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LA CRUCIFIXION
Mt. XXVII. 31-66 j Marc. XV. 20-47 ; Luc XXII. 26-56 ; Jo. XIX. 17-42.
Il était alors, dit saint Jean, « environ la sixième heure », c’est-à-dire, selon ses calculs asiatiques, six heures du matin ; et les soldats procédèrent à l’exécution de la sentence ! Ils dépouillèrent le prisonnier de sa robe de pourpre et revêtirent ses propres vêtements. Il n’était pas la seule victime ce matin-là. Deux autres devaient être crucifiés avec lui : deux brigands, probablement complices de Bar Abba, qui, sans la ruse des grands prêtres, auraient partagé leur sort. La coutume voulait que le cruciarius, comme on appelait la victime en latin, porte sa croix jusqu’au lieu de l’exécution, et qu’on y porte devant lui une pancarte fixée au-dessus de sa tête : un tableau blanc sur lequel étaient inscrits en lettres noires son nom et son crime. Trois croix furent prises d’une pile empilée dans la cour et posées sur les épaules des victimes, et trois pancartes furent apportées au tribunal où Pilate les attendait. Sur deux d’entre eux, il aurait écrit le nom de l’homme suivi de « brigand », et sur le troisième, il aurait dû écrire de la même manière « Jésus, un rebelle » ; mais il voyait là l’occasion de se venger méchamment de ses bourreaux, et il écrivit en grands et clairs :
JÉSUS LE NAZAREEN LE ROI DES JUIFS
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Et afin que tous puissent le lire et le comprendre, il l’écrivit en hébreu, en grec et en latin :
ישו-ע הגצרי מלף־ ה יה ו• דים
ΙΗΣΟΥΣ Ο ΝΑΖΩΡΑΙΟΣ Ο ΒΑΣΙΛΕΥΣ ΤΩΝ ΙΟΥΔΑΙΩΝ
Jésus de Nazareth, roi des Juifs
Les grands prêtres élevèrent une protestation indignée. « N’écrivez pas, s’écrièrent-ils, “Le Roi des Juifs”, mais *Il a dit : Je suis le Roi des Juifs.’ » « Ce que j’ai
« J’ai écrit, j’ai écrit », répondit-il avec dédain, et il laissa tomber.
Et maintenant, le cortège se forma. Les soldats escortant les trois victimes chargées de croix sortirent du portail et descendirent les marches jusqu’à la rue. La foule s’écarta pour les laisser passer, puis se rapprocha et les suivit. Où étaient les onze pendant ce temps ? L’un d’eux au moins avait assisté au procès et en avait suivi le déroulement avec un intérêt angoissé. C’était Jean, « le disciple que Jésus aimait ». (Cf. Jo. xix. 17 RV) Il vit le cher Maître quitter le presbytère, chancelant sous son fardeau, mais il ne se joignit pas au cortège. Des cœurs anxieux attendaient de connaître l’issue : un petit groupe de femmes galiléennes venues à la fête et ci.jo.xix. logeaient ensemble en ville. Français C’étaient Marie, la mère du Seigneur, et sa sœur Salomé, la mère de Jean, et Marie, femme de Clopas (Alphsée) et mère de Jacques le Petit (Cf. Jo. XIX. 25 ; Mt. XXVII. 56 ; Mc. XV. 40) ; et avec elles était Marie-Madeleine qui, lorsque son frère et sa sœur avaient fui la colère des princes, était restée résolument. Et maintenant que l’issue était décidée et que Jean voyait le Maître sur le chemin de la mort, il s’empressa d’annoncer à ces âmes [ p. 451 ] aimantes la triste nouvelle et de les réconforter comme il le pouvait.
Le cortège se dirigea vers le nord à travers la ville ; c’était le chemin qui menait au lieu de l’exécution : une butte en forme de crâne, à quatre cents mètres de la porte de Damas, aujourd’hui connue sous le nom de Grotte de Jérémie, puis, en raison de sa configuration, sous le nom de Golgotha, en latin Calvaria, « le Crâne ». D’abord les victimes et leurs gardes, les poussant à coups de fouet et de lance ; puis, avec en tête les Sanhédristes exultants, la foule se bousculait. Toute la populace de la ville était là, impatiente de contempler ce spectacle horrible ; mais nombreux étaient ceux qui avaient le cœur lourd et l’auraient exprimé s’ils l’avaient osé : ceux qui aimaient Jésus pour les paroles pleines de grâce qu’il avait prononcées et les œuvres de grâce qu’il avait accomplies parmi eux.
