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LE PROCÈS :
(II) Devant le procurateur romain
Mt. xxvii. 11h-30 ; Marc. XV. 1-19 ; Luc XXII. I-25 ; Jo. XVIII. 28-xix. 16.
Ce fut un grand malheur pour la province impériale de Judée lorsqu’en 25 av. J.-C. Ponce Pilate en fut nommé procurateur. Arrogant, impitoyable et autoritaire, il était mal placé pour traiter avec un peuple si attaché à ses traditions, si sensible à l’insulte, si téméraire dans ses provocations ; et à peine fut-il investi qu’il le provoqua dans un antagonisme implacable. Il avait une horreur invétérée des images, et ses prédécesseurs, soucieux d’éviter toute offense inutile, s’étaient abstenus d’exposer dans la Ville sainte les étendards militaires à l’effigie de l’empereur. Mais Pilate dédaigna ce qui lui semblait une faible soumission à une superstition méprisable, et lorsque les troupes allèrent y hiverner, il ordonna qu’elles portent leurs étendards à Jérusalem. Il faisait nuit lorsqu’ils y entrèrent, mais au matin, les emblèmes impies furent aperçus plantés sur la citadelle, près du Temple. Les Juifs indignés accoururent en grand nombre à Césarée, capitale officielle de la province, et pendant cinq jours, ils assiégèrent le procurateur par de vaines supplications. Finalement, le sixième jour, il leur accorda une audience à l’hippodrome, où il avait secrètement posté un détachement militaire ; et lorsqu’ils renouvelèrent leurs [ p. 436 ] protestations, il fit signe aux soldats, qui encerclèrent les suppliants et les menacèrent de mort immédiate s’ils ne cessaient pas leurs clameurs et ne rentraient paisiblement chez eux. Il s’attendait à ce qu’ils soient terrifiés et se soumettent ; mais il ignorait encore à quel genre d’hommes il avait affaire. Ils se jetèrent à terre et, le cou découvert, déclarèrent qu’ils préféraient mourir plutôt que de subir la transgression de leur Loi sacrée.
Le procurateur avait abusé de ses moyens. Il n’osa pas mettre sa menace à exécution et déclencher ainsi un incendie dans sa province. Il ordonna aux soldats de rengainer leurs épées et donna l’ordre de retirer les étendards. Ce fut un dénouement ignominieux et fatal. Il avait commis la faute funeste d’annoncer un ultimatum qu’il ne pouvait exécuter ; et dès lors, son autorité était brisée. Il était à la merci de ses sujets irrités. Ceux-ci comprirent qu’il craignait le mécontentement de l’Empereur et qu’il leur suffisait de crier et de menacer d’insurrection pour le maîtriser.
Ce fut une inauguration malheureuse du gouvernement du procurateur, et ses relations avec ses sujets étaient devenues de plus en plus difficiles au cours des trois années écoulées. C’était une époque de corruption, d’oppression et de cruauté, rétribuées par une haine indignée ; et l’embarras du malheureux procurateur avait récemment été aggravé par une querelle avec son voisin Hérode Antipas, tétrarque de Galilée et de Pérée. L’occasion en était probablement l’atrocité qu’il avait perpétrée huit ou neuf mois auparavant (cf. Lc 13, 1), lorsqu’il avait massacré un groupe de fidèles galiléens dans la Ville sainte. Étant [ p. 437 ] Galiléens, ils étaient sujets d’Antipas, et il devait naturellement s’indigner de cet outrage.
Que la décision revienne à un arbitre aussi embarrassé était de mauvais augure pour l’issue du procès de notre Seigneur. Même s’il avait voulu rendre justice, il n’osait pas. Déjà, un rapport sur sa mauvaise administration était parvenu à l’empereur et lui avait valu une sévère réprimande, et de nouveaux ennuis entraîneraient sa révocation et sa disgrâce. Il était à la merci de ces Juifs fanatiques, qui le savaient et entendaient bien faire leur volonté.
