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La raison pour laquelle le nombre trois est devenu un « nombre sacré » a longtemps fait l’objet de spéculations. Une théorie moderne suggère que, l’homme possédant trois articulations des doigts, son calcul est né de ses doigts et que le nombre trois est devenu la base de l’ordre, et donc sacré. Une autre théorie soutient que le nombre trois est la base de tout mouvement rythmique et que l’homme est une créature rythmique. Une autre théorie encore affirme que, certains sauvages ne pouvant compter au-delà de deux, le nombre trois est devenu synonyme de tout ou de perfection. Aristote a dit il y a longtemps que le nombre trois représente tout et est donc le nombre parfait.
Il est vrai que nous pensons en triades, car trois sont des divisions naturelles : hier, aujourd’hui et demain ; enfance, jeunesse et âge ; ici, en haut, en bas ; lever, midi, coucher du soleil ; soleil, lune, étoiles ; terre, air, ciel ; père, mère, enfant ; trois est le tout, le tout. Mais n’est-il pas tout aussi naturel de penser par paires, comme les sauvages ont tendance à le faire, passé et présent, ici et ailleurs, jour et nuit, soleil et lune, terre et ciel, force et faiblesse, mâle et femelle ? Quant au rythme, le balancement enfantin du « un, deux, trois, et c’est parti » en ajoute un quatrième ; et de fait, quatre chez certains sauvages était un nombre plus sacré que trois, notamment dans tout le monde occidental, où, en Amérique du Nord comme du Sud, quatre, basé sur les quatre directions (points cardinaux), était le nombre véritablement religieux. Cinq, lui aussi, a une sainteté limitée, surtout en Inde, où les groupes de dieux et de peuples apparaissent en pentades. Mais sept est, s’il en est, le nombre véritablement religieux, aussi sacré en Inde qu’en Grèce. En Inde, le mois subdivisé [ p. 292 ] donnait des jours saints hebdomadaires à intervalles de sept jours, mais bien avant que ces jours ne soient connus, sept formait un groupe à part entière : les Sept Étoiles, les Sept Fleuves, etc. Sept a pu, au début, signifier simplement « plusieurs », puis, à partir du groupe lui-même, devenir rituellement sacrosaint.[1]
Mais il existe une différence, jusqu’ici ignorée, entre la sainteté du trois et celle du sept. Sept est religieux ; trois est d’abord magique, avant de devenir un nombre religieux. Sa connotation primitive de complétude ou d’extra-complétude conduit à son utilisation universelle dans les opérations magiques obligatoires, telles que les lustrations, les exorcismes de toutes sortes, les serments, etc. Ainsi, il est plutôt adopté qu’initié par la religion, tandis que le sept n’est pratiquement pas reconnu du tout jusqu’à ce que les religions avancées l’emploient comme nombre sacré. Un test sûr peut être fait en comparant les rites religieux sauvages, qui emploient trois et sept, avec la magie sauvage, qui ignore le sept et emploie partout (en Australie, en Afrique, en Inde, en Amérique) le trois, le nombre déterminant,[2] tandis que dans les lustrations, le trois empiète même sur le domaine du quatre sacré (américain). Le serment, répété trois fois par les sauvages, tend dans la religion à devenir le « serment des trois dieux » (Zeus, Athéna, Apollon), [ p. 293 ] tel qu’il était d’usage en Grèce, mais sa force contraignante venait d’abord des trois.[3] Les malades chez les anciens Slaves sauvages grimpaient trois fois par une ouverture dans un chêne sacré. L’Inde et la Chine ont toutes deux la triple déambulation autour de la tombe. Lorsque Babur « se sacrifia » pour son fils mourant, il fit trois fois le tour du lit, extrayant ainsi la maladie et la forçant à entrer dans son propre corps. Le fantôme chinois est apaisé par une triple oblation d’eau. Assertionner, maudire, cracher, exorcismes de toutes sortes, sont bien faits lorsqu’ils sont faits trois fois ; c’est le nombre contraignant. D’où la triple lustration des sauvages et (héréditaire) des peuples civilisés. Le baptême suit la lustration ; il est donc triple, avec trois invocations. Le premier emploi de la formule trinitaire était lié au baptême. Dans le cas du rituel funéraire, la sainteté particulière du triple pourrait être fondée sur des causes naturelles, puisque le corps exige clairement d’être enterré dans les trois jours, sauf dans les climats froids. Ainsi, les Scythes enterraient après des semaines d’attente, mais généralement, comme en Australie et en Afrique, le fantôme persiste trois jours, puis ressuscite et quitte le corps. Même un dieu mort ressuscite « après trois jours », comme lors de la résurrection d’Attis dans le rite de la Mégalésie.