Épuisé par tout ce qu’il avait enduré, le Seigneur poursuivit péniblement son fardeau jusqu’à la porte de la ville, et là, selon la tradition, il s’enfonça (cf. Mt. 27, 32). Il ne pouvait plus le porter, et les soldats, selon l’usage militaire, réquisitionnèrent pour le service le premier homme apte qu’ils aperçurent : un Juif hellénistique nommé Simon, originaire de Cyrène, une ville d’Afrique du Nord où se trouvait une importante colonie juive. Venu à Jérusalem pour la Fête, il logeait à la campagne et se rendait à la prière du matin au Temple. Juste au moment où il approchait de la porte, le cortège arriva, et il resta à l’écart jusqu’à son passage ; les soldats l’arrêtèrent et déposèrent la croix du Seigneur sur ses épaules. Sur le moment, ce fut pour Simon une vive contrariété et une profonde humiliation, mais plus tard, il s’en souviendrait avec [ p. 452 ] une gratitude respectueuse ; car c’était sa présentation à son Sauveur. Quoi qu’il en soit, en racontant l’histoire une quarantaine d’années plus tard, alors que Simon était mort et enterré, saint Marc l’identifia comme « le père Alexandre et Rufus » (Mc XV, 21). Il s’agissait manifestement de chrétiens célèbres à cette époque, et il se pourrait que ce dernier soit ce Rufus que saint Paul, dans le message personnel à l’Église d’Éphèse annexé au verset J 3- de sa grande encyclique sur la Justification par la foi, recommande si vivement, ainsi que sa mère dévouée (Rom. XVI, 13).
Pendant que les gardes étaient ainsi occupés, plusieurs femmes de la foule se rassemblèrent autour du Seigneur, sanglotant et gémissant avec une compassion toute féminine. « Filles de Jérusalem, dit-il, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants. » Ses souffrances touchaient à leur fin, mais les leurs étaient devant eux. La calamité de Jérusalem approchait à grands pas. « Les jours viennent où l’on dira : Heureuses les stériles, les entrailles qui n’ont point enfanté, et les mamelles qui n’ont point allaité. » Même dans son heure d’angoisse, c’est pour les autres qu’il se souciait, même pour la ville de ses meurtriers.
Reprenant sa marche, le cortège atteignit le Golgotha. Là, au sommet, face à la foule qui se pressait sur sa pente et aux voyageurs sur la route du nord qui serpentait à sa base, quatre soldats s’adonnèrent à leur tâche brutale. Ils plantèrent d’abord le montant de chaque croix dans le sol ; puis ils dépouillèrent chaque victime et, l’allongeant sur le dos sur le tableau, clouèrent ses mains tendues à chaque extrémité. Là, leurs opérations furent interrompues un bref instant. La crucifixion [ p. 453 ] n’était pas un châtiment juif. Elle semble avoir été inventée par cette race cruelle, les Phéniciens, et les Romains l’ont empruntée aux Carthaginois, une colonie phénicienne, au cours des guerres puniques. Ils ne l’infligèrent cependant pas à leur propre peuple. Ils la réservèrent aux esclaves et aux provinciaux ; Les Juifs en éprouvèrent un profond ressentiment. Sujets conquis de l’Empire romain, ils étaient impuissants à l’empêcher, mais ils en ressentaient l’horreur ; le Talmud raconte qu’il existait à Jérusalem une société de dames charitables qui, prenant pour devise l’ancien précepte : « Donnez des boissons fortes à celui qui est sur le point de périr, et du vin à celui qui a l’âme amère », fournissaient aux malades méritants un narcotique de vin médicamenteux pour les engourdir et engourdir leur sensibilité. Le breuvage miséricordieux fut présenté à notre Seigneur et, assoiffé de soif, il le prit et le porta à ses lèvres ; mais lorsqu’il y goûta et reconnut ce que c’était, il le rejeta.
