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LES AFFECTIONS D’UNE NOUVELLE CRÉATION
Mt. xxiv (x. 17-23), xxv ; Mc. xiii ; Lc. xxi. 5-36, xii. 35-38.
Si l’expérience de cette journée mémorable avait plongé le Maître dans un émerveillement nouveau aux yeux de ses disciples, elle avait aussi accentué le pressentiment inquiétant qui les opprimait depuis quelque temps. Ils avaient assisté à ses violentes confrontations avec les dirigeants et entendu son indignation contre les scribes ; et ils pressentaient l’issue inévitable. Ces hommes orgueilleux n’auraient de cesse qu’ils n’aient pris leur revanche ; et, connaissant leur puissance, ils reconnaissaient la certitude de sa destruction. Ils le suivirent en silence jusqu’à ce qu’ils aient quitté l’enceinte sacrée ; puis, en contemplant le Temple, ce magnifique édifice que l’ambition du roi Hérode avait édifié avec d’énormes blocs de marbre brillant incrustés d’or, leur cœur se serra. Ils se sentaient petits et impuissants face à un pouvoir ainsi intronisé. « Maître », s’exclama l’un d’eux, « vois quelles pierres et quels édifices ! » « Tu contemples ces imposants édifices ? » répondit-il calmement. « En vérité, je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit démolie. »
Ils comprendraient ce qu’il voulait dire, puisqu’ils avaient déjà entendu de sa bouche les avertissements du malheur qui s’abattait sur la ville turbulente [ p. 367 ] et que les dirigeants eux-mêmes appréhendaient. Ils ne dirent rien sur le moment, mais peu à peu, alors qu’ils étaient assis dans le jardin avant de s’allonger pour dormir, les trois favoris et André, le frère de Pierre, qui avait récemment partagé leur intimité particulière avec le Maître, désirèrent des informations plus complètes (cf. Lc 19. 41-44 ; Mt. 21. 41 ; xxiii. 35 ; Jn 11. 48-35). « Dis-nous, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que tout cela sera sur le point de s’accomplir ? » Ce n’était pas une question oiseuse. Ils avaient sûrement besoin de conseils en prévision d’une catastrophe aussi terrible ; et Il répondit à leur supplication, et là, dans le silence du verger, leur parla de l’épreuve qui les attendait après Son départ.
Son thème était double : la catastrophe immédiate qui se produisit quelque quarante ans plus tard, lorsque Jérusalem tomba devant l’armée de Titus, et cette consommation finale, toujours inachevée - sa glorieuse réapparition ; et pour que nous puissions vraiment apprécier ce qui est écrit ici, deux faits doivent être considérés.
(1) Il était difficile aux disciples, à qui le Maître avait si souvent reproché leur lenteur à comprendre même son enseignement le plus simple, de saisir son discours sur des thèmes si transcendants et si éloignés de leur expérience et de leurs attentes ; et leur rapport ultérieur ne pouvait être que maigre ; il ne reprenait pas l’intégralité de son discours, mais seulement ce qui restait dans leur mémoire. Et c’était là tout le matériel dont disposaient les évangélistes. Comment l’ont-ils traité ? Le récit de saint Matthieu est le plus complet, et il est significatif qu’il contienne deux passages que saint Luc attribue à d’autres occasions. C’est ici que leur méthode est révélée (cf. Mt. 24. 23-28 ; 37-40 avec Lc 17. 20-37, et Mt. 24. 43-51 avec Lc 12. 39-46). Notre Seigneur, surtout dans les derniers jours de [ p. 368 ] Son ministère parlait fréquemment de choses à venir, et nombre de ses paroles restaient gravées dans la mémoire de ses disciples et furent répétées par eux après son départ. Et lorsque les évangélistes racontèrent l’histoire de cette nuit solennelle sur le mont des Oliviers, ils complétèrent les maigres souvenirs de son discours par d’autres fragments appropriés.