Ils le montrèrent dès le début. Comme il était peu après 3 heures du matin lorsque le Sanhédrin se réunit, il était à peine 5 heures lorsque le procès précipité prit fin et qu’ils se rendirent au Prétoire. Les affaires commençaient en effet tôt dans l’étouffant Orient. Même à Rome, les clients se présentaient chez leurs clients à 6 heures du matin, et les tribunaux siégeaient de 8 à 9 heures ; et en Judée, on observait des horaires encore plus tôt. Mais même là, 5 heures du matin était une heure inopportune pour les affaires, et les Sanhédristes témoignèrent de leur peu d’estime pour leur procurateur en se présentant si tôt et en exigeant son attention. Et ils poussèrent leur insolence encore plus loin. Une demeure païenne était cérémoniellement impure, et s’ils étaient entrés au Prétoire, ils auraient été impurs pour le reste de la journée, qui avait commencé au coucher du soleil la veille et avait duré jusqu’au coucher du soleil le soir même. Et ainsi, comme l’observe l’évangéliste, ils auraient été incapables de « manger la Pâque » – une expression désignant non seulement la Cène pascale qu’ils avaient déjà mangée, mais l’offrande sacrificielle d’action de grâce ( chagigah ) qu’ils devaient encore présenter cet après-midi-là (Jn 18, 28). Leur décision appropriée fut de reporter le procès jusqu’à la fin [ p. 438 ] de la Fête ; mais ils étaient impatients de la condamnation du Seigneur et, avec une insolence non dissimulée, ils refusèrent d’entrer dans le Prétoire, mais restèrent dehors, devant la porte, et sommèrent le procurateur de venir s’occuper d’eux.
Le fait qu’il obéît à leur convocation montre combien il les intimidait. Irrité par l’indignation, il sortit et leur demanda ce qu’ils voulaient savoir : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » « S’il n’avait pas été un criminel, répondirent-ils avec hauteur, nous ne vous l’aurions pas livré. » « Prenez-le, dit-il avec impatience, et jugez-le selon votre loi. » « Il ne nous est pas permis, répliquèrent-ils sèchement, de mettre qui que ce soit à mort. » C’était une indication significative : ils l’avaient déjà jugé selon leur propre loi et condamné à mort, et ils étaient venus faire ratifier leur sentence.
Et ils présentèrent leur acte d’accusation formel : « Nous avons trouvé cet individu en train de pervertir notre nation, interdisant de payer le tribut à César et se faisant passer pour le Messie, un roi. » Observez leur ingéniosité sans scrupules. Le Seigneur avait en effet commis l’offense de s’être « fait passer pour le Messie », et pour ce motif, le Sanhédrin l’avait déclaré coupable de blasphème. Mais une accusation de blasphème ne pouvait être portée devant un tribunal romain, et donc, en le déférant au procurateur, ils lui donnèrent une connotation politique. C’était facile, car à cette époque, le Messie était perçu comme un libérateur national ; et, oubliant honteusement tout patriotisme et toute religion, ils l’accusèrent de comploter contre l’empereur.
C’était une accusation grave, et Pilate n’osa pas la prendre [ p. 439 ] à la légère. Ordonnant aux gardes de conduire le prisonnier au Prétoire, il s’y retira et procéda à son interrogatoire. Il était visiblement impressionné par l’attitude du Seigneur, si fatigué et débraillé par les brutalités, mais si calme et pourtant si majestueux. Ce n’était sûrement pas un aventurier intrépide ! « Toi », dit-il, « es-tu le roi des Juifs ? » C’était une parole courtoise, et elle méritait une réponse courtoise. Mais que pouvait dire notre Seigneur ? Une affirmation directe aurait exigé de nombreuses explications que Pilate aurait eu du mal à comprendre. « Est-ce pour votre propre compte, répondit-il, que vous dites cela, ou d’autres vous l’ont-ils dit de moi ? » L’idée qu’il avait été en communication avec ces odieux fanatiques irrita le procurateur. « Suis-je Juif ? » s’écria-t-il. Ta propre nation et les grands prêtres t’ont livré à moi. Qu’as-tu fait ? » Une explication s’imposait à Pilate et à notre Seigneur lui-même. Il ne pouvait abjurer sa prétention messianique, mais il assura le procurateur qu’il n’y avait aucune trahison : « Mon royaume n’appartient pas à ce monde. Si mon royaume avait appartenu à ce monde ! Mes serviteurs auraient lutté pour m’empêcher d’être livré aux Juifs. Or, mon royaume n’est pas ici. » « Ainsi, dit Pilate, tu es roi, toi ! » « Qu’il en soit ainsi », répondit-il. « C’est pour cela que je suis né et que je suis venu au monde : pour témoigner de la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
Ah ! Pilate crut comprendre. Il avait déjà entendu ce genre de choses. N’était-ce pas un paradoxe de la philosophie stoïcienne que « le sage est roi » ? De toute évidence, le prisonnier n’était qu’un de ces inoffensifs [ p. 440 ] rêveurs dont se moquaient les Romains astucieux et pragmatiques. « Qu’est-ce que la vérité ? » dit-il en riant ; et, ordonnant aux gardes de le suivre avec le prisonnier, il se dirigea vers la porte et affronta les sanhédristes et une foule curieuse qui s’était rassemblée. « Je ne trouve en lui aucun défaut », annonça-t-il.