Pourquoi ne la boirait-il pas ? Non pas que, à la manière des gymnosophistes indiens et des ascètes médiévaux, il supposât qu’il y avait un mérite, une efficacité expiatoire ou quelque chose de bien agréable à Dieu dans la simple souffrance physique. La raison était plutôt qu’il avait deux compagnons de misère, et pour ces voyous, il n’éprouvait aucune compassion lorsqu’ils furent traduits en justice et condamnés à souffrir sur la croix « la juste récompense de leurs actes ». Aucun anesthésiant ne leur avait été fourni ; et lorsque la potion miséricordieuse fut à ses lèvres et qu’il les vit la contempler avec nostalgie, notre Seigneur la lui retira. Avec une chevalerie surpassant celle de Sir Philip Sidney sur le champ de bataille de Zutphen, il refusa un soulagement refusé à ses [ p. 454 ] compagnons d’affliction. Ceux que tous méprisaient, il les plaignait.
Les soldats reprirent leur tâche interrompue. Il était habituel pour les victimes, tandis que les clous leur transperçaient les paumes, de crier, de supplier, d’injurier et de cracher sur leurs tortionnaires ; et un cri s’échappa des lèvres de Notre-Seigneur. Mais ce n’était ni un cri, ni une supplication, ni une imprécation : c’était une prière, une intercession pour ces soldats grossiers qui accomplissaient leur devoir brutal comme ils l’avaient fait maintes fois auparavant, sans jamais se douter de l’impiété qu’ils commettaient maintenant. « Père », gémit-il, « pardonne-leur ; car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Les traverses, chargées de leurs fardeaux, furent hissées sur les montants, Notre-Seigneur au milieu et un brigand de chaque côté ; et ensuite les pieds des victimes étaient attachés, soit par des clous enfoncés à travers eux, soit, comme le suggère le récit de saint Jean (cf. xx. 20, 25, 27.), par des cordes les attachant aux poteaux - une façon qui, bien que plus douce sur le moment, ne faisait que prolonger l’agonie mortelle.
Le travail était maintenant terminé, et après avoir fixé les pancartes sur les saillies des montants, les soldats se hâtèrent vers un office convivial : la répartition des vêtements des victimes qui, selon un usage qui a survécu parmi nous jusqu’à des jours tout à fait récents, étaient reconnus comme des avantages pour leurs bourreaux. Il y avait quatre bourreaux, et lorsqu’ils en vinrent au partage des vêtements de notre Seigneur, une difficulté surgit. Car un Juif avait cinq articles vestimentaires : un manteau (himation) ; une tunique (chiton), un gilet à manches courtes descendant jusqu’aux genoux ; une ceinture, encerclant la taille par-dessus la tunique ; des sandales ; et un turban (tsaniph). Chacun des soldats prit un vêtement, l’un le manteau, [ p. 455 ] un autre la ceinture, un autre les sandales, et le quatrième le turban ; Mais comment disposer de la tunique superflue ? La méthode évidente, qu’ils avaient peut-être suivie pour répartir les vêtements des brigands, était de la fendre en quatre morceaux utiles pour les rapiéçages ; mais ils remarquèrent une particularité dans la tunique du Seigneur. La tradition dit qu’elle avait été offerte par Marie, et qu’elle l’avait filée d’une seule pièce, sans coutures. C’était une mode galiléenne, mais une nouveauté pour ces soldats romains. Ils n’en avaient jamais vu de semblable, et, trouvant dommage de la déchirer, ils décidèrent de la tirer au sort.
Tandis qu’ils étaient assis à marchander ainsi, leurs victimes pendaient de douleur, et tous les regards étaient rivés sur la croix du milieu. Les chefs juifs s’étaient rassemblés sous celle-ci et raillaient le malade impuissant. « Il a sauvé les autres », raillaient-ils ; « lui-même, il ne peut se sauver. Il est le roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui. » La populace les encourageait, et même ses compagnons de souffrance, pensant ainsi s’attirer les bonnes grâces des chefs et peut-être même, comme cela arrivait parfois, obtenir un répit. Et bientôt, une fois leurs affaires réglées, les soldats se mêlèrent à la partie. Ils avaient avec eux un gobelet de « vinaigre », ce vin léger et aigre que buvaient les esclaves et les soldats de service, et ils se rafraîchissaient après leurs efforts (Jean 19 :29 ; Luc 23 :36). Et tout en buvant, ils levaient leurs coupes et buvaient avec dérision à « Sa Majesté ».