(2) C’était une méthode légitime, mais son application était perturbée par une attente erronée, née dans l’Église après le départ du Seigneur et qui, comme le montrent les épîtres de saint Paul aux Thessaloniciens, causa de nombreux troubles. Malgré ses fréquentes et explicites allusions selon lesquelles le moment de son retour était caché dans le conseil secret de Dieu et, l’action de ses plus pures pensées étant toujours patiente et graduelle, risquait d’être longtemps retardée, la première génération de croyants, impatients de l’abondance de l’iniquité et avides du triomphe rapide de son Royaume, attendait son retour de leur vivant. Les évangélistes partageaient cette attente, et cela faussait leur jugement en classant ses indications dispersées sur l’épreuve future. Ils écourtaient la perspective des événements, la consommation finale de son retour survenant juste après la catastrophe imminente de la destruction de la ville (Mt. 24, 38 ; Ac 1, 7 ; cf. Mt. 13, 24-33). C’est une conséquence naturelle et en effet inévitable de leur présupposition erronée ; pourtant telle était leur fidélité à la tradition évangélique qu’ils ont dans le même souffle rapporté des paroles de lui qui la contredisent et prouvent ce qu’était réellement son enseignement (Mt. xxiv. 29 ; Mc. xiii. 24 ; Mt. xxiv. 6-8, 14 ; Mc. xiii. 7-10 ; Lc. xxi. 9 ; Mt. xxv. 5).
Il commença par la catastrophe immédiate dont [ p. 369 ] ses disciples, par la force des choses, allaient être témoins. Non seulement il était très pénible pour les cœurs juifs que la ville de leurs pères et le Dieu de leurs pères périssent, mais qui pouvait dire quelle détresse et quelle souffrance les attendaient ? La perspective était en effet sombre, et il leur dit que leurs pires pressentiments se réaliseraient. La ruine de Jérusalem n’était qu’un incident dans une tragédie mondiale ; car le fanatisme sauvage que leur idéal révolutionnaire d’un Royaume messianique avait allumé dans les cœurs juifs et qui, comme Josèphe l’observe à juste titre, précipita directement le désastre national, n’était qu’une phase de cet esprit agité qui possédait les nations en ces jours troublés et devait se traduire par une commotion et une calamité universelles.
Mais que signifiait tout cela ? Ici, le Seigneur prononce une parole de réconfort. « Soyez sans crainte », dit-il. « Tout ceci n’est que le commencement des douleurs de l’enfantement. » L’épigramme exprime la philosophie chrétienne de l’histoire. Sous toute la confusion apparente du monde se cache la volonté souveraine du Dieu Tout-Puissant, accomplissant sans cesse son dessein invincible de bonté et de miséricorde et créant un ordre supérieur et plus noble ; et les souffrances et les chagrins de l’humanité ne sont en vérité que les douleurs de l’enfantement d’un monde meilleur. Sur le moment, seule la confusion apparaît, mais peu à peu, avec le recul, nous comprenons comment, dans le langage des Saintes Écritures, le tremblement de terre par Dieu a toujours signifié la suppression de ce qui est ébranlé afin que ce qui ne l’est pas demeure. (Hébreux xii. 26-28)
Et c’était là la haute vocation des disciples, un défi à leur foi et à leur courage. Jérusalem était le berceau de l’Église, et l’Évangile périrait-il avec sa destruction ? Certainement s’il y demeurait ; [ p. 370 ] mais il ne devait pas y rester. Les disciples étaient les apôtres du Seigneur, et leur tâche était de porter le message de son salut et de le proclamer au loin, afin que, après la chute de Jérusalem, elle puisse encore prospérer sur d’autres terrains plus vastes. C’était une tâche immense, et le temps était court ; mais il y avait suffisamment de temps pour l’accomplir si seulement, comme ils le voulaient, ils s’y consacraient avec un cœur ferme, sans crainte du péril et de la persécution. « Cet Évangile du Royaume sera proclamé dans le monde entier, en témoignage à toutes les nations ; et alors viendra la fin. » Et c’est effectivement ce qui arriva. La fin tragique n’aurait lieu que quatorze ans plus tard, lorsque l’Apôtre des Gentils écrivit que « depuis Jérusalem et tout autour jusqu’en Illyrie, il avait accompli la prédication de l’Évangile du Christ » (Rom. xv. 19).