Il est possible que, dans ce cas et d’autres similaires, le nombre trois soit d’abord un nombre naturel plutôt que sacré, mais que, de par sa signification déjà sacrée, il se sanctifie à nouveau. Il y avait, par exemple, une très bonne raison naturelle pour laquelle les hindous offraient des oblations au soleil trois fois par jour ; le lever, le midi et le coucher du soleil étaient des moments naturels pour rendre hommage. Il n’est donc pas tout à fait évident que les hindous offraient des oblations aux dieux trois fois par jour, car trois était un nombre sacré. À une époque antérieure, [ p. 294 ], le nombre était de toute façon sacré et il semblait s’agir d’un cas nouveau. Ils parlaient donc raisonnablement de « trois offrandes saintes », mais s’il y avait eu un quatrième point indiquant naturellement une oblation, le trois aurait été ignoré.
Le caractère sacré du nombre trois ne s’explique pas par un quelconque « plaisir divin pour les nombres impairs » ; le nombre impair est un autre exemple du pouvoir liant de la super-complétude, comme dans la douzaine du boulanger et le groupe divin védique calculé comme trois fois dix plus un, ainsi que le « cent un » d’usage populaire indien (prêtres, maladies, veines, etc.), l’idée magique dans l’usage religieux. En magie, le nombre trois est convaincant ; il lie. En religion, le nombre trois confère simplement une impression de sainteté, sauf, bien sûr, lorsque la religion conserve un contenu magique, comme c’est souvent le cas dans certains cas particuliers. La religion grecque, comme celle de l’Inde, était un mélange de prière et de malédiction, de religion et de magie. « Trois fois sept », trisapta, est particulièrement rituel en Inde, bien qu’il indique également un nombre indéfiniment grand[4].
Les triades divines, comme la triple oblation, ne doivent en réalité qu’une petite part de leur sainteté supérieure à la forme triadique. Les triades mythologiques nationales incluent généralement des dieux qui, étant eux-mêmes supérieurs ou sensiblement différents des autres dieux, forment un groupe naturel, triadique uniquement parce que les trois composantes représentent des sphères remarquablement différentes. Un exemple palpable est celui de la triade shintoïste primitive des dieux primitifs, le soleil, la lune et l’orage (ou [ p. 295 ] eau). La triade babylonienne, Ann, Enlil, Ea (ciel et mer, avec l’orage, douteux, entre les deux) est similaire. La triade homérique, Zeus, Poséidon, Hadès, personnifiés comme des frères, représente le ciel, la mer et le monde souterrain. Or, un tel groupe est triadique, mais il lui manque l’élément essentiel d’une trinité ; il est constitué non pas d’éléments homogènes, mais d’éléments hétérogènes. Son unité vient de la diversité du groupe, et non de sa trinité. Zeus, Poséidon et Hadès, ensemble, sont les grandes puissances spirituelles gouvernant trois royaumes différents ; mais ils ne sont unis d’aucune façon avant d’être devenus « frères », et alors ils sont mutuellement antagonistes. Ainsi, dans le cas des triades, ce n’est pas mythologique mais éthique. La triade zoroastrienne, « pensée, parole, action », et la triade bouddhique, représentant les buts de la vie, « religion, plaisir, richesse », contiennent des constituants non pas identiques, mais antithétiques. Il en va de même pour les petites triades mythologiques populaires de Grèce, trois Pâtés, trois Grâces, trois fois trois Muses ; ce n’est pas l’unité, mais la différenciation qui distingue leurs éléments, comme on peut le constater clairement lorsqu’on peut remonter à leur origine. Par exemple, la forme la plus ancienne des Moires était une, et non trois ; et soit une, soit deux étaient à l’origine Nymphe, Grâce, Sirène et Kabire (ces triades sont généralement féminines). Seule une réflexion ultérieure les convertit en une triade ; mais la triade n’est jamais une simple triplication ; elle introduit une nouvelle conception.
