cf.viii. 59 heures de travail, ils trouveraient la retraite.
La conférence commença sereinement, mais il était difficile de raisonner avec des esprits aussi obsédés par les préjugés, et ils s’offensèrent aussitôt. « Si », avait-il dit, « vous persévérez dans ma Parole, vous serez vraiment mes disciples ; vous apprendrez la vérité, et la vérité vous rendra libres » ; et, à leur manière peu spirituelle, ils interprétèrent cela comme une allusion à leur servitude nationale. « Nous sommes la descendance d’Abraham », s’exclamèrent-ils avec ressentiment, « et n’avons jamais été esclaves de qui que ce soit. » Il expliqua calmement qu’il ne s’agissait pas de liberté nationale, mais de liberté spirituelle, de libération non pas du joug romain, mais de la tyrannie du péché. « Je sais », dit-il, « que vous êtes la descendance d’Abraham ; mais », ajouta-t-il en examinant leurs visages furieux, « vous cherchez à me tuer. » Et la raison de leur inimitié était que son message, celui qu’il leur avait apporté du Ciel, n’avait aucune place dans leur cœur. « Ce que j’ai vu chez le Père, je le dis ; faites donc ce que vous avez entendu du Père. » Là encore, ils manquèrent sa référence, ne comprenant pas que par « le Père », il entendait Dieu. « Notre père, dirent-ils, est Abraham. » « Si, rétorqua-t-il, vous êtes enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham. Or, vous cherchez à me tuer, moi qui vous ai dit la vérité, la vérité que j’ai entendue de Dieu. [ p. 278 ] Ce n’est pas ce qu’Abraham a fait. Faites les œuvres de votre père. » « Nous ne sommes pas des bâtards, fulminèrent-ils. Nous avons un seul Père : Dieu. »
C’était une prétention plus vaste, et elle les exposait à une réponse accablante. Il avait admis leur prétention d’être enfants d’Abraham, puisque leur descendance du patriarche, le père de leur race, était un fait physique. Son sang coulait dans leurs veines, et bien qu’ils n’aient pas son esprit, ils n’en étaient pas moins sa descendance. Mais la filiation divine était une relation spirituelle, prouvée par la sympathie spirituelle ; et celle-ci leur manquait. « Si Dieu avait été votre Père, vous m’auriez aimé ; car je suis sorti de Dieu. » Puisque c’est la sympathie spirituelle qui détermine la parenté spirituelle, ils étaient plutôt enfants du Diable ; car c’était son esprit qui les animait à rejeter la vérité que le Seigneur proclamait et à chercher à le tuer.
Cela les mit en colère. « Ne disons-nous pas à juste titre que tu es un Samaritain et que tu es fou ? » Avec l’orgueil des rabbins, « un Samaritain » était une épithète injurieuse pour un rustre ignorant ; et le traiter de Samaritain et de fou était la pire des vitupérations. « Je ne suis pas fou », répondit-il. « Non, j’honore mon Père, et vous me déshonorez. » En l’insultant, c’était Dieu qu’ils insultaient, et Dieu allait justifier son honneur. Ils étaient loin de se douter de ce qu’ils perdaient. « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma Parole, il ne verra jamais la mort. » « Maintenant », s’écrièrent-ils, « nous sommes sûrs que vous êtes fous. Abraham est mort, ainsi que les prophètes ; et vous dites : « Si quelqu’un garde ma Parole, il ne goûtera jamais la mort * ! » Êtes-vous plus grand que notre père Abraham et les prophètes ? Pour qui vous faites-vous ? » [ p. 279 ] Il répondit que la question n’était pas de savoir qui il s’était fait lui-même, mais qui il était sur le témoignage de Dieu, ce Dieu qu’ils revendiquaient comme leur. Et sur le témoignage de Dieu, il était le Sauveur promis. « Votre père Abraham a exulté dans l’espoir de voir mon jour ; et il l’a vu et s’est réjoui. » Que voulait-il dire ? Ils le scrutèrent. Il n’avait que trente-trois ans, mais son fardeau avait prématurément vieilli l’Homme de Douleur et il paraissait bien plus vieux de dix ans. « Tu n’as pas encore cinquante ans, dirent-ils, et as-tu vu Abraham ? » « En vérité, en vérité, répondit-il, avant qu’Abraham ne naisse, j’étais déjà là. » C’était plus que de la folie : c’était un blasphème, et ils se retournèrent pour arracher des fragments de maçonnerie afin de le lapider. Mais entre-temps, il s’était enfui et avait disparu.
