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LA RÉSURRECTION DE LAZARE
Jo. XI. 1-53.
Lorsque notre Seigneur quitta Jérusalem, fugitif face à la colère de ses dirigeants, le cœur emplit de tristesse. En la regardant depuis la cime du Mt. des Oliviers, une lamentation jaillit de ses lèvres. Car il savait qu’elle était condamnée. Son peuple rêvait d’un Roi qui se lèverait et l’affranchirait du tyran païen, et il ne pouvait y avoir qu’une seule issue à leurs turbulences continuelles, déclenchant sans cesse une insurrection sauvage. Rome allait bientôt perdre patience et réprimer l’agitation d’une main de fer. C’est ainsi qu’en l’an 70, la Ville Sainte fut prise d’assaut par Titus et son peuple dispersé. C’était son rêve profond d’un Royaume messianique, royaume de ce monde, qui causait sa ruine, et son seul espoir résidait dans la reconnaissance de la messianité de notre Seigneur et dans la reconnaissance de sa gracieuse domination. Il lui avait lancé son appel, et ses dirigeants l’avaient rejeté et chassé. Mais son cœur soupirait toujours après elle, et tout le temps de son séjour à Béthabara, il espérait et priait (cf. Jo. xi. 41,42) que Dieu lui accorderait encore une autre occasion de faire appel à elle et peut-être de la gagner avant qu’il ne soit trop tard.
Et son désir fut exaucé. Un message lui parvint de ses amies de Béthanie, les sœurs Marthe et Marie, lui annonçant que leur frère Lazare, si cher à elles et à lui, était très malade. Là, il comprit l’occasion. « Cette maladie, [ p. 303 ] dit-il à ses disciples, ne doit pas aboutir à la mort, mais servir la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. » Ils supposèrent qu’il avait raison de la prendre à la légère, d’autant plus qu’il semblait la chasser de ses pensées. Deux jours passèrent, et le lendemain matin, à leur grand étonnement, il leur dit : « Retournons en Judée. » Ils ne pouvaient concevoir sa mission, pensant que tout allait bien à Béthanie. « Rabbi, s’écrièrent-ils, c’est justement maintenant que les Juifs cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas ? « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? » répondit-il avec une expression proverbiale, signifiant, selon Thomas Fuller, que « les enfants de Dieu sont immortels tant que leur Père a quelque chose à leur confier sur terre. » Puis il leur expliqua sa mission : « Lazare, notre ami, s’est endormi : je vais le réveiller. » Ils le prirent au pied de la lettre. « Seigneur », rétorquèrent-ils, « s’il s’est endormi, il guérira. » Il le dit donc clairement : « Lazare est mort ; et à cause de vous, afin que vous croyiez, je me réjouis de ne pas avoir été là. Mais allons à lui. » Ils hésitaient et se seraient retenus, l’auraient peut-être laissé partir seul, sans Thomas le Jumeau, toujours enclin à voir le côté obscur. Son véritable héroïsme était celui qui appréhende le pire et l’affronte. « Allons-y aussi », s’écria-t-il, « afin que nous puissions mourir avec Flim ! »
Ils atteindraient Béthanie vers le soir, et comme Lazare était mort juste après que la nouvelle de sa maladie eut été envoyée à Béthanie et avait été enterré immédiatement, comme il était nécessaire dans l’Orient étouffant (cf. Ac. v. 6,10), son corps était maintenant resté quatre jours dans le tombeau. Un sépulcre juif était communément [ p. 304 ] une grotte où les corps étaient déposés dans des niches ; et il arrivait parfois qu’un évanouissement soit pris pour la mort et qu’un cadavre apparent revienne à la vie après avoir été enterré. De là était née l’idée que l’âme planait autour de son logement d’argile, désireuse de le ranimer, pendant trois jours ; et ce n’est qu’alors, lorsque la corruption s’installait, que les personnes en deuil abandonnaient tout espoir et roulaient la pierre jusqu’à l’entrée du sépulcre, laissant les reliques mortelles se décomposer. Lazare était mort depuis quatre jours, et tout espoir avait disparu. Ses sœurs étaient assises dans leur maison désolée. Elles n’étaient pas seules ; car Lazare était très estimé et « beaucoup de Juifs », non seulement les rabbins locaux, mais aussi ceux de la capitale voisine, s’étaient rassemblés pour leur présenter leurs condoléances. Mais elles étaient inconsolables. « Si le Seigneur avait été là », se plaignaient-elles sans cesse, « notre frère ne serait pas mort ».