L’incapacité à reconnaître la distinction entre un groupe triadique de dieux hétérogènes et une véritable trinité a vicié les travaux de divers érudits.[5] Anu, Enlil, Ea, les dieux japonais correspondants et le groupe homérique (ci-dessus) forment des triades respectives, et non des trinités. Osiris, Isis et Horus sont des dieux distincts, plus tard unis par une relation familiale. Les différentes triades zoroastriennes, telles qu’Ormuzd, [ p. 296 ], Anahita et Mithra, sont loin d’être une trinité, comme le montre clairement la triade Ormuzd, Mithra et Ahriman. Il n’existe en réalité qu’une seule triade primitive dans le zoroastrisme : l’Esprit Sage, son ordre juste et son Esprit Bon, mais les deux derniers sont en fait des attributs personnifiés de l’Esprit Sage Unique.
Il est inutile de cataloguer toutes ces « trinités », comme les appellent des auteurs négligents. La triade Zeus, Poséidon, Hadès céda la place à Zeus, Héra, Athéna[6], et celle-ci à son tour à Zeus, Athéna, Apollon. La Scandinavie eut ses Odhin, Thor, Frey ; la Babylonie eut plusieurs triades en plus de celle mentionnée : Shamash, Sin, Ramman (soleil, lune, orage), Sin, Shamash, Ishtar, etc. Souvent, le groupe, comme en Égypte, s’enrichit d’un quatrième membre ; il n’est pas statique, ou, lorsque son nombre reste le même, ses membres se déplacent ; il n’y a pas de véritable triunité[7].
Dans ces triades mythologiques, surtout lorsqu’il existe une relation familiale imaginée entre leurs membres, se développe parfois la croyance qu’un membre [ p. 297 ] est un médiateur entre l’homme et un membre supérieur du groupe divin. Mais c’est une autre erreur de la part de ceux qui ont découvert des trinités partout dans le monde de supposer que le principe médiateur surgit d’abord au sein de la trinité. En réalité, cela n’a rien à voir avec cela, car elle est bien plus ancienne que toute trinité. Le chaman sauvage est le médiateur le plus ancien, n’étant pas lui-même un homme ordinaire, mais un homme inspiré surnaturellement. Le sauvage reconnaît assez généralement (1) le Pouvoir, (2) lui-même en quête de pouvoir surnaturel, et (3) l’homme empli de pouvoir (il peut être prêtre) médiateur entre l’homme et le Pouvoir. Un tel médiateur humain représente l’union de l’humain et du divin, œuvrant pour la sécurité ou le salut de l’homme. Il apparaît dans l’histoire comme prêtre ou prophète, ou, sous une forme plus élevée, comme révélateur ou révélation. Cette conception peut s’inscrire dans un schéma trinitaire, mais elle a en réalité une base plus large. Nombre des sacrifices de messagers déjà évoqués sont pratiquement médiateurs ; l’ours aïnou est un médiateur. Cette conception est si vaste que le Dr Soederblom[8] n’hésite pas à interpréter toutes les religions comme médiatrices, car chacune reconnaît une Puissance surnaturelle, une union du divin et de l’humain, et un résultat éthique, tel que le tabou, la nouvelle vie spirituelle, le Saint-Esprit. En ce sens, il les qualifie également toutes de trinitaires. Mais il ne s’agit là que d’une exagération, créant un schéma dans lequel tout peut s’intégrer. Par exemple, le Dr Soederblom donne, comme types du médiateur, le Christ et un fétiche. Or, un fétiche n’a aucune fonction médiatrice ; l’homme le contraint ou y fait directement appel.