Au milieu de ce jeu vulgaire, un petit groupe apparut : Jean et ces quatre femmes. Il leur avait annoncé la lourde nouvelle, et malgré toutes ses remontrances, rien ne pouvait satisfaire Marie, si ce n’est [ p. 456 ] qu’elle irait au Calvaire et serait auprès du fils de son amour dans son angoisse mortelle. Ils l’accompagnèrent tous. Et voilà qu’ils arrivent et, se frayant un chemin à travers la foule, se tiennent sous sa croix. Leur apparition lui fut agréable, car elle lui offrait l’occasion de s’acquitter de ses derniers soucis terrestres. Il avait réfléchi au sort de Marie après son départ. Elle avait certes d’autres fils, mais rappelez-vous quel genre d’hommes ils étaient. Ce n’est pas une mince preuve de son origine céleste que, bien que nés dans le même foyer qui avait abrité son enfance et élevé en sa compagnie, ils étaient des Juifs grossiers, bornés, sans imagination et aux jugements erronés, jusqu’à ce que leurs âmes soient enfin dominées par sa grâce transformatrice. Il leur semblait un enthousiaste fou, et ils avaient réellement imprégné Marie de leur opinion grossière. Un jour, apprenant ses activités à Capharnaüm (Mc 3, 20, 21, 31-35), ils en avaient conclu qu’il était fou, et ils s’y étaient rendus avec elle dans le dessein de s’emparer de lui et de le maîtriser. Comment s’étonner alors qu’à l’agonie, il ait répugné à la laisser à leur charge ? Lorsqu’il la vit là, appuyée sur le disciple qu’il aimait, il la lui confia. « Femme », dit-il, « voici votre fils ; voici votre mère. » Il voulait que Jean prenne sa place et soit désormais le fils de Marie. Sa confiance ne fut pas trahie. Marie fut submergée par l’émotion, et Jean la sortit de cette scène pénible, et à partir de ce jour, elle fut une hôte honorée de sa maison.
C’était un incident émouvant, qui n’échappa pas aux spectateurs. Il toucha particulièrement l’un des deux [ p. 457 ] brigands, réveillant en lui des souvenirs de tendresse. Il garda le silence, et comme son compagnon persistait dans ses railleries, il le réprimanda : « Ne crains-tu même pas Dieu ? Tu partages son sort. Et nous le méritons ; car nous recevons la juste récompense de nos actes ; mais lui, il n’a rien fait d’outrageant. » Puis, tournant les yeux vers le visage humble à côté de lui : « Jésus, dit-il, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume. » Il y a peu, cela aurait été une raillerie, une imploration moqueuse adressée au « Roi des Juifs » ; mais le ton de la supplication trahissait un changement de cœur. Le pécheur mourant avait perçu la grâce et la majesté de son compagnon de souffrance et reconnu, bien qu’incompréhensible, ses prétentions. Et sa confiance ignorante fut récompensée. « En vérité, je te le dis », répondit le Seigneur, « aujourd’hui tu seras avec moi au Paradis. » Dans la terminologie juive de l’époque, le Paradis était le plus élevé des Sept Cieux, « la demeure de la Grande Gloire » (cf. 2 Cor. xii. 4), la présence immédiate de Dieu ; et la promesse était à la fois intelligible et extrêmement réconfortante pour ce pauvre pénitent ignorant. C’était l’assurance que, lorsque son âme quitterait son corps torturé, elle serait avec son Sauveur, sous la bonne garde de Dieu.
Il convient de s’arrêter ici pour observer que nous devons le récit de cet incident à saint Luc. Saint Matthieu et saint Marc racontent comment les deux brigands se sont joints pour insulter le Seigneur, mais ils restent silencieux quant à la suite bénie. S’ils l’avaient su, ils l’auraient certainement raconté ; et l’explication n’est pas bien loin. De toute évidence, lorsque Jean emmena Marie, les trois autres femmes restèrent. Elles furent témoins [ p. 458 ] du repentir du brigand, entendirent sa prière et la réponse gracieuse du Seigneur ; et c’est de leurs lèvres que saint Luc entendit l’histoire au cours des recherches assidues qu’il mena pour rédiger un récit plus complet du ministère du Seigneur (cf. Lc 1, 1-4). Il est déjà apparu combien il ressemblait au Seigneur dans sa sympathie pour les femmes méprisées, et le fait qu’il ait appris cette gracieuse histoire de Salomé et des deux Marie est un exemple de sa manière constante.