Les jours passèrent rapidement, deux mois plus tard, et la fête de la Dédicace, qui tombait le 25 du mois de Kislev (décembre), approchait. C’était une période très active pour notre Seigneur (2 Macc. x. 1-8) ; car ces controverses dans la cour du Temple n’étaient en aucun cas son unique occupation. Il était constamment occupé à des conversations privées avec ses disciples, non seulement les Douze, mais aussi ses nouveaux convertis qui, imprégnés de la tradition rabbinique, avaient grand besoin d’être instruits des idéaux de son Royaume. Un jour de sabbat, accompagné de quelques-uns d’entre eux, il se rendait au Temple. Comme dans les pays catholiques romains où la pauvreté est omniprésente, les abords des cathédrales sont assiégés par des mendiants qui implorent l’aumône des fidèles (cf. Ac. iii. 1,2), il en était de même à Jérusalem autrefois ; et alors qu’ils approchaient de la porte sacrée, un suppliant particulièrement [ p. 280 ] attira leur attention. C’était un jeune homme, mais il était aveugle, et en tant que concitoyen et habitué du lieu, ils le connaissaient bien. Non seulement il était aveugle, mais il était né aveugle, une circonstance qui leur posait problème, car, comme nous l’avons vu, la doctrine juive voulait que la souffrance soit toujours pénale. S’il avait eu la vue, ils auraient considéré sa cécité comme une visite judiciaire ; mais il était né aveugle, et dans ce cas, deux explications étaient possibles : soit, selon la loi de l’hérédité, il souffrait pour les péchés de ses parents, soit, selon l’ancienne théorie de la préexistence de l’âme, il souffrait pour des péchés qu’il avait lui-même commis dans un état antérieur (cf. Exode 20. 7 ; Lamentations 5. 7 ; Ézéchiel 18. 2). Ils avaient souvent débattu la question, et maintenant ils la soumettent au Maître. « Rabbi », dirent-ils, « qui a péché – cet homme ou ses parents – pour qu’il naisse aveugle ? »
Le Seigneur rejeta les deux alternatives et leur révéla qu’il existait une raison plus profonde à la souffrance humaine que ne le laissait présager leur théologie : l’action gracieuse d’un dessein providentiel. L’homme était né aveugle « afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui ». Leur théologie superficielle était non seulement insensée, mais aussi insensible. Pourquoi vexeraient-ils un malade par des spéculations grossières lui imputant un blâme injustifié ? Mieux vaut laisser le mystère irrésolu et pourvoir à son besoin criant. « Nous devons œuvrer aux œuvres de Dieu tant qu’il fait jour » (cf. Jn 8, 12). Bientôt vient la nuit, où personne ne peut travailler. » Plus tôt que
ils pensaient que cela allait arriver, la nuit noire où Lui, « la Lumière du monde », serait parti.
Il s’attela alors à sa tâche. Un mot [ p. 281 ] aurait rendu la vue à l’homme, mais compte tenu de l’âpreté de l’inimitié des dirigeants et de leurs récentes tentatives d’assassinat, il ne voulait pas, en accomplissant ce miracle si discrètement, s’exposer à leurs tergiversations et à leurs fausses déclarations. Il voulait en faire une affaire publique, s’assurant la sympathie populaire. C’est pourquoi il s’y prit de manière pittoresque et attrayante. Comme nous l’avons vu, on croyait à l’époque que la salive était médicinale, et un emplâtre de salive et d’argile était crédité d’une efficacité curative. Il cracha donc par terre et enduisit les yeux aveugles de la poussière humidifiée. Les spectateurs furent témoins de son opération, mais il obtint une plus grande publicité et il ordonna à l’homme d’aller se laver les yeux à la piscine de Siloé, située juste à l’intérieur des remparts de la ville, au sud-est. Certains des passants l’escortaient jusque-là, et la vue de lui passant dans les rues avec ses yeux barbouillés excitait la curiosité générale, qui se transforma en émerveillement lorsqu’en arrivant à la piscine et en se rinçant les yeux, il recouvra la vue.