La chute de Jérusalem marqua la fin de l’État juif et de la position historique d’Israël comme peuple particulier de Dieu et témoin de Dieu parmi les nations, mais elle ne fut pas la fin de toutes choses. Ce fut « le commencement des douleurs de l’enfantement », un nouveau départ dans l’accomplissement du dessein séculaire de la rédemption, ce dessein divin qui triomphera lorsque notre Seigneur apparaîtra dans la gloire pour juger le monde et établir son Royaume. De cette consommation finale, il parle maintenant, employant l’imagerie familière des Écritures prophétiques ; et, compte tenu de la curiosité naturelle de ses disciples et de l’impatience avec laquelle ils l’attendaient sûrement au milieu de la détresse imminente et de leur découragement face à la lenteur de leur délivrance, il leur adresse un double avertissement. Il leur dit d’abord, avec une insistance explicite, que le moment de cette consommation suprême était caché dans le [ p. 371 ] conseil secret de Dieu, même de lui-même, entre-temps, dans son état d’humiliation. « De ce jour et de cette heure, nul ne le sait, ni les anges du ciel, ni le Fils, mais le Père seul. » Cela pouvait arriver bientôt, mais il était plutôt probable que cela tarderait longtemps ; et il est remarquable, preuve de l’insistance avec laquelle il parlait ici, que, malgré leur imparfaite compréhension et celle de leurs contemporains, les évangélistes n’ignorèrent en rien cette indication. Ils racontent comment il mit en garde ses disciples contre l’impatience et la négligence qui résulte d’un espoir différé ; et saint Matthieu, soucieux de préserver l’enseignement de notre Seigneur, a rapporté, telles qu’elles furent prononcées en cette nuit mémorable, deux paraboles inoubliables, renforçant particulièrement ce dernier avertissement.
La première est la parabole des dix vierges. Le Seigneur y raconte l’histoire d’un festin de noces semblable à celui de Cana, auquel lui et ses premiers disciples avaient assisté au début de son ministère. Il se tenait, selon la coutume, après la tombée de la nuit, dans la maison des parents de la mariée ; dix jeunes filles, amies de la mariée, sortirent de bonne heure, lampes allumées, à la rencontre de l’époux et l’y escortèrent. Il habitait manifestement à la campagne, et elles se rendirent à la porte de la ville pour l’y attendre. Par malheur, il fut retenu. Heure après heure, et tandis qu’elles attendaient assises sous le porche, elles s’assoupirent et s’endormirent. À minuit, le portier les réveilla. « Voici l’époux ! » s’écria-t-il. « Allez à sa rencontre. » Elles se levèrent et constatèrent que, pendant leur sommeil, leurs lampes s’étaient éteintes. Cinq d’entre elles avaient apporté leurs fioles d’huile et les avaient remplies, [ p. 372 ] mais les autres n’avaient rien prévu. « Donnez-nous un peu de votre huile », supplièrent-elles. « Nos lampes s’éteignent. » « Il n’y en aura pas assez pour nous et pour vous », fut la réponse. « Allez en acheter pour vous-mêmes. » Il était difficile de se procurer de l’huile à cette heure indue, et avant leur retour, l’époux était passé avec leurs compagnes à sa suite. Elles se hâtèrent de les suivre et découvrirent que le festin avait commencé. C’était l’époux qui offrait le festin de noces, et lorsqu’elles frappèrent à la porte fermée, ce fut lui qui répondit. « Seigneur, seigneur, crièrent-elles, ouvrez-nous ! » Mais il refusa, les prenant pour des étrangers indiscrets. « Je vous le dis, je ne vous connais pas. »