Avant d’aborder les véritables trinités fournies par la religion, il convient de parler de certaines formes illusoires qui, en elles-mêmes, ne présentent aucune difficulté, sauf si les interprètes modernes les interprètent mal. Ce sont les monstres à trois têtes et à trois corps de l’antiquité indienne, grecque et gauloise, [ p. 298 ] surtout connus grâce aux figures de Shivas à trois têtes, le Kerberos^ et le Géryon trimembris. Le dragon à trois têtes est grec aussi bien qu’indien. Kronos, en tant que dragon, a une tête de chèvre entre celles d’un taureau et d’un lion. Un dragon ou ver à trois têtes est mentionné dans les Védas. Usener soutient que les figures celtiques (gauloises) à trois têtes et toutes les autres tricipites, où qu’elles se trouvent, se ramènent, sous forme de trinités, à trois formes d’un même dieu, d’abord dupliquées puis triplées[9]. À titre d’illustration, il cite l’Uzza arabe, vénérée dans trois arbres et considérée comme triple. Mais Usener néglige le fait que la forme bipartite ou tripartite introduit une spécialisation ou une différenciation, tout comme les différents Jupiter romains ou les saints contemporains portant le même nom mais habitant des sanctuaires différents sont des personnes pratiquement différentes, résultant dans la plupart des cas de la consolidation d’un pouvoir totalement différent avec une forme du pouvoir nominal. Une vierge de Lourdes ne guérit que dans ce sanctuaire ; un Jupiter Dolichenus n’est pas la même chose qu’un Jupiter Heliopolitanus. Il est également peu probable que trois têtes impliquent systématiquement trois personnes. Trois têtes ainsi que trois yeux (également, selon Usener, indiquant trois personnes) appartiennent à la fois à Shiva et au démon tué par Vishnu, mais ni le dieu ni le démon n’avaient trois corps. Hécate, en tant que triple corps, résulte d’une identification tardive avec deux autres déesses ou (les anciens n’en étaient pas certains) de l’idée qu’elle possédait trois pouvoirs ou représentait trois formes de la lune. Les trois déesses de la destruction du Rig-Veda, appelées Nirritis, peut-être du monde souterrain, sont un développement ésotérique (« connu des sages ») d’une déesse de la terre (Nerthus ?). Priape est triphallus non pas parce qu’il en avait trois, mais parce qu’il n’en possédait qu’un seul, immense. Ainsi, les trois formes de Géryon pourraient avoir signifié une forme originelle immense. Les trois têtes, en tout cas, n’impliquent pas trois corps dans le cas de Marici ou de Maya à trois visages (mère de Bouddha). Une déesse égyptienne à visage humain, à visage de chien, de chèvre ou de vache, est un parallèle exact à Marici, une déesse uniforme à trois têtes. Les trois têtes d’Hermès signifiaient simplement qu’il observait toutes les directions, tout comme Janus observait deux directions, et le Zeus Herkaios d’Argos avait trois yeux pour la même raison. Un excellent exemple est celui d’Argus, dont les nombreux yeux vigilants apparaissent comme trois selon Phérékyde. Si, dans ce cas, les trois yeux impliquaient des corps, comme le dit Usener (p. 183),La forme habituelle d’Argus impliquerait alors une multiplicité de corps. Or, comme nous l’avons déjà montré, l’art primitif évoque le surnaturel par la multiplicité de ses pouvoirs supérieurs : Artémis aux multiples seins, Avalo-kiteshvara du Tibet à onze têtes, les dieux gardiens à trois yeux, le monstre à trois têtes dépouillé de son bétail et tué par Indra. Son homologue fut dépouillé de son bétail par Héraclès. Or, si ce monstre est bien l’original de Géryon, le type hindou n’est clairement pas à trois corps, bien qu’il soit à trois têtes. À moins de croire qu’un dieu à onze perles est le développement d’un dieu à onze corps, nous ne pouvons affirmer qu’un dieu à trois têtes implique un dieu à trois formes.
Mais il existe un dieu tricéphale qui est en réalité trinitaire en ce sens qu’il apparaît sous trois manifestations distinctes incarnant un seul pouvoir spirituel. Il s’agit du « dieu du Feu à trois têtes » védique Agni (latin ignis), dont la tridimensionnalité lui vaut de nombreuses épithètes et invocations, comme « avec une triple protection, sois bienveillant », etc. Il est le « taureau à trois faces » et est « né de trois mères », le « dieu des trois lieux », et son rituel est basé sur le même nombre. Il fait trois fois le tour du sacrifice ; la mariée fait trois fois le tour du dieu Feu ; ses lieux de sacrifice terrestres sont au nombre de trois. De même que les orphiques identifiaient Hélios et le feu, les hindous identifiaient le soleil, le feu et la foudre et, comme le dit le Rig-Veda, « ils appelaient diversement celui qui est vraiment un ». Il sert de médiateur entre l’homme et les dieux en leur apportant des offrandes et en leur accordant à leur tour des bénédictions divines ; mais il n’intervient pas entre l’homme et un dieu suprême en particulier. Il est simplement le « messager » de tous les dieux et lui-même est le premier destinataire de l’oblation, sollicité directement, et non seulement comme médiateur, par des prières pour obtenir aide et richesse. En tant que Feu, il est chaleur et puissance créatrice, tant dans le soleil que dans tous les pouvoirs reproducteurs ; il est donc un dieu-créateur, à la fois dieu-Père pour l’homme et créateur cosmique ; mais il est en même temps une force destructrice, brûlant maisons et pécheurs. Il est invoqué comme protecteur de la loi et destructeur des pécheurs (impliquant peut-être une épreuve du feu) ; il est né dans le ciel et amené à l’homme par la volonté des dieux (et non contre la volonté divine, comme dans le récit de Prométhée), ou par certains « prêtres du feu ».