Il le ramena chez lui, et ses voisins l’entourèrent, stupéfaits. Ils avaient du mal à croire qu’il s’agissait bien de lui et non de quelqu’un qui lui ressemblait, jusqu’à ce qu’il les assure de son identité. « Alors, comment vos yeux ont-ils été ouverts ? » demandèrent-ils, et il expliqua : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, a oint mes yeux et m’a dit : “Va à Siloé et lave-toi.” J’y suis allé, je me suis lavé et j’ai recouvré la vue. » Cela les alarma. Jésus était proscrit par les dirigeants, et un décret venait d’être publié selon lequel quiconque reconnaîtrait sa messianité serait excommunié. Il était dangereux d’avoir [ p. 282 ] affaire à lui, et comme il était impossible de prévoir ce qui pourrait advenir de cette affaire, il serait prudent pour eux de le signaler et ainsi se disculper de toute complicité. « Où est-il ? » demandèrent-ils ; et comme il avait répondu : « Je ne sais pas », ils le traînèrent devant les chefs de leur synagogue.
Ces dignitaires se saisirent de l’affaire. « Comment avez-vous recouvré la vue ? » demandèrent-ils, et après avoir entendu l’histoire, ils se consultèrent. Certains déclarèrent qu’il s’agissait d’une violation du sabbat, tandis que d’autres affirmèrent que celui qui accomplissait de tels miracles ne pouvait guère être un pécheur. Ils demandèrent donc à l’homme ce qu’il pensait de Jésus. « C’est un prophète », répondit-il avec fermeté. Sa brusquerie les offensa, et il leur vint à l’esprit qu’il pouvait s’agir d’un imposteur. Ils le firent donc enlever et, convoquant ses parents, les examinèrent. « Est-ce votre fils ? » demandèrent-ils. « Oui », répondit-on. « Est-il né aveugle ? » « Oui. » « Comment donc a-t-il retrouvé la vue ? » C’était une question périlleuse, et ils refusèrent de se compromettre. « Nous l’ignorons. Posez-la-lui. Il est majeur ; il racontera sa propre histoire. »
Leur réticence confirma les soupçons des rabbins. Ils rappelèrent le jeune homme et, comme s’ils avaient constaté son imposture pendant son absence, le sommèrent sévèrement de reconnaître la vérité (cf. Josué 7. 19). « Rends gloire à Dieu », dirent-ils (ce qui signifie « faites une confession complète »). « Nous savons que cet homme est un pécheur. » « Qu’il soit un pécheur, je l’ignore », fut la réponse ; « une chose est sûre : j’étais aveugle et maintenant je vois. » Ce fut un échec et mat sévère. « Que t’a-t-il fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? » demandèrent-ils faiblement, s’exposant à une attaque encore plus acerbe : « Je te l’ai déjà dit : [ p. 283 ] pourquoi désires-tu l’entendre à nouveau ? Désires-tu aussi devenir ses disciples ? » C’était trop irritant, et ils recoururent à l’injure, ce refuge des esprits bornés : « Vous êtes son disciple ; nous sommes disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse, mais celui-ci, personne ne sait d’où il est. » « Eh bien ! » s’écria leur adversaire à l’esprit vif, feignant l’étonnement devant un aveu d’ignorance de la part de ces sages enseignants, « c’est là le merveilleux : vous ne savez pas d’où il est, et il m’a ouvert les yeux ! » Puis, avec une superbe impudence, il leur lut une homélie : « Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs ; mais si quelqu’un est pieux et fait sa volonté, il l’écoute. De toute éternité, on n’a pas entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle-né. Si « cet homme » n’avait pas été de Dieu, il n’aurait rien pu faire. »
C’était intolérable. « Tu es né tout entier dans le péché », s’indignèrent-ils, « et tu nous enseignes ! » Et ils l’excommunièrent aussitôt.