La parabole est une image de la venue de l’Époux céleste pour réclamer son épouse, rachetée par son sang ; et la leçon que notre Seigneur inculque ici à ses disciples est que, puisqu’ils ignorent quand il viendra, il leur convient d’être toujours prêts, de peur d’être surpris. Quelle était la différence entre ces jeunes filles ? (Éphésiens 2:25-27 ; Apoc. 19:7-9) Si l’époux était venu tôt, elles l’auraient toutes accueilli avec joie et l’auraient accompagné au festin ; mais il tarda, et c’est son retard qui fit toute la différence. Et il en sera ainsi en ce grand jour où le Seigneur apparaîtra. De même que toutes les jeunes filles « s’assoupirent et s’endormirent », il se peut, et même il faut, que sa venue nous surprenne ; mais quelle surprise sera-ce ? On raconte que ce bel homme de Dieu, saint François de Sales, fut un jour trouvé par un frère austère, assis avec un enfant à ses côtés. Le petit garçon avait posé son échiquier sur les genoux du saint et jouait avec lui. L’intrus fut choqué. « Frère [ p. 373 ] François », lui rétorqua-t-il, « et si le Seigneur apparaissait et te trouvait en train de jouer avec un enfant insensé ? » « Mon frère », répondit-il, « je terminerais la partie : c’est pour sa gloire que je l’ai commencée. » Voici le test pour savoir si nous sommes prêts à son apparition : vivons-nous continuellement dans la lumière de sa sainte et bénie Face ? Où que nous soyons et quelle que soit notre occupation, culte, affaires ou plaisir, pourrions-nous, s’il se manifestait soudainement parmi nous, nous lever sans honte ni confusion et lui souhaiter joyeusement la bienvenue ? « Dans toutes les occupations où je pourrai vous surprendre », est l’une de ses paroles non écrites, « c’est en elles que je vous jugerai. » Tant mieux pour nous, en cette heure solennelle et inévitable, s’il y a en nous une source profonde et abondante de foi et d’amour. Alors, sa venue nous surprendra peut-être, mais elle ne nous découragera en rien.
Contre l’impatience et le découragement, il existe un remède souverain ; le Seigneur le montre à ses disciples dans une seconde parabole. Il raconte comment un marchand, ayant l’occasion de voyager à l’étranger, confia la gestion de ses affaires à trois de ses esclaves – « ses propres esclaves », dit notre Seigneur, désignant les trois qu’il avait gardés auprès de lui dans son commerce et qu’il jugeait les plus qualifiés. Selon son appréciation de leurs capacités, il confia à l’un d’eux cinq talents (environ 1 000 £), à un autre deux (400 £) et au troisième un (200 £), chacun selon ses capacités particulières, et les chargea de faire du commerce avec son argent jusqu’à son retour. Satisfaits de la confiance de leur maître, le premier et le deuxième se mirent allègrement au travail et commerçèrent avec diligence et succès. Mais qu’en était-il du troisième ? L’insignifiance relative [ p. 374 ] de sa confiance le peinait, et il pensait amèrement à son maître. Pourquoi se donnerait-il du mal pour celui qui l’avait tant méprisé, un tyran avide et insatiable ? Un vaurien aurait pu s’emparer de l’argent, mais il n’en était pas un. Il ne voulait pas faire du commerce avec sa confiance, mais il la restaurerait intacte. Et qu’en ferait-il en attendant ? À la manière d’autrefois, il j’ai creusé un trou dans le sol et je l’ai enterré là.