Le caractère trinitaire d’Agni se manifeste dans ses descriptions comme soleil, éclair et feu, « la triple lumière, le feu éternel, le Créateur aux multiples noms, vénéré comme Vishnu, Indra, Varuna, Rudra, le créateur, le soleil, Bhaga [la forme slave de ce nom signifie « Dieu »], qui bénit même lorsqu’il brûle. » Mystiquement, il est le prêtre et l’oblation (le divin dans l’offrande), comme il le dit : « Je suis la triple Lumière, la chaleur et l’oblation. » Il est Indra et Varuna car ces dieux sont ceux de l’orage et de la pluie du ciel, et Agni est né comme l’éclair dans la pluie, « le fils de l’eau ».[10]
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Il s’agit bien d’une trinité, la plus ancienne connue. Mais c’est une trinité d’un genre particulier. Il n’y a aucune interrelation entre ses constituants. Agni n’est pas fils du soleil ; il est le soleil. Tout au plus, dans un hymne mystique, RV., 1, 164, 1, le feu (du sacrifice) est frère de l’éclair et du soleil. Mais généralement, ces trois éléments ne sont pas trois formes d’un seul, mais un seul en trois lieux. L’éclair n’est pas une forme de feu ni frère du feu, mais un feu dans les nuages, comme le soleil est un feu dans le ciel ; d’où l’épithète courante d’Agni : « ayant trois formes », mais « ayant trois demeures », sur terre, dans les nuages, dans le ciel, ou, comme le rituel préfère l’interpréter, ayant trois autels. Il possède également trois noms, plutôt que trois formes, et est appelé « trinaman », ce qui signifie « ayant trois noms ». Parmi ces feux, deux sont devenus, au fil du temps, membres de la trinité populaire ultérieure, mais sous des noms différents : le soleil (Vishnu), la foudre (Siva), identifiée à Rudra, le dieu de la foudre. Le troisième membre n’a conservé que l’idée du dieu-Créateur, l’un des nombreux aspects d’Agni.
Après cette introduction, nous pouvons aborder l’histoire des seules véritables trinités : celles des Brahmanes, des Bouddhistes et des Grecs ou des Chrétiens. Elles ne sont pas, comme celles étudiées jusqu’ici, mythologiques, mais philosophiques, bien qu’elles soient inscrites dans une nomenclature mythologique.
[^11] : Comparer Éros, Himéros et Pothos comme noms (aspects) d’un même dieu. Les triades sont courantes dans le Rig-Véda, des groupes tels que Mitra, Aryaman, Varuna, et feu, vent, soleil, mais les parties ne sont pas identiques et la triade est fortuite, un autre dieu ou nom étant souvent ajouté au groupe. Plus courant est le groupement védique par paires : ciel et terre, Varuna et Mitra, Indra et Agni ; mais il n’existe pas de parallèle védique au couple « déesse et fils » de la mythologie sémitique.