Notre Seigneur n’en avait pas fini avec le mendiant aveugle lorsqu’il lui barbouilla les yeux et l’envoya à la piscine de Siloé. Il se tenait au courant de la suite des événements ; et, apprenant son excommunication, il se rendit dans le quartier pauvre de la ville où il habitait et le rechercha. « Crois-tu ? » demanda-t-il, « au Fils de l’homme ? » Bien que ce ne fût pas la première fois qu’il rencontrait le Seigneur, c’était la première fois qu’il le voyait, et il ne le reconnut pas. « Et qui est-il, Seigneur ? » demanda-t-il. « Dis-le-moi, afin que je croie en lui. » « Tu l’as vu », répondit-il : « C’est lui qui te parle. » L’homme comprit alors qu’il était face à face avec son Bienfaiteur, et il s’inclina devant lui.
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Il était vraiment étrange qu’alors qu’il était rejeté par les mages, « les docteurs d’Israël », une pauvre âme plongée dans les ténèbres puisse ainsi connaître sa grâce (cf. Jn 3. 17, 8. 15, 16, 12. 47). Bien que, comme il l’a si souvent déclaré, il ne soit pas venu pour juger, mais pour sauver les hommes, sa seule présence au milieu d’eux était un tribunal scrutateur, et par leur attitude envers lui, ils se jugeaient eux-mêmes. Il en ressentait la solennité. « C’est pour le jugement », s’exclama-t-il, « que je suis venu dans ce monde, afin que les aveugles voient et que les voyants deviennent aveugles ! » Une foule s’était rassemblée autour de lui, et parmi eux se trouvaient des rabbins qui observaient jalousement son traitement envers la victime de leur censure ecclésiastique. Ils s’imprégnèrent de ses paroles. « Sommes-nous aussi aveugles ? » demandèrent-ils avec colère. Ah, c’est là que résidait leur culpabilité. Ils péchèrent les yeux ouverts. Ils connaissaient l’Écriture et, face à son témoignage, ils niaient ses prétentions. « Si vous aviez été aveugles, vous n’auriez pas eu de péché. Or, vous dites : « Nous voyons » : votre péché demeure. »
Puis, se tournant vers la foule, il fit de l’incident survenu au milieu d’eux le thème d’un discours empreint de grâce. Les Écritures anciennes 20m aimaient à parler de Dieu comme du berger de son peuple, et de son peuple comme des brebis de son pâturage (cf. Ps. xxiii, lxxiv. 1, lxxx. 1, c. 3 ; Nomb. xxvii, 16, 17 ; Ez. xxxiv. ; Zach. xi. 3, 17, xiii. 7). Et ses prêtres et ses prophètes, qu’il avait ordonnés pour prendre soin des âmes de leurs semblables, ils les appelaient aussi bergers. Il n’existe pas d’idéal plus gracieux de la fonction sacrée du ministère, et aucun qui ne touche aussi profondément le cœur juif. Car la relation entre un berger juif et son troupeau était particulièrement [ p. 285 ] tendre. Au printemps, les bergers menaient leurs troupeaux dans le désert de Judée, et là, sur les landes solitaires où David gardait autrefois les moutons de son père Jessé, ils les gardèrent tout l’été, les conduisant le matin vers les verts pâturages près des eaux calmes et les rassemblant à la tombée de la nuit dans l’enclos. Dans la vaste solitude, ses moutons étaient les seuls compagnons du berger, et entre lui et eux s’établit une intimité affectueuse. Il les connaissait tous, il avait un nom pour chacun, et ils répondaient à son appel. Il n’avait pas besoin de les conduire. Le matin, lorsqu’il les emmenait au pâturage, il se tenait près de la porte de l’enclos commun et « appelait ses propres moutons par leur nom et les conduisait dehors ». Il n’avait pas besoin de les conduire. Il marche devant eux, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Mais elles ne suivront pas un étranger, mais elles le fuiront, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers.