Le maître était absent depuis longtemps et son retour fut célébré par un joyeux banquet. Il était impatient de savoir comment ses affaires s’étaient déroulées pendant son absence et, tandis que la table était dressée, il interrogea les trois esclaves et leur demanda des comptes. Le premier lui dit fièrement qu’il avait doublé les 1 000 £. « Bravo, mon bon et fidèle esclave ! » s’écria le maître. « Tu as été fidèle à une petite mission : je te confierai une grande mission. Viens au festin de ton maître. » Le deuxième rapporta qu’il avait lui aussi doublé son capital et produit 800 £. « Bravo, mon bon et fidèle esclave ! » s’écria de nouveau le maître. « Tu as été fidèle à une petite mission : je te confierai une grande mission. Viens au festin de ton maître. » Le troisième se tenait là, et les exploits de ses compagnons et les éloges qu’ils avaient reçus réprimaient sa négligence et son erreur de jugement envers un maître si généreux ; Mais le regret était désormais inutile, et il essaya de l’exprimer avec effronterie. « Maître », dit-il en montrant les 200 £, « j’avais appris que vous êtes un homme dur, « moissonnant où vous n’avez pas semé et ramassant où vous n’avez pas répandu » ; j’ai eu peur et je suis allé cacher vos 200 £ dans la terre. Voyez ! Vous avez les vôtres. »
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C’était un discours insolent et mensonger. L’individu affirmait son honnêteté, mais en réalité, il avait escroqué son maître en laissant son argent inutilisé. S’il refusait de le vendre lui-même, il aurait dû le confier à d’autres. « Esclave méchant et paresseux ! » s’exclama le maître indigné. « Saviez-vous que je moissonne où je n’ai pas semé et que je ramasse où je n’ai pas répandu ? Alors, vous auriez dû déposer mon argent chez les banquiers, et maintenant que je suis arrivé, j’aurais gagné mon argent et les intérêts qui en découlaient. » Il n’y avait pas de place pour lui au festin ce soir-là. « Prenez-lui les 200 £ et donnez-les à l’homme qui a les 1 000 £ ; et chassez cet esclave inutile dans les ténèbres du dehors. »
Ici, notre Seigneur montre à ses disciples comment se préparer à le rencontrer à son retour. Ils avaient du travail à accomplir, et ce travail était la mission qu’il leur avait confiée ; et leur ambition devait être qu’à son retour, tôt ou tard, ils soient trouvés fidèles. Voyez avec quelle noblesse il les encourage. L’opportunité est la mesure de la responsabilité, et la fidélité la mesure de la récompense. Le maître proportionnait la mission de chaque esclave à ses capacités particulières. Le premier recevait 1 000 £, et le second, parce que ses capacités étaient moindres, seulement 400 £ ; mais malgré leurs capacités différentes, ils firent preuve d’une égale diligence et furent également récompensés. Et si le troisième avait fait preuve d’une égale diligence dans l’accomplissement de sa mission moins importante, il aurait été également récompensé ; même, s’il avait fait preuve d’une plus grande diligence, sa récompense aurait été la plus grande de toutes. Voyez quelle fut leur récompense. Rabbi Siméon ben Azzaï a dit que « la récompense d’un commandement est [ p. 376 ] un commandement », ce qui signifie que la fidélité ouvre toujours plus d’opportunités et qu’un devoir bien accompli en ouvre un autre. La récompense du Maître pour son service fidèle est le privilège de le servir davantage. Ainsi, la confiance négligée de l’esclave infidèle est transmise à son voisin qui a prouvé ses capacités exceptionnelles.