Tel fut son verdict. Le prisonnier fut déclaré innocent, et il aurait dû être acquitté sur-le-champ ; mais les sanhédristes protestèrent avec colère, affirmant qu’il était dangereux. Il soulevait le peuple par son enseignement. Il avait commencé en Galilée, et maintenant il était en Judée, poursuivant sa propagande. Pilate aurait volontiers ignoré leurs clameurs, mais dans sa situation, il n’osa pas. Le prisonnier se tenait là, silencieux, et il l’implora, espérant qu’il réfuterait les accusations : « N’entends-tu pas de quoi ils t’accusent ? » C’était une piètre et lâche esquive. Il aurait dû les défier et rendre justice à tout prix ; et, à son grand étonnement, le prisonnier, qui, peu de temps auparavant, s’était montré si franc avec lui, gardait maintenant un silence méprisant.
Que faire ? Au milieu des clameurs des Sanhédristes, il avait saisi leur allusion à la Galilée, ce qui lui suggéra un moyen de s’échapper. Si le prisonnier était Galiléen, il était sujet d’Hérode Antipas, et le Tétrarque était alors à Jérusalem pour assister à la Pâque. Ce serait un acte de grâce de soumettre l’affaire à Antipas. Cela constituerait une expiation pour le récent massacre des fidèles galiléens et apaiserait le ressentiment du Tétrarque ; et, de plus, cela soulagerait le procurateur de son embarras actuel. En conséquence, il expédia le [ p. 441 ] prisonnier à l’ancien palais des Asmonéens où Antipas résidait lors de sa visite à Jérusalem, et les Sanhédristes le suivirent pour poursuivre l’affaire devant lui.
Ce fut une agréable surprise pour le Tétrarque lorsque Notre Seigneur fut introduit en sa présence ; car depuis qu’il avait versé le sang de Jean-Baptiste, il était hanté par le souvenir du crime, et récemment, la renommée du ministère galiléen de Notre Seigneur avait fait naître en lui la superstition qu’il pourrait être le martyr ressuscité, et il avait désiré le voir et savoir qui il était réellement. Enfin, il eut l’occasion qu’il désirait (cf. Mt. 14, 1-2 ; Mc 6, 14-16 ; Lc 9, 7-9) ; et ce fut un soulagement pour lui de découvrir le caractère infondé de ses appréhensions. Il interrogea le prisonnier sur son enseignement et lui proposa d’accomplir un miracle devant lui. Notre Seigneur traita ce tyran licencieux et lâche avec un mépris mérité. Il ne daigna répondre à ses questions ni à ses sollicitations, et lorsque les sanhédristes impatients déversèrent leurs accusations, il garda un silence digne. Ce n’était pas ainsi que le Tétrarque avait coutume d’être traité, et il prit une ignoble revanche. Il sortit une robe pourpre de sa garde-robe et en revêtit le prisonnier, se moquant de ses prétentions royales. Lui et ses hommes d’armes lui rendirent un hommage moqueur. Puis, lassé de ce jeu stupide, il congédia ses visiteurs, et le prisonnier fut reconduit au Prétoire, dans toute sa bravoure.
