Le Brâhmana dit :
Je ne sens pas les odeurs, je ne perçois aucun goût, je ne vois aucune couleur, et je ne touche pas, et je n’entends pas non plus divers sons, et je n’entretiens même aucune imagination [^1391]. La nature désire les objets qui sont aimés ; la nature hait tous les (objets) haïssables [1]. Le désir et la haine naissent de la nature [2]comme les vents de vie ascendants et [ p. 289 ] descendants, après avoir atteint les corps des créatures vivantes. En dehors d’eux, et comme l’entité constante qui les sous-tend, je vois le soi individuel dans le corps. Demeurant en ce (soi), je ne suis en aucune façon attaché [3] (à quoi que ce soit) par le désir, la colère, la vieillesse ou la mort. Ne désirant aucun objet de désir, ne haïssant aucun mal, il n’y a aucune souillure sur ma nature [4], comme il n’y a aucune souillure d’une goutte d’eau sur les lotus [5]. Ce sont des choses inconstantes appartenant à ce principe constant qui observe les différentes natures. Bien que des actions soient accomplies, le filet des plaisirs ne s’y attache pas, comme le filet des rayons du soleil ne s’attache pas au ciel [6]. À ce sujet [7] également, ils racontent une histoire ancienne, (sous la forme) d’un dialogue entre un prêtre Adhvaryu et un ascète. Comprends cela, ô glorieux ! Voyant un animal se faire asperger [8] lors d’une cérémonie sacrificielle, un ascète assis (là) s’adressa à l’Adhvaryu, censurant (l’acte) comme une destruction de vie. L’Adhvaryu [ p. 290 ]] lui répondit : « Ce bouc ne sera pas détruit. Cette créature obtiendra le bien-être, puisque le texte védique l’affirme. Car ce qui est terrestre en lui ira à la terre ; tout ce qui est produit de l’eau en lui entrera dans l’eau. Son œil entrera dans le soleil, son oreille dans les quartiers, et ses vents de vie dans le ciel [9]. Il n’y a aucune offense de ma part, adhérant (comme je le fais) aux Écritures [10]. »
L’ascète dit :
Si vous percevez que le fait de lui couper la vie est bénéfique, alors le sacrifice est pour le bouc. Quel en est l’intérêt ? Que le frère, le père, la mère et l’ami du bouc vous donnent leur consentement [11] ; emmenez-le avec eux et consultez-les, d’autant plus qu’il est dépendant. Vous devriez vous renseigner auprès de ceux qui peuvent donner leur consentement ainsi. Après avoir entendu leur consentement, la question sera examinée [12]. Les vents de vie [13] de ce bouc ont également disparu, et je pense que seul son corps immobile demeure. Pour ceux qui souhaitent tirer du plaisir de l’abattage (d’un être vivant), le corps inconscient étant comparable à un combustible, ce qu’on appelle un animal devient [ p. 291 ] le combustible [14]. L’enseignement des anciens [15] est que s’abstenir de tuer (des créatures vivantes) est (le devoir) parmi tous les devoirs. Nous soutenons qu’il faut accomplir un acte qui n’implique pas de tuer. (Notre) proposition est de ne pas tuer (des créatures vivantes). Si je parlais davantage, il serait possible de critiquer votre façon de procéder de multiples manières [16]. S’abstenir systématiquement de tuer tous les êtres est ce que nous approuvons. Nous justifions (cela) par ce qui est réellement visible [17], nous ne nous appuyons pas sur ce qui ne l’est pas.
L’Adhvaryu a dit :
Vous savourez les parfums de la terre, vous buvez des jus aqueux, vous voyez les couleurs des corps brillants, vous touchez les qualités de l’air, vous entendez le son produit dans l’espace, vous réfléchissez par l’esprit (aux objets) des opérations mentales. Et toutes ces entités, vous croyez, ont la vie. Vous ne vous êtes pas abstenus (alors) de prendre la vie. Vous êtes (engagés) dans le massacre (des créatures vivantes) [18]. Il n’y a pas de mouvement [19] sans massacre (des créatures vivantes). Ou qu’en penses-tu, ô deux fois né ?
[ p. 292 ]
L’ascète a dit
L’indestructible et le destructible, telle est la double manifestation du soi. Parmi ces deux manifestations, l’indestructible est l’existant [20], la manifestation en tant qu’individu [21] (entité) est appelée le destructible [22]. Les souffles de vie, la langue, l’esprit et (la qualité de) la bonté, ainsi que (la qualité de) la passion [23], (ces éléments constituent) les manifestations en tant qu’entités individuelles. Et pour celui qui est libéré de ces manifestations, qui est libéré des paires d’opposés, qui est dénué d’attentes, qui est semblable à tous les êtres, qui est libéré (de la pensée que ceci ou cela est) mien, qui a maîtrisé son soi et qui est libéré de tous [24], il n’y a de peur nulle part [25].