Un problème se posait inévitablement aux disciples tandis que le Seigneur parlait ainsi. S’agissant d’eux et de ceux qui, comme eux, entendraient sa parole et accepteraient sa confiance, la justice de son jugement final était incontestable ; mais qu’en serait-il de ceux qui resteraient étrangers à lui et à son Évangile ? Qu’en serait-il des myriades de païens ? Seraient-ils considérés, comme l’enseignaient les rabbins, comme un simple combustible pour la Géhenne, condamnés pour ne pas avoir cru en un Sauveur qu’ils n’avaient jamais connu et pour n’avoir pas obéi à un commandement qu’ils n’avaient jamais entendu ? Peut-être les disciples ont-ils soulevé la question. Quoi qu’il en soit, elle devait les hanter, et, exprimée ou non, il y répond maintenant en leur présentant, dans l’imagerie familière des Écritures prophétiques, une image de la Dernière Assise – le jugement, notons-le, non pas de « toutes les nations », comme le dit notre ancienne version, mais de « toutes les nations » (cf. Zacharie XIV, 5 ; Daniel VII, 13 ; Joël III), désignation biblique du monde païen. « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous ses anges, alors il siégera sur le trône de sa gloire, et toutes les nations seront rassemblées devant lui. » (Cf. versets 37-39.44.) À ce tribunal solennel seront traduits en justice ceux qui n’ont jamais vu le visage du Sauveur ni entendu son nom, et ce sera pour eux un jour de surprise. [ p. 377 ] leur révélant des relations spirituelles et des issues éternelles insoupçonnées. Comme à la tombée du jour les brebis et les chèvres qui se sont mêlées sur le flanc de la montagne seront séparées, ainsi le Juge royal rassemblera la foule à sa droite et à sa gauche et prononcera leurs différentes destinées. « Venez, les bénis de mon Père », dira-t-il à ceux qui seront à sa droite, « héritez du Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger et vous m’avez hébergé ; nu et vous m’avez vêtu ; j’étais malade et vous m’avez visité ; J’étais en prison et vous êtes venus à moi. » Pourtant, jusqu’à cette heure-là, ils n’avaient jamais vu son visage. « Seigneur », s’exclameront-ils, « quand vous avons-nous vu si vaincu et si bienveillant envers vous ? » Et il désignera les pauvres âmes qu’ils ont secourues dans la détresse. « En vérité, je vous le dis, puisque vous avez fait cela à l’un de ces mes frères, si insignifiants, c’est à moi que vous l’avez fait. » Et il dit à l’assemblée à sa gauche : « Loin de moi, maudits ! Puisque vous ne l’avez pas fait à ceux-ci, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. »
Ici, notre Seigneur énonce une vérité profonde qui, si peu comprise par les disciples sur le moment, leur fut révélée plus tard par la grâce du Saint-Esprit. De même qu’aux jours de sa chair, ainsi toujours dans sa gloire, notre Seigneur aime les hommes, surtout ceux qui sont dans le besoin ; et puisque l’amour est substitutif, il n’est pas une joie ou une tristesse humaine qu’il ne partage. Ainsi, tout ce que nous faisons à nos semblables, nous le faisons à lui ; et quiconque, même s’il n’a jamais entendu le nom du Sauveur, [ p. 378 ] aime son frère et subvient à ses besoins, l’aime et le sert.
« Toujours là où la pitié partage
C’est du pain avec la tristesse, le besoin et le péché.
Et l’amour prépare le festin du mendiant,
L’invité non invité entre.
« Inaudible, car nos oreilles sont sourdes,
Invisible, car nos yeux sont ternes,
Il marche sur notre terre, le Merveilleux,
Et toutes les bonnes œuvres lui sont faites.
« Puisque tu as fait cela à l’un d’eux, c’est à Moi que tu l’as fait. »
Ce sera l’épreuve finale pour ceux qui n’ont jamais connu le Sauveur ici-bas. Pour ceux qui l’ont connu et entendu son Évangile, la question sera de savoir s’ils y ont cru. Et en vérité, il n’y a aucune différence ; car non seulement l’amour christique chez ceux qui ne l’ont jamais connu est une preuve que s’ils avaient entendu son Évangile, ils y auraient cru, mais son absence chez ceux qui le connaissent et professent leur foi en lui dément leur profession. C’est pourquoi il est écrit : « Si quelqu’un dit : “J’aime Dieu”, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur » (1 Jn 4, 20-21). Car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas. Et nous avons de lui ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. »