Tandis qu’ils étaient ainsi en deuil, le Seigneur et ses disciples gravissaient la Montée du Sang. Un voisin, les apercevant, se précipita vers la maison des endeuillés et prévint Marthe de son arrivée. Elle se hâta d’aller à sa rencontre et le trouva au lieu de sépulture – le cimetière ou « lieu de repos », comme l’appelaient si joliment les premiers chrétiens – qui, selon la coutume juive, comme nous l’avons vu, était situé à l’extérieur du village. Son arrivée raviva l’espoir en elle. Son frère était certes mort depuis quatre jours, et pourtant, même encore, le Seigneur pouvait sûrement le rétablir. « Seigneur », s’écria-t-elle, « si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ! Et maintenant », ajouta-t-elle, « tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » « Ton frère », répondit-il, « ressuscitera. » Elle pensa qu’il faisait allusion au dernier [ p. 305 ] Résurrection, et cela lui semblait un piètre réconfort. C’était exactement le genre de lieu commun religieux que les rabbins lui répétaient, à elle et à Marie, et son cœur aspirait à une restauration immédiate. « Je le sais », répondit-elle ; « je sais qu’il ressuscitera à la Résurrection, au Dernier Jour. » « Moi », dit le Seigneur, « je suis la Résurrection et la Vie. Celui qui croit en moi, même mort, vivra ; et quiconque est vivant et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Cela raviva son espoir. « Oui, Seigneur », s’écria-t-elle ; « j’ai cru que tu es le Messie, le Fils de Dieu, le Sauveur qui vient dans le monde. »
Il s’enquit auprès de sa sœur, et elle s’enfuit. Elle entra dans la pièce où Marie était assise entourée des visiteurs et lui murmura : « Le Maître est venu et t’appelle. » Marie se leva d’un bond et sortit précipitamment. « Elle est allée au sépulcre pour y pleurer », dirent les visiteurs. Ils la suivirent, pleurant les morts selon la coutume païenne qui prévalait alors parmi les Juifs et qui avait tant peiné le Seigneur lorsqu’il avait visité la maison de Jaïr (cf. Mc v. 38,39). Arrivée au lieu de sépulture où le Seigneur l’attendait, Marie tomba à ses pieds et répéta la plainte qui était sur ses lèvres et sur celles de Marthe depuis tous ces jours tristes : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! » Avant qu’il puisse répondre, les rabbins et les autres qui avaient rejoint leur cortège arrivèrent, et leurs lamentations désespérées, si peu en accord avec sa conception de la mort comme un sommeil qui s’éteint et se réveille à la lumière du visage du Père, le bouleversèrent au-delà de toute endurance. « Où », s’écria-t-il avec impatience, « l’avez-vous déposé ? » Les clameurs [ p. 306 ] cessèrent, et ils le conduisirent à travers le cimetière jusqu’à la grotte où gisait Lazare.
Sur le moment, son ressentiment face à leurs lamentations aurait naturellement pu être interprété comme de l’insensibilité, mais en s’éloignant, ils remarquèrent ses yeux baignés de larmes. « Voyez ! » murmurèrent certains, « comme il l’aimait ! » Mais même à cette heure solennelle, les rabbins ne purent oublier leur animosité, et certains d’entre eux ricanèrent. Voilà l’homme que l’on croyait avoir récemment ouvert les yeux d’un aveugle de naissance, et il ne pouvait plus que verser des larmes vaines ! S’il avait vraiment ouvert les yeux de l’aveugle, il aurait sûrement pu empêcher la mort de Lazare.
Et pourquoi donc aurait-il pleuré ? C’est une vieille question, à laquelle saint Isidore de Péluse, ce gracieux maître, y a répondu il y a une quinzaine de siècles : « Il allait le ressusciter pour sa propre gloire. Il pleurait pour lui, disant en substance : « Celui qui est entré dans le port, je le rappelle aux flots ; celui qui a été couronné, je le ramène à la lice. »
Ton sort est désormais jeté par les eaux claires ;
Joie pour toi, heureux ami ! ta barque est passée
L’écume agitée de la mer !
Maintenant les longs désirs de ton âme sont apaisés ;
Maison, maison ! ta paix est gagnée, ton cœur est rempli :
Tu es rentré à la maison !
Il savait ce qui se cache derrière le Voile et combien il est bon pour ceux qui se sont endormis et reposent auprès de Dieu. C’est pourquoi il pleura, non pas parce que Lazare était mort, mais parce qu’il devait interrompre son repos béni.