Le Seigneur esquissa ce tableau idyllique, puis il interpréta la parabole à la foule qui l’écoutait. De par leur fonction, les rabbins qui avaient traité cette pauvre âme avec tant de cruauté étaient les bergers du peuple ; mais étaient-ils de vrais bergers ? Ne ressemblaient-ils pas plutôt à des brigands qui s’introduisaient dans l’enclos et faisaient du troupeau leur proie ? Ou, au mieux, à de simples mercenaires qui ne pensaient qu’à leur salaire et ne se souciaient pas des brebis ? « Moi », dit le Seigneur, « je suis le Bon Berger » ou, comme le mot le signifie plutôt, « le Vrai Berger », le Berger qui réalise l’idéal de la pastorale. Et quelle est la marque suprême du Vrai Berger ? (Cf. 1 Sam. xvii. 34-37 ; Am. iii. 12) Être berger était une activité périlleuse ; car un berger devait souvent risquer sa vie, parfois dans des situations désespérées [ p. 286 ] avec des bêtes sauvages ou des brigands, et encore en sauvant un agneau emporté par le torrent impétueux ou en cherchant un errant parmi les rochers escarpés des montagnes. Un simple mercenaire laisserait la créature périr (Cf. Mt. xviii. 12,13 ; Lc. xv. 3-6). « Le mercenaire qui n’est ni berger ni propriétaire des brebis, voit venir le loup, abandonne les brebis et s’enfuit ; et le loup les enlève et les disperse. La raison en est qu’il est mercenaire et ne se soucie pas des brebis. » La marque d’un vrai berger est la suivante : « il donne sa vie pour ses brebis. » « Moi », a dit le Seigneur, « je suis le vrai berger » ; et la preuve était qu’il faisait face à la malice de ses ennemis, et qu’il donnerait bientôt sa vie, un sacrifice volontaire, pour ses brebis - pas seulement le petit troupeau qui avait déjà entendu sa voix et l’avait suivi, mais tous les autres qu’il gagnerait encore et rassemblerait enfin dans son bercail. (Cf. Lc. xii. 32)
Même les rabbins furent émus et en parlèrent à leurs collègues. « Il est fou ! » dit l’un. « Pourquoi l’écoutez-vous ? » Et c’était l’opinion générale. Mais certains pensaient autrement. « Ce ne sont pas là les paroles d’un fou, disaient-ils ; et un fou peut-il ouvrir les yeux des aveugles ? » Ainsi divisés, ils décidèrent de l’interroger et ils le cherchèrent – où ils étaient sûrs de le trouver – dans le Temple (cf. 1 Macc. iv. 52-59 ; 2 Macc. x. 1-8). C’était maintenant la fête de la Dédicace, commémoration annuelle de la purification du Temple par Judas Maccabée après sa souillure par Antiochus Épiphane ; et comme la solennité commençait le 25 Kislev (décembre) et durait huit jours, c’était le milieu de l’hiver, et ils ne trouvèrent pas le Seigneur dans le [ p. 287 ] cour ouverte, mais à l’abri du cloître oriental, connu sous le nom de Cloître de Salomon car c’était la seule partie de l’ancien Temple à avoir échappé à la destruction par le conquérant assyrien. Certains d’entre eux étaient sincèrement perplexes, mais la plupart étaient hostiles et venaient dans l’espoir de le mettre en tort et de trouver un prétexte pour agir contre lui. « Combien de temps », demandèrent-ils brusquement, « nous tiendrez-vous en suspens ? Si vous êtes le Messie, dites-le-nous clairement. »
Pourquoi le leur dire ? Il le leur avait déjà dit et avait attesté de sa prétention par les œuvres qu’il avait accomplies au nom de son Père ; pourtant, ils ne crurent pas. Et, ajoute-t-il, revenant à la parabole qu’il leur avait racontée peu de temps auparavant, et regardant autour de lui le petit troupeau de ses disciples, y compris son dernier converti qu’ils avaient si cruellement banni de leur communion, la raison en était qu’ils n’étaient pas ses brebis ; sinon, ils auraient écouté sa voix et l’auraient suivi. Ses brebis étaient en sécurité sous sa garde. « Personne ne les arrachera de ma main. » Que pouvait-il paraître à ces dirigeants, sinon une véritable folie qu’il défie ainsi leur autorité ? Voyant le ricanement sur leurs visages, il ajouta : « Mon Père qui me les a données est plus grand que tous, et personne ne peut les arracher de la main de mon Père. Moi et le Père, nous sommes un. »