L’Adhvaryu a dit :
Ô le meilleur des hommes talentueux ! On ne devrait en ce monde vivre qu’en compagnie d’hommes de bien 1. Car après avoir entendu votre opinion, mon esprit est éclairé. Ô vénérable monsieur ! Je m’approche de vous, convaincu que vous êtes le Seigneur ; et je vous dis : Ô deux fois né ! Il n’y a aucun péché en moi, accomplissant comme je l’ai fait les rites accomplis par d’autres 2.
Le Brâhmana dit :
Après cette explication, l’ascète garda le silence, et l’Adhvaryu procéda lui aussi au grand sacrifice, libéré de l’illusion. Ainsi, les Brâhmanes comprennent que cette émancipation très subtile est de cette nature, et, la comprenant, ils agissent en conséquence, guidés par le Kshetragña.
288:1 Littéralement, « maigre ». ↩︎
288:3 La connaissance est Brahman, qui est décrit ici comme une forêt, Arguna Misra. ↩︎
288:5 C’est le nom des opérations de l’esprit. ↩︎
288:6 Le sens est similaire à celui de la Gîtâ, p. 55. Le soi n’a rien à voir avec ces sentiments ; les qualités traitent des qualités. ↩︎
288:7 Cf. Gîtâ, p. 65. Le sens de la nature ici, comme dans la Gîtâ, est en substance le résultat de toute action antérieure à laquelle le soi a été associé, résultat qui, bien sûr, existe en lien non pas avec le soi, mais avec les développements de la nature, sous la forme du corps, p. 289 des sens, etc. La comparaison semble signifier que les sentiments de désir, etc. sont, comme les vents de la vie, sans lien avec le soi, bien qu’associés à lui, et sont tous deux des manifestations de la nature. ↩︎
289:1 Nîlakantha compare Bnthhadâranyaka, p. 770. Aguna Misra a une lecture différente, signifiant « susceptible (d’être subjugué). » ↩︎
289:2 Le pluriel, qui figure dans l’original, est inhabituel. Les différents aspects du « résultat » énoncé dans p. 288, note [2:1], considérés séparément, sont décrits comme des « natures », comme les feuilles d’un lotus, qui, dans leur ensemble, forment un lotus. ↩︎
289:4 La figure semble être quelque peu semblable à celle de la Gîtâ, p. 82, à propos de l’atmosphère et de l’espace, ce dernier restant intact par le premier. Considérant diverses natures, c’est-à-dire distinctes du soi. ↩︎
289:5 Soit le reste intact. ↩︎
289:6 C’est-à-dire avec de l’eau, en préparation de son offrande pour le sacrifice. ↩︎ ↩︎
290:2 Cf. Khândogya-upanishad, p. 627, et aussi Sârîraka Bhâshya sur Sûtra III, 1, 25, p. 774. ↩︎
290:3 C’est-à-dire pour son abattage, qui doit apporter le bien-être au bouc. Arguna Misra dit qu’il s’agit d’une sorte de réduction à l’absurde, car le sacrifice n’est en vérité pas du tout dans l’intérêt du bouc. ↩︎
290:4 À savoir si le bouc doit être tué. Sans leur consentement, il ne doit pas être abattu ; avec leur consentement, cela devient un sujet de réflexion, Arguna Misra. ↩︎
290:5 Cela peut également signifier les sens, comme dans le Khândogya, p. 297. ↩︎
291:1 Ce n’est pas très clair, mais le sens semble être que l’abattage est commis pour le plaisir du sacrificateur ; le sacrificateur n’a besoin que de combustible, et l’animal abattu est ensuite utilisé à cette fin. ↩︎
291:2 Cf. Khândogya, p. 627, et note suivante ; et Gîtâ, entre autres, p. 114, et p. 348 infra. ↩︎
291:3 Voir Sânkhyatattvaktumudi, p. 7. ↩︎
291:4 C’est-à-dire une règle expressément établie. Ce qui n’est pas visible signifie ce qui n’est pas expressément énoncé, mais doit être déduit par inférence, et ainsi de suite (cf. Âpastamba I, 1, 4, 8). Le texte explicite est le célèbre « Na himsyâtsarvâ bhûtâni ». Himsâ, qui est rendu ici par massacre, peut aussi signifier « donner de la douleur » en général. ↩︎
291:5 C’est l’argument du tu quoque. La subsistance nécessite une forme de massacre. ↩︎
291:6 C’est-à-dire le support du corps, dit Arguna Misra. ↩︎
292:1 Arguna Misra l’interprète autrement, « la vraie nature du Sat, le soi ». Nîlakantha traduit l’original par sadrûpam sans autre explication. Cet indestructible semble correspondre à celui mentionné dans la Gîtâ, p. 113, qui doit être considéré en relation avec la Gîtâ, pp. 73, 74. La note de la page précédente n’est peut-être pas tout à fait exprimée avec précision, car le mot « cause matérielle » véhicule des associations inadmissibles. Peut-être « principe sous-jacent » serait-il une approche plus proche de l’idée correcte. L’existant sera donc ce qui existe réellement, car il est indestructible. ↩︎