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Ainsi agité, il atteignit le sépulcre. « Enlevez la pierre », dit-il. « Seigneur », rétorqua Marthe, toujours pragmatique, « il est en train de se décomposer, car il est mort depuis quatre jours. » « Ne t’ai-je pas dit », répondit-il, « que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » La pierre fut enlevée et, debout près du sépulcre ouvert, le Seigneur pria à haute voix. Durant ses jours de chair, son pouvoir surnaturel était un don de Dieu, et avant d’accomplir un miracle, il avait coutume de prier ; mais cette fois, sa prière n’était pas une demande d’aide céleste. Il l’avait déjà recherchée, et sa prière était une action de grâce pour l’occasion qui lui était offerte d’attester sa messianité et, peut-être même, de gagner ces hommes de Jérusalem. « Père, je te remercie de m’avoir exaucé. Je savais que tu m’exauces toujours, mais c’est à cause de la multitude qui m’entoure que j’ai parlé, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé. » Puis, d’une voix forte et retentissante, il cria : « Lazare, sors ! » et, comme quelqu’un qui s’éveille brusquement de son sommeil, Lazare sortit, enveloppé dans du ciment.
C’est par la puissance de Dieu que le miracle s’est accompli ; et pourquoi, en effet, juger incroyable que Dieu ressuscite les morts ? Que la puissance qui façonne l’embryon dans le ventre maternel, le fait vivre, donne naissance à l’enfant (Ac. xxvi. 8), le fait grandir en stature et en intelligence, puisse ranimer une forme inerte et réparer en un instant les dégâts de la décadence ? Saint Augustin a raison : « Créer les hommes, c’est plus que les ressusciter » ; et tandis que le plus grand mystère se joue continuellement devant nous, osons-nous déclarer impossible au Créateur, quand il le voudra, d’accomplir le moindre prodige ?
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Et qu’advint-il du miracle ? « Beaucoup de Juifs, dit l’évangéliste, ceux qui étaient venus auprès de Marie et avaient vu ce qu’il faisait, crurent en lui. » Comme nous l’avons vu, c’étaient des rabbins ; et non seulement ils avaient été, comme tant de membres de leur congrégation, impressionnés par les déclarations du Seigneur, mais, étant ses amis, ils seraient influencés par le témoignage de Lazare et de ses sœurs. Et maintenant, leur doute persistant était dissipé par le prodige dont ils avaient été témoins. Certains d’entre eux habitaient Jérusalem et, à leur retour, ils rapportèrent aux chefs de leur groupe ce qui s’était passé à Béthanie et confessèrent leur foi en notre Seigneur.
C’était un événement surprenant, et le Sanhédrin se réunit pour l’examiner. Il aurait été étrange que ces hauts conseillers, représentant les partis des Sadducéens et des Pharisiens, qui s’étaient prononcés contre notre Seigneur depuis longtemps et guettaient une occasion de le traduire en justice, aient cru à ce rapport. Ils auraient considéré ce dernier miracle, comme tous ceux qu’il avait accomplis, comme une imposture ; pourtant, ils y voyaient une grave aggravation d’une situation déjà dangereuse, car, en confirmant la foi populaire en sa messianité, il attisait le zèle révolutionnaire et poussait le gouvernement impérial à prendre des mesures sévères. Que fallait-il faire ? était la question. « Si nous laissons cet homme tranquille comme nous le faisons, tout le monde croira en lui, et les Romains viendront détruire notre Lieu Saint et notre nation. »
Français C’était l’attitude faible d’hommes faibles confrontés à de redoutables alternatives — d’un côté le risque d’une insurrection populaire s’ils prenaient, comme ils le feraient volontiers [ p. 309 ] prendre des mesures sévères contre l’imposteur, et de l’autre les graves conséquences qui s’ensuivraient s’ils le laissaient tranquille ; et cela irritait l’esprit autoritaire du grand prêtre Joseph Caïphe, qui, en vertu de sa fonction, était président de la cour. Il était, comme tout l’ordre sacerdotal, un sadducéen ; et avec un mépris aristocratique pour la populace et cette insolence qui, comme en témoigne l’historien Josèphe, caractérisait les sadducéens, il intervint avec colère, dénonçant la pusillanimité de ses collègues irrésolus. « Vous ne savez rien », s’écria-t-il ; « Vous ne considérez jamais qu’il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation entière ne soit pas détruite. » C’était une déclaration claire du problème : Jésus devait être mis à mort, sinon la nation périrait. C’était le jugement d’un dirigeant fort, résolu et autoritaire, et il fut accepté par le tribunal.
Le jugement était plus profondément vrai que Caïphe et ses collègues ne le pensaient. « Ceci », observe l’évangéliste, « il ne le dit pas de lui-même, mais, étant Grand Prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus mourrait pour la nation, et non seulement pour la nation, mais afin de rassembler les enfants de Dieu dispersés. » Il y avait en effet une justesse dramatique dans la prononciation, par les lèvres du Grand Prêtre, de cette prophétie inconsciente du Sacrifice infini qui racheta le monde. Et il y avait aussi une ironie tragique, puisqu’en décrétant la mort de notre Seigneur, le Sanhédrin décréta le désastre national qu’il pensait ainsi éviter.