Sept comme nombre indéfini (ci-dessus, p. 62) reste longtemps synonyme de plusieurs, comme dans les Sept Mers, Sept Îles, « sept mois », « septuple courage » (Aristophane) en grec. Strabon, vers 602, donne Heptaporos comme synonyme de Polyporos, le nom d’un fleuve (comparer les ruisseaux « à sept bouches » de l’Inde). Dans la grande épopée hindoue, Vishnu est appelé sapta-mahabhaga « septuple béni ». Les « sept années » de Shakespeare ne signifient que plusieurs années. ↩︎
C’est-à-dire, lorsqu’une tribu n’a pas encore été affectée par l’influence missionnaire ou musulmane, comme chez les Africains de Guinée, où le baptême seul est affecté par le nombre sept (une fille est baptisée « après sept jours de naissance »). Les rites funéraires sont basés sur trois. Les personnes en deuil ne peuvent pas se laver pendant trois jours ; le troisième jour après le décès, le défunt est invité trois fois à partir, etc. Les Amérindiens utilisent aussi occasionnellement le nombre sept comme nombre rituel, mais probablement pas de leur propre initiative. Trois était le nombre magique en Grèce et à Rome. ↩︎
Toucher du bois (à l’origine la Croix) trois fois pour conjurer le mal a commencé religieusement comme une invocation des trois personnes de la Trinité ; le rite est maintenant retombé dans une forme magique. ↩︎
Trois fois sept sont les bâtons de feu symboliques dans le sacrifice spirituel; trois fois sept sont les collines déchirées par la foudre d’Indra, et trois fois sept soixante-dix sont ses destriers (Rig-Veda, 8, 46, 26; 96, 2, etc.). Trois et sept sont souvent groupés sans lien, comme lorsque le dieu du Feu et le dragon de feu sont tous deux décrits comme ayant trois têtes et sept flammes (ib. 1, 346. I: Je 8,8). Les dieux védiques ont été comptés d’abord comme 33, c’est-à-dire trois fois onze (10 + 1); puis comme 34 (33 + 1), et enfin comme 3339 en nombre. Par imitation, les Nats, ou esprits, de Birmanie sont au nombre de 37, dirigés par Indra (les autres étant des héros) et élargis par quatre divinités locales. ↩︎
Cette erreur a par exemple affecté Les Trinités ethniques du révérend LL Paine (1901). Pour M. Paine, toute triade apparaît comme une trinité. ↩︎
La triade romaine, Jupiter, Junon, Minerve, copie le modèle grec. Une ville phocéenne entre Delphes et Daulis possédait ce groupe, vénéré ensemble dans une même salle comme gardiens de la terre (Paus., 10, 5, 2), de sorte que l’établissement des trois dans un même édifice n’est pas uniquement romain. Sur un point, il y a une différence. Héra est assise à la droite de Zeus et Junon à la gauche de Jupiter ; mais dans chaque cas, la déesse a le siège d’honneur, qui en Grèce était à droite et à Rome à gauche. ↩︎
En ce qui concerne Babylone, Sayce appelle à tort le ciel, la terre et le soleil une « Trinité » accadienne, une idée curieusement développée par le révérend Hugo Radau, qui, dans Bel le Christ des temps anciens, se contentait (en 1903) de voir une tendance au monothéisme dans la religion babylonienne, tout au plus un monothéisme presque pur. Mais le même texte, quelques années plus tard (1908), apparaît comme une « religion trinitaire monothéiste », calquée sur un groupe nippourien composé d’Enlil, Ninib et Ninlil, interprétés comme père, fils et mère, la « Trinité nippourienne », comme on l’appellera par la suite. Ici, le flou entourant les fonctions divines conduit l’auteur à imaginer une trinité là où il y a une triade. Dans The Creation Story (1902), l’auteur est plus judicieux et parle simplement de deux triades : Ann, Ba, Bel et Sin, Ramman, Shamash. Der Dreieinige Gott (1922) de Nielsen suppose une trinité sémitique générale composée du père, du fils et de la mère, mais ses preuves sont loin d’être concluantes. ↩︎
DN Soederblom, Père, Fils et Esprit (Tübingen, 1909). ↩︎
Usener dans Rheinisches Museum fur Phil., 1908, pp. 81 et suivantes, suivi par Soederblom, op. cit., soutient cela comme l’une des trois thèses, à savoir que tous les dieux à trois têtes reviennent à trois formes distinctes en tant que duplicatas d’une forme originale unique ; que toutes les triades reviennent à des duades ; et que trois était plus élevé que ce que l’homme pouvait compter à l’origine et est donc devenu, comme l’a dit Diehls avant Usener, « le nombre final typique ». ↩︎
Les références aux passages védiques cités se trouvent dans Religions of India de l’auteur. ↩︎