Ce fut un grand ennui pour Pilate que l’affaire lui soit ainsi renvoyée. Il n’y avait plus qu’à prononcer le jugement [ p. 442 ] et, pour cette mission désagréable, il se rendit à la porte d’entrée et affronta les sanhédristes dans l’expectative et la foule. C’était un point de la loi romaine qu’aucune sentence n’était valide si elle n’était pas prononcée par un tribunal, et comme les procès devaient souvent se dérouler non pas dans un tribunal ordinaire, mais, selon les besoins, sur des places de marché, des théâtres ou sur la route, un magistrat disposait d’un tribunal portatif. Un tel tribunal avait désormais été installé à la porte d’entrée du Prétoire, sur la Gabbatha, le large palier richement carrelé d’où descendaient les marches menant à la rue. Sur ce, Pilate s’assit et prononça son verdict (cf. Jn 19, 13 ; Mt. 27, 19) : « Vous m’avez amené cet homme accusé d’avoir séduit le peuple ; et, voyez-vous, en l’interrogeant devant vous, je n’ai trouvé en lui aucun des défauts dont vous l’accusiez. Hérode non plus ; car il nous l’a renvoyé, et, voyez-vous, il n’a rien commis qui mérite la mort. » Il marqua une pause. La seule suite raisonnable à une déclaration aussi catégorique d’innocence du prisonnier était un acquittement complet, et Pilate aurait volontiers prononcé cet acquittement. « Je vais donc », aurait-il dû conclure, « le relâcher » ; mais la vue de ces visages baissés l’intimida, et il suggéra un compromis faible et injuste : « Je vais donc le châtier et le relâcher. »
Elle aurait été accueillie par une tempête de protestations furieuses sans une interruption opportune. C’était une ordonnance politique du gouvernement impérial selon laquelle, en l’honneur de la fête, le procurateur devait, à chaque Pâques, gratifier la population de Jérusalem en accordant une grâce gratuite à tout prisonnier qu’il [ p. 443 ] pouvait nommer ; et juste à ce moment-là, une foule bruyante, la populace de la ville, accourut à la porte pour réclamer son privilège annuel. Pilate y vit une occasion d’arriver à ses fins. Il se trouvait alors en prison, sous le coup d’une condamnation à mort, un criminel qui, par une curieuse coïncidence, s’appelait également Jésus. [1] C’était un personnage notoire. C’était un brigand, l’un de ces bandits qui avaient leurs repaires dans le désert de Judée et infestaient la Montée du Sang, pillant les voyageurs entre Jérusalem et Jéricho (cf. Lc 10, 30) ; il avait été pris en flagrant délit lors d’une rixe sanglante. L’horreur qu’on lui inspirait, c’était d’être le fils d’un vénérable rabbin, d’où son surnom de Bar Abba, « le fils du Père », c’est-à-dire le rabbin.
C’était l’occasion pour Pilate. « Lequel des deux, dit-il, veux-tu que je te relâche ? Jésus Bar Abba ou Jésus Christ, comme on l’appelle ? » C’était un stratagème astucieux. Un instant de plus, et il aurait sûrement réussi. Bar Abba avait été une terreur publique et Notre Seigneur un héros populaire, et la populace l’aurait certainement choisi et emporté en triomphe. Un instant de plus, et il aurait été libre ; mais juste à ce moment, un message fut apporté à Pilate. Il venait de sa femme Claudia Procula. Durant les jours qu’elle avait passés en ville, elle avait entendu parler de Jésus, peut-être par ses serviteurs ; et il se peut qu’elle l’ait vu et même, en passant, l’ait entendu parler à la foule. [ p. 444 ] Son cœur de femme avait été touché, et en apprenant la nuit précédente que les dirigeants juifs avaient obtenu une troupe de soldats pour l’arrêter, elle avait été troublée. Sa sollicitude s’était transformée en un rêve inquiétant ; et en se réveillant et en découvrant que son seigneur avait été convoqué tôt et ce qui se passait, elle prit peur et lui écrivit un message hâtif : « N’aie rien à faire avec ce juste. J’ai été profondément troublée à son sujet en rêve. » Il ne fallut pas longtemps à Pilate pour desceller la missive et la relire ; mais ce fut assez long pour que le mal soit fait. Les malins sanhédristes, voyant comment leur proie risquait de leur être arrachée, incitèrent les chefs de la populace ; et lorsque Pilate leva les yeux et répéta sa question : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? », ils répondirent à son grand désespoir : « Le Bar Abba. » « Alors », objecta-t-il, « que vais-je faire de Jésus le Christ ? » « Crucifie-le ! » s’écrièrent-ils. « Mais », protesta-t-il, « quel mal a-t-il fait ? » Le choix appartenait à la populace, et, à leur manière, elle s’offusqua d’être dictée. Tous reprirent le cri et s’écrièrent avec vigueur : « Crucifie-le ! »