Ainsi s’écoulèrent trois heures. Il était neuf heures lorsque le Seigneur fut crucifié, et il était midi. Le froid inhabituel de la nuit précédente avait été de mauvais augure et annonçait un tremblement de terre (Mc XV, 25 ; cf. Jean XVIII, 18), un tremblement de terre redoutable et fréquent en Syrie. Soixante ans auparavant, un tremblement d’une violence inhabituelle s’était produit en Judée. Ce jour désastreux, où dix mille personnes avaient péri dans la ruine de leurs maisons, était encore présent dans les mémoires ; et maintenant qu’une épaisse brume recouvrait le paysage, cachant le soleil, un silence solennel s’abattit sur la multitude. Enfin, à trois heures, le silence fut rompu par un cri provenant de la croix centrale. FrançaisQuel miracle qu’au milieu de la douloureuse angoisse de la chair mortelle de notre Seigneur et de la désolation de son cœur, la foi en l’amour de son Père, cette confiance en la volonté de son Père, qui avait été si sûre et si ferme tous les jours de son pèlerinage terrestre, ait été pour un instant ébranlée ? Eli, Eli, s’écria-t-il, faisant écho à la plainte du Psalmiste dans la langue maternelle si douce dans la douleur aux lèvres juives (Ps xxii 1), lama sabachthani, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Pour la première, la seule fois dans toute sa [ p. 459 ] vie terrestre, sa vision de Dieu fut obscurcie ; et il est certainement bon pour nous que notre Rédempteur incarné ait souffert la plus terrible des expériences humaines. En vérité, le Père n’a jamais été aussi proche de Lui et n’a jamais été aussi satisfait de Son Fils bien-aimé qu’à cette heure de suprême dévotion ; et Son cri extrêmement amer est une assurance pour Son peuple.
« Cela sortit des lèvres du Saint au milieu de Sa création perdue,
Que, parmi les perdus, aucune âme n’utilise ces mots de désolation,
afin que, lorsque leur chair et leur cœur défaillent, ils se souviennent qu’il est passé devant eux et qu’ils soient alors remplis de courage.
Les Juifs près de la croix comprenaient cette phrase hébraïque, mais elle intriguait les soldats romains. Eli, « Mon Dieu », leur suggéra le nom d’Élie, et ils crurent qu’il appelait un ami. À ce moment, il gémit : « J’ai soif ! » ; l’un d’eux eut pitié de lui et courut vers la coupe de vinaigre. « Laissez ! » crièrent ses camarades, « voyons si Élie vient le sauver ! » ; mais il persista dans son dessein compatissant. La croix était haute, et il ne pouvait atteindre le Souffrant ; mais il ne se laissa pas décourager. L’ouverture de la coupe était bouchée non pas par un bouchon, mais, selon la coutume ancienne, par une éponge ; et celle-ci, imbibée de liqueur, il la prit et, la fixant à la pointe de son javelot, [1] la tendit et humecta les lèvres desséchées.
Ce fut la dernière bonté que notre Seigneur reçut, et elle lui fut précieuse. Elle dissipa le nuage de son âme. La pitié humaine qu’elle exprimait [ p. 460 ] lui parlait de l’infinie compassion, et il s’y appuya avec un contentement paisible. « Père », pria-t-il, employant une fois de plus le langage des Saintes Écritures, « entre tes mains je remets mon esprit. » (Ps. xxxi. 5) Une vive et soudaine douleur lui traversa le cœur, lui arrachant un cri d’agonie. « Tout est accompli ! » murmura-t-il, et sa tête retomba sur sa poitrine. « Le Fils de l’homme », avait-il dit un jour, « n’a nulle part où reposer sa tête » (Mt. viii. 20 ; Lc. ix. 58 ; Jn. xix. 30) ; mais maintenant, observe l’évangéliste, « il posa la tête et rendit son esprit. » Enfin, parce que son œuvre était terminée, le Sauveur inquiet prit son repos.