C’était pire que la folie : c’était un blasphème, et cela enflamma leur fanatisme. S’ils avaient eu des projectiles à portée de main, ils l’auraient immédiatement lapidé ; mais il n’y avait aucune pierre sur le pavé du cloître. Ils se souvinrent [ p. 288 ] du tas de maçonnerie tout proche, et s’y précipitant, dit l’évangéliste, « ils allèrent chercher des pierres pour le lapider ». (Jn 10, 31) Même après un si court délai de réflexion, et en regagnant le cloître, ils hésitaient. « Je vous ai montré beaucoup d’œuvres », dit-il, « de bonnes œuvres du Père ; pour laquelle me lapidez-vous ? » « Ce n’est pas pour une bonne œuvre », répondirent-ils, « que nous vous lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi, étant un homme, tu te fais Dieu. » Raisonner avec eux sur sa haute prétention aurait été une perte de temps et une provocation supplémentaire, et le Seigneur les a réduits au silence en faisant appel à l’Écriture. Aux yeux des Israélites d’autrefois, la justice était si sacrée qu’ils appelaient ses ministres des « dieux ». « Vous êtes des dieux ; jusqu’à quand jugerez-vous injustement ? » est la réprimande du Psalmiste aux juges injustes (Ps. lxxxii ; cf. Ex. xxi. 6, xxii. 8, 28 ; Ps. lviii. 1 RV marg.). C’est pourquoi notre Seigneur argumentait : si l’Écriture appelait les juges, même injustes, des « dieux » en vertu de leur fonction sacrée, était-ce un blasphème de la part de celui que le Père avait sanctifié et envoyé au monde, de dire : « Je suis le Fils de Dieu » ? Ses œuvres étaient sa justification ; car elles étaient des œuvres de Dieu, et si elles ne prouvaient rien de plus, elles prouvaient sa mission divine. « Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, alors, même si vous ne me croyez pas, croyez à mes œuvres, afin que vous soyez sûrs et toujours plus sûrs que le Père est en moi et que je suis dans le Père. »
Bien sûr, ce n’était pas un argument sérieux de la part de notre Seigneur ; car ce n’est pas ainsi qu’il traitait les Écritures. Mais c’est précisément ainsi que les rabbins les traitaient, et selon leur mode [ p. 289 ] d’exégèse, la logique de l’argument était irrésistible. Ils n’osaient plus le lapider comme blasphémateur, et pourtant ils répugnaient à le voir s’échapper. Ils tentèrent de l’arrêter, mais il leur échappa et se retira. Face à l’hostilité implacable des dirigeants et à leurs tentatives répétées d’assassinat, il ne voulait plus rester à Jérusalem, car il avait encore du travail à accomplir et il ne voulait pas que son ministère soit prématurément terminé. Il quitta donc la ville et se retira à Béthabara, premier lieu de prédication du Baptiste. Ce fut pour notre Seigneur un lieu de mémoire sacrée ; car c’était là qu’il avait été appelé, il y a presque trois ans, à commencer le ministère qui était maintenant si près de s’achever, et c’est là qu’il attendrait l’appel à son sacrifice suprême.
Il quitta Jérusalem avec son petit groupe de disciples et, traversant la vallée du Cédron, gravit le versant du mont des Oliviers. Arrivé au sommet, il s’arrêta et regarda en arrière la ville qu’il avait si ardemment cherché à conquérir et qui avait rejeté les avances de sa grâce. « Jérusalem, Jérusalem ! » s’écria-t-il, « toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés ! Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme un oiseau rassemble sa couvée sous ses ailes ! Et vous ne l’avez pas voulu. Voici, votre maison vous est laissée déserte. Car je vous le dis, vous ne me verrez plus, jusqu’à ce que vous disiez : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Jér. xxii. 5 ; Ps. cxviii. 26)
Oui, il y avait encore de l’espoir pour Jérusalem ; car le Seigneur allait lui adresser un autre appel, ultime et suprêmement solennel. Et même maintenant, son travail n’avait pas été vain. Rejetée par les dirigeants, sa grâce avait trouvé une entrée dans les âmes humbles. Et il en avait été ainsi décidé. C’était l’œuvre de son Père [ p. 290 ] qu’il avait accomplie, et tout ce qui lui était arrivé était la volonté de son Père, et l’issue était en sécurité entre les mains de son Père. Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, de ce que cela te plaît. Tout m’a été remis par mon Père ; et nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, ni nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler.
C’est ainsi qu’il descendit la montée du sang.
La traduction correcte d’une phrase très controversée (Jo. viii. 25). ↩︎