Que pouvait faire le malheureux procurateur, sinon acquiescer ? Il aurait pu, il aurait dû, défier les sanhédristes et acquitter le prisonnier qu’il avait déclaré innocent ; mais cela aurait été sa propre perte, et il n’osait pas l’affronter. Pour se sauver du sort qui le frappa six ans plus tard, lorsque Vitellius, le légat de Syrie, l’envoya à Rome pour répondre de sa mauvaise administration, il céda aux clameurs et perpétra un crime judiciaire. « Il libéra à leur demande celui qui, pour émeute et meurtre, [ p. 445 ], avait été jeté en prison et livra Jésus à leur volonté. » C’était, à ses yeux, une odieuse nécessité ; Pourtant, malgré tous ses efforts pour le dissimuler, sa conscience était mal à l’aise, et il chercha vainement à faire taire sa réprimande par un rejet dramatique de sa responsabilité. Il se fit apporter une bassine et une serviette, et à la vue des sanhédristes et de la foule, il se lava les mains. « Je suis innocent du sang de cet homme », dit-il : « vous y veillerez. » « Son sang », répondirent-ils, « soit sur nous et sur nos enfants ! » Leurs enfants se souvenaient-ils de ce défi impie quarante ans plus tard, lorsque Jérusalem périt au milieu du feu, du sang et des larmes ?
La crucifixion était le sort des criminels les plus vils, et la coutume inhumaine voulait qu’après leur condamnation, ils soient flagellés et moqués. Notre Seigneur fut donc conduit de la Gabbatha à la cour du Prétoire, où six licteurs le saisirent. Ils le déshabillèrent, l’attachèrent au poteau de flagellation et lui appliquèrent le fouet sur le dos et les épaules. C’était un instrument horrible, surnommé à juste titre « scorpion » : un knout de lanières de cuir chargées de pointes acérées qui, à chaque coup, entaillaient la chair tremblante jusqu’à mettre à nu les tendons et les os (cf. 1 Rois xii. 11). Une fois ce travail brutal accompli, ils le détachèrent et se moquèrent de lui. Sur ses épaules ensanglantées, ils jetèrent la robe pourpre du Tétrarque ; Ils prirent du tas de bois des brindilles de l’arbre épineux sidr, qui fleurit encore si abondamment dans la vallée du Jourdain, et, après avoir tressé un chapelet, le posèrent sur sa tête, puis mirent un roseau dans sa main en guise de sceptre. Puis ils lui rendirent un hommage moqueur, s’agenouillant devant lui et le saluant : [ p. 446 ] « Salut, roi des Juifs ! » Aussitôt, ils crachèrent sur lui et le frappèrent de coups. L’un d’eux lui arracha le roseau des mains et frappa sa tête couronnée d’épines.
Bien que d’habitude, Pilate fut ému ; et il pensa que, s’ils voyaient le prisonnier maintenant, ces Juifs impitoyables s’attendriraient peut-être et le laisseraient partir. Ordonnant aux soldats de l’y conduire, il se dirigea vers la porte. « Voyez », s’écria-t-il, « je vous l’amène dehors. Sachez que je ne trouve rien à redire… » [2] Il allait dire « en lui » lorsqu’il fut interrompu par l’apparition des gardes qui soutenaient le prisonnier, faible et ensanglanté, portant la couronne d’épines et la robe pourpre. « Regardez ! » s’écria-t-il, « l’homme. » C’était un appel à leur compassion. Ils allaient sûrement céder et en rester là ! De toute évidence, non seulement la populace inconstante, mais, sur le moment, même les pharisiens étaient touchés ; car c’est des grands prêtres impitoyables et de leurs officiers obséquieux que vint la réponse. « Crucifie ! crucifie ! » hurlèrent-ils. « Prenez-le vous-mêmes », s’écria Pilate avec dégoût, « et crucifiez-le ; car je ne trouve en lui aucun crime. » Mais ils le maintinrent sévèrement à sa tâche. L’exécution de la sentence lui incombait, et non à eux. « Nous avons une loi, et selon la loi il doit mourir, car il s’est fait Fils de Dieu. »