Le silence qui régnait parmi les spectateurs fut brutalement rompu. La terre trembla et se souleva sous leurs pieds, les rochers furent ébranlés et fendus. C’était le tremblement de terre tant redouté, et la multitude terrifiée se dispersa et se hâta vers la ville. Bientôt, le Calvaire fut désert, à l’exception des soldats, restés à leur poste, et de Salomé, de ses deux compagnes et de plusieurs autres Galiléennes qui, présentes dans la foule, observaient de loin, s’avancèrent et rejoignirent les trois hommes. Aux yeux des soldats, déjà impressionnés par ce qu’ils avaient vu et entendu de notre Seigneur, ce dernier événement sembla une confirmation surnaturelle de ses prétentions, et leur commandant exprima ses pensées. « Vraiment », s’exclama-t-il, « cet homme était le Fils de Dieu ! »
La secousse qui avait secoué la colline du Calvaire fut naturellement plus durement ressentie dans la ville et ses immeubles serrés ; et la foule qui revenait fut confrontée à une scène d’alarme et de confusion. Un incident particulièrement éveilla leur étonnement. La solide maçonnerie du Temple avait été ébranlée, et [ p. 461 ], une fois la secousse passée, les prêtres découvrirent en entrant dans le Sanctuaire que le Voile, le rideau séparant le Lieu Saint du Saint des Saints (Exode xxvi. 31-33), qui dans le Temple d’Hérode était une magnifique étoffe – « un rideau babylonien brodé de bleu et de fin lin, d’écarlate et de pourpre » – avait été déchiré en deux de haut en bas. C’était en effet un incident impressionnant ; et, aussi naturel fût-il, pour les croyants des premiers temps, il parut à juste titre providentiellement significatif. Le Saint des Saints était la chambre de la Présence Divine, où seul le Grand Prêtre pouvait entrer une fois par an, le Jour des Expiations, « non sans sang » (Hébreux 9, 7) ; et la déchirure du Voile qui le fermait proclamait à tous la différence bénie accomplie par le Sacrifice expiatoire du Seigneur. « Ayant donc, frères », est-il écrit, « une libre entrée dans le Saint au moyen du sang de Jésus, par la voie qu’il a inaugurée pour nous, voie nouvelle et vivante, à travers le Voile, c’est-à-dire sa chair, approchons-nous avec un cœur sincère. » (Hébreux 10, 19-22)
Les seuls hommes de Jérusalem à rester insensibles étaient peut-être les membres du Sanhédrisme. Le tremblement de terre était passé, et ils se consacraient à leurs affaires. Ils n’avaient en effet pas de temps à perdre ; car c’était vendredi après-midi et au coucher du soleil le sabbat commencerait (cf. Dt. XXI. 23), et ce serait une profanation du jour saint XXI.23# que de laisser les corps des criminels pendus aux croix. La profanation aurait été particulièrement intolérable le jour du sabbat solennel suivant la Pâque. La crucifixion était une condamnation à long terme, et ses victimes étaient souvent pendues pendant des jours avant que la mort ne les libère de leur agonie, à moins que la fin ne soit [ p. 462 ] accélérée par la cruelle miséricorde du crurifragium, « la rupture de leurs membres » – les faire mourir à coups de maillet. Les Sanhédristes se rendirent donc auprès de Pilate et demandèrent que les victimes soient ainsi expédiées. Il donna l’ordre et les soldats l’exécutèrent. Ils achevèrent les souffrances des deux brigands, mais dans le cas de notre Seigneur, ce fut inutile. Il était déjà mort ; mais pour en être sûr, l’un d’eux – traditionnellement nommé Longinus – lui enfonça sa lance dans le côté.
Un phénomène étrange se produisit. Lorsque la lance fut retirée, un jaillissement de sang et d’eau jaillit. Jean était retourné au Calvaire et se tenait avec les femmes près de la croix. Il fut témoin du phénomène. Il ne pouvait le comprendre, et lorsqu’il raconta l’histoire longtemps après (Jn 19, 35), il ne chercha aucune explication, affirmant simplement ce fait étonnant, affirmant l’avoir vu de ses propres yeux. Le mystère resta entier jusqu’au milieu du siècle dernier, lorsqu’un médecin anglais, le Dr Stroud, dans son traité « Sur la cause physique de la mort du Christ », présenta une explication approuvée par d’autres médecins tout aussi éminents, dont le professeur J.Y. Simpson, que l’utilisation du chloroforme a classé parmi les principaux bienfaiteurs de l’humanité souffrante. La cause de la mort de notre Seigneur, nous dit-on, fut une lésion ou rupture du cœur, qui se produit lorsque l’organe est distendu par une forte émotion jusqu’à ce que ses parois soient déchirées (Mt. 27, 50 ; Mc 15, 37 ; Lc 23, 46). L’agonie est intense et se manifeste par un cri perçant ; et la mort survient plus ou moins rapidement selon l’étendue de la rupture. Seule une autopsie [ p. 463 ] permet de constater qu’une rupture réelle a eu lieu ; et la preuve est alors que le sang s’est échappé de l’intérieur du cœur dans sa gaine d’enveloppement, le péricarde, où il se sépare, à la manière du sang extravasé, en deux éléments : le crassamentum ou caillot rouge et le sérum limpide. C’est précisément ce qu’a révélé cette autopsie brutale : la lance du soldat lui transperça le flanc. La pointe perça le péricarde et, en se retirant, libéra son contenu : les caillots rouges et le sérum clair : « Il en sortit aussitôt du sang et de l’eau. »
Et c’est ainsi que, en réalité, notre Seigneur est mort d’un cœur brisé – un « cœur surchargé » gonflé par « les marées désespérées de l’angoisse du monde entier ».