« Le Fils de Dieu » était un nom juif pour le Messie, et c’est tout ce qu’ils voulaient dire ; mais cette désignation était nouvelle pour Pilate et il l’interpréta à la manière païenne. Il avait déjà reconnu en notre Seigneur un esprit qui n’était pas de ce monde. [ p. 447 ] Se pourrait-il, songea-t-il, qu’après tout il y ait du vrai dans ces vieilles fables de divinités apparaissant parmi les hommes sous une forme humaine, et que ce mystérieux personnage (cf. Ac. xiv. 11,12), si doux et pourtant si majestueux, soit en effet un visiteur céleste ? Cette idée le surprit, et il conduisit le prisonnier à l’intérieur. « D’où es-tu ? » demanda-t-il avec empressement. C’était un triste rôle que Pilate avait joué tout au long de ce drame qui était sur le point de se terminer. Jamais, même lorsqu’il s’était recroquevillé devant ces Juifs haineux et avait consenti, pour se sauver, à un tort honteux, il ne s’était montré aussi mesquin et vil qu’il était maintenant secoué par une terreur superstitieuse. Le Seigneur le regarda avec dédain et ne daigna répondre. « Tu ne me parles pas ! » fulmina le misérable. « Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te libérer et le pouvoir de te crucifier ? » Il était indigne d’un homme aussi pusillanime de se vanter ainsi de son autorité ; et le Seigneur lui parla ouvertement et lui révéla la valeur de son autorité. Il n’était en vérité qu’un instrument aveugle entre les mains du Dieu Tout-Puissant, accomplissant sans le savoir son dessein souverain : « Tu n’avais aucune autorité sur moi, aucune, si elle ne t’avait été donnée d’en haut. C’est pourquoi », ajouta-t-il, se hâtant, selon son habitude, de faire preuve de générosité, « celui qui m’a livré à toi a commis un plus grand péché. » Il voulait parler du Grand Prêtre qui, connaissant les Écritures, avait néanmoins rejeté le Sauveur dont ils rendaient témoignage.
Déconcerté mais impressionné, Pilate retourna à la porte et implora la grâce du prisonnier. Mais ils ne voulurent rien entendre. « Si », crièrent-ils, « vous libérez cet homme, vous n’êtes pas l’ami de César. Quiconque se fait roi est un rebelle contre César. » [ p. 448 ] C’était une menace sérieuse. Le procurateur serait vraiment mal vu si l’on apprenait à Rome qu’il avait traité la trahison à la légère. Il se mordit la langue, mais ne put s’empêcher de répliquer. Il conduisit le prisonnier au tribunal et, l’y faisant asseoir comme sur un trône, vêtu de ses faux atours, il se tourna vers ses bourreaux. Insulteraient-ils leur nation en prenant au sérieux les prétentions de cette créature brisée et impuissante ? « Voyez ! » s’écria-t-il, « votre roi ! » « Adieu ! Qu’il parte ! » rugirent-ils ; « Crucifiez-le ! » « Dois-je crucifier votre roi ? » ricana-t-il. « Nous n’avons d’autre roi que César. »
Ce furent les grands prêtres qui parlèrent ; et la honte monta sur le visage des pharisiens patriotes lorsqu’ils entendirent la domination du tyran païen ainsi confessée, et confessée, de plus, ce jour-là parmi tous les jours de l’année (Jean, XIX, 14). C’était, observe l’évangéliste, le « vendredi de la Pâque » [3] ; et la veille encore, ils célébraient la fête sacrée qui célébrait la délivrance de leurs pères du pays de servitude. Le cœur des pharisiens devait certainement brûler en eux à cette ignoble confession ; mais, quoi qu’ils aient pu ressentir, ils gardèrent le silence et ne protestèrent pas ; et Pilate livra le prisonnier à son châtiment.
D’après les témoignages d’autorités antérieures à notre plus ancien manuscrit, Origène avait cette lecture devant lui et la désapprouvait, car il jugeait inconvenant qu’un brigand porte ce nom sacré. ↩︎
La lecture originale sur les preuves textuelles. ↩︎
Pas « la préparation de la Pâque ». Préparation (paraskeue) était le nom juif de notre vendredi, le sixième jour de la semaine, où l’on se préparait au sabbat, le jour de repos. Ce nom juif a été repris par les premiers chrétiens, et il est toujours celui du vendredi dans le calendrier grec. Cf. Mc. xv. 42, où paraskeue est défini comme prosabbaton, « la veille du sabbat ». ↩︎