Outre les Sanhédristes, un autre membre du Sanhédrin attendait Pilate cet après-midi-là. Où était Nicodème pendant tout ce temps ? Ce vieux rabbin qui avait eu cette mémorable entrevue avec notre Seigneur sur le mont des Oliviers au début de son ministère, et qui, six mois auparavant, avait timidement protesté en sa faveur devant la Haute Cour ? (Jn 3, 1-21 ; VII, 50-52). Croyant dans l’âme, il n’avait jamais osé proclamer sa foi. Il y avait un autre Sanhédriste dans le même cas : Joseph d’Arimathie, ville autrefois connue sous le nom de Ramathaïm-Zophim. Tous deux étaient membres du Sanhédrin, mais aucun n’avait élevé la voix ce matin-là contre la condamnation du Seigneur. Leurs protestations auraient été vaines, et ils étaient probablement restés à l’écart. Mais lorsqu’ils le virent mis à mort, ils furent [ p. 464 ] frappés de chagrin et de honte, et avec un héroïsme qui expia sûrement leur pusillanimité, ils décidèrent de le confesser maintenant, alors que la confession était extrêmement difficile et pouvait sembler inutile. Ils pouvaient au moins lui rendre un service. La règle était que les corps mutilés des criminels crucifiés devaient être jetés dans l’odieux gouffre de la Géhenne, le lieu de refus public. Tel serait le sort des corps des deux brigands, abandonnés à leur sort ; et tel aurait été aussi le sort de notre Seigneur, mais Joseph et Nicodème convinrent de l’obtenir et de lui donner une sépulture honorable. C’était une entreprise coûteuse ; car non seulement un sépulcre et des urnes étaient nécessaires, mais Pilate avait une réputation de cupidité, et ils estimèrent devoir acheter sa permission par un lourd pot-de-vin. Mais ils étaient riches et ils étaient prêts à assumer volontiers les frais à eux deux. Joseph, par hasard, possédait un verger sur le versant nord-ouest du Mont des Oliviers, près du Calvaire, où il avait récemment creusé un caveau dans le roc ; et c’est là, dans le lieu de sépulture de sa famille, qu’il proposa, en toute charité et révérence, de déposer le corps du Seigneur.
Il entreprit la mission au prétoire, et ce fut plus facile qu’il ne l’avait prévu. Le péché de Pilate pesait lourdement sur sa conscience. De toute évidence, Joseph se présenta devant les sanhédristes, et son rapport fut la première nouvelle du procurateur sur ce qui s’était passé au Calvaire. Il fut surpris d’apprendre que le Seigneur était mort si tôt ; et lorsque Joseph lui exposa sa mission et offrit le pot-de-vin d’usage, il le refusa et, dit l’évangéliste, non seulement « lui donna le corps » (Mc XV, 45), mais, comme le mot le signifie et comme l’affirme expressément la tradition, « lui en fit don gratuitement ». Joseph rejoignit Nicodème, qui s’était entre-temps occupé à se procurer un linceul de belle [ p. 465 ] du linge et des aromates d’embaumement en abondance – cent livres, soit assez pour l’enterrement d’un roi. Ils se hâtèrent alors vers le Calvaire, réclamèrent le corps sacré des mains des soldats et, aidés par les femmes, le transportèrent au sépulcre et l’y déposèrent. (Cf. 2 Chroniques XVI, 14)
Lecture en Jo. XIX. 29 hysso, « javelot », pour hyssopo, « hysope ». ↩︎